Le Prisonnier de la planète Mars

Chapitre 2CHEZ RALPH PITCHER

 

Ralph Pticher occupait, non loin de lataverne, dans une rue sombre aboutissant aux quais, une boutiqueétroite et basse, et tout encombrée d’animaux empaillés, de volumeset de minéraux. Des oiseaux de proie et des lézards se balançaientau plafond. Sur un établi, où traînaient des pinces, des scalpelset des rouleaux de fils d’archal, Robert aperçut une boîte àcompartiments remplie d’yeux de verre, de toutes les grandeurs etde toutes les couleurs ; une étrange odeur flottait dansl’étroit réduit éclairé d’un seul bec de gaz, dont la lueurprojetait sur les murs les ombres grimaçantes des échassiers et dessauriens.

Robert Darvel fut présenté à mistress Pitcher,une vieille petite dame, au profil anguleux et sec, au mentonpointu, si jaune et si ratatinée qu’elle ressemblait, avec ses yeuxnoirs et brillants comme ceux d’un merle, à quelque singulieroiseau, empaillé et monté sur des fils de fer, auquel on seraitparvenu à rendre la vie et le mouvement par un procédé spécial. Sesmenottes sèches, aux ongles acérées comme des griffes auxmouvements fébriles, presque mécaniques, complétaientl’illusion.

Mistress Pitcher fit un cordial accueil àl’ami de son fils, et bientôt le couvert fut dressé sur une nappebien blanche, dans la salle du fond ; la bière brune moussadans des cruches de grès, l’eau du thé chanta dans la bouilloire,un ample morceau de saumon fumé, d’abord sacrifié à l’appétit desconvives, fit bientôt place à un pâté de mouton à l’écossaise et àd’autres mets substantiels.

Les deux amis dînèrent gaiement, en parlant deleurs chasses et de leurs aventures, et en faisant mille projetspour l’avenir.

Quand le dessert eut été enlevé, mistressPitcher, avec de petits gestes menus et vifs, apporta le tabacblond dans un curieux pot de Hollande ventru et doré, d’aspectdébonnaire, avec l’eau chaude et le whisky pour les grogs.

Le poêle de faïence bourré jusqu’à la gueuleronflait majestueusement, dominant le beuglement des sirènes àvapeur, le sifflement déchirant des locomotives dans les brumeslointaines de la nuit.

Il régnait dans la petite pièce une atmosphèrede tiédeur, de bien-être paisible et d’accueillante bonhomie dontRobert se sentit tout réconforté.

L’avenir lui apparut sous des couleursfavorables. Il sourit en regardant son ami Pitcher qui venaitd’allumer une longue pipe d’écume et lançait d’énormes volutes defumée en clignant de l’œil d’un air de béatitude.

En le considérant plus attentivement, avec sonteint rouge brique et ses sourcils légèrement obliques, il luitrouva une ressemblance avec les figures solennelles et raidespeintes sur les tombeaux de l’ancienne Égypte.

Son imagination se divertit à penser que Ralphétait peut-être le descendant de ces générations d’embaumeurs quiavaient confit dans l’asphalte et les gommes odoriférantes cesmillions d’ibis, de crocodiles et d’ichneumons qu’on retrouveencore aujourd’hui symétriquement alignés dans les hypogées.

Cette idée extravagante amusa beaucoupPitcher.

– Hum ! fit-il en riant, la raceaurait beaucoup dégénéré, depuis ces Égyptiens, qui étaient despersonnages sacrés, des espèces de prêtres, jusqu’à moi, pauvre« taxidermiste » qui ne rougis pas de rendre lesapparences de la vie au serin hollandais ou au caniche favori demainte vieille lady…

Le naturaliste était retombé dans lesilence ; puis, ses pensées prenant brusquement un autrecours :

– À propos, dit-il tout à coup d’un airun peu embarrassé, je tiens à vous dire une chose… Vous devez avoirbesoin d’argent ; si, en attendant que vous ayez trouvéquelque chose de sûr, vous vouliez accepter… Si, par exemple,cinquante ou cent livres…

– Je vous remercie, murmura Robert, trèstouché de la cordialité de l’offre ; très sincèrement, je n’aibesoin de rien en ce moment. Si jamais je me trouvais réellementgêné, je n’hésiterais pas à m’adresser à vous. Ne sais-je pas quevous êtes un ami dévoué, Ralph, un excellent ami ?…

– Tant pis, reprit l’autre avec unegrimace mécontente, cela m’eût fait plaisir et cela ne m’eûtdérangé en rien. Depuis mon dernier voyage, je suis suffisammentriche pour lâcher la taxidermie quand cela me conviendra.

