La maison du péril Agatha Christie

— Depuis quand habitent-ils ici ?

— Environ six mois.

— À propos, votre cousin est-il du côté de votre père, ou de votre mère ?

— De ma mère, qui s’appelait Amy Vyse.

— Outre ce cousin, avez-vous d’autres parents ?

— Oui, des cousins éloignés, dans le Yorkshire, des Buckley.

— Et c’est tout ?

— Oui.

— Comme vous devez vous sentir seule !

Nick le regarda, étonnée :

— Seule ? Quelle drôle d’idée ! Je viens rarement ici et vis la plupart du temps à Londres. En général, les parents sont bien empoisonnants, avec leur manie de fourrer toujours leur nez dans vos affaires : rien ne vaut d’être libre.

— Je ne vous contredirai pas, je vois que vous êtes moderne, Mademoiselle. Maintenant, parlons de votre domesticité.

— Quel nom pompeux ! Ellen et son mari, qui s’occupent du jardin (assez mal d’ailleurs), constituent ma « domesticité ». Je les paie très peu du fait que je les autorise à vivre ici avec leur enfant. Ellen me suffit amplement, et si j’ai une réception, nous nous arrangeons pour trouver un extra qui l’aide ; ce sera le cas lundi prochain, à l’occasion de la « semaine des régates ».

— Lundi ?… Et nous sommes aujourd’hui samedi… très bien. Maintenant, parlez-moi un peu de vos amis… ceux avec qui vous déjeuniez aujourd’hui, par exemple ?

— Ma foi, Freddie Rice, la jolie personne que vous avez vue, est ma meilleure amie. Elle n’a pas eu de chance ; mariée à une brute, qui s’enivrait et prenait des stupéfiants, elle dut le quitter voilà un ou deux ans. Depuis, elle vogue en dérive un peu de tous côtés. J’eusse préféré la voir obtenir le divorce et épouser Jim Lazarus.

— Lazarus ? L’antiquaire de Bond Street ?

— Oui. Jim est fils unique. Il roule sur l’or, cela va sans dire. Avez-vous remarqué sa voiture ? C’est un Juif, mais pas moins sympathique pour autant et il adore Freddie, avec qui il fait de nombreux voyages. Ils sont actuellement au Majestic pour le week-end et compteront parmi mes invités lundi.

— Qu’est devenu le mari de Mrs Rice ?

— Personne ne sait où il est, ce qui complique la situation de Freddie. Il est impossible de divorcer lorsqu’on ignore où se trouve l’un des conjoints.

— Évidemment !

— Pauvre Freddie ! poursuivit tristement Nick, elle n’a pas de veine. À un moment donné, tout semblait se rafistoler avec son mari. Elle lui exposa ses intentions, auxquelles il souscrivait, mais il n’avait pas les moyens de payer leur chambre d’hôtel. Alors, ce fut la fin : elle dut partir et il en profita pour disparaître de nouveau. Depuis on n’en a plus entendu parler. Hein ? Que dites-vous de cette muflerie ?

— Tout à fait odieux ! m’écriai-je.

— Voilà que mon ami Hastings est scandalisé ! remarqua Poirot. Ne faites pas attention, Mademoiselle, il retarde un peu. Il vient à peine de quitter la vie des grands espaces et il a besoin de s’acclimater au langage courant de nos jours.

— Je ne vois pas là matière à m’indigner, dit Nick en écarquillant les yeux. Tout le monde sait ce que je veux dire. Rice a joué un tour de coquin à cette malheureuse, Freddie fut tellement désorientée que, sur le moment, elle ignorait de quel côté se tourner.

— Oui, oui, ce devait être bien lamentable. Et votre autre ami, Mademoiselle, ce bon commandant Challenger ?

— George ? Je le connais depuis toujours, ou tout au moins depuis cinq ans. C’est un brave type.

— Désire-t-il vous épouser ?

— Il lui arrive d’en parler… vers deux ou trois heures du matin, lorsque je reçois des amis, ou après son second verre de porto…

— Et votre cœur ne s’attendrit pas ?

— À quoi bon nous marier ? Aucun de nous deux n’a le sou, et il me semble qu’à la longue je m’ennuierais avec lui, ce brave et vieil ami ; je parie qu’il a au moins quarante ans !

Cette remarque me fit légèrement frémir.

— Autrement dit, il a déjà un pied dans la tombe, renchérit Poirot. Oh ! il n’est pas question de moi, Mademoiselle, je suis un vieux grand-père. Si nous reprenions le récit de vos accidents : celui du tableau, par exemple ?

— On l’a remis en place avec une cordelière neuve. Vous pouvez venir le voir si le cœur vous en dit.

