Le Prisonnier de la planète Mars

Chapitre 8LE RÉVEIL

 

Cependant, la folle expérience imaginée parRobert Darvel avait réussi autant qu’elle pouvait réussir.

L’olive d’acier vanadié traversa, c’est le casde le dire, avec la vitesse de la pensée, les couches del’atmosphère terrestre qui portèrent au rouge, par le frottement,l’enveloppe d’amiante, heureusement refroidie presque aussitôt entraversant les noirs et lugubres espaces de l’Éther. Elle serecouvrit d’une épaisse couche de glace aussitôt fondue en arrivantdans l’atmosphère saturée de chaude humidité de la planète.

La planète Mars est une de celles que nousconnaissons le mieux. Elle est environ six fois et demie pluspetite que la Terre. Son volume n’est guère que les seize centièmesde celui de notre globe. Avec les récents télescopes aux lentilleset aux réflecteurs perfectionnés et surtout depuis les études deM. Schiaparelli et de M. Camille Flammarion, on sait queMars présente avec la Terre un grand nombre d’analogies. Lessaisons s’y présentent à peu près de la même façon que celles quirègnent chez nous ; mais chacune, à cause de la durée del’année martienne qui est de 687 jours, est d’une longueur deuxfois plus considérable et même un peu plus.

Là-bas comme chez nous, il existe deux zonestempérées, une zone torride et deux zones glacées. Ces dernières,grâce à la calotte de glace dont elles sont enveloppées pendant leshivers, et dont l’extrême limite est distante d’environ cinq degrésde chaque pôle, sont visibles au télescope et mêmephotographiables, grâce à leur blancheur qui fait tache sur lemanteau vert et rouge de la planète.

L’étendue de ces amas de banquises qui doiventcertainement former des mers paléocrystiques dépend de la saisonqui règne dans chaque hémisphère de Mars. Nos astronomes terrestresles voient augmenter et diminuer d’une façon régulière, pendant lecours d’une révolution (687 jours).

Les savants actuels possèdent la certitude quela planète est entourée d’une atmosphère fort semblable à la nôtre,quoique moins dense et dans laquelle sont répandues de grandesquantités de vapeur d’eau, de même que dans notre ciel terrestre.Pendant de longues périodes de l’année, cette atmosphère estparcourue par d’épais nuages parfaitement visibles de la terre etqui semblent former de vastes anneaux au Nord et au Sud de laplanète, dans les régions les plus éloignées de l’équateur où ellesfont défaut durant des mois entiers. On a toujours supposé que cesmasses nuageuses planaient au-dessus des bas-fonds et des marais.On les voit se déplacer au gré des vents, s’amonceler et sedissiper, et il est certain qu’elles ont une constitution très peudifférente de nos nuages terrestres et qu’on doit pouvoir lesclasser en cirrus, en cumulus et en nimbus.

L’observatoire de Paris possède depuislongtemps des cartes et des photographies très complètes des merset des continents martiens. Au télescope, les mers offrent unecoloration verte plus ou moins accentuée. L’on en a déduit queleurs eaux sont très riches en chlorures alcalins et qu’elles nousapparaissent d’autant plus sombres qu’elles sont plusprofondes.

Quant aux îles et aux continents qui forment àdroite et à gauche une bande ininterrompue autour de l’équateur dela planète, où ils occupent plus d’étendue que les océans, ilsprésentent ces tons éclatants de rouge et de jaune orange, qui sontla couleur distinctive de la planète. Elles lui auraient valu sonnom, qui est, dans la mythologie païenne, celui du dieu de laguerre auquel elle avait été consacrée. Les mers, surtout dans lapartie septentrionale, ne sont guère que des Méditerranée, desCaspienne, des lacs intérieurs ou des détroits, des espèces deManche, qui mettent en communication les régions envahies par leseaux. On ne trouve dans Mars aucun océan comparable au Pacifique età l’Atlantique. Seules les mers boréales et australes ont beaucoupde rapport avec les nôtres.

Mars possède des montagnes, mais en petitequantité et certainement moins élevées que les nôtres.L’apparition, à des époques régulières, de certaines tachesblanches, démontre évidemment leur existence, les hauts sommetsdemeurent probablement couverts de neige, même après la mauvaisesaison.