– Je croyais pourtant… objectal’ingénieur.

– Oui, cela est vrai, du temps de noschasses dans la jungle, je n’étais pas brillant. Il a suffi d’uneseule nuit pour changer tout cela.

– Une seule nuit ? répéta Robertavec surprise.

– Oui ; mais, au fait, je ne vous aipas raconté cela, l’aventure est assez extraordinaire parelle-même.

« Peu de temps après notre séparation, jefis la rencontre d’un ancien officier de marine, nommé Slud, queson goût pour la chasse et les aventures avaient poussé à donner sadémission.

« Jamais je n’ai connu personne d’aussirobuste et d’aussi adroit que ce pauvre garçon ; nous netardâmes pas à devenir des compagnons inséparables.

« Slud connaissait à merveille tout leversant indien de l’Himalaya, où il avait chassé le tigre,l’éléphant et le yack sauvage.

« Il me fit de si enthousiastesdescriptions des animaux inconnus, non classés, qui habitaient lesgorges sauvages du Népal, que je me décidai à entreprendre avec luiune expédition dans ces déserts.

« Je passe sous silence les péripétiesordinaires de ces sortes de voyage – bivouacs dans ces temples enruine qu’a si merveilleusement décrits Rudyard Kipling, traverséede ces marécages verdoyants qui semblent ne devoir jamais finir,rencontres de fauves et de reptiles ou de Thugs étrangleurs piresencore, toute la féerie millénaire de ce vieux monde hindou surlequel, comme sur un bloc de granit, les dents d’acier du léopardbritannique s’émoussent ou se cassent, quoi qu’on en ait dit.

« Mais j’arrive au fait.

« Trois semaines environ après avoirquitté la jungle du sud, nous atteignîmes une forêt de cèdres noirsqui paraissaient interminables.

« Ce ne fut qu’après deux journées demarche que nous découvrîmes, à la nuit tombante une avenue degigantesques éléphants de pierre, à l’extrémité de laquelle seprofilaient les coupoles d’un temple ; nous pensions êtrearrivés à une de ces ruines qui, comme Angkor ou Eléphanta,couvrent plusieurs kilomètres carrés et qui sont abandonnées depuisdes siècles.

« Grande fut notre surprise enapercevant, au-dessus des dômes et des minarets, le clochersurmonté d’un paratonnerre et d’un coq doré d’une église construitedans le style du XVIIIe siècle.

« Nous jugeâmes que les missionnaires quis’étaient installés là nous accorderaient sans doutel’hospitalité ; nous avançâmes hardiment.

« Mais, comme nous franchissions le seuilde la première cour, une troupe d’hommes au crâne rasé, aux longuesrobes gris cendré, se rua sur nous ; malgré nos protestationsvéhémentes, nous fûmes garrottés, bâillonnés.

« Les plus vigoureux de nos ravisseursnous chargèrent sur leurs épaules ; à travers un dédale decouloirs compliqués et d’escaliers, nous fûmes transportés dans unegrande pièce mal éclairée, jetés sans cérémonie sur une litière defeuilles de maïs.

« Un des hommes au crâne rasé coupa nosliens, enleva les tampons de laine qui nous bâillonnaient, un autreplaça devant nous une calebasse de riz cuit à l’eau et une cruched’eau, puis la porte massive grinça sur ses gonds et nousentendîmes assujettir à l’extérieur les verrous et les barres.

« Tout cela s’était passé si vite quenous demeurâmes quelque temps stupides d’étonnement.

« Ce fut Slud qui rompit le premier lesilence ; il en avait, comme on dit, vu bien d’autres.

« – Voilà qui est drôle, mon pauvrePitcher, me dit-il avec une ironie pleine d’humour ; voilànotre logement et notre nourriture assurés pour quelques temps.Qu’en dites-vous ?

« – Je ne suis pas disposé à rire, masterSlud, répliquai-je avec mauvaise humeur. En admettant que cescoquins nous relâchent bientôt – ce qui n’est pas sûr -, ils nenous rendront certainement ni nos armes, ni nos peaux, ni toutnotre matériel… Je suis désespéré…

Slud parut touché de mon chagrin.