Elle nous conduisit dans sa chambre, devant une toile peinte à l’huile, montée dans un cadre massif.

Tout en murmurant un : « Vous permettez, Mademoiselle », à peine perceptible, Poirot se déchaussa, monta sur le lit de façon à mieux examiner la peinture pendue au-dessus, puis il redescendit après avoir délicatement soupesé le tableau.

— Il ne serait certes pas amusant de recevoir un tel poids sur la tête. À propos, l’ancien mode d’accrochage était-il, comme celui-ci, une cordelière armée ?

— Oui, mais pas aussi robuste. J’ai tenu à ce que, cette fois, ce fût solide.

— Je comprends. Avez-vous examiné l’endroit de la cassure ? Vous souvenez-vous si elle était effilochée ?

— Je crois que oui, mais je ne l’ai pas regardée de près. Pourquoi l’aurais-je fait ?

— C’est exact. Comme vous le dites si justement, pourquoi auriez-vous pris cette peine ? Cependant, j’aimerais beaucoup voir cette ancienne cordelière. L’avez-vous ici ?

— Je l’avais laissée sur le tableau. Sans doute l’homme qui mit le nouveau câble jeta l’ancien.

— Dommage, j’aurais aimé le voir.

— Vous persistez à nier qu’il s’agit d’un accident ? Pourtant il ne saurait en être autrement.

— Vous pouvez avoir raison, mais attendons avant de nous prononcer. Quant à la détérioration des freins de votre voiture, mon opinion est faite, de même au sujet de la chute de cette grosse pierre en bas de la falaise. Pourriez-vous me montrer le théâtre de cet… accident ?

Nick nous fit traverser le jardin et nous mena au bord de la falaise. Un sentier abrupt descendait jusqu’à la mer qui scintillait à nos pieds dans une admirable harmonie de bleu et d’argent. Pendant que Nick nous désignait l’endroit où s’était passé l’accident, Poirot hocha la tête, incrédule.

— Combien y a-t-il d’accès à votre jardin, Mademoiselle ? demanda mon ami.

— D’abord, l’allée principale, qui part de la grille et passe devant le pavillon, et une allée pour les fournisseurs, dont vous apercevez la porte là-bas à mi-chemin de ce sentier ; enfin une porte, en bordure de la falaise, s’ouvre sur un chemin en zigzag qui abouti au Majestic. À cela, ajoutez que l’on peut se faufiler par cette brèche, là, dans la haie, qui donne sur le jardin de l’hôtel ; je suis encore sortie par là ce matin ; c’est un raccourci pour descendre en ville.

— De quel côté votre jardinier travaille-t-il, en général ?

— En principe, il bricole du côté de la cuisine, ou encore dans l’appentis où sont remisés les pots de fleurs, lorsqu’il prétend y affûter ses outils.

— C’est-à-dire derrière la maison, de telle, sorte que si, d’aventure, la fantaisie prenait à quelqu’un de déterrer une grosse pierre, il le ferait à l’abri de tous les regards.

La jeune fille ne put réprimer un léger frisson.

— Prétendez-vous que pareil événement se soit produit ? demanda-t-elle. Personnellement, j’ai peine à le croire, tant cet attentat m’apparaît dénué d’intérêt.

Avant de répondre, Poirot tira la balle de revolver de sa poche et l’examina longuement.

— Et ceci, Mademoiselle, est-ce dénué d’intérêt ?

— C’était sans aucun doute le geste d’un fou.

— Je n’en disconviens pas. Quel passionnant sujet de conversation pour la veillée ? Tous les criminels sont-ils réellement fous ? J’admets une certaine déformation de leurs cellules grises ; oui, peut-être, mais cette question relève des psychiatres ; en ce qui me concerne, mon travail est d’une tout autre nature. Il me faut songer à l’innocent et non pas au coupable, à la victime et non pas à l’assassin ; c’est de vous que je dois m’occuper pour l’instant, Mademoiselle, sans m’attendrir sur votre agresseur encore inconnu. Vous êtes jeune et jolie. Le soleil luit, le monde est beau, et vous avez devant vous la vie et l’amour. Voilà quelles sont mes préoccupations, Mademoiselle. Depuis combien de temps vos amis, Mrs Rice et Mr Lazarus, séjournent-ils dans ces parages ?

— Freddie est arrivée mercredi. Elle est restée deux jours chez des amis, près de Tavistock, et hier elle poussa jusqu’ici. Quant à Jim, je crois qu’il voyage dans la région.

— Et le commandant Challenger ?

— Il habite Devonport et vient ici avec sa voiture, en général pour passer les fins de semaine.

