Le Jardinier de la Pompadour

X

Le lendemain de lourdes voitures s’arrêtèrentdevant l’hôtel. Une fliguette à deux places, pourpre avec despaysages à moulins sur les caissons, pénétra dans la cour.Mme de Pompadour y monta, accompagnée d’unnégrillon habillé de velours. Elle donna un coup de fouet aucheval, qui se cabra et partit. Son grand chapeau de paille battitdes ailes au vent du porche.

Dans les voitures prirent place différentspersonnages. À la dernière, Collin, « le chargé desdomestiques de la maison », fit monter Buguet, avec Flipotte,une camériste, Edme, le porteur de barquettes, Agathon Piedfin etun garçon sommelier. Le même attelage enlevait des flacons bouchésde cire rouge et de quoi, confia Agathon, préparer en plein air lachiffonnade et des cailles à la Xaintonge.

On allait à Meudon. Flipotte se déclaraheureuse de revoir la campagne : elle avait son saoul destoits qui dégoûtent, des essieux gras des fiacres, des seigneursportant becs de corbin qui vous pincent dans les rues. Ellequittait avec plaisir la grande ville où les églises puent lecadavre et les escaliers la fosse d’aisances, où le sang desboucheries se caille sous vos pieds et où des femelles mouchetéeset fardées, assises sur des bornes, en plein midi, insultent aupassage les honnêtes filles. Flipotte était de Touraine :

– J’ai un promis àSaint-Jean-Froidmentel.

Néanmoins la gaillarde se laissait prendre lataille par Edme et par le sommelier, et même baiser sur la gorged’où elle faisait glisser le « venez y voir », quicachait la naissance de ses seins.

– Les libertins !

Elle jetait des regards pleins de feu àBuguet.

– Au moins avec vous on est sage !Vous êtes marié !

Edme s’écria :

– Peuh ! Ce n’est point un motifpour rester coi ! Je sais de grands personnages qui ont passédevant l’autel, et qui ne se gênent pas pour faire l’amour avecd’autres !

L’allusion aux maîtres crispa Jasmin.

– Oui, avec maman putain, comme disentMonseigneur le Dauphin et Mesdames ! s’exclama Flipotte.

Jasmin pâlit. Il avait déjà entendu lepropos.

– Ce n’est pas à nous de répéterpareilles choses, affirma-t-il avec colère.

– Ah ! Ah ! Ah ! s’écriaFlipotte.

Elle approcha son visage de celui de Jasmin etlui chanta d’un air provoquant ce couplet de Moncrif, mis enmusique par Courtenvaux et pris à une parade jouée à la Cour devantle Roi :

Nous autres, jeunesses,

Nous écoutons vos raisons,

Mais dans la belle saison,

Nous nous en battons

Les fesses, les fesses !

Elle frappa deux fois sur ses cuisses et sesyeux noirs eurent une lueur insolente.

Jasmin se tint silencieux. Il regarda lespremiers champs dans la plaine de Grenelle.

Alors on parla du voyage.Mme de Pompadour avait acheté de grandsterrains au bord de la Seine, avant Sèvres, pour y bâtir.

– Ce n’était point assez de la campagnede Montretout, dit aigrement Flipotte. Ça lui convenait mieux, cenom-là !

– Tais-toi donc ! dit Jasmin.

Agathon se pencha vers lui :

– Vous semblez aimer beaucoup notremaîtresse.

– Elle est si bonne, balbutia Buguet.

On s’arrêta à mi-côte, entre Sèvres et desbois qui se trouvaient sur une hauteur. Collin fit descendre Buguetde voiture :

– Voici votre futur jardin, dit-il enricanant.

Le terrain était aride, montagneux, bosselé,plein de pierres, de sables et de mousses. Quelques maigresarbustes disposaient une verdure avare au-dessus d’éboulis.

Jasmin s’engagea à travers le coteau, puis enfit l’ascension. À mesure qu’il montait il découvrait lepays : la plaine qu’il avait traversée et Paris dans unlointain bleu ; de l’autre côté, un village avec une grandeéglise et un château seigneurial, puis des bois, de vastesamphithéâtres pleins de lumières, de hautes collines ondulant auciel d’été. Sur toutes les éminences, des moulins-à-vent. Au bas ducoteau, la Seine contournait une île et passait sous un pont enbois de vingt et une arches. L’eau coulait plus vite qu’àBoissise.

Vers le sommet de la côte, Jasmin s’arrêta.Sur un trône rustique formé de cailloutage et de gazon, étaitassise Mme de Pompadour. Buguet la reconnut àsa robe de satin dont le soleil faisait briller les rubansmulticolores. Il avait entrevu cette toilette au moment où laMarquise quittait son hôtel à Paris. Ici pour se garantir du ventla maîtresse du Roi avait jeté son chapeau de paille à côté d’elleet mis une bagnolette : ce capuchon, couvrant ses épaules, luicachait la figure ; mais elle releva le front et son visagebrilla, avec une mouche au coin de l’œil, sous ses cheveux poudrésà frimas.

