La maison du péril Agatha Christie

— Tous contenaient-ils de la cocaïne ?

— Non, seulement deux bonbons de la première rangée étaient empoisonnés ; les autres étaient naturels.

— De quelle manière la drogue y fut-elle introduite ?

— Très simplement. Le bonbon était coupé en deux, la cocaïne noyée dans la garniture intérieure et les deux moitiés ressoudées. Du pur travail d’amateur ; ce qu’on pourrait qualifier de « fabrication maison ».

Poirot poussa un grognement :

— Ah ! si j’avais su ! Si j’avais su ! Puis-je voir Mademoiselle ?

— Oui, mais dans une heure seulement, répondit le docteur. Allons, remettez-vous. La petite s’en tirera !

Pendant une heure d’attente, nous déambulâmes dans les rues de Saint-Loo et je m’évertuai à distraire mon ami de ses sombres pensées en l’assurant que rien d’irréparable n’avait été commis.

Pour toute réponse, il se contenta de hocher la tête et de me répéter :

— J’ai peur, Hastings, j’ai peur… d’une voix impressionnante.

À un certain moment, il me prit par le bras :

— Écoutez-moi, mon ami, dit-il. Je me suis trompé. Je me suis trompé depuis le début…

— Autrement dit, l’argent n’est pas le vrai mobile…

— Non, sur ce point j’ai vu juste. Mais il y a encore ces deux-ci… non, car le jeu deviendrait trop facile. Il doit y avoir un autre traquenard.

Puis dans un sursaut d’indignation :

— Ah ! cette chère enfant ! Pourquoi m’a-t-elle désobéi ? Avoir échappé de si près à la mort, n’était-ce pas suffisant ? Devait-elle s’exposer une cinquième fois ? C’est inouï !

Enfin, nous nous dirigeâmes de nouveau vers la maison de santé. Après une courte attente, on nous fit monter. Nick était assise sur son lit, les pupilles démesurément dilatées. Elle était fébrile et ses mains tremblaient.

— Ils ont recommencé, murmura-t-elle.

Tout secoué d’émotion, Poirot s’éclaircit la voix et prit la main de la jeune fille dans une des siennes.

— Ah ! Mademoiselle, Mademoiselle…

— Que n’ont-ils pas réussi leur coup, cette fois-ci ! s’écria-t-elle, pleine de dépit. Je suis lasse de toutes ces histoires.

— Pauvre petite !

— Et pourtant quelque chose en moi se révolte et résiste.

— C’est votre esprit combatif, Mademoiselle. Soyez bonne et généreuse jusqu’au bout !

— En somme, votre chère vieille clinique ne s’est pas révélée d’une sûreté à toute épreuve, dit Nick.

— Si seulement vous vous étiez conformée à mes instructions, Mademoiselle !

Elle regarda Poirot, légèrement surprise :

— Mais je les ai observées.

— Ne vous avais-je pas recommandé de ne toucher à quoi que ce fût qui vînt de l’extérieur.

— C’est exactement ce que j’ai fait.

— Mais ces chocolats…

— Qu’y avait-il à craindre ? N’est-ce pas vous qui me les avez fait envoyer ?

— Que dites-vous là, Mademoiselle ?

— Vous-même me les avez envoyés !

— Moi ? Jamais. Je proteste.

— Permettez… votre carte y était jointe.

— Hein ?

Nick tenta de se retourner vers la table de chevet et aussitôt l’infirmière s’approcha.

— Vous désirez la carte qui se trouvait dans la boîte de chocolats ?

— Oui, s’il vous plaît.

Après un court instant, la garde reparut, le bristol à la main.

— Voici, Mademoiselle.

Poirot et moi eûmes la respiration coupée. La carte portait le même libellé que celui qu’avait rédigé Poirot pour la corbeille de fleurs envoyée par lui : « Avec les hommages d’Hercule Poirot. »

— Sacré tonnerre !

— Vous le voyez bien, dit Nick, d’un ton accusateur.

— Jamais je n’ai écrit cela !

— Quoi ?

— Et cependant, murmura Poirot, c’est ma propre écriture.

— Oui, exactement la même que celle de la carte accompagnant les œillets oranges. Jamais je n’aurais douté qu’un autre que vous m’eût envoyé ces chocolats.

Poirot secoua la tête :

— Comment auriez-vous pu douter ? Oh ! quel démon ! Quel cruel démon ! Je n’en crois pas mes yeux ! Cet homme est un génie, un génie, ma parole ! « Avec les hommages d’Hercule Poirot. » C’est la simplicité même. Et… dire… que je n’y ai point songé.