Poirot approuva de la tête et nous regagnâmes l’habitation. Après un silence, brusquement, il demanda :

— Avez-vous une amie en qui vous ayez entièrement confiance, Mademoiselle ?

— Il y a bien Freddie…

— Quelqu’un d’autre que Mrs Rice.

— Je ne vois pas. Je suppose que… mais pourquoi cette question ?

— Parce que je désire que vous ayez une amie auprès de vous… sans tarder.

— Oh !

Cette fois, Nick parut déconcertée et resta pensive un bon moment, puis elle dit, d’une voix hésitante :

— Il y a encore Maggie. Je crois pouvoir la décider.

— Qui est Maggie ?

— Une de mes nombreuses cousines du Yorkshire, leur père est pasteur. Maggie est de mon âge et parfois elle vient passer quelques jours ici, l’été. J’ajoute qu’elle est triste comme un bonnet de nuit : figurez-vous une de ces honnêtes jeunes filles, plutôt fades, que la nature, accidentellement, a gratifiées d’une magnifique chevelure. J’avais d’ailleurs l’intention de ne pas l’inviter cette année.

— Erreur, Mademoiselle, votre cousine répond admirablement au genre de personne à laquelle je pensais.

— Très bien, dit Nick en soupirant, je vais la prévenir par télégramme. Du reste, je ne vois pas à qui d’autre je pourrais m’adresser pour l’instant. Si j’ai la veine de ne pas tomber au moment d’une excursion des Enfants de Marie ou d’une fête religieuse quelconque, elle s’empressera certainement de venir. Toutefois, quel rôle comptez-vous lui attribuer ?

— Voudriez-vous faire en sorte qu’elle couche dans votre chambre ?

— Volontiers.

— Ne croyez-vous pas que cette tactique éveille ses soupçons ?

— Non, car, en principe, Maggie ne cherche jamais à connaître le pourquoi des choses ; en bonne chrétienne, elle se contente d’exécuter avec conscience ce qu’on lui demande. Entendu, je lui télégraphierai de venir lundi.

— Pourquoi pas demain ?

— Un dimanche ? Elle va s’imaginer que je suis à l’article de la mort ! Non, lundi me paraît préférable. Avez-vous l’intention de la mettre au courant du sort terrible qui me guette ?

— Nous verrons ! Vous persistez à ne pas me prendre au sérieux ? Vous êtes courageuse, je me plais à le reconnaître.

— Cette aventure a pour le moins l’avantage de rompre la monotonie de l’existence, ajouta Nick.

Quelque chose, dans sa voix, frappa mon attention et je la regardai avec curiosité. Il me sembla qu’elle n’avait pas exprimé toute sa pensée.

Sur ces entrefaites, nous avions regagné le salon. Poirot feuilleta l’hebdomadaire qui était sur le sofa et demanda subitement à Nick si elle lisait ce périodique.

— Oh ! pas régulièrement. Je l’avais ouvert aujourd’hui pour consulter les heures de marée.

— Pendant que j’y songe, Mademoiselle, avez-vous jamais fait un testament ?

— Si, il y a environ six mois, juste avant qu’on m’opère de l’appendicite. On me conseilla d’en faire un et je m’exécutai pour me donner de l’importance.

— Quelles en étaient les grandes lignes ?

— Je léguais la propriété à Charles. Quant, au reste, d’ailleurs insignifiant, j’en faisais don à Freddie. J’ai tout lieu de penser que le passif pourrait bien excéder l’actif.

Poirot fit un signe de tête d’un air indifférent.

— Nous allons vous quitter maintenant. Au revoir, Mademoiselle. Soyez prudente !

— À quel propos ? demanda Nick.

— Il est difficile de préciser ce dont vous devez vous méfier. Néanmoins, ayez confiance, d’ici peu j’aurai découvert la vérité.

— Jusque-là, gare au poison, aux bombes, aux coups de revolver, aux accidents d’automobiles et aux flèches trempées dans le curare, termina Nick.

— Ne vous moquez pas, Mademoiselle, prononça Poirot d’un ton grave.

Arrivé à la porte, il s’arrêta et posa une nouvelle question :

— À propos, quel prix Mr Lazarus vous a-t-il offert du portrait de votre grand-père ?

— Cinquante livres.

— Ah ! dit Poirot en jetant un dernier regard vers la sombre et saturnienne physionomie au-dessus de la cheminée.

— Mais, comme je vous l’ai dit, je ne veux à aucun prix me séparer de ce vieux coquin !

— Évidemment, répondit Poirot, alors qu’il pensait à tout autre chose, je comprends votre point de vue.

