Le Fauteuil hanté

XIII. Dans le train

 

Dans le train qui les conduisait à LaVarenne-Saint-Hilaire, M. Hippolyte Patard et M. GaspardLalouette réfléchissaient.

Et leurs réflexions devaient être assezmaussades, car ils ne mettaient aucun empressement à se lescommuniquer.

La lettre d’Éliphas était pleine d’un terriblebon sens ! Ce n’est pas une raison parce que je ne suis pas unassassin pour qu’il n’ait plus d’assassins sur la terre !

Cette phrase leur était entrée dans la tête,comme une vrille à tous les deux. Évidemment, celui qu’elle faisaitsouffrir le plus était M. Lalouette, mais M. Panard étaitbien malade, il avait naturellement demandé des explications àM. Lalouette qui lui avait narré, par le menu, la visite del’inoffensif Éliphas. Il n’y avait plus, du reste, aucuninconvénient à cette confidence, puisque M. Lalouette étaitbien définitivement élu. Mais, s’il ne l’avait pas été –élu –, je crois bien qu’après cette lettre d’Éliphas,M. Lalouette eût tout raconté tout de même, car en vérité, ilen était maintenant à se demander s’il avait lieu de se réjouirautant que cela de son élection.

Quant à M. Hippolyte Patard, le dépitqu’il avait conçu dans l’instant, d’avoir été soigneusement écartépar le prudent Lalouette d’un incident aussi considérable que celuide la réapparition d’Éliphas n’avait pas duré sous le coup desidées particulièrement lugubres soulevées par la tranquillehypothèse d’Éliphas de La Nox lui-même : « Si ce n’estmoi, c’est peut-être un autre !… »

« Est-ce aussi naturel que cela que troisacadémiciens meurent de suite, avant de s’asseoir dans le fauteuilde Mgr d’Abbeville ? » Encore une phrase qui luidansait devant les yeux…

Mais c’était surtout la dernière quitracassait ce pauvre M. Lalouette.

« S’il y a eu des raisons à ladisparition de MM. Mortimar d’Aulnay et Latouche, il se peuttrès bien qu’il n’y en ait aucune pour faire disparaîtreM. Gaspard Lalouette… » Il se peut ! ! !…M. Lalouette ne pouvait avaler ce « Il sepeut ! ! ! ».

Il regarda M. Patard… La mine deM. le secrétaire perpétuel était de moins en moinsrassurante…

– Écoutez, Lalouette, fit-il tout à coup, lalettre de cet Éliphas m’ouvre des horizons plutôt sombres… mais entoute conscience, j’estime qu’il n’y a pas lieu de vousalarmer…

– Ah ! répondit Lalouette, la voixlégèrement altérée, mais vous n’en êtes pas sûr ?…

– Oh ! maintenant, depuis la mort deMartin Latouche, je ne suis plus sûr de quoi que ce soit au monde…J’ai eu trop de remords avec l’autre… Je ne voudrais pas en avoiravec vous !…

– Hein ?… s’exclama sourdement Lalouetteen se dressant de toute sa hauteur devant M. Patard. Est-ceque vous me croyez déjà mort ?…

Un cahot rejeta le marchand de tableaux sur labanquette où il s’affala avec un gémissement.

– Non, je ne vous crois pas mort, mon ami… ditdoucement M. Patard consolateur, en posant sa main sur celledu récipiendaire, mais cela ne m’empêche pas de penser que lesdécès des trois autres n’ont peut-être pas été si naturels quecela…

– Les trois autres !… frissonnaLalouette.

– Cet Éliphas parle bien… Ce qu’il dit faitréfléchir… et vient assez singulièrement réveiller dans mon espritdes souvenirs d’enquête personnelle… Mais dites-moi, monsieurLalouette, vous ne connaissiez ni M. Mortimar niM. d’Aulnay, ni M. Latouche ?

– Je ne leur ai jamais parlé de la vie…

– Tant mieux !… soupira M. lesecrétaire perpétuel, vous me le jurez ? insista-t-il.