Mme de Pompadour tenaitsur ses genoux une chienne gredine qui aboya. Elle regardait,étendu à ses pieds, un plan. Du bout d’une ombrelle fermée elle yindiquait des tracés et des lignes à deux gentilshommes attentifs.Buguet se tint à distance, ne se lassant de regarder en tapinois legroupe éclairé par le soleil au milieu des bouquets d’arbustes etdes ceps de vigne, avec Flipotte qui portait un manteau sur le braset Martine qui tenait un bouquet de fleurs sauvages.

Buguet n’avait plus vuMme de Pompadour depuis sa visite au châteaude Fontainebleau. Sa passion se ralluma aux deux yeux quibrillaient comme des pierres précieuses. Et il reverrait toujoursla grande dame ! Il était de sa maison ! Il se sentit aufaîte du bonheur. La vue de Mme de Pompadourl’enivrait, le grisait. Sa poitrine était trop petite pour contenirpareille joie. Il avait envie de la crier au ciel.

Au bout d’une demi-heure,Mme de Pompadour se leva du siège où ellefigurait une sorte de Flore à falbalas. Suivie des deuxgentilshommes, elle passa à proximité de Jasmin, le reconnut et luifit signe d’approcher.

– Vous voilà, dit-elle. Vous habiterezdorénavant cette maison que je baptiserai plus joliment« Brimborion » ou « Babiole », ajouta-t-elle ensouriant à ses compagnons. Et Collin vous dira ce que vous aurez àfaire, reprit-elle en s’adressant à Buguet. C’est là !

La Marquise désignait au pied du coteau, surle bord de la Seine, les toits d’une maison de plaisance entouréede charmilles.

Elle-même, d’un pas léger, sous le parasol desoie jaune qu’elle avait ouvert et qui plongeait sa figure en unbain d’or fluide, descendit vers Babiole. La chienne gredinearrosait la mousse d’un air insolent.

– C’est l’heure de la collation, dit lamarquise de Pompadour à un gentilhomme qui s’empressait verselle.

 

Au trente juin, le lendemain de la fête deSaint-Pierre, quatre cents ouvriers arrivèrent sous les ordres deMessieurs de l’Assurance et de l’Isle, l’architecte et ledécorateur de jardins. Ils arrachèrent les bouquets d’arbustes ducoteau, à coups de pelles, de houes, de pioches, attaquèrent lesol. La poudre à canon fit voler des roches en morceaux. Descharrettes chaque jour enlevaient les décombres et les sables.

M. de l’Isle montra à Jasmin leplan : d’un château qu’on bâtissait au sommet avec sesdépendances ; il importait de mener par pentes douces unjardin vers la Seine. Les chemins dessinaient des courbes,étageaient des boulingrins et des parterres ; leurs bouclesfinissaient au bord du fleuve à une arcade.

Derrière le château, M. de l’Isletraçait des allées décoratives, établissait un labyrinthe, descabinets de treillage et de verdure, plusieurs berceaux. Desfontainiers amèneraient les eaux pour les bassins, les cascades enbuffet, les jets, les lames, les croisées d’onde et les grottes.Enfin l’architecte aménagerait des « ah !ah ! », c’est-à-dire des claires-voies qui feraientpousser ce cri aux visiteurs en admiration devant la vue que lesarbres bien taillés encadreraient sous un pan de ciel.

M. de l’Isle insista sur la superbesituation de l’endroit choisi par la marquise de Pompadour. Il jetaun regard circulaire :

– Ce sera plus beau que des belvédèresdans les jardins hauts de Marly.

Il ajouta :

– Nous ferons d’ailleurs mieux qu’àMarly. Vîtes-vous la colonnade de verdure ?

– Non, Monsieur !

– Cette colonnade borde une salle verte,tondue par-dessous. Nous serons plus gracieux, quoique ce fût trèsbien.

M. de l’Isle donna une chiquenaude àson jabot :

– Il y a à Marly des galeries en ormestaillés frêlement sur leurs tiges découvertes. C’est élégant, maissuranné ! Vraiment, avec leurs petites boules entre lescintres, ils font songer à des seigneurs du temps d’Henri IIfatigués d’avoir ballé.

Jasmin s’inclina. M. de l’Isleajouta d’une façon doctorale :

– Retenez, Buguet, qu’en matièrehorticole il est quatre maximes fondamentales : tout d’abord,il faut faire céder l’art à la nature ; ensuite, n’offusquezjamais un jardin ; en troisième lieu, ne le découvrez pointtrop ; enfin tâchez toujours de le faire paraître plus grandqu’il n’est !

M. de l’Isle semblait content delui-même ; il jeta à Jasmin en sorte de conclusion :

– Mais, en somme, il faut toujoursrechercher avant tout la régularité et l’arrangement !