Mais le trait le plus singulier de lagéographie martienne, c’est qu’on n’y a jamais aperçu de fleuves etque toute la surface solide de la planète est sillonnée d’immensescanaux dont la longueur varie de mille à cinq mille kilomètres etdont la largeur atteint souvent cent vingt kilomètres. Ces canauxaffectent des formes régulières et géométriques. Ils semblent avoirété tracés avec intention par des êtres doués d’intelligence.

La raison d’être de ces canaux découverts parM. Schiaparelli, de Milan, en 1877, n’a jamais pu êtreexpliquée complètement. Ils font encore le désespoir desastronomes. Le plus extraordinaire, c’est qu’à côté de la ligneformée par certains de ces canaux, il s’en produit une secondeparallèle et toute semblable et qui devient invisible un certaintemps après.

Une autre singularité de Mars, c’est que, plusfavorisée que la Terre, qui n’a que la lune pour satellite, elle enpossède deux de taille minuscule, il est vrai, que les astronomesont nommés Phobos et Deïmos. De ces deux astres en miniature, l’un,Deïmos, n’a que douze kilomètres de diamètre et il parcourt sonorbite en trente heures dix-huit minutes ; l’autre, Phobos,n’a qu’un diamètre de dix kilomètres et termine sa course en septheures trente-neuf minutes. Phobos et Deïmos, pressentis parVoltaire dans Micromégas et même par Swift, le célèbre auteur desVoyages de Gulliver, ont été découverts par l’astronome américainHall.

En raison de son éloignement du Soleil, lachaleur et la lumière que Mars en reçoit sont d’une intensitémoitié moindre que sur la Terre. Mais ce désavantage, si c’en estun, est compensé par la longueur des années à peu près doubles desnôtres.

En observant les taches qui existent à sasurface, on a démontré qu’elle tourne sur elle-même en vingt-quatreheures, 37 minutes, 33 secondes, ce qui fait que la journée ysurpasse d’environ une demi-heure la durée du jour terrestre.

C’est dans ce monde inconnu que leprojectile-cercueil vint s’abattre en pleine nuit martienne,traçant dans les ténèbres un sillon lumineux comme un bolide.

Les flots houleux et battus par la pluie d’unOcéan couvert de brume se refermèrent sur l’obus de métal et,contre toutes les prévisions du brahme Ardavena et de l’ingénieurRobert Darvel lui-même, aucun choc ne vint frapper les extrémitésallongées de l’olive et ne déclencha les ressorts qui auraientpermis au prisonnier de revenir à la vie et à la liberté.

Grâce à son creux, grâce aussi à son enveloppede bois et surtout à la diminution de l’attraction planétaire, lesphéroïde d’acier ne tomba pas au fond de l’eau ; mais il neremonta pas non plus à la surface. Il flotta entre deux eaux,lamentable épave dont se jouaient les vents orageux.

Trois jours durant, il fut ainsi ballotté,jusqu’à ce qu’une lame plus forte que les autres, en se brisant surune falaise de porphyre rouge, le lançât dans l’ouverture d’uneespèce de grotte, au-dessus du niveau des eaux, où il demeuraaccroché, suspendu comme par miracle entre les mandibules des rocsébréchés par les flots. Mais le choc avait été suffisant. Leressort avait fonctionné et la calotte de l’olive s’étaitdétachée.

Quand Robert revint au sentiment del’existence, il eut l’horrible impression d’être enterré vivant.L’énergique fluide dont Ardavena avait pour ainsi dire imprégné sonsuaire, avant de l’insérer dans le cercueil capitonné, le sauva, enlui communiquant, pendant quelques minutes, une vigueurextrahumaine. D’un seul coup de ses ongles, que les fakirs avaientlaissé pousser et apointis en griffes, il déchira le sac de cotonqui l’enveloppait et, comme il étouffait, il arracha d’un mouvementinstinctif la cire qui lui bouchait les narines. Puis, toujourssans s’en rendre compte, avec la décision du désespoir, il fitreprendre à sa langue sa position naturelle et aspira une largebouffée d’air.

Mais l’effort avait été trop violent. Robertperdit connaissance et tomba dans un sommeil proche du coma, sansavoir encore pu rassembler ses idées, ni s’inquiéter du lieu où ilétait.

Il fut réveillé par une sensation de doucechaleur. Il lui semblait qu’il était assis et tournait le dos auxpâles rayons d’un soleil d’hiver. Il ouvrit les yeux et n’aperçutdevant lui qu’une série de rochers rouges fantastiquement denteléset la bouche d’une caverne qui semblait s’enfoncer dans lesentrailles du sol.