Ce coup d’audace ne figurait pas au programme.

Nick s’agitait nerveusement.

— Calmez-vous, Mademoiselle. Vous n’êtes nullement responsable, moi seul suis répréhensible, j’aurais dû me montrer plus perspicace, dit-il.

Il laissa retomber son menton sur sa poitrine, comme un être accablé sous le poids de l’adversité.

— Je crois, Messieurs… dit la garde dont le visage, depuis quelques minutes, donnait des signes d’impatience.

— Oui, oui. Je m’en vais. Reprenez courage, Mademoiselle. C’est la dernière bévue que je commettrai. Je suis confus, navré, d’avoir été joué comme un enfant. Mais cela ne se répétera pas. Je vous le promets. Partons, Hastings.

Le premier soin de Poirot fut d’interroger la directrice de la maison de santé qui, naturellement, ne dissimula pas sa surprise.

— C’est inimaginable, Monsieur Poirot, absolument inimaginable. Jamais je n’aurais cru qu’une telle infamie pût se produire dans ma clinique !

Poirot se montra compatissant et d’un tact parfait, puis il s’enquit de la façon dont était arrivé le fatal colis. La directrice lui conseilla de s’adresser au portier de garde, ce jour-là, à l’entrée.

L’homme en question, un nommé Hood, ne donnait pas l’impression d’avoir décroché la lune, mais il paraissait d’une parfaite honnêteté ; il pouvait avoir de vingt à vingt-deux ans. Devant son air impressionnable, Poirot s’empressa de le mettre à l’aise.

— Vous n’êtes pas le moins du monde à blâmer, mon brave, seulement je voudrais savoir exactement quand, et comment ce paquet est arrivé ici.

Le portier demeura un instant perplexe.

— C’est difficile à savoir, Monsieur, dit-il enfin, il y a tant de visiteurs qui viennent prendre des nouvelles et déposer des paquets.

— L’infirmière prétend que cette boîte a été remise hier soir vers six heures, précisai-je.

Le visage du jeune homme s’anima :

— En effet, je me le rappelle maintenant, il a été apporté par un Monsieur.

— Un Monsieur blond à la figure plutôt maigre ?

— Oui, il était blond, mais je n’ai pas remarqué sa figure.

— Croyez-vous qu’il s’agisse de Charles Vyse ? murmurai-je à Poirot. J’avais oublié que le portier pouvait connaître le nom que je venais de prononcer et qu’il avait, d’ailleurs, parfaitement entendu.

— Non, ce n’est pas Mr Vyse, répondit-il aussitôt. Je le connais. Le visiteur d’hier soir est plus grand, d’allure élégante… et il conduisait une forte voiture.

— Lazarus ! m’exclamai-je.

Le coup d’œil de reproche que me lança Poirot me fit regretter aussitôt ma précipitation.

— Ainsi, il est venu en voiture et a remis ce paquet au nom de Miss Buckley ?

— Oui, Monsieur.

— Et qu’en avez-vous fait ?

— Je n’y ai pas touché, Monsieur. L’infirmière l’a monté elle-même.

— Je comprends. Mais vous l’avez tout de même touché lorsque le visiteur en question vous le confia ?

— Oui, mais je n’ai fait que le poser sur la table.

— Sur quelle table ? Pouvez-vous me la désigner ?

Le jeune homme nous conduisit dans le vestibule.

Près de la porte d’entrée se trouvait une grande table dont le dessus était de marbre ; des lettres et des paquets y étaient déposés et attendaient leur distribution.

— Le courrier et les paquets sont apportés ici et montés par les infirmières chez les malades.

— Vous souvenez-vous de l’heure à laquelle on apporta ce fameux paquet ?

— Environ cinq heures et demie, peut-être un peu plus. Le facteur venait de passer ; or, vers cette heure-là a lieu une distribution. Une grande activité régnait ici ce jour-là, nombre de gens ont apporté des fleurs et des paquets aux patients.

— Merci. Maintenant, nous allons voir l’infirmière qui monta la boîte.

C’était une stagiaire, une petite personne très remuante. Elle se souvenait d’avoir monté la boîte à six heures, au moment où elle prenait son tour de service.

— Six heures ! murmura Poirot. En ce cas, le colis a dû demeurer une vingtaine de minutes sur la table du vestibule.

— Comment ?

— Rien, Mademoiselle. Continuez, je vous écoute. Vous avez remis vous-même le présent à Miss Buckley ?