De nouveaux manœuvres arrivèrent bientôt. Ilsplantèrent des piquets et des jalons jusqu’à la Garenne de Sèvreset au bois des Cotiniers, suivant les chemins indiqués dans lesplans. Ils avaient des graphomètres, des équerres, agitaient destraçoirs, des bâtons longs de six pieds de Roi, des chaînettes dequatre toises ; ils allongèrent des cordeaux en écorces detillot.

En même temps, au sommet de la côte, des gensde corvée creusaient les fondations du château et élevaient laterrasse.

– La terrasse aux orangers, ditM. de l’Isle à Buguet, qui frémit d’aise.

 

On eût dit qu’on avait versé une ruched’hommes au bord de la Seine. Ils besognaient souvent le torse etles mollets nus, brûlés par le soleil.

Pour les nourrir et abreuver, Nesme, lepremier intendant de la marquise de Pompadour, réquisitionna l’aidede toutes les auberges des environs, même celle des cabarets à potset à assiettes et des simples cabarets à pots et à pintes. Encabriolet, il s’arrêta devant toutes les enseignes flanquées d’unbouchon de lierre.

Jasmin, sur les chantiers, allait d’un groupeà l’autre, rajustait les piquets, excitait au travail, embauchaitdes apprentis, répétant à tous les ordres deM. de l’Isle. On le voyait escalader ou dévaler lespentes, disparaître dans les bois du haut, où parfois un élagueur,les éperons aux pieds, collé aux arbres comme un grand pic vert,faisait tomber sous ses coups d’herminette, à immense fracas, lestêtes trop libres de marronniers ou de hêtres.

À la droite du domaine, les fontainierscreusaient un grand réservoir. Au faîte des terrainsM. de l’Assurance surveillait la jetée des fondations duchâteau. Son habit rouge se voyait de loin et attiraitl’attention.

Partout cela bruissait et grouillait. Unearmée montant à l’assaut n’eût pas été plus animée. Parfois, aumilieu du bruit des truelles, des marteaux, des moutons frappantsur les pilotis, un artisan lançait quelque chanson entendue à labarrière des Gobelins.

 

Jasmin ne se mêlait pas trop à cette plèbe.Martine lui avait été enlevée parMme de Pompadour et il couchait seul dans unechambre de Brimborion. Il y entendait couler la Seine, et parfoisle clair de lune venait le réveiller. Alors il songeait àMme de Pompadour et à Martine. Elles setrouvaient loin, à Versailles ou à Choisy-le-Roi. Jasmin avait lecorps brisé par les travaux de la journée : cette fatigue luiparaissait délicieuse parce que c’était pour la Marquise qu’ilavait épuisé ses forces. Il la voyait déjà aux allées du parc,parmi les fontaines. Il croyait surprendre un de ses regardsapporté par un rayon de lune, et sa voix dans le murmure du fleuve.Il se levait et, par la lucarne, apercevait la robe rose quitraînait au ciel comme à Boissise, comme partout. Mais un bénitierdonné par Martine lui rappelait soudain la douce bonté de sa femme,ses regards de tourterelle, ses soins, sa tendresse. Jasmin sedisait que Martine rêvait de lui. Il la revoyait petite, dans lejardin du père Buguet, puis plus grande et déjà amoureuse. Ellecroissait et s’attachait comme un lierre.

– Elle m’aime, se disait Buguet, ellem’aime à en mourir si je la trahissais !

Il la plaignait, s’accusait et sanglotait à lafois d’amour et de pitié en songeant aux deux femmes.

Elles arrivaient souvent. La camériste restaitplusieurs jours, logeait à Brimborion. Comme pour se fairepardonner ses fautes cachées, Jasmin dévorait Martine de baisers.Il la choyait de repentirs, de câlineries ardentes et parfois d’uneivresse presque douloureuse. Il avait envie de demander pardon àMartine, tandis que ses lèvres parcouraient sa gorge et sesépaules. Et l’épouse répondait à Jasmin par des caressespassionnées qu’elle avait devinées dans l’alcôve des favorites etqu’elle redoublait dès qu’elle voyait le regard de son mari pluslointain et sa bouche absente de la sienne.

Après ces nuits l’aurore laissait Jasminendormi. Plus vaillante Martine se levait au chant du merle afin depréparer un fin régal à son mari.

C’était du chocolat apporté de Paris. Elle lefaisait fondre dans une tasse de lait au-dessus du feu silencieuxde trois bouts de chandelles. Patiente, Martine attendaitl’ébullition pour éveiller d’un baiser le dormeur. Puis ellel’empêchait de quitter son lit.

– Je veux que tu manges comme le Roi,disait-elle.

Quant à Mme de Pompadour,elle ordonnait à son arrivée qu’on appelât Messieurs de l’Isle etde l’Assurance. Elle inspectait les constructions et les jardins etdonnait des conseils que les architectes acceptaient. Ellechangeait la courbe d’une rampe, la place d’une fabrique,agrandissait les hortolages, projetait des pattes d’oies, desronds-points, des étoiles. Un jour elle fit venir Buguet :

– C’est ici que je veux créer un jardinpotager. Le terrain y est-il propice ?

