Le Fauteuil hanté

XV. La cage

 

La mèche de M. le secrétaire perpétuels’était dressée toute droite sur son crâne. M. Lalouettes’appuyait au mur, dans un grand état de faiblesse.

– Voilà le cri ! gémit-il, le grand cridéchirant humain…

M. Patard eut encore la force d’émettreune opinion :

– C’est le cri de quelqu’un à qui il estarrivé un accident…

Il faudrait voir…

Mais il ne bougeait pas.

– Non ! Non ! C’est le même cri… jele connais… c’est un cri, fit à voix basse M. Lalouette, uncri qu’il y a comme ça… tout le temps… dans la maison…

M. Hippolyte Patard haussa lesépaules.

– Écoutez, dit-il.

– Ça recommence… grelottaM. Lalouette.

On entendait maintenant comme une sorte degrondement douloureux, de gémissement lointain et ininterrompu.

– Je vous dis qu’il est arrivé un accident…cela vient d’en bas… du laboratoire… C’est peut-être Loustalot quise trouve mal…

Et M. Patard fit quelques pas dans levestibule. Nous avons dit que dans ce vestibule se trouvaitl’escalier conduisant aux étages supérieurs, mais, sous cetescalier-là, il y en avait un autre qui descendait aulaboratoire.

M. Patard se pencha au-dessus des degrés.Le gémissement arrivait là presque distinctement, mêlé de parolesincompréhensibles mais qui semblaient devoir exprimer une grandedouleur.

– Je vous dis qu’il est arrivé un accident àLoustalot.

Et bravement M. Hippolyte Patarddescendit l’escalier.

M. Lalouette suivit. Il dit touthaut :

– Après tout, nous sommes deux !

Plus ils descendaient, plus ils entendaientgémir et pleurer Enfin, comme ils arrivaient dans le laboratoire,ils n’entendirent plus rien.

Le laboratoire était vide.

Ils regardèrent partout autour d’eux.

Un ordre parfait régnait dans cette pièce.Tout était à sa place. Les cornues, les alambics, les fourneaux deterre dans la grande cheminée qui servait aux expériences, lesinstruments de physique sur les tables, tout cela était propre etnet et méthodiquement rangé. Ce n’était point là, de touteévidence, le laboratoire d’un homme qui est en plein travail.

M. Patard en fut étonné.

Mais ce qui l’étonnait le plus était, comme jel’ai dit, de ne plus rien entendre… et de ne rien voir qui l’eûtmis sur la trace de cette grande douleur qui leur avait« retourné les sangs » à tous les deux, M. Lalouetteet lui.

– C’est bizarre ! fit M. Lalouette,il n’y a personne.

– Non, personne !…

Et tout à coup, le grand cri les secoua ànouveau, leur déchirant le cœur et les entrailles.

Cela les avait comme soulevés de terre :cela venait même de sous la terre.

– On crie dans la terre ! murmuraM. Lalouette.

Mais M. Patard lui montrait déjà du doigtune trappe ouverte dans le plancher- Ça vient d’ici… fit-il.

Il y courut…

– C’est quelqu’un qui sera tombé par cettetrappe et qui se sera brisé les jambes…

M. Patard se pencha au-dessus de latrappe : les gémissements à nouveau s’étaient tus.

– C’est incroyable ! dit M. lesecrétaire perpétuel… Il y a là une pièce que je ne connaissaispas… comme un second laboratoire sous le premier…

Et il descendit encore des marches, enexaminant toutes choses prudemment, autour de lui.

Le laboratoire du dessous, comme celui dudessus, était éclairé par des papillons de gaz. M. Patarddescendait avec précaution. M. Lalouette, qui regrettaitdécidément sa visite au grand Loustalot, arrivait.

Dans ce laboratoire souterrain, il y avait lamême disposition que dans la pièce de dessus, pour toutes choses.Seulement toutes ces choses étaient dans un grand désordre, et enplein service, en cours d’expérience…

M. Patard cherchait. M. Lalouetteouvrait de grands yeux…

Ils n’apercevaient toujours personne…

Soudain, comme ils s’étaient retournés vers uncoin de muraille, ils reculèrent en poussant un cri d’horreur Cecoin de muraille était ouvert et garni de barreaux. Et derrière cesbarreaux, comme une bête fauve enfermée dans sa cage, un homme…oui, un homme aux grands yeux ardents les fixait en silence…

Comme ils ne disaient rien et qu’ils restaientlà comme des statues, l’homme, derrière ses barreaux dit :

– Êtes-vous venus pour me délivrer ?… Ence cas dépêchez-vous… car je les entends qui reviennent… et ilsvous tueraient comme des mouches…

Ni Patard ni Lalouette ne remuaient encore.Comprenaient-ils ?

