Le Dernier Jour d’un condamné

XI

Puisque le jour ne paraît pas encore, quefaire de la nuit ? Il m’est venu une idée. Je me suis levé etj’ai promené ma lampe sur les quatre murs de ma cellule. Ils sontcouverts d’écritures, de dessins, de figures bizarres, de noms quise mêlent et s’effacent les uns les autres. Il semble que chaquecondamné ait voulu laisser trace, ici du moins. C’est du crayon, dela craie, du charbon, des lettres noires, blanches, grises, souventde profondes entailles dans la pierre, ça et là des caractèresrouillés qu’on dirait écrits avec du sang. Certes, si j’avaisl’esprit plus libre, je prendrais intérêt à ce livre étrange qui sedéveloppe page à page à mes yeux sur chaque pierre de ce cachot.J’aimerais à recomposer un tout de ces fragments de pensée, éparssur la dalle ; à retrouver chaque homme sous chaque nom ;à rendre le sens et la vie à ces inscriptions mutilées, à cesphrases démembrées, à ces mots tronqués, corps sans tête, commeceux qui les ont écrits.

À la hauteur de mon chevet, il y a deux cœursenflammés, percés d’une flèche, et au-dessus : Amour pourla vie. Le malheureux ne prenait pas un long engagement.

À côté, une espèce de chapeau à trois cornesavec une petite figure grossièrement dessinée au-dessus, et cesmots : Vive l’empereur ! 1824.

Encore des cœurs enflammés, avec cetteinscription, caractéristique dans une prison : J’aime etj’adore Mathieu Danvin. JACQUES.

Sur le mur opposé on lit ce mot :Papavoine. Le P majuscule est brodé d’arabesques etenjolivé avec soin.

Un couplet d’une chanson obscène.

Un bonnet de liberté sculpté assezprofondément dans la pierre, avec ceci dessous : – Bories.– La République. C’était un des quatre sous-officiers de LaRochelle. Pauvre jeune homme ! Que leurs prétendues nécessitéspolitiques sont hideuses ! Pour une idée, pour une rêverie,pour une abstraction, cette horrible réalité qu’on appelle laguillotine ! Et moi qui me plaignais, moi, misérable qui aicommis un véritable crime, qui ai versé du sang !

Je n’irai pas plus loin dans ma recherche. –Je viens de voir, crayonnée en blanc au coin du mur, une imageépouvantable, la figure de cet échafaud qui, à l’heure qu’il est,se dresse peut-être pour moi. – La lampe a failli me tomber desmains.

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