Suivant l’usage des jardiniers, Jasmin mit unepoignée de terre dans un verre plein d’eau et passa ensuite cetteeau dans un linge. Il but.

– Ce n’est ni âpre ni amer, déclara-t-il.Le sol est bon pour les légumes.

Le Roi accompagna plusieurs fois la Marquise.On voyait arriver de loin les carrosses avec les escadrons rougesde la maison royale. La cavalcade approchait au galop. Les chevauxen masse dansante agitaient comme des bannières leurs cavaliers quirebondissaient jusqu’à frôler les branches les plus basses desarbres. Les carrosses étaient cahotés à travers les ornières, et lesoleil faisait briller le cuir de leur toit.

Le Roi paraissait heureux de descendre devoiture. Il offrait la main àMme de Pompadour. Louis XV marchait avecélégance sur les chemins qu’on avait tracés pour lui. Ils’intéressait à la coupe des arbres, au plan de l’orangerie, auxfuturs parterres, disant que les fleurs écartent les idées demort.

Buguet fut plusieurs fois près du souverain,s’agenouillant, sur l’ordre de M. de l’Isle, pour tenirouverte une esquisse, apportant des paquets de semences où le roiaimait à plonger la main. Le jardinier était ébloui par la majestéqu’il prêtait à son maître. Louis XV parlait peu, d’une voix douce,qui glissait comme une caresse d’aile.

Chaque fois que le Roi venait, il prenait unecollation. Agathon Piedfin et d’autres cuisiniers préparaient lesmets et le monarque mangeait sous une tente qu’on dressaitau-dessus du coteau et sur laquelle flottait un drapeau blanc auxfleurs de lys.

Pendant ces visites, Jasmin suivait du regardla Marquise partout où elle se promenait. Agathon Piedfin luidit :

– QuandMme de Pompadour est ici, tu as l’air d’unastrologue qui suit la queue d’une comète. Point ne convient delorgner ainsi les grandes dames.

La Marquise revenait chaque fois avec desgrâces imprévues. Elle portait une larme en perle qui roulait surses cheveux poudrés, ou bien un ruban de velours noir qui rendaitson cou si blanc et si voluptueux que Jasmin y songeait longtemps.Un après-midi elle ouvrit une ombrelle en soie, décorée deminiatures chinoises sur mica et elle parut à Buguet la princesseétrange d’un pays lointain.

Un dimanche, comme elle revenait de l’égliseSaint-Romain, à Sèvres, elle jeta son gant qui s’était déchiré aufermoir de son paroissien – un gant de chevrotin, en peau blanchecousue à la diable, avec de fines rosettes de couleurincarnate.

Jasmin, d’un geste de voleur, le ramassa aucoin d’une allée, le porta à ses lèvres.

– Cela sent bon ? fit une voixironique.

C’était Agathon Piedfin.

– Odeur de femme, odeur de diable !dit le marmiton.

 

L’hiver vint et par ses gelées et ses neigesralentit les travaux. Jasmin écrivit de longues lettres à samère ; il faisait l’éloge du Roi et de la Marquise. Il sedisait le plus heureux des hommes. Une seule chose lechagrinait : Martine, obligée de suivre sa maîtresse, n’étaitjamais près de lui. « Cela ne durera qu’un temps,ajoutait-il, le château achevé nous logerons ensemble dans lescommuns. » Néanmoins il avait parfois l’âme enpeine ; le dimanche surtout, quand, après la messe, il n’avaità ses côtés ni sa douce femme, ni sa bonne mère, il se sentait sansfoyer. Souvent il mettait son repas dans un panier et malgré lefroid s’installait sur une terrasse au milieu des pelles et despioches en repos comme lui. Jasmin racontait à sa mère que Martineétait venue de Paris, un matin de décembre, tout exprès pour luiapporter par le coche d’eau une chaude couverture et des moufflesde laine, ainsi que des bas tricotés par elle. « Lamignonne suit ton exemple, ma bonne mère ; on voit que tu l’asélevée un peu. Elle me soigne comme tu soignais mon père. Ah !si j’étais sûr de l’aimer assez pour être digne d’un si tendrezèle ! Aime-t-on jamais assez une telle femme ! Toi aussitu fus la meilleure des mères et je t’ai quittée ! Queveux-tu ? J’ai l’amour des grandeurs et jamais mon modestejardin n’aurait pu me donner la joie que je cherchais dans leslivres de M. de la Quintinye et que je trouve ici. Maisquand le château sera terminé, j’irai te voir. Je ne regarde jamaisla rivière sans songer à toi et sans penser que peut-être tu asaussi regardé l’eau qui passe. » Jasmin disait encore queMartine placerait Tiennette Lampalaire. Il envoyait des complimentsà tous ceux de Boissise et demandait quelques nouvelles de sesarbres. La mère Buguet ne sachant pas écrire, c’est Gourbillon quirépondait.

 

Le printemps de l’an 1749 fut délicieux. Laclémence de la nature facilita les travaux. Le châteaus’éleva : on voyait le rez-de-chaussée, avec six fenêtres decôté et neuf croisées de face, ainsi que l’avait voulu le Roi. Lesdépendances s’achevaient déjà, jetant, de chaque côté de la courroyale, deux ailes reliées par des grilles dorées.

Mme de Pompadour vintplus souvent avec Martine. MM. de l’Isle et del’Assurance étaient heureux de montrer les progrès des bâtisses etdes terrasses. Le Roi réapparut. Sous la tente, à l’heure du repas,Jasmin surprit la Pompadour qui sucrait des cerises et lesprésentait à la bouche de son amant.

Martine arriva bientôt près de Buguet avec unplat d’argent plein de fruits rouges :

– Tiens, voici des cerises que Madameoffrit au Roi. Il en reste. Je les ai prises pour toi.

Avec les mêmes gestes gracieux, elle mitdevant les lèvres du jardinier les fruits sur lesquels la Marquiseavait promené ses jolis doigts.

Quand Martine était partie, Buguet rêvait enregardant le fleuve qui l’avait emportée avec sa maîtresse. Au piedde Bellevue, l’île qu’embrassait la Seine formait du côté de Sèvresun port où les péniches et les allèges s’amarraient. L’autre partieétait couverte de troupeaux qui promenaient des taches blanches aumilieu du vert irisé des herbes et faisaient de l’îlot une sorted’arche de Noë.

La Seine était toujours animée. Des bateauxmontaient, venant de la mer ou de Rouen et portant à Paris letribut des marées ou les riches produits de Normandie. À la bellesaison une multitude de barques conduisaient un peuple immense auxpromenades de Saint-Cloud.

Un jour que Jasmin contemplait ce spectacle,il vit arriver au loin un bateau ponté qui captiva son attention.Il avançait poussé par six rames rouges. Sa proue était dorée. Àl’arrière un grand drapeau rose et bleu flottait.

– Mais qu’ai-je donc, se dit lejardinier, à ne pouvoir détourner mes yeux de ce bateau ?

Il aperçut quelques femmes debout sur le pontet, bien qu’elles fussent au loin pareilles à des poupées, ilreconnut parmi elles la Marquise et Martine. Il descendit au galople coteau et vint les attendre au bord de la rivière. La Marquise,en paniers cadets, s’appuyait sur une longue canne et portait untricorne. Le premier regard de Buguet fut pour elle. Martine, quiguettait les yeux de son mari, en souffrit ; mais elleressentait si grande joie à revoir Jasmin qu’elle l’étreignit detout son cœur au milieu des autres femmes de chambre, qui riaient,voltigeant autour de leur maîtresse, un papillon de dentelle posésur leur tête.

Mme de Pompadour donna lecouple Buguet en exemple à ses servantes :

– Ils s’aiment vraiment, et je souhaite àvous toutes des époux n’aimant ainsi que leur femme.

Jasmin fut troublé.

– Il ne faut pas rougir, Buguet, repritla Marquise.

L’année suivante le château se couvrait. Onavait enlevé les échafaudages.

Devant, régnait la grande terrasse où l’on seproposait de mettre des orangers en caisse.

Derrière, depuis l’an précédent, arrivaientpour les bosquets, des lilas, les arbres de Judée, des érables deVirginie, les peupliers d’Italie et de la Caroline.M. de l’Isle les faisait venir des pépinières royales etrépétait à leur sujet les principes du vieil escuyer JacquesBoyceau, intendant des jardins de Louis XIII : « Pourtransplanter un arbre, il faut le prendre en croissance, fort etvigoureux, de belle venue, bien appuyé sur ses racines de touscôtés. »

À la fin d’avril, les lilas et les arbres deJudée fleurirent. Les lilas lourds et voluptueux épandaient dessenteurs bienheureuses ; les arbres de Judée se contentaientde leur pourpre claire. C’étaient les premières fleurs du jardin deBellevue. Jasmin les fit offrir àMme de Pompadour par Martine et Flipotte, quiles apportèrent sur une grande claie d’osier. La Marquise en gardadurant tout le jour au corsage. Elle enfonçait son bras nu dans lesbranches fraîches, humait les odeurs pénétrantes du printemps.

Au soir Buguet retrouva, dans la tente dresséepour la favorite, les lilas qui étaient fanés. Il les prit dans sesmains, les porta à sa bouche, puis sa tête roula dans les thyrseset il ferma les yeux en cherchant d’autres parfums mêlés à ceux desplantes.

Un ricanement le fit bondir. Piedfin entraitpour chercher un huilier en porcelaine de France.

– Tu as l’air d’un épagneul qui se vautredans les fanfioles de la Marquise, dit-il.

Et il s’en alla, portant l’huilier avec l’aird’un desservant qui à la messe présente les burettes.

 

Le 18 du mois de mai, des événementssinguliers se produisirent. Jasmin entendit raconter par desmenuisiers de Paris que l’émeute couvait dans la grande ville. Lesarchers de l’écuelle avaient arrêté de petits gueux et de jeunesbourgeois.

– Pourquoi ? demanda Buguet.

– Nous n’oserions répéter ce qu’on dit,répondirent les artisans.

Le lendemain les gardes de la maréchausséeoccupèrent le pont de Sèvres. Jasmin les regarda descendre decheval.

En même temps derrière Bellevue, dans lechemin des Charbonniers, une sonnerie de trompettes signala laprésence d’un régiment de dragons.

– Leurs fusils sont chargés, accourutdire un aide jardinier.

Buguet se rendit à Sèvres pour s’informer dece qui se passait. Le village était rempli de gardes françaises,bayonnette au canon.

– La populace de Paris va passer ici pouraller brûler le château de Versailles, raconta tout bas une femme àJasmin. On dit que le roi est ladre et prend des bains de sangd’enfant comme Hérode. C’est pour lui que les archers de l’écuelleramassent les petits gueux.

Jasmin fut épouvanté.

– Ce n’est pas possible !s’écria-t-il.

La femme haussa les épaules et serra avecostentation le poupon qu’elle portait dans ses bras.

Buguet s’adressant à un officier se fitconnaître et demanda les nouvelles.

– Elles sont graves, dit le militaire. Ona arrêté des enfants pour extirper la mendicité. La canaille s’estfâchée. Elle a enfoncé la porte d’un fourbisseur pour avoir desarmes. On arrête les carrosses dans les rues, on tend des chaînes,on attaque les archers.

Agathon Piedfin accompagnait Buguet. Il avaitété envoyé par son chef afin d’examiner les fourneaux des cuisineset il séjournait à Bellevue pour quelques jours.

Il trembla :

– Je suis heureux de n’être ni à Paris,ni à Versailles, mais je voudrais aussi ne point me trouver àSèvres.

Les troubles durèrent quelque temps.

Au 13 mai, le soir, un samedi, Buguet etPiedfin allèrent à Meudon pour se renseigner.

Dans le cabaret où ils se rendirent, des gensmal vêtus, arrivés de la capitale, discutaient bruyamment sur lesarrêts du Parlement. La cabaretière raconta à Buguet qu’on avaitpillé des maisons et tué sept archers dans la journée. Les vitresde M. Duval, chef du guet, étaient brisées, une immense fureurs’élevait contre toute la cour.

– Hé ! Hé ! ricana un desva-nu-pieds, on faillit massacrer, au faubourg Saint-Germain, lamarquise de Pompadour !

Jasmin se leva, pâle :

– C’est-il vrai ?

– Je n’ai point l’habitude de mentir, ditl’homme d’une voix traînarde.

Il ajouta en frappant sur sa cuisse :

– Et c’est dommage qu’on n’ait pointéventré la putain !

– Tu dis ?

Le gaillard se retourna :

– Ce que je dis ? Que si tu meparles encore sur ce ton, c’est à ta barrette que je parlerai,morveux !

– Pendard ! répliqua Buguet. N’as-tupas appelé putain la marquise de Pompadour ?

– Eh bien, oui !

La cabaretière s’approcha du Parisien et luiglissa à l’oreille :

– Taisez-vous donc, c’est un desjardiniers de la Marquise.

– Je m’en fous !

L’homme regarda Jasmin, fit unegrimace :

– Il paraît que tu cultives des fleurspour la Pompadour ? Tu es un rude fleuriste, à en croire lachanson !

L’émeutier se leva et entonna le refrain quivenait on ne sait d’où, et que le peuple de Paris avait mis enmusique :

Par vos façons nobles et franches,

Iris, vous enchantez nos cœurs ;

Sur nos pas vous semez des fleurs,

Mais, hélas ce sont des fleurs blanches !

Buguet envoya à la tête de l’insolent sonverre empli de vin.

Ce fut une bataille. Deux aides de Jasmin, quise trouvaient là, prirent parti pour leur maître. Les amis duParisien sautèrent dessus. Agathon s’esquiva.

Les mots violents partirent. Les coups depoing pleuvaient. Les tables tombèrent, faisant rouler leschopines.

Alors la cabaretière s’arracha lescheveux :

– À moi, messieurs les hussards ! àmoi, messieurs les gardes !

Elle courut dans la rue, tandis qu’en sacantine, sous les horions, le sang commençait à couler, les visagesà bleuir.

Jasmin jeta son adversaire sur le sol.

Mais d’autres Parisiens accoururent et Buguetallait être terrassé, quand des soldats entrèrent. L’officierreconnut le fleuriste du château. Il fit arrêter les émeutiers etils furent conduits au poste sous escorte.

Buguet regagna Bellevue. Piedfin le rejoignitsur la route.

– Marie-Joseph ! clama le cuisinier,tout en coupant en « hosties » un saucisson qu’il venaitd’acheter, êtes-vous exalté ! Vraiment, ne savez-vous pas quela colère est péché mortel ?

– Peuh ! fit Jasmin encore plein derage.

– Et puis quels sentiments vous professezpour la Marquise ! Mon cher ami, on n’adore ainsi que Dieu etle Roi ! On vous dirait épris d’elle !

– Tais-toi !

– Mais oui ! Vous n’avez pas songéun instant à Martine !

– Martine !

– Martine est à Paris. Elle a pu courirquelque danger !

Les jours suivants, l’émeute se calma. Unelettre de sa femme rassura Buguet. On ne vit plus de soldats auxalentours de Sèvres.

Des deux côtés du château,M. de l’Isle préparait d’immenses parterres de broderie.On y disposait les nilles de buis d’Artois, les feuilles et lesrinceaux que les aides emplissaient de mâchefer. Le dessin sedéroulait avec des allures de grand serpent aux multiples têtes quiprésentaient des palmettes, des fleurons, des panaches, des dentsde loup ; les courbes naissaient d’un nœud ou d’une agrafe etse terminaient en volutes. Mme de Pompadourvoulut que des fleurs de lys héraldiques et ses propres armoiriesfussent mêlées à ces caprices.

En août Jasmin et ses aides se rendirent dansles bois pour déraciner les églantiers. Quand ces arbustes furentalignés dans la terre de Bellevue, Jasmin y greffa des rosiers deVirginie et de Gueldre, ceux de Muscat et de Chine, ceux de Damaset des panachés.

Mme de Pompadoursurveillait ces travaux délicats. Elle s’aventurait au milieu deséglantiers et une fois elle passa à Jasmin le brin de lainenécessaire à la ligature de la greffe.Mme de Pompadour voulait beaucoup de fleursdans ses jardins et Buguet l’entendait parler avecM. de l’Isle de la sévérité de l’horticulture française.Elle prétendait y jeter plus de fantaisie, plus d’éclat et plus denature. Elle se moquait des vieux parterres du Louvre où jadisfiguraient des chiens tenant des palmettes, des dauphins bizarreset des vases ! Fi de tout ces grotesques !Mme de Pompadour voulait faire dominer lesfleurs.

– Ce sont les jolités du BonDieu !

Les fleurs possédaient la vie, la grâce, lacouleur ! Elles étaient variées et innombrables comme lescœurs humains ! Elles avaient des vices : l’orgueil, laparesse, la volupté, et des vertus : l’amour, la tendresse, lamodestie. Le pavot versait le sommeil, l’aconit donnait lamort !

Mme de Pompadour déclaraque les fleurs étaient l’âme de tout art. Elles serviraient demodèle aussi bien à une toilette (n’est-ce pas la nature qui lespare ?) qu’à une coupe (ne sont-elles pas destinées à recevoirla rosée du matin ?)

Jasmin, accroupi parmi les épines deséglantiers, les pieds dans la terre humide qui sentait la sève,écoutait cette voix. Il n’avait jamais entendu parler ainsi.M. de l’Isle lui-même paraissait sous le charme.Longtemps, ces paroles revenaient aux oreilles de Jasmin, ailées etirritantes.

 

On comptait inaugurer Bellevue à la fin denovembre. Les tapissiers déballaient les meubles, depuis les brasde fleurs de Vincennes, les feux de bronze, les girandoles,jusqu’aux brocs lapis et or, aux assiettes de Saxe, aux couteaux àmanche vert.

Le 24 novembre, le Roi, revenant deFontainebleau arriva à Bellevue pour souper et dormir. Il faisaitun temps gris. Le petit château tout neuf paraissait transi, parmiles arbres sans feuilles. PourtantMme de Pompadour voulut que ce fût fête. Elleordonna un feu d’artifice et fit revêtir à sa domesticité ununiforme fabriqué exprès à Lyon.

Le Roi était accompagné de plusieursseigneurs. Mais les cheminées qui n’avaient pas encore essuyél’humidité enfumèrent les appartements. Il fallut souper au bord dela Seine, à Brimborion, et la Marquise contremanda le feud’artifice, au grand dam des badauds, qui s’étaient réunis àl’extrémité de la plaine de Grenelle.

En revanche, le 28 janvier suivant, on joua lacomédie au château de Bellevue. Les comédiens représentèrentl’Homme de Fortune par le sieur Lachaussée. Après la pièceM. de la Vallière ordonna un ballet qui fit grandplaisir.

Martine avait apporté à la marquise dePompadour et aux autres dames des éventails de Nankin quis’harmonisaient avec la salle de théâtre décorée à lachinoise ; elle raconta le ballet à Buguet :

– On vit d’abord une montagne, dit-elle,qui, bien qu’enserrée sur la scène, semblait plus haute qu’une tourde Notre-Dame. Elle n’avait pourtant qu’un peu plus de la tailledes valets de coulisse. Elle s’ouvrit et il en sortit un petitchâteau tout pareil à celui de Bellevue. Tu aurais pu compter lesfenêtres et les cheminées. On voyait les balustres, le reflet dusoleil dans les vitres. Alors des jardiniers – ô des jardiniers àrosettes, avec des vestes bleues vermicellées de rose – firentsemblant de perfectionner les parterres et se mirent àballer ! Ils étaient jolis à croquer et tout au parfait, avecleurs joues rouges comme la crête d’un coq et leurs perruques enaile de pigeon, mais je t’aime mieux qu’eux. Ils me rappelaient cespetits abbés qui viennent chez Madame et auxquels il ne manque qued’accoucher pour être des femmes ! Tu ris ?… Ensuite ladécoration représenta le grand chemin de Versailles. Et il arrivaune de ces voitures qu’on appelle ici pots-de-chambre. Elle étaitma foi pleine de femmes. Elle culbuta et les dames dansèrent. Cesdames étaient des petites filles de neuf à quatorze ans, fortmignonnes et le Roi applaudissait très fort.

Ces événements enchantèrent Jasmin, d’autantplus que Martine lui fut rendue et que la Marquise vint plussouvent à Bellevue.

Quelques centaines d’ouvriers travaillaientencore au parc en avril. Vers mai le domaine rayonna dans toute sasplendeur.

Au milieu de ce mois, Buguet, ayant fait unmatin le tour des allées, s’arrêta un peu avant midi près duréservoir, à l’extrémité de la terrasse des orangers.

Une lumière diamantine caressait les murs duchâteau ; au ciel tendre un nuage d’un blanc pâle pénétréd’azur s’allongeait vers le zénith, comme un voile qu’on auraitlevé.

– Enfin ! s’écria Jasmin.

Ses fleurs brillaient épanouies. Ah ! cequ’il avait attendu l’éclosion ! Sous les nuits étoilées, quede fois il avait écouté les plantes qui, poussant dans le silence,écartaient quelque miette de terre, un brin de paille, une feuillemorte ! Elles produisaient un bruit imperceptible, mais lejardinier en saisissait la musique. Il guettait les levées dans lesplates-bandes, les premiers mouvements quand le zéphyr passait. Dèsqu’un bouton apparaissait, Jasmin était heureux comme le père quivoit s’ouvrir les yeux de son enfant. Les pivoines sortirent du solpareilles à des nichées d’oiseaux pourpres, les tulipes en cornetsverts. De fins boutons fusèrent aux touffes de narcisses. Les irisérigèrent parmi les poignards de leurs feuilles leurs flammesd’abord encloses d’une enveloppe livide. Les ancolies ailéess’apprêtèrent à voler sur les tiges.

Maintenant tout frémissait. De la terrasse desorangers jusqu’au bord de la Seine, la côte se couvrait decorbeilles où l’or et l’argent des alyses, les centaurées légères,la multitude douce ou révoltée des pavots s’embrasaient. Lesauricules mêlées aux primevères posaient des bijoux clairs sur duvelours chaud. Les adonides jetaient des gouttes de sang dans leurverdure aérienne.

Les feuilles avaient poussé partout, tendres,jeunettes, les tillots offraient leurs têtes vierges à la dorure dusoleil, les éventails des palissades allongeaient des décors d’unebrillante nouveauté, les marronniers dressaient leurs thyrsesd’ivoire.

D’un coup d’œil Jasmin embrassa cette féerie.Le château lui-même, sur le fond des bois rajeunis, paraissaits’enlever au ciel sur les ailes des parterres qui s’allongeaient àses côtés.

Et Buguet vit la beauté de ce petit palais, lajolie proportion des fenêtres, entre lesquelles reposaient desbustes de marbre, et celle des balcons où les armoiries de laMarquise apparaissaient : trois tours dorées. Il comprit lamajesté souriante des frontons sur les toits mansardés où lescroisées s’encadraient comme des miroirs, et la juste échelle deshuit marches qui conduisaient aux trois portes alignées. Et ayantsaisi l’irréprochable disposition des terrasses, la mesure desallées, la place choisie des palissades, les engageantescombinaisons des chemins, il aperçut la façon divine dont la grâcedu château se mêlait à celle des jardins. Ensemble délicat où leschoses se faisaient valoir l’une l’autre sans jalousie ! Commepour tenter d’aimables avances, la pierre prenait la souplesse dela fleur, et les fleurs, dans leurs ensembles, frémissant comme desguitares, obéissaient à des lois d’élégante architecture. Lesciseaux du sculpteur et la serpette du jardinier se retrouvaientd’une même famille dans la joie de plaire. Tout se mariait, toutrecelait une âme ailée, radieuse, donnant aux murs, aux parterres,aux arbres une physionomie spirituelle, une cadence parfumée, unrythme subtil.

Jasmin, transporté par cette harmonie,s’agenouilla devant le chef-d’œuvre de MM. de l’Isle etde l’Assurance.

Mais l’âme du décor apparut :Mme de Pompadour en toilette dorée sortait dela ruche, exquise abeille pour qui s’épanouissaient les fleurs.Elle ouvrit un éventail, regarda le jardin, et, suivie de Martinevêtue aussi de jaune, se dirigea vers un grand carrosse, uncarrosse de fée, aux panneaux chantournés.

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