— Oui, il y avait d’autres choses pour elle. Cette boîte, des fleurs, des pois de senteur envoyés par Mr et Mrs Croft, je crois. Je montai le tout ensemble. Il se trouvait aussi un paquet arrivé par poste et, fait curieux, c’était également une boîte de chocolats « Fuller ».

— Quoi ? Une deuxième boîte ?

— Oui, par pure coïncidence. Miss Buckley ouvrit les deux boîtes et s’écria : « Et dire que je ne suis pas autorisée à en goûter ! » Votre carte de visite était incluse dans une des boîtes. Par crainte de la confondre avec l’autre, Miss Buckley me pria d’emporter celle qui ne contenait aucune indication de provenance. Tout cela ne ressemblait-il pas à un roman d’Edgar Wallace ?

Poirot coupa court à ce flot de volubilité :

— De ces deux boîtes, laquelle est arrivée par la poste ? Celle qui était censée être la mienne, ou l’autre ?

— J’avoue ne plus me souvenir. Puis-je monter le demander à Miss Buckley ?

— Je vous en prie.

La garde revint tout essoufflée et nous déclara que Miss Buckley n’en était elle-même pas sûre. Elle avait défait les deux paquets avant d’ouvrir les boîtes ; toutefois, elle croit se rappeler que le colis envoyé par vous ne portait point le cachet de la poste.

— Sapristi ! s’exclama Poirot comme nous redescendions la rue. Ne peut-on donc jamais être affirmatif ? Dans les romans policiers, les gens sont toujours sûrs d’eux-mêmes, mais la vie présente d’autres difficultés. Moi qui vous parle, donnerais-je toujours ma main à couper sur ce que j’avance ? Non, mille fois non !

— Lazarus… dis-je.

— Hein, en voilà une surprise ?

— Comptez-vous lui en parler ?

— Certes oui. Je serais curieux de voir comment il prendra la chose. À propos si nous exagérions un brin l’état de Miss Nick ? Laissons-lui croire qu’elle est à l’article de la mort. Saisissez-vous pourquoi ? Oui, je vois à votre mine que vous comprenez ma tactique. Ma foi, on vous prendrait presque pour un ordonnateur de pompes funèbres. À la bonne heure !

Nous eûmes la chance de rencontrer Lazarus qui, devant l’hôtel, examinait le moteur de sa voiture.

Poirot se dirigea droit vers lui.

— Monsieur Lazarus, vous avez déposé hier soir, à la clinique, une boîte de bonbons de chocolat au nom de Miss Nick ? commença-t-il sans autre préambule.

— C’est exact, répondit Lazarus, plutôt surpris.

— C’est très aimable à vous…

— De fait, c’est Freddie, Mrs Rice, qui m’a chargé de cette commission.

— Ah ! oui.

— J’y suis allé avec la voiture.

— Je comprends.

Après une légère pause, Poirot poursuivit :

— Savez-vous où se trouve Mrs Rice ?

— Elle doit être dans le hall.

En effet, Frederica y prenait le thé. Elle parut troublée à notre vue.

— Que viens-je d’apprendre ? Nick est tombée malade ?

— C’est une affaire des plus mystérieuses, Madame. Dites-moi, lui avez-vous envoyé une boîte de chocolats, hier ?

— Oui. Plus exactement, c’est elle qui m’a priée de lui faire porter.

— Elle vous a priée de lui en envoyer ? Elle ne devait recevoir personne. Comment avez-vous pu la voir ?

— Je ne l’ai pas vue, elle m’a téléphoné.

— Ah ! ah ! Que vous a-t-elle dit ?

— Que je lui fasse parvenir une livre de chocolats Fuller.

— Comment vous a paru sa voix… Faible ?

— Pas le moins du monde. Mais j’ai eu peine, au début, à reconnaître le timbre de sa voix.

— Jusqu’à ce qu’elle vous eût dit son nom. Êtes-vous bien sûre que c’était votre amie qui parlait ?

Frederica sembla abasourdie.

— Mais… oui… qui aurait pu se substituer à elle ?

— Vous venez de poser une question intéressante, Madame.

— Vous ne voulez pas dire…

— Seriez-vous prête à jurer, sous la foi du serment, que vous avez vraiment entendu la voix de votre amie ?

— Non, dit Frederica, sa voix m’a semblé trop altérée. J’en attribuai la cause à l’appareil, ou encore à la maladie…

— Auriez-vous reconnu la voix de votre amie si elle ne vous avait appris qui elle était ?

— Non, je ne le pense pas. Mais qui était-ce, Monsieur Poirot, qui était-ce ?