CHAPITRE IV

IL Y A DU LOUCHE LA-DESSOUS

— Poirot, dis-je lorsque nous fûmes sur la route, je voudrais vous confier quelque chose.

— De quoi s’agit-il, mon ami ?

Je lui répétai la version de Mrs Rice concernant le déréglage des freins de la voiture de Nick.

— Tiens ! mais c’est intéressant ! D’autre part n’oublions pas qu’il existe, dans toute affaire, une catégorie d’individus qui se complaisent dans des récits merveilleux, pensant, par là, prendre de l’importance. Fait archiconnu : certains d’entre eux vont jusqu’à se blesser volontairement pour renforcer la thèse des prétendus attentats dont ils se disent l’objet.

— Vous ne pensez tout de même pas…

— Que Miss Nick appartient à cette catégorie ? Non. D’ailleurs, vous avez constaté vous-même combien nous avons de peine à la persuader du danger qui la menace. Elle est de son temps, cette petite. La confidence de Mrs Rice mérite néanmoins de retenir notre attention. Pourquoi aurait-elle inventé cette histoire ? Et en admettant que tout cela soit vrai, quel motif a bien pu la pousser à vous en parler ? Avouons que c’était non pas seulement inutile, mais très maladroit.

— Oui, dis-je, vous avez raison, je ne vois pas ce qui l’a amenée à aborder ce sujet.

— C’est curieux, très curieux. Les détails curieux me passionnent, ils renferment toujours quelque signification et indiquent la voie à suivre.

— La voie ? Quelle voie ? Menant où ?

— Vous mettez le doigt sur le point névralgique, mon cher Hastings. « Menant où ? » Là gît toute la question et nous ne saurons rien avant d’avoir éclairci bien des points.

— Dites-moi, Poirot, pourquoi avez-vous insisté pour que sa cousine vînt habiter avec elle ?

D’un geste, Poirot me fit signe de me taire.

— Mon cher Hastings, réfléchissez un seul instant combien nous sommes handicapés ! Nous avons les mains liées ! Rechercher un meurtrier une fois le crime commis est chose simple – du moins pour quelqu’un de ma compétence. En pareil cas, l’assassin a pour ainsi dire signé son nom en perpétrant le meurtre ; mais, actuellement, il n’y a pas eu crime, et, qui plus est, nous n’en voulons pas. Découvrir un attentat avant qu’il ait eu lieu, voilà qui présente une rare difficulté.

« Quel est notre premier objectif ? La sécurité de Miss Nick. Tâche des plus ardues, croyez-moi, Hastings. Nous ne pouvons veiller sur elle nuit et jour, ni davantage poster un policeman de faction à sa porte. Vous conviendrez qu’il nous est impossible de passer la nuit dans la chambre d’une jeune fille.

« Vraiment, cette affaire est hérissée de complications. Le mieux, à mon avis, serait de rendre intenable le rôle de l’assassin, mettre Miss Nick sur ses gardes et introduire un témoin à la fois discret et impartial. Il faudrait une personne intelligente pour remplir ces deux conditions-là. »

D’une voix différente, il poursuivit :

— Mais ce dont j’ai peur, Hastings…

— Quoi ?

— C’est que le criminel ne soit lui-même trop intelligent ; et je vous avoue ne pas me sentir complètement à l’aise.

— Poirot, vous m’inquiétez.

— Je suis inquiet autant que vous. Écoutez, mon ami, ce que j’ai lu par hasard dans ce journal hebdomadaire de Saint-Loo : « Parmi les touristes descendus au Majestic-Hotel, nous relevons les noms de M. Hercule Poirot et du capitaine Hastings. » Supposez un instant que quelqu’un ait lu cet entrefilet… Ils savent mon nom… tout le monde le connaît…

— Sauf Miss Buckley, qui l’ignorait il y a encore peu de temps, dis-je en plaisantant.

— C’est une tête de linotte… elle ne compte pas. À l’annonce de mon nom, le malfaiteur s’effraie. Par trois fois, il a attenté à la vie de Miss Nick ; s’interroge : voilà Hercule Poirot qui fait son apparition dans le voisinage. Est-ce par pure coïncidence ? Il penchera pour le contraire ; en ce cas, que fera-t-il ?

— Il se terrera, après s’être efforcé de cacher ses traces, suggérai-je.

— Oui… ou, s’il en a l’audace, il frappera son coup sans me donner le temps de procéder à la moindre enquête, et Miss Nick sera tuée. Voilà comment se comportera un gaillard de cette trempe.

— Pourquoi supposez-vous que quelqu’un d’autre que Miss Buckley ait lu cet écho ?