Engoncé jusqu’aux épaules dans son cercueild’acier, il pouvait cependant tourner la tête. Il frémit en serendant compte du péril auquel il se trouvait exposé. L’olive quilui servait de prison n’était retenue que par quelques pointesacérées du roc dans un équilibre imparfait et hasardeux. Le moindrefaux mouvement pouvait le précipiter dans les flots d’une mer verteet grise dont les lames clapotaient sous la clarté d’un soleilrougeâtre, voilé de brume, qui lui parut plus petit qu’àl’ordinaire.

Il fallait à tout prix quitter cette positiondifficile.

Robert se rapetissa et avec mille précautions,il essaya de se glisser au dehors, sans toutefois tomber dansl’abîme qui grondait au-dessous de lui. Il réussit pleinement dansson entreprise. À sa grande surprise, il se sentait doué d’uneélasticité et d’une vigueur extraordinaires. Il s’étira sur lesable rougeâtre qui formait le sol de la grotte avec un véritablebonheur. Ses oreilles étaient remplies d’un bourdonnement confus.Il en eut l’explication en tâtant les bouchons de cire qui lesobstruaient et dont il se délivra immédiatement.

Alors, il put percevoir le bruissementmélancolique du ressac contre la falaise et les ululements du vent.Il avait froid, il avait faim. Un étrange vertige l’accablait,comparable à celui dont sont frappés les explorateurs et lesexcursionnistes, quand ils atteignent de hautes altitudes. Cettefaiblesse anormale se trouvait d’ailleurs compensée parl’accroissement de la force musculaire.

Robert ferma les yeux, ébloui, et il chercha àcoordonner ses idées. Il lui sembla tout d’abord qu’il avait dûdormir pendant plusieurs jours et la première pensée qui lui vintfut qu’il se trouvait sur les bords de l’Océan Indien, où il étaitsans doute venu en compagnie d’Ardavena pour quelque promenade.

Son malaise se dissipait peu à peu. Il essayade rassembler ses souvenirs et ce lui fut un effort atrocementpénible. Il alla jusqu’au bord d’une flaque d’eau qui luisait dansl’ombre de la grotte et se regarda. Mais il ne reconnaissait plussa face hâve et amaigrie, son torse squelettique.

Et pourquoi donc avait-il ces onglesdémesurés ?

Il crut qu’il était devenu fou ou qu’ilrêvait. Il prit ses tempes entre ses mains avec une sorte dedésespoir, puis il se leva et se mit à marcher, contemplant la meret le ciel couvert de nuages. Il grelottait. Il pensa que soncauchemar continuait en constatant la longueur des enjambées qu’ilfaisait.

Tout à coup, ses regards s’arrêtèrent surl’olive dont le bois effrité et carbonisé se découpait en noir surle sable rouge.

– Oui, balbutia-t-il, ce doit être unefarce d’Ardavena. Comme il me tarde de revenir à Chelambrum où jesuis si heureux avec mon laboratoire et mon jardin ! Mais jeveux demander des explications au brahme. Il y a dans tout ceciquelque chose d’incroyable…

Son cerveau affaibli n’arrivait pas à réunird’idées plus nettes. La faim, la soif et le froid le dominaient. Ils’enveloppa de son mieux dans les débris du linceul de coton. Ilpuisa un peu d’eau dans la flaque où il s’était miré. Cette eau,sans doute jetée là par la mer, était affreusement amère etsalée.

Allait-il donc mourir de faim et de soif, danscette caverne suspendue aux flancs du roc de porphyre entre le cielet l’eau ?

Il regarda autour de lui avec des yeuxbrillants et découvrit enfin dans un coin du rocher une petitetouffe de plantes bleuâtres, mais il ne s’étonna pas de leurcouleur. C’étaient, à ce qu’il pensa, des espèces de cristesmarines ou de perce-pierres, d’une variété qui lui était inconnue.Il en arracha une poignée et en savoura le suc rafraîchissant avecdélices. Il les mâchait et en rejetait les fibres ligneuses et ilcontinua ainsi à paître à quatre pattes sur le roc jusqu’à ce qu’untiraillement de son estomac l’avertit qu’il avait pour le momentassez mangé.

