Le Comte de Moret – Tome I

II

MARIE DE GONZAGUE.

Pour arriver au résultat que nous venons de promettre, c’est-à dire pour reprendre notre récit où nous l’avons abandonné à la fin de notre dernier volume, il faut que nos lecteurs aient la bonté d’entrer avec nous à l’hôtel de Longueville, qui, adossé à celui de la marquise de Rambouillet, coupe avec lui, en deux, le terrain qui s’étend de la rue Saint-Thomas-du-Louvre à la rue Saint-Nicaise, c’est-à-dire est situé comme l’hôtel Rambouillet, entre l’église Saint-Thomas-du-Louvre et l’hôpital des Quinze-Vingts ; seulement son entrée est rue Saint-Nicaise, juste en face des Tuileries, tandis que l’entrée de l’hôtel de la marquise, est, nous l’avons dit, rue Saint-Thomas-du-Louvre.

Huit jours se sont passés depuis les événements qui ont fait, jusqu’à présent, le sujet de notre récit.

L’hôtel, qui appartient au prince Henri de Condé, le même qui prenait Chapelain pour un statuaire, et qui a été habité par lui et par Mme la princesse sa femme, avec laquelle nous avons fait connaissance à la soirée de Mme de Rambouillet, a été abandonné en 1612, deux ans après son mariage avec Mlle de Montmorency, époque à laquelle il acheta, rue Neuve Saint-Lambert, un magnifique hôtel qui débaptisa cette rue pour lui donner le nom de rue de Condé, qu’elle porte aujourd’hui. Il est habité seulement, au moment où nous sommes arrivés, c’est-à-dire au 13 décembre 1628 (les événements sont tellement importants à cette époque, qu’il est bon de prendre les dates), par Mme la duchesse douairière de Longueville et par sa pupille, Son Altesse la princesse Marie, fille de François de Gonzague, dont sa succession causa tant de troubles, non seulement en Italie, mais en Autriche et en Espagne, et de Marguerite de Savoie, fille elle-même de Charles-Emmanuel.

Marie de Gonzague, née en 1612, atteignait donc sa seizième année ; tous les historiens du temps s’accordent à affirmer qu’elle était belle à ravir, et les chroniqueurs, plus précis dans leurs dires, nous apprennent que cette beauté consistait : dans une taille moyenne parfaitement prise ; dans ce teint mat des femmes nées à Mantoue, que, comme les femmes d’Arles, elles doivent aux émanations des marais qui les entourent ; dans des cheveux noirs, des yeux bleus, des sourcils et des cils de velours, des dents de perle et des lèvres de corail, un nez grec d’une forme irréprochable dominant ces lèvres, qui n’avaient pas besoin du secours de la voix pour faire les plus suaves promesses.

Inutile de dire que, vu le rôle important qu’elle était appelée à jouer comme fiancée du duc de Rethellois, fils de Charles de Nevers, héritier du duc Vincent, dans les événements qui allaient s’accomplir, Marie de Gonzague, à qui sa beauté eût suffi, comme à l’étoile polaire son éclat, pour attirer les regards de tous les jeunes cavaliers de la cour, attirait en même temps ceux des hommes que leur âge, leur gravité ou leur ambition, poussaient à la politique.

On la savait d’abord puissamment protégée par le cardinal de Richelieu, et c’était un motif de plus, pour ceux qui voulaient faire leur cour au cardinal, de faire à la belle Marie de Gonzague une cour assidue.

C’était évidemment à cette protection du cardinal, protection dont la présence de Mme de Combalet était une preuve, que nous pouvons voir, vers sept heures du soir, arriver rue Saint-Nicaise, et descendre à la porte de l’hôtel de Longueville, les uns de leurs voitures et les autres de la nouvelle invention qui depuis la veille est en pratique, c’est-à-dire de ces chaises à porteurs dont Souscarrières partage le brevet avec Mme Cavois, les principaux personnages de l’époque, qu’on introduit, au fur et à mesure qu’ils arrivent, dans le salon au plafond orné de caissons peints représentant les faits et gestes du bâtard Dunois, fondateur de la maison de Longueville, et de tapisseries qu’éclairaient à peine un immense lustre descendant du centre du plafond, et des candélabres posés sur les cheminées et sur les consoles, où se tient la princesse Marie.