« – Un peu plus de sang-froid, quediable, mon vieux Pitcher, murmura-t-il ; ces gens-là n’ontpas l’air terrible, puisqu’ils nous donnent à manger. Ce sont desbouddhistes qui, par définition, ont horreur de répandre le sang.Voilà déjà une constatation rassurante…

« – Des bouddhistes ! Cependant, ceclocher, avec cette croix et ce coq doré ?

« – Parfaitement, le temple, qui a aumoins deux mille ans d’existence, est de constructionbrahmanique ; au XVIIIe siècle, les missionnaires jésuites,alors très nombreux, ont chassé les brahmes et construit l’égliseet, à leur tour, ils ont cédé la place aux bouddhistes…

« Slud acheva de me réconforter partoutes sortes de raisonnements spécieux et, après avoir partagéfraternellement notre portion de riz (nous mourrions de faim), nousétudiâmes la topographie de notre prison, avant que le soleil fûttout à fait couché.

« C’était une pièce semi-circulaire d’oùnous conclûmes qu’elle devait occuper le demi-étage d’une tour, uneseule meurtrière placée très haut l’éclairait, laissant dansl’ombre les deux angles extrêmes. Avec la paille de maïs qui noustenait lieu de lit, un escabeau et quelques couvertures composaienttout le mobilier. Les murailles avaient six pieds d’épaisseur, laporte était massive et nous ne possédions aucune espèce d’outilcapable d’en venir à bout.

« Nous remîmes à plus tard toute espècede projet d’évasion et nous dormîmes cette nuit-là d’un sommeilaccablé.

« La journée du lendemain se passatristement, sans vivres et sans nouvelles. Sur le soir, un bonzeaux longues oreilles, au sourire d’une béatitude idiote nousapporta notre ration et se retira sans avoir daigné répondre àaucune des questions de Slud, qui parlait assez correctement ledialecte de cette partie de l’Inde pour le questionner.

« Les jours suivants s’écoulèrent demême, sans amener aucun changement, aucun espoir même de changementà notre lamentable situation. Nous tombions, petit à petit, à undécouragement profond.

« À des heures régulières, chaque jour,le vacarme des cloches et des gongs nous annonçait la célébrationdes offices bouddhiques.

« L’incertitude où nous étions sur lesraisons de cette inexplicable détention jetait Slud dans devéritables accès de rage. Nous étions en proie à cette oisivetéforcée des captifs, à ce désœuvrement inquiet qui sont une despires tortures, le spleen nous gagnait.

« – Cela ne peut pas durer, me dit Sludun soir, il faut essayer quelque chose…

« – Quoi ? fis-jemélancoliquement.

« – Je ne sais pas. Mais tout estpréférable à cette captivité ignominieuse. Mieux vaut mourir ennous défendant courageusement que de pourrir dans ce trou.

« J’approuvai Slud et nous nous mîmes àchercher une idée.

« – Je ne vois qu’un moyen, déclarai-jeattendre qu’il soit nuit, assommer – je dis assommer et non pastuer, il y a une nuance – le bonze aux longues oreilles, gagner lesommet de la tour et de là nous laisser glisser en bas.

« Slud applaudit à mon idée, d’autantplus qu’il n’en voyait aucune autre de pratiquement réalisable.Nous trompâmes notre impatience, en attendant le soir, en nousoccupant à tresser avec nos couvertures une corde solide, capablede supporter le poids de nos deux corps et nous en éprouvâmes larésistance en tirant dessus de toutes nos forces.

« Nous étions horriblement énervés unorage qui s’amassait lentement au-dessus des bâtiments du monastèreajoutait à notre fièvre.

« L’air qui pénétrait par l’uniquemeurtrière de notre prison était embrasé comme s’il se fût exhaléde la gueule ardente d’un four. Nous nous en consolâmes en pensantque l’orage seconderait peut-être nos projets.

« Nous attendîmes avec angoisse laquotidienne visite du bonze, les heures s’écoulaient avec uneimpitoyable lenteur.

« Nous étions palpitants d’émotionlorsque enfin nous entendîmes grincer les verrous et lesbarres.

« Le bonze entra, souriant comme decoutume, de ce même sourire niais et béat qui avait le don dem’exaspérer.