Robert avait été privé de nourriture pendantsi longtemps, qu’il fut littéralement enivré par les quelquesgorgées de suc d’herbes qu’il avait absorbées ; sa têtes’appesantissait, ses jambes étaient vacillantes et ses yeux sefermaient. Il eut cependant la force et la présence d’esprit detirer en sûreté sur le sable sec l’olive de métal d’où il étaitsorti comme un poussin qui brise la coquille de son œuf. Aprèsl’avoir accotée entre deux rocs, il s’y enfonça la tête la premièreà la façon des autruches, s’entortilla les jambes de son linceul etne tarda pas à s’endormir d’un sommeil réparateur.

À son réveil – ô désastre, il n’avait guèreles idées plus nettes qu’auparavant ; mais il était torturépar une faim atroce.

– C’est toujours la même chose,s’écria-t-il avec découragement. Depuis que je suis réveillé, je nesonge plus qu’à manger. Si seulement il y avait quelques plantescomestibles dans le voisinage.

Heureusement, Robert avait été réconforté parle long somme qu’il venait de faire. Les vertiges quil’oppressaient avaient disparu. Il ne se sentait plus qu’un grandappétit et une extraordinaire légèreté dans tous les membres. D’unsaut, il franchissait six ou sept mètres. Il se figura un momentqu’il avait des ailes et il dut se surveiller pour ne pasdégringoler, par inattention, du haut de la falaise dans lamer.

À l’entrée de la caverne, il trouva dans leroc une série de degrés et d’anfractuosités naturellement creuséespar le flot et il lui vint à l’idée de descendre par cette voiejusqu’à la surface de l’eau pour juger de sa profondeur et voirs’il ne lui serait pas possible, en côtoyant le rocher avec del’eau jusqu’à la ceinture, de gagner une région plus hospitalièreet de se faire rapatrier, jusqu’à son cher laboratoire deChelambrun dont, malgré les évidences, il ne se croyait pas trèséloigné.

Tout à coup, il poussa un cri de joie et savoix répercutée par les rochers lui parut aussi sonore que le sond’un cor de chasse. Il s’arrêta, épouvanté lui-même de satonitruante.

Il venait d’apercevoir, flottant au ras del’eau, parmi les algues, des chapelets de bivalves assez proches dela moule, mais plus arrondis et qui se tenaient attachés à lapierre par leur byssus.

– Je suis sauvé, dit-il.

Et il fit une ample récolte de mollusques etremonta dans sa caverne pour se régaler. Il sentait ses forcesrevenir, pour ainsi dire, de minute en minute.

Deux jours se passèrent ainsi, coupés de longssommeils et de repas au menu reconstituant, mais monotone.

– Je ne peux pourtant pas, songea-t-il,vers le soir du deuxième jour, passer un plus long temps perché surcette falaise comme un goéland dans son nid, à brouter et à mangerdes bivalves. Ce serait vraiment trop ridicule.

Robert passa une bonne partie de la nuit àréfléchir. De singuliers soupçons se glissaient en lui. L’aspect duciel, la présence de l’engin qui lui servait de lit, l’absence detoute créature humaine, de tout navire sur cet océan couvert debrouillards, tout lui démontrait avec évidence qu’il se trouvaitbien loin de l’Hindoustan et qu’on avait profité de son sommeil etde sa catalepsie pour l’abandonner sur un rivage désert.

– Peut-être, songea-t-il avec effroi,Ardavena, désireux de s’approprier mes découvertes, m’a-t-il faittransporter au nord de la Sibérie, pour se débarrasser de moi.

Ce qui fortifiait en lui cette supposition,c’est qu’il avait remarqué, quoique privé de son chronomètre,qu’Ardavena lui avait emprunté sans façon, la longueur inusitée desjours et des nuits.

Cependant, cette hypothèse ne le satisfaisaitpas.

Quand les jours sont longs, se disait-il, avecbeaucoup de logique, dans les contrées polaires, les nuits sontcourtes et réciproquement. Il y a là quelque chose que je nem’explique pas.

D’ailleurs, l’ingénieur ne pouvait porter surces choses un jugement précis. Depuis qu’il n’était plus sousl’influence des drogues stupéfiantes que lui avaient fait absorberles fakirs, il ressentait un continuel besoin de sommeil et il nese réveillait guère que pour manger et se recoucher presqueimmédiatement.

Ce soir-là, il avait sans doute repris unevigueur suffisante, car le sommeil ne venait pas. La nuit lui parutinterminable. Il projeta, sitôt que le jour serait levé, de gagnerle sommet de la falaise. Mais il dormit, se réveilla, dormit encoreet les ténèbres l’enveloppaient toujours. Il trembla un moment dese trouver perdu dans la grande nuit du pôle arctique.