L’homme encore hurla :

– Êtes-vous sourds ?… Je vous dis qu’ilsvous tueraient comme des mouches !… s’ils savent jamais quevous m’avez vu !… comme des mouches !…sauvez-vous !… sauvez-vous !… Les voilà !… je lesentends !… Le géant fait craquer la terre !… Ah !malheur !… ils vont vous faire manger par leschiens !…

Et on entendit en effet des aboiementsfurieux, tout là-haut, sur la terre. Les deux visiteurs avaientcompris cette fois !…

Ils tournèrent autour d’eux-mêmes comme s’ilsétaient ivres… cherchant une issue. Et l’autre dans sa cagerépétait en secouant les barreaux comme s’il voulait lesarracher :

– Par les chiens !… S’ils savent que vousavez surpris le secret !… le secret du grand Loustalot…Ah ! Ah ! Ah !… comme des mouches… par leschiens !…

Patard et Lalouette, incapables d’en entendredavantage, affolés d’épouvante, s’étaient rués sur l’escalier quiconduisait à la trappe…

– Pas par là !… hurla l’homme, derrièreles barreaux… vous ne les entendez donc pas qui descendent !…Ah ! les voilà !… les voilà !… avec leschiens !…

Ajax et Achille avaient dû maintenant pénétrerdans la maison… car celle-ci retentissait de leurs coups de gueuleformidables comme un enfer plein de l’aboiement des démons…

Patard et Lalouette étaient retombés au bas del’escalier, hurlant leur effroi, comme des insensés etcriant : « Par où ?… par où ?… paroù ?… » tandis que l’autre les couvrait d’injures, enleur ordonnant de se taire…

– Vous allez encore vous faire pincer commeles autres !

Et il vous tuera comme des mouches !…Taisez-vous donc… écoutez !… Ah ! si les chiens s’enmêlent, le compte est bon !… Voulez-vous voustaire !…

Patard et Lalouette, croyant déjà voirapparaître les crocs terribles d’Ajax et d’Achille en haut del’escalier de la trappe, s’étaient rués à l’autre extrémité decette cave, contre les barreaux mêmes de la cage où l’homme étaitenfermé ; et c’étaient eux maintenant qui suppliaient lemalheureux de les sauver Ils l’imploraient avec des mots sanssuite, avec des râles… Ah ! ils enviaient l’homme dans sacage…

Mais celui-ci leur avait pris à tous deux cequi leur restait de cheveux, à travers les barreaux, et leursecouait la tête affreusement pour les faire taire :

– Taisez-vous !… Nous nous sauverons tousles trois !…

Écoutez donc !… Les chiens ! Labrute les emporte !… Ils les font taire !… Le géant faitcraquer la terre, mais il ne se doute de rien ! labrute !… Ah ! quel idiot !… vous avez de lachance…

Et il les lâcha :

– Tenez ! vite !… vite !… dansle tiroir de la table là-bas, une clef…

Lalouette et Patard tiraient le tiroir en mêmetemps et le fouillaient fébrilement de leurs mains tremblantes.

– Une clef, continua l’autre… qui ouvre lepassage… les chiens sont enchaînés… Il faut en profiter…

– Mais la clef !… la clef ?…réclamaient les deux malheureux qui fouillaient en vain dans letiroir…

– Eh bien, mais la clef de l’escalier quimonte dans la cour !… vite… cherchez !… Il la met là tousles jours… après m’avoir donné à manger…

– Mais il n’y a pas de clef !…

– Alors, c’est que le géant l’a gardée, labrute !… Silence !… Mais ne remuez donc plus !Ah ! les voilà ! les voilà !… ils descendent…Maintenant le géant fait craquer l’escalier !…

Lalouette et Patard tournaient… tournaientencore… prêts à se jeter sous les meubles, à se cacher dans lesarmoires…

– Ah ! ne perdez donc pas la tête commeça ! souffla le prisonnier… ou nous sommes fichus !…Tenez, dans le recoin de la cheminée, là… oui, là, bien sûr… dechaque côté !…

Bougez pas !… ou je ne réponds plus derien !… Tout à l’heure il ira dîner… Mais s’il vous voit… Ilvous tuera comme des mouches… mes pauvres chers messieurs… commedes mouches !

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer