Le Fauteuil hanté

XIV. Un grand cri déchirant humain

 

Ils ne trouvèrent point de voiture à la gareet il leur fallut prendre le chemin de Chennevières à la nuittombante.

Sur le pont de Chennevières avant de descendresur la rive de la Marne, chemin qui conduisait, par le plus court,à la demeure isolée de M. Loustalot, M. Lalouette arrêtason compagnon.

– Enfin, mon cher monsieur Patard,demanda-t-il sourdement, vous ne croyez point, vous, qu’ils vontm’assassiner ?…

– Qu’ils ? s’exclama M. lesecrétaire perpétuel, qui paraissait fort énervé.

– Mais, est-ce que je sais, moi ?… Ceuxqui ont assassiné les autres !…

– Qu’est-ce qui vous dit que les autres ontété assassinés, d’abord ? fit-il, sur un ton, cette fois, dechien hargneux.

– Mais vous !…

– Moi ! je n’ai rien dit,entendez-vous ! parce que je ne sais rien !…

– C’est que je vais vous avouer une chose,monsieur le secrétaire perpétuel : je veux bien moi, être del’Académie…

– Vous en êtes !…

– C’est vrai ! soupiraM. Lalouette.

Ils descendirent sur la berge…M. Lalouette était poursuivi par une idée fixe.

– Mais je voudrais tout de même bien ne pasêtre assassiné, fit-il.

M. Hippolyte Patard haussa les épaules.Cet homme qui ne savait pas lire, mais qui savait parfaitementqu’en se présentant à l’Académie il n’avait rien à craindre de toutce que tous les autres qui ne se présentaient pas redoutaient, cethomme, qu’il avait pris pour un héros et qui n’avait été qu’unmalin, commençait à lui être moins sympathique. Il résolut de lerappeler assez rudement au respect de lui-même :

– Mon cher monsieur, il y a des situationsdans la vie qui valent bien que l’on risque quelquechose !…

« Et allez donc ! Ça c’estenvoyé ! » pensa M. Hippolyte Patard. C’est qu’envérité il trouvait les plaintes de ce M. Lalouette tout à faitnauséabondes. La situation avait beau apparaître difficile,mystérieuse, et, à tout prendre, menaçante, M. HippolytePatard pensa qu’elle était encore bien belle pour M. Lalouettequ’elle faisait académicien.

M. Lalouette avait baissé le nez ;quand il le releva ce fut pour laisser tomber dans la fraîcheur dusoir cette phrase qui était, en toute sincérité, immonde…

– Est-ce bien nécessaire, dit-il, que je leprononce, ce discours ?…

Ils étaient alors sur le bord de la Marne. Lesvoiles de la nuit enveloppaient déjà les deux voyageurs. M. lesecrétaire perpétuel regarda l’eau sournoise et profonde et lasilhouette affalée de M. Lalouette. Il eut envie de le noyertout simplement. Pan ! Un coup d’épaule !…

Seulement, au lieu de précipiter cette chairflasque au sein des eaux, M. le secrétaire perpétuel allaprendre amicalement le bras de M. le récipiendaire…

Et cela parce que d’abord M. HippolytePatard était le moins criminel des hommes et qu’ensuite il venaitde penser soudainement à ce que coûterait à l’illustre Compagnieune quatrième mort !…

Il en frémit. Ah ! à quoi pensait-ildonc ? À inquiéter cet excellent M. Lalouette ! Ilse traita de fou ! Il pressa le bras deM. Lalouette ! Il jura à cet honnête homme, du fond ducœur une reconnaissance éternelle… Il essaya de réchauffer chez luiune ardeur académicienne qu’il se reprochait assurément d’avoirlaissé s’éteindre. Il lui décrivit son triomphe du lendemain, illui montra la foule enivrée et ravie, enfin, il fit fondre, commeon dit, le cœur de M. Lalouette en lui représentant, auxpremières loges, Mme Lalouette vers qui allaient tous leshommages, comme à l’épouse glorieuse et rayonnante de l’Homme dujour !…

Finalement ils s’embrassèrent en secongratulant, en se réconfortant, en se traitant d’enfants quis’étaient laissé assombrir par des idées noires. Et ils riaienttout haut, comme des braves, quand ils constatèrent qu’ils étaientarrivés à la griffe du grand Loustalot.

– Attention aux chiens ! fitM. Lalouette.

Mais les chiens ne se faisaient pasentendre…

Chose curieuse, la griffe était ouverte.

M. Hippolyte Patard n’en sonna pas moinspour avertir de la présence d’étrangers.

– Où sont donc Ajax et Achille ? dit-il…Et Tobie ?… Il ne vient pas.

De fait, personne ne se dérangeait.

– Entrons ! fit M. le secrétaireperpétuel.

– J’ai peur des chiens ! recommençaM. Lalouette.

– Eh ! je vous dis que je les connaisdepuis longtemps ! répéta M. Patard. Ils ne nous ferontaucun mal.

– Alors, marchez devant, commanda bravementM. Lalouette.

Ainsi ils parvinrent jusqu’au perron. Le plusprofond silence régnait dans le jardin, dans la cour et dans lamaison.

La porte de la maison était égalemententrouverte. Ils la poussèrent. Un bec de gaz à demi ouvertéclairait le vestibule.

– Il y a quelqu’un ? s’écriaM. Patard, de sa voix de tête.

Mais aucune voix ne lui répondit.

Ils attendirent encore dans un extraordinairesilence.

Toutes les portes qui donnaient sur levestibule étaient fermées.

Et, tout à coup, comme M. Patard etM. Lalouette restaient là, fort embarrassés, le chapeau à lamain, les murs de la maison résonnèrent d’une clameur affreuse. Lanuit retentit désespérément d’un grand cri déchirant humain…

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