Le Dernier Jour d’un condamné

XXX

Le prêtre est revenu.

Il a des cheveux blancs, l’air très doux, unebonne et respectable figure ; c’est en effet un hommeexcellent et charitable. Ce matin, je l’ai vu vider sa bourse dansles mains des prisonniers. D’où vient que sa voix n’a rien quiémeuve et qui soit ému ? D’où vient qu’il ne m’a rien ditencore qui m’ait pris par l’intelligence ou par le cœur ?

Ce matin, j’étais égaré. J’ai à peine entenduce qu’il m’a dit. Cependant ses paroles m’ont semblé inutiles, etje suis resté indifférent ; elles ont glissé comme cette pluiefroide sur cette vitre glacée.

Cependant, quand il est rentré tout à l’heureprès de moi, sa vue m’a fait du bien. C’est parmi tous ces hommesle seul qui soit encore homme pour moi, me suis-je dit. Et il m’apris une ardente soif de bonnes et consolantes paroles.

Nous nous sommes assis, lui sur la chaise, moisur le lit. Il m’a dit : – Mon fils… Ce mot m’a ouvert lecœur. Il a continué :

– Mon fils, croyez-vous enDieu ?

– Oui, mon père, lui ai-je répondu.

– Croyez-vous en la sainte églisecatholique, apostolique et romaine ?

– Volontiers, lui ai-je dit.

– Mon fils, a-t-il repris, vous avezl’air de douter.

Alors il s’est mis à parler. Il a parlélongtemps ; il a dit beaucoup de paroles ; puis, quand ila cru avoir fini, il s’est levé et m’a regardé pour la premièrefois depuis le commencement de son discours, enm’interrogeant :

– Eh bien ?

Je proteste que je l’avais écouté avec aviditéd’abord, puis avec attention, puis avec dévouement. Je me suis levéaussi.

– Monsieur, lui ai-je répondu,laissez-moi seul, je vous prie.

Il m’a demandé :

– Quand reviendrai-je ?

– Je vous le ferai savoir.

Alors il est sorti sans rien dire, mais enhochant la tête, comme se disant à lui-même :

– Un impie !

Non, si bas que je sois tombé, je ne suis pasun impie, et Dieu m’est témoin que je crois en lui. Mais quem’a-t-il dit, ce vieillard ? rien de senti, rien d’attendri,rien de pleuré, rien d’arraché de l’âme, rien qui vînt de son cœurpour aller au mien, rien qui fût de lui à moi. Au contraire, je nesais quoi de vague, d’inaccentué, d’applicable à tout et àtous ; emphatique où il eût été besoin de profondeur, plat oùil eût fallu être simple ; une espèce de sermon sentimental etd’élégie théologique. Çà et là, une citation latine en latin. SaintAugustin, Saint Grégoire, que sais-je ? Et puis, il avaitl’air de réciter une leçon déjà vingt fois récitée, de repasser unthème, oblitéré dans sa mémoire à force d’être su. Pas un regarddans l’œil, pas un accent dans la voix, pas un geste dans lesmains.

Et comment en serait-il autrement ? Ceprêtre est l’aumônier en titre de la prison. Son état est deconsoler et d’exhorter, et il vit de cela. Les forçats, lespatients sont du ressort de son éloquence. Il les confesse et lesassiste, parce qu’il a sa place à faire. Il a vieilli à mener deshommes mourir. Depuis longtemps il est habitué à ce qui faitfrissonner les autres ; ses cheveux, bien poudrés à blanc, nese dressent plus ; le bagne et l’échafaud sont de tous lesjours pour lui. Il est blasé. Probablement il a son cahier ;telle page les galériens, telle page les condamnés à mort. Onl’avertit la veille qu’il y aura quelqu’un à consoler le lendemainà telle heure ; il demande ce que c’est, galérien ousupplicié, et relit la page ; et puis il vient. De cettefaçon, il advient que ceux qui vont à Toulon et ceux qui vont à laGrève sont un lieu commun pour lui, et qu’il est un lieu communpour eux.

Oh ! qu’on m’aille donc, au lieu de cela,chercher quelque jeune vicaire, quelque vieux curé, au hasard, dansla première paroisse venue ; qu’on le prenne au coin de sonfeu, lisant son livre et ne s’attendant à rien, et qu’on luidise :

– Il y a un homme qui va mourir, et ilfaut que ce soit vous qui le consoliez. Il faut que vous soyez làquand on lui liera les mains, là quand on lui coupera lescheveux ; que vous montiez dans sa charrette avec votrecrucifix pour lui cacher le bourreau ; que vous soyez cahotéavec lui par le pavé jusqu’à la Grève ; que vous traversiezavec lui l’horrible foule buveuse de sang ; que vousl’embrassiez au pied de l’échafaud, et que vous restiez jusqu’à ceque la tête soit ici et le corps là.

Alors, qu’on me l’amène, tout palpitant, toutfrissonnant de la tête aux pieds ; qu’on me jette entre sesbras, à ses genoux ; et il pleurera, et nous pleurerons, et ilsera éloquent, et je serai consolé, et mon cœur se dégonflera dansle sien, et il prendra mon âme, et je prendrai son Dieu.

Mais, ce bon vieillard, qu’est-il pourmoi ? que suis-je pour lui ? Un individu de l’espècemalheureuse, une ombre comme il en a déjà tant vu, une unité àajouter au chiffre des exécutions.

J’ai peut-être tort de le repousserainsi ; c’est lui qui est bon et moi qui suis mauvais.Hélas ! ce n’est pas ma faute. C’est mon souffle de condamnéqui gâte et flétrit tout.

On vient de m’apporter de la nourriture ;ils ont cru que je devais avoir besoin. Une table délicate etrecherchée, un poulet, il me semble, et autre chose encore. Ehbien ! j’ai essayé de manger ; mais, à la premièrebouchée, tout est tombé de ma bouche, tant cela m’a paru amer etfétide !

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