Le Prisonnier de la planète Mars

Chapitre 5LE VAMPIRE

 

Il était dit qu’après les monstres de la mer,Robert devait avoir affaire, cette nuit-là, à ceux de l’air.

Il y avait à peine quelques minutes qu’ilreposait, lorsqu’il fut réveillé par une sensation si pénible et sisingulière qu’il se crut la proie d’un cauchemar. Il lui semblaitque quelqu’un était monté sur sa poitrine et pesait de tout sonpoids sur lui pour l’étouffer. En même temps, il ressentait au cou,près de l’oreille, un picotement douloureux.

Instinctivement, il étendit la main, et ce futavec un sentiment de profonde horreur que ses doigts frôlèrentquelque chose de velouté et de chaud, comme le duvet d’un oiseau,ou la peau molle et pelucheuse d’une chauve-souris.

Avec un bruit mou, une masse sombre s’élevaau-dessus de lui ; ses yeux rencontrèrent, dans la profondeurdes ténèbres, deux larges yeux phosphorescents et il reçut à latempe un choc violent qui l’étourdit à moitié.

Il voulut crier, appeler à l’aide ; maisun tel sentiment d’épouvante s’était emparé de lui qu’il ne putarticuler qu’un gémissement plaintif.

Son réveil, sa courte lutte avec le vampireinconnu qui l’avait choisi comme proie, tout cela n’avait pas durédix secondes. Sous le ciel entièrement voilé de nuages, l’obscuritéétait profonde. À quelques pas, Robert vit briller les yeuxincandescents du monstre, qui battait des ailes au-dessus de lui,prêt sans doute à s’élancer de nouveau.

Le jeune homme se vit perdu, il venait decomprendre que cette planète, qu’il avait crue déserte, étaitpeuplée de bêtes épouvantables, restes difformes des créationsprimitives, et qu’il serait dévoré sans avoir aucun secours àattendre de personne.

Pourtant, en dépit de la terreur qui leglaçait jusqu’aux moelles, la brusque pensée d’un moyen possible dedéfense illumina son esprit avec la soudaineté d’un éclair.

– Le feu ! s’écria-t-il d’une voixrauque. Le feu ! Ces monstres nocturnes doivent avoir peur dela flamme.

Et il se rua comme un fou hors de son gîte,jusqu’à l’endroit où se trouvait le brasier allumé la veille etqu’il avait soigneusement recouvert de branchages.

– Pourvu qu’il ne soit paséteint !

Et ses dents claquaient de peur à cetteidée.

Il n’en était rien heureusement et Robert eutla joie de constater qu’une grande masse de charbons rougescouvaient sous la cendre et les branchages.

Prompt comme la pensée, il arracha un tisontout enflammé et le lança de toute sa force vers son ennemi. Lalueur des charbons ardents illumina quelques secondes uneapparition véritablement diabolique : un être digne de prendreplace à côté des plus hideux démons qu’ait rêvés le Moyen Age.

Que l’on se figure une chauve-souris à peuprès de la taille d’un homme et dont rien ne peut donner l’idée queles chéiroptères géants du Brésil, ou les vampires de Java.Seulement, les ailes étaient beaucoup moins développées et lesphalanges, groupées à l’extrémité de l’avant-bras, formaient unevéritable main armée d’ongles acérés. De plus, des mains semblablesterminaient les membres inférieurs et c’était à l’aide de cesgriffes que le vampire, lorsque Robert l’entrevit à la lueur brèvede son projectile enflammé, se tenait agrippé à la maîtressebranche d’un hêtre.

Pour le malheureux exilé de la planèteterrestre, tout augmentait l’horreur de cette apparition : lacouleur jaune sale des ailes membraneuses, le visage de tout pointsemblable â celui de l’homme et qui reflétait la ruse et laférocité, mais surtout les lèvres pendantes et d’un rouge de sang,et les yeux clignotants et bordés d’écarlate comme ceux d’unalbinos, dans une face exsangue, avec un nez retroussé et court,pareil à celui des bouledogues. De longues oreilles arrondies, sansproportion avec la tête, complétaient cet ensemble hideux.

Robert distingua tous ces détails avec unenetteté ineffaçable et il en fut tellement saisi qu’il laissaéchapper de ses mains le second tison dont il s’était emparé.

Heureusement pour lui, son projectile avaitfrappé juste.

Le vampire, brûlé au ventre, ébloui par laflamme, que ses yeux d’animal nocturne ne pouvaient sans doutesupporter, poussa un cri de douleur, suivi d’une série degémissements lugubres, et dégringola du haut de son observatoire entournoyant.

Devant ce succès inattendu, Robert s’étaitélancé, armé d’un gros tison et prêt à compléter sa victoire ;mais le vampire, qui paraissait avoir une grande répulsion pour laflamme, se mit à bondir de droite et de gauche, aussi maladroitqu’un kangourou, et sans cesse de gémir d’une voix presquehumaine.

Il finit par s’élancer sur une grosse brancheet il disparut aux yeux de Robert, qui le serrait de près et secroyait sur le point de s’en emparer.

Un peu rassuré, le jeune homme se rapprocha deson feu, y jeta des brindilles de bois sec et, bientôt, une flambéeclaire monta, une de ces joyeuses et pétillantes flambées dont lachaleur est vivifiante, dont la clarté met en fuite lesfantasmagories de la nuit.

Robert s’assit et, ses appréhensions un peucalmées, réfléchit à la singulière agression à laquelle il venaitd’échapper par miracle.