« Il se pencha pour déposer à terre lacalebasse de riz et la cruche.

« Mais, à ce moment, Slud fit tournoyerl’escabeau au-dessus du crâne rasé, il y eut un bruit mou de chairaplatie, d’os broyés ; le bonze gisait à terre, assommé, sansavoir eu le temps de pousser un cri.

« Nous ne nous attardâmes pas à voir s’ilétait mort ou vivant.

« Sans un mot, nous prîmes ses clefs etnous l’enfermâmes à notre place.

« Il faisait maintenant complètementnuit ; nous commençâmes l’ascension de l’escalier et nousgravîmes sans encombre une trentaine de marches.

« Nous allions atteindre la plate-forme,lorsque Slud, qui marchait le premier, aperçut à la lueur d’unéclair un autre bonze accroupi, dans une immobilité complète, prèsdes créneaux sculptés de lotus.

« Nous nous hâtâmes de battre enretraite.

« Nous étions désespérés.

« Slud crispait les poings rageusement,avec le geste de jeter du haut en bas de la tour le religieuxtoujours immobile. Je tremblais qu’il ne mît cette idée àexécution.

« Mais, avant que j’eusse pu le retenir,il s’était élancé, il rampait doucement sur la plate-forme dans ladirection du bonze.

« Je le suivis, prêt à prendre sadéfense.

« À ce moment, un grand éclair silencieuxdéchira le ciel, nous montrant la face de notre ennemi crispée parune grimace extatique.

« Il était sans doute en proie à un deces sommeils à demi cataleptiques auxquels sont sujets ces sortesd’ascètes.

« Je respirai.

« Nous n’aurions donc pas besoin derecourir à la violence, il suffirait de ne pas éveiller ledormeur.

« Slud, maintenant plus calme, fut de monavis et nous commençâmes immédiatement nos préparatifs.

« Je déroulai la corde que nous avionsfabriquée et que je portais autour des reins et je l’attachaisolidement à un des créneaux sculptés, puis la descentecommença.

« Je demandai à passer le premier ;je savais Slud très sujet au vertige et sa nervosité était encoreaugmentée par les effluves orageux ; le poids de mon corps, enaugmentant la tension de la corde et en diminuant le balancement,rendrait à mon compagnon la descente plus aisée.

« Une autre cause d’inquiétude, c’étaitde savoir ce que nous allions trouver au pied de la tour : unfossé, une cour intérieure, le toit d’un temple ? Les ténèbresne nous permettaient de rien discerner ; la lueurintermittente des éclairs ne nous montrait qu’un chaos de bâtimentsdisparates.

« D’abord, tout alla bien ; d’aprèsmon conseil, Slud descendait en fermant les yeux et s’applaudissaitde cette précaution.

« Mais, tout à coup, je poussai un criterrible.

« J’étais arrivé à l’extrémité de lacorde ! Au-dessous de moi, mes pieds se balançaient dans levide ; j’avais failli glisser dans l’abîme !

« – La corde est trop courte, murmurai-jed’une voix étranglée d’angoisse.

« – De combien ? bégaya Slud.

« – Je ne sais pas… De beaucoup trop pourque nous puissions nous laisser tomber.

« À ce moment, un formidable coup detonnerre retentit, nous enlevant le peu de sang-froid qui nousrestait.

« J’entendis, au-dessus de moi, la voixdolente de Slud :

« – Le vertige !… Je le sens,balbutia-t-il, ma tête tourne…

« – Il faut que je lâche la corde…

« – J’aime mieux cela.

« – Je vais tout lâcher !… C’estplus fort que moi…

« – Au nom de Dieu ! mon cher Slud,ne faites pas cela ! m’écriai-je. Je vous en supplie, soyezcourageux.

« – Je ne puis pas.

« Et sa voix était comme cassée.

« Je l’entendais claquer des dents. Jesentais les trépidations de la corde agitée par ses mainsconvulsives. Ce fut quelques secondes d’épouvantable angoisse.J’étais à bout de force, je sentais mes poignets s’engourdir,j’étais moi-même tenté de tout abandonner, de sauter dans legouffre ténébreux, de me laisser glisser dans la mort.

« On vit toute une existence, dans cesmoments-là.

