Le Prisonnier de la planète Mars

Chapitre 14LES CLICHÉS

 

Huit jours s’étaient écoulés depuis la mort dePhara-Chibh.

Le capitaine Wad et Ralph Pitcher, devenu enquelques jours son inséparable ami, savouraient des boissonsglacées dans un kiosque des jardins de la résidence, aux côtés demiss Alberte convalescente et qui ne gardait plus des affrestraversées qu’une intéressante pâleur ; entre ces troispersonnes il y avait sympathie complète.

Plus ils avaient réfléchi et discuté, plus ilss’étaient convaincus de cette vérité que l’ingénieur Darvel avaitatteint la planète Mars, qu’il avait réalisé ce prodigieux rêve desavant, de poète ou de fou.

Mille petites circonstances insignifiantes enelles-mêmes arrivaient à former, groupées, des preuvesimposantes.

Le capitaine Wad avait recommencé l’enquêteordonnée naguère sur la catastrophe du monastère deChelambrum ; en interrogeant patiemment les religieux hindous,il était arrivé à entrevoir une grande partie de la vérité.

Dans le laboratoire souterrain occupé parRobert, il avait retrouvé des notes, des plans ébauchés, des épuresd’où le projet de l’ingénieur se dégageait clairement.

Ralph maintenant ne trouvait plus riend’extraordinaire dans la mystérieuse lettre trouvée par lui etqu’il avait regardée jusqu’alors comme un fait inexplicable.

Mais ce qui l’intrigua fort, ce fut dedécouvrir, dans un cahier rempli de notes et de formules de toutessortes, ces quelques lignes de l’écriture de Robert :

« Aujourd’hui, Ardavena a trouvé le moyende me faire voir ma chère Alberte, dans un de ses miroirs magiquesdont le mécanisme commence à n’avoir plus rien de très merveilleuxpour moi… Je crois qu’elle ne m’a pas oublié. Mais j’en ai ressentiune terrible secousse. Me voilà incapable de travailler pour deuxou trois jours au moins… »

Miss Alberte, à qui Pitcher se fit un devoirde remettre le cahier, en fut profondément touchée.

– Je savais bien, murmura-t-elle, queRobert ne pouvait m’avoir oubliée.

« Il n’a pas cessé de penser à moi commej’ai pensé à lui ; mais nous le retrouverons ! Sivéritablement il a réussi à franchir les gouffres de l’éther, àaborder dans Mars, pourquoi n’irions-nous pas le rejoindre ?Ce qu’il a pu réaliser, pourquoi ne le réaliserions-nouspas ? »

Le capitaine Wad secoua la tête avec unsilencieux découragement.

– Non, dit Ralph, ce n’est pas possible,Darvel a dû bénéficier d’un concours de circonstances qui ne sereproduiront sans doute jamais plus.

– Nous verrons, murmura miss Albertedevenue pensive.

À ce moment, le gong du vestibule retentit,des boys arrivèrent effarés jusqu’au kiosque où s’échangeaientcette conversation.

– Capitaine, dit l’un d’eux, on vientd’arrêter un prisonnier que les cipayes vous amènent.

– Un prisonnier, s’écria l’officier avechumeur, était-ce la peine de me déranger pour cela. Sans doutequelque voleur de riz ou de patates ?

« Qu’on l’enferme et qu’on me donne lapaix !

– Mais, reprit le boy avec insistance, cen’est pas un indigène, nous ne vous aurions pas dérangé pour si peude choses, c’est un Européen et, nous en sommes presque sûrs, unespion.

« Il parle l’anglais avec un bizarreaccent, il est misérablement vêtu et nous avons trouvé sur lui unesérie de photographies tout à fait singulières.

– Tu as bien fait de me prévenir, dit auboy l’officier, ramené au sentiment de son devoirprofessionnel.

« Fais-le venir, je vais l’interrogerimmédiatement.

« Je crois, ajouta le capitaine, quand leboy se fut retiré, que nous avons tout simplement affaire à un deces rôdeurs internationaux, débardeurs ou chemineaux, auxquels nulpays ne demeure inaccessible.

– Précisément le voici, dit Ralph.

Les cipayes amenaient dans le jardin unpersonnage à longue barbe blonde, aux yeux d’un bleu très clair et,ainsi que l’avait dit le boy, il était misérablement vêtu etcouvert de poussière, il paraissait accablé de fatigue.

Mais, en dépit de ce triste équipage, il yavait en lui une franchise et une noblesse d’allures quisaisissaient au premier aspect.

À la grande surprise des assistants, il poussaun cri de joie en apercevant Alberte et fit retentir bruyamment lesmenottes dont il était enchaîné, puis esquissant unerévérence :

– C’est donc vous, miss Téramond ?Je suis vraiment enchanté d’avoir enfin réussi à voustrouver !

« Heureusement que votre photographies’étale à la première page de tous les journauxillustrés. »

Le capitaine Wad crut se trouver en présencede quelque solliciteur famélique qui, instruit par hasard de laprésence de la jeune miss dans l’Inde, avait trouvé le trucingénieux de se faire arrêter pour parvenir jusqu’à elle.

– Taisez-vous, dit-il durement, c’est àmoi que vous avez affaire.

« Je vous préviens que, si vous avez eul’intention de vous livrer à quelque mauvaise plaisanterie, vousêtes fort mal tombé.