Un des premiers arrivés était M. le prince.

Comme M. le prince jouera un certain rôle dans notre récit, qu’il en a joué un grand dans l’époque qui précède et dans celle qui doit suivre, rôle triste et ténébreux, nous demandons au lecteur la permission de lui faire connaître ce rejeton dégénéré de la première branche des Condé.

Les premiers Condé étaient braves et rieurs, celui-ci était lâche et sombre. Il disait tout haut : « Je suis un poltron, c’est vrai, mais Vendôme l’est encore plus que moi ! » – Et cela le consolait, en supposant qu’il eût besoin de consolation.

Expliquons ce changement.

En mourant assassiné à Jarnac, ce charmant petit prince de Condé qui quoique un peu bossu, était la coqueluche, de toutes les femmes et duquel on disait :

Ce petit prince si gentil,

Qui toujours chante et toujours rit !

Toujours caresse la mignonne,

Dieu gard’de mai le petit homme !

En mourant assassiné à Jarnac, ce charmant petit prince de Condé laissait un fils, qui devint, avec le jeune Henri de Navarre, le chef du parti protestant.

Celui-là, c’était le digne fils de son père qui, au combat de Jarnac, avait chargé à la tête de cinq cents gentilshommes avec un bras en écharpe et une jambe cassée, dont les os traversaient sa botte. Ce fut lui qui, le jour de la Saint-Barthélemy, à Charles IX, qui lui criait : Mort ou messe ! répondait : Mort ! tandis que Henri, plus prudent, répondait : Messe !

Celui-là, c’était le dernier des grands Condé de la première race.

Il ne devait pas mourir sur un champ de bataille, glorieusement couvert de blessures, et assassiné par un autre Montesquiou. Il devait, mourir tout simplement empoisonné par sa femme.

Après une absence de cinq mois, il revint à son château des Andelys ; sa femme, une demoiselle de La Trémouille, était enceinte d’un page gascon. Au dessert du dîner qu’elle lui donna à son retour, elle lui servit une pêche.

Deux heures plus tard, il était mort !

La même nuit, le page se sauvait en Espagne.

Accusée par le cri public, l’empoisonneuse fut arrêtée.

Le fils de l’adultère naquit dans la prison où sa mère resta huit ans sans qu’on osât lui faire son procès, tant on était sûr de la trouver coupable ! Au bout de huit ans, Henri IV, qui ne voulait pas voir s’éteindre les Condé, ce magnifique rameau de l’arbre des Bourbons, fit sortir de prison, sans jugement, la veuve absoute par la clémence royale, mais condamnée par la conscience publique.

Disons en deux mots comment ce Henri, prince de Condé, deuxième du nom, qui prenait Chapelain pour un statuaire, avait épousé Mlle de Montmorency ; l’histoire est curieuse et mérite que nous ouvrions une parenthèse pour la raconter, cette parenthèse dût-elle être un peu longue. Il n’y a pas de mal, d’ailleurs, que l’on apprenne chez les romanciers certains détails qu’oublient de raconter les historiens, soit qu’ils les jugent indignes de l’histoire, soit que probablement ils les ignorent eux-mêmes.

En 1609, la reine Marie de Médicis montait un ballet, et le roi Henri IV boudait, parce que, comme danseuse dans ce ballet, composé des plus jolies femmes de la cour, elle avait refusé d’admettre Jacqueline de Bueil, mère du héros de notre histoire, du comte de Moret.

Et comme les illustres danseuses qui devaient figurer au ballet étaient obligées, pour aller faire répétition à la salle de spectacle du Louvre ; de passer devant la porte de Henri IV, Henri IV, en signe de mauvaise humeur, fermait sa porte.

Un jour, il la laissa entrebâillée.

Par cette porte entrebâillée, il vit passer Mlle Charlotte de Montmorency.

« Or, dit Bassompierre dans ses mémoires, il n’y avait rien sous le ciel de plus beau que Mlle de Montmorency, ni de meilleure grâce, ni de plus parfait. »

Cette vision lui parut si radieuse que sa mauvaise humeur prit immédiatement des ailes de papillon et s’envola. Il se leva du fauteuil où il boudait et la suivit, comme Énée suivait Vénus enveloppée d’un nuage.

