Le Dernier Jour d’un condamné

XLII

Je l’ai prié de me laisser dormir, et je mesuis jeté sur le lit.

En effet, j’avais un flot de sang dans latête, qui m’a fait dormir. C’est mon dernier sommeil, de cetteespèce.

J’ai fait un rêve.

J’ai rêvé que c’était la nuit. Il me semblaitque j’étais dans mon cabinet avec deux ou trois de mes amis, je nesais plus lesquels.

Ma femme était couchée dans la chambre àcoucher, à côté, et dormait avec son enfant.

Nous parlions à voix basse, mes amis et moi,et ce que nous disions nous effrayait.

Tout à coup il me sembla entendre un bruitquelque part dans les autres pièces de l’appartement ; unbruit faible, étrange, indéterminé.

Mes amis avaient entendu comme moi. Nousécoutâmes ; c’était comme une serrure qu’on ouvre sourdement,comme un verrou qu’on scie à petit bruit.

Il y avait quelque chose qui nousglaçait ; nous avions peur. Nous pensâmes que peut-êtrec’étaient des voleurs qui s’étaient introduits chez moi, à cetteheure si avancée de la nuit.

Nous résolûmes d’aller voir. Je me levai, jepris la bougie. Mes amis me suivaient, un à un.

Nous traversâmes la chambre à coucher, à côté.Ma femme dormait avec son enfant.

Puis nous arrivâmes dans le salon. Rien. Lesportraits étaient immobiles dans leurs cadres d’or sur la tenturerouge. Il me sembla que la porte du salon à la salle à mangern’était point à sa place ordinaire.

Nous entrâmes dans la salle à manger ;nous en fîmes le tour. Je marchais le premier. La porte surl’escalier était bien fermée, les fenêtres aussi. Arrivé près dupoêle, je vis que l’armoire au linge était ouverte, et que la portede cette armoire était tirée sur l’angle du mur, comme pour lecacher.

Cela me surprit. Nous pensâmes qu’il y avaitquelqu’un derrière la porte.

Je portai la main à cette porte pour refermerl’armoire ; elle résista. Étonné, je tirai plus fort, ellecéda brusquement, et nous découvrîmes une petite vieille, les mainspendantes, les yeux fermés, immobile, debout, et comme collée dansl’angle du mur.

Cela avait quelque chose de hideux, et mescheveux se dressent d’y penser.

Je demandai à la vieille :

– Que faites-vous là ?

Elle ne répondit pas.

Je lui demandai :

– Qui êtes-vous ?

Elle ne répondit pas, ne bougea pas, et restales yeux fermés.

Mes amis dirent :

– C’est sans doute la complice de ceuxqui sont entrés avec de mauvaises pensées ; ils se sontéchappés en nous entendant venir ; elle n’aura pu fuir, ets’est cachée là.

Je l’ai interrogée de nouveau ; elle estdemeurée sans voix, sans mouvement, sans regard.

Un de nous l’a poussée à terre, elle esttombée.

Elle est tombée tout d’une pièce, comme unmorceau de bois, comme une chose morte.

Nous l’avons remuée du pied, puis deux de nousl’ont relevée et de nouveau appuyée au mur. Elle n’a donné aucunsigne de vie. On lui a crié dans l’oreille, elle est restée muettecomme si elle était sourde.

Cependant, nous perdions patience, et il yavait de la colère dans notre terreur. Un de nous m’adit :

– Mettez-lui la bougie sous lementon.

Je lui ai mis la mèche enflammée sous lementon. Alors elle a ouvert un œil à demi, un œil vide, terne,affreux, et qui ne regardait pas.

J’ai ôté la flamme et j’ai dit :

– Ah ! enfin ! répondras-tu,vieille sorcière ? Qui es-tu ?

L’œil s’est refermé comme de lui-même.

– Pour le coup, c’est trop fort, ont ditles autres. Encore la bougie ! encore ! il faudra bienqu’elle parle.

J’ai replacé la lumière sous le menton de lavieille.

Alors, elle a ouvert ses deux yeux lentement,nous a regardés tous les uns après les autres, puis, se baissantbrusquement, a soufflé la bougie avec un souffle glacé. Au mêmemoment j’ai senti trois dents aiguës s’imprimer sur ma main dansles ténèbres.

Je me suis réveillé, frissonnant et baignéd’une sueur froide.

Le bon aumônier était assis au pied de monlit, et lisait des prières.

– Ai-je dormi longtemps ? lui ai-jedemandé.

– Mon fils, m’a-t-il dit, vous avez dormiune heure. On vous a amené votre enfant. Elle est là dans la piècevoisine qui vous attend. Je n’ai pas voulu qu’on vous éveillât.

– Oh ! ai-je crié. Ma fille !qu’on m’amène ma fille !

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