— Voilà ce que je désirerais connaître, Madame.

La gravité soudaine de Poirot parut éveiller les soupçons chez son interlocutrice.

— Nick est-elle… que lui est-il arrivé ? interrogea-t-elle, haletante.

Poirot fit un signe de tête.

— Elle est gravement malade. Ces chocolats étaient empoisonnés, Madame.

— Ceux que je lui ai envoyés ? Mais c’est impossible ! Impossible !

— C’est tellement possible, Madame, qu’en ce moment Miss Nick est à deux doigts de la mort.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, pâle et agitée. Je ne comprends pas ! Mais je ne comprends pas, insista-t-elle. D’autres bonbons, peut-être, mais pas ceux-là… Personne autre que Jim et moi n’y a touché… Vous faites une horrible méprise, Monsieur Poirot.

— Non, Madame, je ne me trompe pas : ma carte se trouvait dans la boîte.

Elle lui jeta un regard dénué d’expression.

— Si Miss Nick vient à mourir…, prononça Poirot en soulignant cette phrase d’un geste de menace.

Mrs Rice ne put réprimer un cri. Poirot se détourna et, me prenant par le bras, m’entraîna au salon situé à l’étage supérieur.

Poirot jeta son chapeau sur la table.

— Je n’y comprends vraiment rien… mais plus rien ! Je nage dans d’épaisses ténèbres ! Je redeviens un petit enfant. Qui profite du décès de Miss Nick ? Mrs Rice ? Qui achète et envoie les chocolats ? Qui échafaude cette histoire invraisemblable d’un coup de téléphone ? Mrs Rice. Tout cela ne résiste pas au moindre examen et ne saurait être pris au sérieux. Pourtant, il faut admettre que cette personne est loin d’être stupide.

— Alors ?

— Cette femme prend de la cocaïne, j’en suis persuadé, Hastings. Aucune erreur là-dedans. Ces bonbons de chocolat contenaient de la cocaïne. D’ailleurs, que veut-elle dire par là : « D’autres bonbons, possible, mais pas ceux-là. » Voilà un point qui mérite d’être élucidé. En outre, que vient faire ce bellâtre de Lazarus dans cet imbroglio ! Jusqu’où Mrs Rice est-elle renseignée ? Elle sait quelque chose, mais allez donc lui tirer les vers du nez ! Elle n’est pas de celles qui se laissent intimider. Son histoire de téléphone est-elle vraie ou l’a-t-elle inventée de toutes pièces ? Sinon, à qui appartenait cette voix ? Tout cela me semble bien ténébreux, Hastings.

— Les ténèbres précèdent toujours l’aube, répondis-je pour le consoler.

— Et cette deuxième boîte… envoyée par la poste… n’éclaircit pas la situation. Miss Nick elle-même ne peut nous fournir de renseignements précis. Comment s’y reconnaître ? grommela-t-il.

J’allais prendre la parole quand il m’arrêta d’un geste.

— Non ! non ! Pas d’autres proverbes ! Épargnez-moi, Hastings, je vous en prie ! Tenez, si vous étiez gentil, vous iriez m’acheter en cet instant même un jeu de cartes.

— Un jeu de cartes ! Bien. J’y vais de ce pas.

J’eus le sentiment très net qu’il cherchait, par ce prétexte, à se débarrasser de moi.

Cependant, je me trompais sur ses intentions : le soir même, vers dix heures, je trouvai mon ami au salon en train d’édifier des châteaux de cartes… et je me souvins !

C’était une de ses plus douces manies pour se calmer les nerfs. Il m’accueillit d’un sourire.

— Eh ! oui, mon cher ami, il faut avant tout de la précision. Une carte judicieusement placée en supporte une seconde, et ainsi de suite. Ne m’attendez pas, Hastings, allez vous coucher, ce petit manège me calme l’esprit.

À cinq heures du matin environ, je fus réveillé en sursaut par Poirot qui, la mine réjouie, se tenait auprès de moi.

— Vous aviez raison, mon cher. Vous voyiez juste, je rends hommage à votre perspicacité.

Je me frottai les yeux, encore gonflés de sommeil.

— « Les ténèbres précèdent toujours l’aube », avez-vous dit. Eh bien ! c’est exact, l’aube vient de poindre.

Je tournai mon regard vers la fenêtre, par laquelle, en effet, le jour commençait de pénétrer dans ma chambre.

— Non ! Non ! Hastings ! C’est dans mon esprit, dans mes petites cellules grises que les premières lueurs font leur apparition.

Après une pause, il continua, toujours calme :

— Mademoiselle est morte.