Comme tous les solitaires, il prenaitl’habitude de penser à voix haute :

– Je ne crois pas, dit-il, que, pendantle jour, j’aie à craindre l’être effroyable qui avait commencé deme sucer le sang pendant mon sommeil. – Et, machinalement, iltâtait une petite plaie. ronde, encore sanglante, derrièrel’oreille.

Ces vampires sont essentiellement nocturnes.Maintenant, je suis prévenu et on dit : un homme averti envaut deux. Pour le moment, il s’agit de faire bon feu et bonnegarde ; dès qu’il fera jour, je vais me mettre en quête dequelque caverne dont je puisse, le soir venu, barricader l’entréeavec des pierres et des branches… Je me fabriquerai une lampe, avecla moelle des joncs et la graisse des oiseaux… puis j’auraitoujours mon feu pour me défendre.

En dépit de ces raisonnements et d’autressemblables par lesquels il essayait de se rassurer lui-même, Robertne pouvait songer sans frémir à l’horrible créature dont l’imagelui apparaissait dès qu’il fermait les yeux.

Aux moindres bruissements des feuillages, auxmoindres frissons des roseaux, il se levait et prêtait l’oreilleavec angoisse ; il croyait toujours entendre dans l’ombrepalpiter doucement les ailes veloutées du monstre.

S’il allait en ramener d’autres aveclui ? se demandait-il en tremblant. Que ferais-je, contre unetroupe de vampires une fois que j’aurais épuisé tous les tisons demon feu ?

Et il se voyait tombé à terre et dépecé toutvivant par une foule d’êtres aux yeux clignotants et aux lèvressanglantes et lippues, dans des faces blêmes d’albinos.

Le vertige de l’inconnu l’envahissait.N’allait-il pas avoir à lutter contre d’autres périls étranges,d’autres bêtes inouïes, dans cet univers mélancolique, qu’iljugeait maintenant exclusivement peuplé de créaturesterrifiantes ?

Hanté par ces obsédantes pensées, ce fut avecun sentiment de joie profonde et de délivrance que Robert vit lesoleil monter comme un globe pâle à travers les brouillards,au-dessus des longues lignes d’eau et des roseaux bruns.

Il riait, il chantait, il se moquaitmaintenant des fameux vampires, il avait reconquis, avec le soleil,cette belle confiance en soi qui fait les grands hommes et crée lesgrandes choses.

– Bah ! déclara-t-il en riant, jesuis le dernier des poltrons ; avec ma vigueur musculairedécuplée par la moindre attraction de la planète, je mettrai enfuite tous les vampires. En attendant, je vais préparer mondéjeuner.

De s’être mesuré avec un péril certain, Robertse trouvait plus brave et plus joyeux, et puis le soleil doraitjoliment les nuages, les flaques d’eau s’éclaircissaient delumière, tout un monde d’oiseaux nasillards s’élevait du fond desherbes. Robert se sentait plein de force pour les épreuves de cettenouvelle journée, qui semblait lui sourire à travers les voiles dela brume.

Philosophiquement, devant une mare unie commeune glace, il visita la blessure de son cou ; ce n’était pasgrand-chose au fond, une tache rouge un peu boursouflée auxbords.

Cependant, cette petite consultation lui donnaà penser.

– Diable ! s’écria-t-il, il paraîtque les vampires connaissent l’anatomie. Ce bobo-là se trouve justesur le trajet de la veine jugulaire et de l’artère carotide.Décidément il était, comme on dit, moins cinq, lorsque je me suisréveillé.

Robert appliqua sur sa blessure une compressed’herbes parfumées, qui lui parurent proches parentes, les unes dela sauge, les autres de la menthe, de la mélisse ou du romarin,toutes plantes de la vieille Terre natale.

Elles ne différaient de leurs congénères quepar des détails peu appréciables, des feuilles plus dentelées ouplus brunes, des fleurs plus petites et diversement colorées.

– Voilà, s’écria-t-il, des variétéscurieuses et dont je ferai cadeau au jardin du Muséum de Paris, sijamais je réussis à revenir.

Ensuite il se rendit à son garde-manger, quele vampire heureusement n’avait pas dévasté. Il se prépara unesucculente grillade, accompagnée de quelques douzaines dechâtaignes d’eau, qui remplacèrent pour lui le pain et les légumesdes repas terrestres. Il se chargea de son arc, de ses flèches,jeta plusieurs brassées de bois sur son feu et se mit en marche,après avoir attaché sur son dos, avec des courroies de jonc tressé,ce qui lui restait de son gibier.

Mais, par le sentier qu’il suivit à travers lemarais, il avait soin, de quinze en quinze pas, de briser lesroseaux, afin – tel un autre Petit Poucet – de retrouverfacilement, lorsqu’il le voudrait, sa cabane et surtout sonbrasier.

Il marcha un quart d’heure, très gai, presqueen touriste, satisfait de l’état du ciel, qui n’annonçait aucunepluie capable d’éteindre son feu.

Tout à coup, le chemin lui fut barré par unecolline couverte de grands osiers jaunes et rouges, d’une variétéqui lui était inconnue et qui flamboyait sous les rayons du soleilmatinal.

Il fit quelques pas dans une allée quiparaissait tracée régulièrement entre les troncs, comme par unemain humaine et, tout à coup s’arrêta, stupéfait à la fois etémerveillé.

Il avait débouché au centre même d’une espècede hameau martien, dont l’aspect plein de naïveté et de bonhomiel’encouragea à pénétrer plus avant.

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