— Elle-même n’en avait pas pris connaissance puisque mon nom ne signifiait rien pour elle, lorsque je le citai devant elle. En outre, elle nous dit n’avoir consulté que l’horaire des marées : or, il ne figurait pas sur cette page-là.

— Croyez-vous que quelqu’un de la maison…

— Quelqu’un de la maison, ou qui y ait pénétré ; c’était chose facile, la fenêtre demeurant ouverte. Sans doute, les amis de Miss Nick doivent entrer et sortir à leur gré.

— Avez-vous une idée quelconque, un soupçon ?

— Pas le moins du monde, s’écria Poirot en levant le bras. Quel que soit le mobile, il n’est pas facile à découvrir ; c’est là-dessus que s’appuie la prétendue sécurité du criminel et voilà pourquoi il s’est montré si osé ce matin lorsqu’il visa Nick. À première vue, personne ne semble désirer particulièrement la mort de cette pauvre enfant. La propriété ? La « Maison du Péril » ? Elle revient au cousin. Mais celui-ci souhaite-t-il entrer en possession d’une masure délabrée et terriblement grevée d’hypothèques ? Elle ne saurait même pas présenter à ses yeux l’attrait d’une maison familiale, étant donné qu’il n’est pas un Buckley. Il nous faut voir ce sieur Charles Vyse, encore que l’idée m’en paraisse fantasque.

« Ensuite, il y a encore Mrs Rice – son amie intime – avec ses yeux étranges et son air de madone languissante. »

— C’est également votre avis ? demandai-je, intrigué.

— Le but est de connaître son rôle dans cette sombre affaire, et la raison qui l’a poussée à traiter son amie de menteuse. Craindrait-elle une révélation de la part de Nick ? Serait-ce quelque chose ayant trait à la voiture ? Ou bien n’a-t-elle pas voulu seulement citer un exemple ? A-t-on vraiment déréglé les freins, en ce cas, qui ? Le sait-elle ?

« Enfin, il y a le blond et délicieux Mr Lazarus. Quel rôle joue-t-il avec sa ravissante automobile et sa fortune ? Est-il seulement mêlé à cette affaire ? J’oubliais le commandant Challenger… »

— Ne nous préoccupons pas de lui, dis-je aussitôt. Je réponds de son innocence. Un honnête homme dans toute l’acception du terme.

— Sans doute appartient-il à ce que vous appelez la haute société. Étant fort heureusement étranger, je me trouve libéré de ces préventions, et puis tout à mon aise poursuivre mes recherches sans la moindre appréhension. Toutefois, en la circonstance, j’admets que j’hésite à mêler le commandant Challenger au cas qui nous intéresse ; et je ne vois pas du tout comment il pourrait y être lié.

— Moi non plus, appuyai-je.

Poirot m’observa, d’un air méditatif.

— Vous exercez sur moi une influence extraordinaire, Hastings. Votre flair vous conduit si souvent dans la direction opposée à la mienne que je suis presque tenté de vous suivre ! Vous êtes le prototype de l’homme intègre, crédule, honorable, qui se fait invariablement rouler par la première canaille venue. Vous appartenez à cette catégorie de gens qui souscrivent à des émissions de puits de pétrole hypothétiques et de mines d’or inexistantes. Grâce à des centaines comme vous, l’escroc a son pain quotidien assuré ! Eh bien, je vais étudier de près ce commandant Challenger ; vous avez su éveiller mes doutes.

— Mon cher Poirot, m’écriai-je, furieux, vous êtes complètement absurde. Un homme qui, comme moi, a parcouru le monde…

— … N’apprend jamais rien, conclut Poirot avec tristesse ; c’est surprenant, mais cependant vrai.

— Vous figurez-vous que j’aurais mené avec autant de succès mon ranch si j’étais le pauvre crétin que vous prétendez ?

— Calmez-vous, mon ami. Oui, c’est indiscutable : vous avez admirablement réussi en Argentine, vous et votre femme.

— Belle s’en rapporte à moi en toute circonstance.

— C’est une femme aussi avisée que charmante, renchérit Poirot. Mais, je vous en prie, ne nous querellons pas. Regardez donc plutôt devant nous : n’est-ce pas le garage Mott dont nous parlait Miss Buckley ? Une petite enquête nous apprendra la vérité au sujet de cette avarie de freins.

Nous entrâmes et Poirot se présenta en expliquant que la maison lui avait été recommandée par Miss Buckley. Il engagea la conversation sous le prétexte de louer une voiture pour quelques excursions et de là passa aux ennuis éprouvés récemment par Miss Buckley avec son automobile.

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