Ce jour-là, et pour la première fois, il assista donc au ballet.

Il y avait un moment où les dames, vêtue en nymphes, et, si léger que soit de nos jours le costume de nymphe, il était encore plus léger au dix-neuvième siècle ; il y avait, disons-nous, un moment où les dames vêtues en nymphes, faisaient toutes à la fois semblant de lever le javelot, comme si elles eussent voulu le lancer à un but quelconque ; Mlle de Montmorency, en levant le sien, se tourna vers le roi et sembla vouloir l’en percer ; le roi ne se doutant point du danger qui il courait, était venu sans cuirasse, aussi dit-il que la belle Charlotte fit de si bonne grâce cette action de le menacer de son javelot, qu’il crut sentir le javelot pénétrer au plus profond de son cœur.

Mme de Rambouillet et Mlle Paulet étaient de ce ballet, et ce fut de ce jour que toutes deux firent amitié avec Mlle de Montmorency, quoiqu’elles fussent de cinq ou six ans plus âgées qu’elle.

À partir de ce jour-là, le bon roi Henri IV oublia Jacqueline de Bueil ; il était fort oublieux, comme on sait, et il ne songea plus qu’à s’assurer la possession de Mlle de Montmorency. Il ne s’agissait pour cela que de trouver à la belle Charlotte un mari complaisant qui, moyennant une dot de quatre ou cinq cent mille francs, fermât d’autant plus les yeux que le roi les ouvrirait davantage.

Il en avait fait ainsi pour la comtesse de Moret, qu’il avait mariée à M. de Cesy, lequel était parti pour une ambassade le soir même de ses noces.

Le roi croyait avoir son homme sous la main.

Il jeta les yeux sur cet enfant du meurtre et de l’adultère. Marié de la main du roi et à la fille d’un connétable, la tache de sa naissance disparaissait.

D’ailleurs toutes les conditions furent faites avec lui. Il promit tout ce que l’on voulut ; le connétable donna cent mille écus à sa fille, Henri IV un demi-million, et Henri II de Condé, qui la veille avait dix mille livres de rentes, se trouva le matin de ses noces en avoir cinquante.

Il est vrai que le soir, il devait partir. Il ne partit pas.

Cependant il tint le côté de la convention qui consistait à rester la première nuit de ses noces dans une chambre séparée de celle de sa femme, et le pauvre amoureux de cinquante ans obtint d’elle que, pour bien lui prouver qu’elle était seule et maîtresse d’elle-même, elle se montrerait sur son balcon, ses cheveux dénoués et entre deux flambeaux.

En l’apercevant, le roi faillit mourir de joie.

Il serait trop long de suivre Henri dans les folies que lui fit faire ce dernier amour, au milieu duquel le coup de couteau de Ravaillac l’arrêta court, au moment où il allait chercher chez la belle Mlle Paulet des consolations que la charmante Lionne lui prodiguait et qui ne le consolaient pas.

Après la mort du roi, M. de Condé rentra en France, avec sa femme, qui était toujours Mlle de Montmorency, et qui ne devint Mme de Condé que pendant les trois ans que son mari passa à la Bastille. Il est probable qu’avec les dispositions bien connus de M. de Condé pour les écoliers de Bourges, sans ces trois ans passés à la Bastille, ni le grand Condé, ni Mme de Longueville n’auraient jamais vu le jour.

M. le prince était surtout connu pour son avarice ; il courait à cheval dans les rues de Paris, sur une haquenée et avec un seul valet, quand il avait des procès ou qu’il allait solliciter ses juges. La Martellière, fameux avocat de l’époque, avait, comme les médecins, des jours de consultations gratis. Il y allait ces jours-là.

Toujours fort mal vêtu, il avait fait ce soir-là meilleure toilette que de coutume ; peut-être savait-il trouver le duc de Montmorency, son beau-frère, chez la princesse Marie, et avait-il fait toilette pour lui, le duc lui ayant dit que la première fois qu’il le rencontrerait vêtu d’une façon indigne d’un prince du sang, il ferait semblant de ne pas le connaître.