— Quoi ? m’écriai-je, cette fois les yeux grands ouverts.

— Chut ! Chut ! Pas en réalité, bien entendu, mais on peut simuler son décès, tout au moins pour vingt-quatre heures. Je m’arrangerai pour obtenir la complicité des médecins et des infirmières. Vous saisissez, Hastings ? Le meurtrier a réussi à sa cinquième tentative. Maintenant, nous allons voir ce qui va se passer. Cela ne manquera pas d’intérêt, croyez-moi.

CHAPITRE XVIII

LE VISAGE À LA FENÊTRE

Les événements du lendemain s’estompent complètement dans ma mémoire. Par malheur, je m’éveillai avec de la fièvre ; je suis sujet à ces fâcheux accès de temps à autre depuis que j’ai contracté la malaria. Il en résulte que cette journée demeure en mon souvenir comme un vrai cauchemar au milieu duquel Poirot, au comble de la joie, va et vient à la manière d’un clown excentrique. De quelle façon il réalisa le projet dont il m’avait entretenu au petit jour, je n’en sais rien, mais le fait est qu’il arriva à ses fins.

La tâche avait dû être ardue et l’obliger à pas mal de subterfuges, suivis d’autant de déceptions. Il lui fallut d’abord gagner le docteur Graham à sa cause, puis, aidé de celui-ci, persuader l’infirmière-chef et certaines des gardes-malades. Sans aucun doute, l’influence du docteur Graham avait fait pencher le plateau de la balance en sa faveur.

Restait à convaincre le chef de la police et ses subordonnés. On imagine que là encore, aux prises avec l’administration, Poirot eut à surmonter les pires difficultés. Cependant, il parvint à arracher le consentement du colonel Weston, à condition qu’on le dégageât de toute responsabilité : Poirot seul prenait sur lui la fausse déclaration de décès et toutes ses conséquences. Poirot accepta. Il eût d’ailleurs tout accepté pourvu qu’on lui laissât les mains libres.

Quant à moi, la journée s’écoula en un long assoupissement dans un fauteuil, avec une couverture sur les genoux. Toutes les deux ou trois heures, Poirot faisait irruption pour me tenir au courant de la marche des opérations.

— Comment ça va, mon cher ? Comme je plains votre sort ; mais peut-être vaut-il mieux que vous ne fussiez pas mêlé à cette mascarade. Je viens de commander une immense couronne, avec des lis en quantité et cette mirobolante inscription : « Regrets sincères. Hercule Poirot. » Quelle farce !

Puis il disparaissait pour revenir un peu plus tard m’apporter les dernières nouvelles :

— Je viens d’avoir un émouvant entretien avec Mrs Rice, entièrement vêtue de noir. « Pauvre amie ! Quel affreux drame ! Et dire qu’elle était si gaie, si débordante de vie ! Je ne puis me la figurer morte ! » J’abondai dans son sens à grand renfort de lieux communs, tel que : « L’ironie du sort qui veut que les êtres chers disparaissent », ou encore : « Les bons s’en vont, les mauvais restent », etc.

— Cette comédie vous amuse ? demandai-je.

— Du tout, mais cela fait partie de mon plan. Pour bien jouer son rôle, il faut s’y adonner tout entier. Après avoir exprimé tous ses regrets de circonstance, Mrs Rice a abordé des sujets d’un intérêt plus immédiat ; elle n’avait pu fermer l’œil de la nuit, tellement ces chocolats meurtriers l’obsédaient. « C’est impossible !… impossible ! » disait-elle. Devant son doute persistant, je lui offris de lui montrer le rapport du chimiste qui fit l’analyse. Alors, moins sûre d’elle-même, elle ajouta : « Vous dites que c’était de la cocaïne ? » Je le lui confirmai, « Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle. C’est à n’y rien comprendre. »

— Il se peut qu’elle ne simule pas.

— En tout cas, elle devine fort bien qu’elle est en danger, car elle ne manque pas d’intelligence. Ne vous l’ai-je pas déjà dit ?

— Et pourtant il me semble que, pour la première fois, vous ne la croyez pas coupable.

Poirot fronça le sourcil, puis il reprit son calme.

— Votre remarque est juste, Hastings. En effet, j’ai l’impression que la réalité ne corrobore plus mes présomptions. Ce qui caractérise ce genre de crime, c’est ordinairement la subtilité de l’assassin, n’est-ce pas ? Or, qu’observons-nous ici ? Aucune finesse : rien que des faits brutaux. Non, le problème se pose maintenant sous un autre aspect.

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