– Je vous le jure sur la tête d’Eulalie, monépouse.

– C’est bien ! fit M. Patard… Riendonc ne saurait vous lier à leur sort…

– Vous me rassurez un peu, monsieur lesecrétaire perpétuel… Mais vous pensez donc que quelque chose lesliait au sort les uns des autres ?…

– Qui, je le pense maintenant… depuis lalettre d’Éliphas… ma parole !… La pensée de ce sorcier nousavait tous hypnotisés, et, à cause de toute son impossiblesorcellerie, on n’a point cherché ailleurs le secret naturel, etcriminel peut-être, de cette épouvantable énigme… Il y avaitpeut-être quelque part un intérêt réel à ce qu’ils disparussent….répéta M. Panard avec une exaltation tout à fait comme separlant à lui-même : C’est bien cela ?… c’est biencela ?…

– Quoi ! C’est bien cela !… Quevoulez-vous dire ?…

Qu’avez-vous ? vous me rassuriez tout àl’heure et vous m’épouvantez à nouveau !… Savez-vous quelquechose ?… implora Lalouette qui faisait pitié à voir Les deuxhommes s’étreignaient les mains.

– Je ne sais rien, si l’on veut ! grondaM. Patard… Mais je sais quelque chose, si je réfléchis !…Ces trois hommes ne se connaissaient pas, vous entendez bien,monsieur Lalouette, avant la première élection pour la successionde Mgr d’Abbeville… Ils ne s’étaient jamais vus !…Jamais !… J’en ai acquis la certitude, bien queM. Latouche m’ait menti en me disant qu’ils étaient tous troisd’anciens camarades… Eh bien ! aussitôt après l’élection, ilsse réunissent… ils se voient en cachette… tantôt chez l’un, tantôtchez l’autre… On a dit que c’était pour parler du sorcier… et pourdéjouer ses menaces, et on l’a cru et je l’ai cru moi-même… Quelleniaiserie !… Ils devaient avoir autre chose à seraconter !… Ils devaient tous avoir à redouter quelque chose…car ils se cachaient bien ! Et on ne les entendaitpas !…

– Vous êtes sûr de cela ?… fit Lalouettequi ne respirait plus…

– Quand je vous le dis !… oh ! j’aipris mes renseignements… Savez-vous où ils se sont rencontrés pourla première fois ?…

– Ma foi non !…

– Devinez !

– Comment voulez-vous ?…

– Eh bien, ici !… oui !… ici !…parfaitement… dans ce train… par le plus grand hasard… ils se sontrencontrés, allant faire visite, avant l’élection, àM. Loustalot !… Ils sont revenus ensemble, bien entendu –et, depuis, il a dû leur arriver quelque chose de terrible, avantleur mystérieuse mort, puisqu’ils se sont donné des rendez-vousaussi secrets… voilà ce que je pense, moi…

– C’est peut-être vrai… Il leur sera arrivéquelque chose qu’on ne sait pas… mais à moi, monsieur le secrétaireperpétuel, à moi, il ne m’est rien arrivé, à moi…

– Non ! non ! À vous, il ne vous estrien arrivé… voilà pourquoi je pense qu’en ce qui vous concerne,vous pouvez être tranquille, mon cher monsieur Lalouette !…oui… ma foi… à peu près tranquille… je vous dis « à peuprès »… entendez bien… parce que maintenant… je ne veux plusprendre aucune responsabilité… aucune.

À ce moment le train stoppa. Sur le quai unemployé cria :

« La Varenne-Saint-Hilaire ! »M. Panard et M. Lalouette sursautèrent. Ah !bien ! ils étaient loin de La varenne, et ils ne pensaientmême plus à ce qu’ils étaient venus y faire…

Cependant ils descendirent, etM. Lalouette dit à M. Panard :

– Monsieur Patard, vous auriez dû me raconterce que vous venez de me dire là, lors de votre première visite àmon magasin…

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