C’est que Henri II, duc de Montmorency, était l’antipode de Henri II prince de Condé ; c’était le frère de la belle Charlotte, et il était aussi élégant que M. de Condé l’était peu, aussi libéral que M. de Condé était avare. Un jour, ayant entendu dire à un gentilhomme que, s’il trouvait 20,000 écus à emprunter pour deux ans, sa fortune serait faite :

– N’allez pas plus loin, lui dit-il, ils sont trouvés.

Et sur un bout de papier, il écrivit au crayon : Bon pour 20,000 écus.

– Portez cela demain à mon intendant, dit-il au gentilhomme, et tâchez de prospérer.

Deux ans après, en effet, le gentilhomme rapporta à M. de Montmorency les 20,000 écus.

– Allez, allez, monsieur, lui dit le duc, c’est bien assez que vous me les ayez rapportés, je vous les donne de bon cœur.

Il avait été fort amoureux de la reine, en même temps que M. de Bellegarde, avec lequel il faillit se couper la gorge à ce sujet. La reine, qui coquetait avec tous deux, ne savait lequel écouter, lorsque Buckingham vint à la cour et les mit d’accord, quoique M. de Montmorency n’eût alors que trente ans et que M. de Bellegarde en eût soixante. Il paraît, que le vieux gentilhomme avait à cette occasion fait autant de bruit que le jeune prince, car, à cette époque, on fredonna ce couplet dans toutes les alcôves :

L’astre de Roger

Ne luit plus au Louvre.

Chacun le découvre

Et dit qu’un berger

Arrivé de Douvre

L’a fait déloger.

Les rois, du moment où ils sont mariés, n’y voient pas plus clair que les autres maris ; aussi Louis XIII exila-t-il à ce propos M. de Montmorency à Chantilly ; rentré en grâce par l’influence de Marie de Médicis, il était revenu passer un mois à la cour, puis était parti pour son gouvernement du Languedoc, où il avait appris la nouvelle du duel et l’exécution en Grève de son cousin François de Montmorency, comte de Bouteville.

Par sa femme, Maria Felice Orsini, fille de ce même Virginio Orsini, qui avait accompagné Marie de Médicis en France, il était neveu de la reine-mère ; de là venait la protection, dont elle l’honorait.

Jalouse comme une italienne, Maria Orsini, qui, selon le poète Théophile, avait la blancheur des neiges célestes, avait commencé par fort tourmenter son mari, qui avait, dit Tallemant des Réaux, une telle vogue, qu’il n’y avait pas une femme, de celles qui avaient un peu de galanterie en tête, qui ne voulût à toute force être cajolée lui.

Enfin, un compromis était intervenu entre le duc et sa femme, par lequel celle-ci lui permettait de faire autant de galanteries qu’il lui plairait, pourvu qu’il vînt les lui raconter. Une de ses amies lui disait un jour qu’elle ne comprenait point qu’elle donnât à son mari une telle latitude, et surtout qu’elle en exigeât le récit.

– Bon, répondit-elle ; je ménage ce récit-là pour le moment où nous sommes couchés, et j’y trouve toujours mon compte.

Et en effet, il n’était point étonnant que les femmes, surtout celles de cette époque toute sensuelle, se prissent de passion pour un beau prince de trente-trois ans, de la première famille de France, riche à million, gouverneur d’une province, amiral de France à 11 ans, duc et pair à 18, chevalier du Saint-Esprit à 25, qui comptait parmi ses ancêtres quatre connétables et six maréchaux, et dont la suite ordinaire se composait de cent gentilshommes et de trente pages.

Mais revenons à la soirée de la princesse Marie. Quelques moments après l’arrivée à l’hôtel de Longueville du prince de Condé qui, nous l’avons dit, avait fait toilette, afin d’éviter les reproches de M. de Montmorency, la porte du salon s’ouvrit à deux battants, et l’huissier cria :

– Son Altesse Royale Monseigneur Gaston d’Orléans.

Toutes les conversations s’arrêtèrent ; ceux qui étaient debout restèrent debout, ceux qui étaient assis se levèrent, la princesse Marie elle-même.

– Bon ! dit Mme de Combalet, confidente du cardinal, en se levant à son tour et en saluant plus respectueusement que personne, voici la comédie qui commence ; ne perdons pas un mot de ce qui se dira sur le théâtre, ni, s’il est possible, de ce qui se fera dans les coulisses.

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