« Et d’abord, quelles sont vosréférences, vos papiers ?

– Comme papiers, fit l’homme avec quelquejovialité, je possède un livret de forçat imprimé sur papier jauneet parfaitement en règle.

– Quelle est cette facétie ? demandal’officier en fronçant terriblement le sourcil.

– Ce n’est pas une facétie, répliqua leprisonnier avec une tranquillité légèrement gouailleuse ;mais, à moins que tout cela ne soit changé, je ne sache pas que lalibérale Angleterre ait l’habitude de livrer les condamnéspolitiques des autres nations qui viennent chercher refuge sur sonterritoire.

– Cela suffit, grommela le capitaine Wadagacé, je vais éclaircir votre cas et je vous garantis que ce nesera pas long.

« Et d’abord, qui êtes-vous ? D’oùvenez-vous ? Quel est votre nom ? »

Le prisonnier ne parut prêter aucune attentionau ton menaçant dont l’officier avait prononcé ces paroles.

– J’arrive de Sibérie, répondit-iltranquillement. Je suis un savant d’origine polonaise et je menomme Bolenski.

Ralph imprima au rocking-chair sur lequel ilétait assis, un balancement furieux.

– Bolenski ! interrompit-ilbrusquement. Je sais… Je sais : n’êtes-vous pas entré encollaboration avec un Français nommé Darvel, au sujet de signauxlumineux qui devaient être adressés aux habitants de la planèteMars ?

Du coup, le capitaine Wad avait laissé decôté, comme un masque, sa physionomie officielle et rigide, ilétait devenu profondément attentif.

– Parfaitement, dit le Polonais d’un toncordial, enfin nous y voilà ! Cela n’a pas été sans peine.

Le capitaine Wad avait eu un certain geste àl’adresse de deux cipayes impassibles dans leur uniforme blanc, quifaisait ressortir le ton bronze clair de leur visagefarouche ; les menottes de Bolenski lui furent enlevées etl’officier approcha lui-même un siège à son intention.

Au grand étonnement de miss Alberte, Bolenskine parut nullement surpris de ce changement d’attitude.

– Il fallait absolument que je vousvisse, fit-il en se tournant vers la jeune fille, j’ai de trèsgraves nouvelles à vous annoncer.

« Ce n’est pas la première fois,mademoiselle, que j’entends prononcer votre nom. Que de fois, monami Darvel m’a parlé de vous, quand nous campions ensemble, enSibérie ! Vous avez su, peut-être, que je fus arrêté, quej’allai rejoindre au bagne les patriotes polonais, désespéréd’abandonner notre merveilleuse tentative de communicationinterplanétaire.

« J’ai réussi tout dernièrement àm’évader.

« J’ai regagné le Japon où, pour vivre,je suis entré en qualité de directeur dans un grand établissementde photographie scientifique.

« J’étais sans nouvelles de Robert ;mais je n’avais pas oublié notre rêve.

« Disposant de puissants appareils quej’avais encore perfectionnés, j’ai obtenu de la planète Mars desclichés d’une netteté parfaite.

– Eh bien ? demanda miss Albertehaletante d’émotion.

– Ces photographies, vous les verrez, dèsque les cipayes qui me les ont confisquées me les aurontrendues.

– Parbleu ! interrompit lecapitaine, ce doivent être ces photographies martiennes qui vousont fait passer à tort pour un espion auprès de mes cipayes tropzélés.

– Parfaitement ; j’en ai plus d’unecentaine et j’en aurais bien davantage si, un beau matin, sans lemoindre prétexte, les Japonais sans doute suffisamment initiés à laphotographie cosmographique ne m’avaient brutalement congédié.

« Le jour même, j’attendais le départ dupaquebot pour San Francisco, quand un numéro de revue contenant leportrait de miss Téramond et des détails biographiques sur Darvelest tombé sous mes yeux.

« Ma résolution a été prise tout desuite. Au lieu d’aller à San Francisco, je me suis embarqué pourKarikal, où je suis arrivé à peu près sans argent.

« C’est à travers mille périls, millefatigues, que je viens enfin de vous trouver.

– Votre collaboration nous seraprécieuse, dit Ralph en se levant : Robert Darvel vous acertainement parlé de son ami Pitcher.

– En maintes circonstances !

Pendant que les deux hommes échangeaient uncordial shake hand, un boy, sur l’ordre du capitaine Wad,apportait une petite valise sordide.

– Mes photographies, s’écria le Polonais,les yeux étincelants de joie.

Il avait ouvert la valise d’une mainfiévreuse, il éparpillait sur le guéridon du kiosque des massesd’épreuves non collées ; sur toutes, la planète apparaissaitavec sa masse sombre traversée par les linéaments plus clairs descanaux de Schiaparelli.

Tout d’abord, ces photographies neprésentaient rien d’extraordinaire.

– Mais vous ne voyez donc pas ?s’écria Bolenski avec feu.

« Regardez ici, cette tache blanchesuivie d’une ligne, puis sur cette autre ; un point, une ligneet un trait !

« Sur cette autre encore, deux traits etun point.

– Qu’est-ce que c’est que cela ?demanda miss Alberte.

– Vous ne comprenez pas… l’alphabetMorse ?

« Il y a là-haut un homme qui fait dessignaux à la Terre et cet homme ne peut être que RobertDarvel !

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