Enfin, la lueur rougeâtre du soleil rapetisséperça lentement le voile des brumes. Robert se leva, déjeuna et,sans plus délibérer, commença de gravir les rocs de porphyre rougequi s’élevaient au-dessus de la caverne. Il mit plus d’une heure àce travail, s’arrêtant pour se reposer à toutes les plates-formespropices et profitant des moindres buissons, des moindres touffesd’herbes roussâtres pour se hisser un peu plus haut. Arrivé ausommet de la falaise, il demeura émerveillé. Une haute forêt, auxlarges feuilles jaunes et rouges et où il reconnut des hêtres etdes noisetiers, se balançait tout autour de lui.

Mais il n’y avait trace ni de routes, ni desentiers vers l’intérieur. Des ronces rousses, des framboisiers auxfeuilles vermeilles, des mousses brunes croissaient dans unfouillis de végétations inextricables. À l’horizon voilé de brume,la mer s’étendait entre deux caps de porphyre qui bordaient laperspective de ce côté.

Bien que surpris de la couleur rougeâtre, quidominait dans le paysage, Robert éprouva une joie enfantine à seretrouver en pleine forêt. Il pensait être au Canada, car il avaitlu qu’on trouve dans ce pays un grand nombre d’essences aufeuillage rouge.

Son plan fut tout de suite fait.

– Je vais, dit-il, me lancer à traverscette forêt, en me dirigeant toujours vers le Sud. Je me guideraisur le soleil et les étoiles. De cette façon, je suis forcéd’arriver dans la partie méridionale de ce pays, où se trouvent lesgrandes villes et les chemins de fer. M’eût-on déposé près ducercle polaire, je ne ferai certainement pas huit jours de marchesans rencontrer un campement d’Esquimaux ou une caravane dechasseurs de fourrures ou de chercheurs d’or.

Avant de se mettre en route, Robert résolut dese reposer longuement dans la forêt. Il mangea de grossesframboises couleur d’or et des groseilles noires. Il cueillit desnoisettes rouges, et des myrtilles violettes ; puis il se miten chemin.

À son approche, s’enfuirent divers oiseaux,qui ressemblaient aux moineaux et aux grives, et il eut la joie dedécouvrir une clairière couverte de champignons blancs, du genredes mousserons, qui lui fournirent un déjeuner magnifique.

À la grande surprise de Robert, le soleilsemblait immobile au milieu de ce manteau de brouillard. Cetteforêt vêtue de frondaison rousse lui apparaissait comme l’Édeninterminable. Des insectes jaunes sautillaient dans les herbes. Àpeine de temps en temps un cri d’oiseau. Robert sentaitl’engourdissement le gagner. Il rêvait de toujours vivre dans unepaix profonde au milieu de ce paysage de sommeil et de silence. Lamer battait la monotone chanson de son ressac entre les falaises deporphyre.

Une fois de plus vaincu par le sommeil, Roberts’appuya entre les racines d’un grand hêtre rouge et s’endormitaccablé sur la mousse. Quand il se réveilla, le soleil était au basde l’horizon. De grands nuages lilas et verts flottaient, et cetteperspective de futaie rougeâtre se mariait si bien avec la couleurdes nuages et les reflets agonisants du soleil, qu’il craignit unmoment que tout le décor qui l’entourait ne s’évanouît brusquementavec sa magnificence comme dans une féerie.

Mais le soleil, après avoir oscillé longtemps,si longtemps que Robert ne se rappelait pas avoir jamais rien vu depareil, sombra derrière des nuages couleur d’encre et de plomb etdisparut. Une vive clarté lunaire remplaça presque aussitôt lalumière de l’astre évanoui.

Robert s’émerveillait déjà de voir deslampyres se glisser dans les buissons, lorsqu’en se retournant ducôté de la mer, une extraordinaire vision le cloua sur place.

Deux lunes éclatantes et blanches, d’unedimension énorme, se reflétaient paisiblement dans les flots.

– Je ne suis pas fou, dit-il, nihalluciné.

Il ferma les yeux, se laissa tomber sur lamousse et réfléchit. En une seconde, la vérité lui apparutmerveilleuse et terrible. Ce cercueil de métal, ces feuillagesrouges, ce soleil triste et diminué, et ces deux lunes (Phobos etDéïmos, sans doute) tout concordait.

– Je suis le premier homme qui soitparvenu dans la planète Mars ! s’écria-t-il, avec un orgueilmêlé d’épouvante.

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