« Je me suis souvent demandé comment mescheveux n’avaient pas blanchi d’un seul coup pendant leseffroyables moments que nous avons passés au flanc de la vieilletour bouddhiste sculptée de monstres grimaçants…

– Comment fîtes-vous ? interrompitimpatiemment l’ingénieur, gagné par l’émotion du narrateur.

Ralph Pitcher continua, après quelquesinstants de silence :

– J’allais me laisser tomber lorsqu’il mevint une inspiration désespérée, quasi folle.

« – Écoutez, dis-je à Slud, il reste unmoyen suprême.

« – Lequel ?

« – Je vais remonter, je vais retournerdans notre cellule.

« – Il y reste encore des couvertures, jevais les découper en lanières, fabriquer un bout de cordesupplémentaire.

« – Mais c’est insensé ! râla lemalheureux.

« – Et moi ! quedeviendrai-je ?

« – Est-ce que je suis capable d’attendreencore une minute ?

« – Quand vous reviendrez si vous avez lachance de revenir vous ne me retrouverez plus.

« – J’aurai lâché prise !

« Et il ajouta, avec un accent qu’il mesemble toujours entendre :

« – Cela vaut mieux d’ailleurs. Vous avezraison, Ralph. Laissez-moi mourir.

« – Je ne l’entends pas ainsi !m’écriai-je, gagné d’une colère.

« – Je ne me sauverai pas seul, je vousle jure !

« – Allons, Slud, remontez de cinq ou sixmètres.

« – À quoi bon ?

« – Mais vous ne comprenez doncpas ? Je vais vous attacher solidement à la corde avec lacorde elle-même !

« – Obéissez sans discuter !

« – Comme cela, vous pourrez attendre monretour.

« Slud se hissa quelques mètres plushaut, comme je le lui demandais, mais avec une extrême difficulté.Je tremblais à chaque instant qu’il ne dégringolât sur moi et nem’entraînât dans l’abîme. Mais l’espoir que je venais de faireluire à ses yeux lui donna la force de dominer ses nerfs.

« Sitôt que je jugeai la longueursuffisante, je coupai la corde au-dessous de moi.

« Avec le tronçon ainsi obtenu,j’attachai solidement Slud sous les aisselles à la cordeprincipale ; puis, lui mettant un pied sur les épaules, jecommençai à remonter, dans un tel état de surexcitation violenteque je ne sentais plus la fatigue, que je ne voyais pas lesmonstres de granit penchés sur moi me regarder avec leurs hideusesfaces de démons.

« Mais, comme je mettais le pied sur laplate-forme de la tour, il m’arriva quelque chose de terrible.

« Je me trouvai en face du bonze,maintenant parfaitement réveillé.

« Il était d’ailleurs, je pense, toutaussi effrayé que moi en voyant un homme surgir brusquement à sescôtés, comme s’il eût été apporté là par un coup de tonnerre.

« Je ne lui laissai pas le temps derevenir de son ébahissement.

« Je lui sautai à la gorge, je leterrassai et je l’étranglai à moitié ; la soudaineté de monattaque avait été tellement irrésistible qu’il n’avait pousséqu’une sorte de grognement ; j’achevai de l’étourdir d’un coupde poing à renverser un bœuf, j’avais le passage libre.

« Je me ruai vers la cellule qui nousavait servi de prison, tellement heureux, tellement orgueilleux demon triomphe, que je riais aux éclats, nerveusement. Je suis sûrqu’à ce moment j’étais à deux doigts de la folie…

« Mais une horrible déconvenuem’attendait : dans mon exaltation, dans ma joie délirante,je n’avais plus songé que c’était Slud qui avait laclef !

« Cette fois, ma force de résistanceétait à bout, je tombai affaissé sur les marches de l’escalier,toute mon énergie s’était envolée. Je n’étais même plus capabled’associer deux idées, je divaguais ; un instant, j’oubliaimême le malheureux Slud que j’avais lié au-dessus de l’abîme et quine pouvait, sans moi, ni remonter ni descendre.

« Puis je me mis à pleurer à chaudeslarmes ; à ce moment, un enfant eût eu raison de moi.

« Je demeurai longtemps couché sur lapierre, dans l’anéantissement le plus profond, le plus entier.

« Ce fut l’idée de Slud, que je nepouvais abandonner ainsi, qui me rendit le courage de continuer lalutte.

« J’essuyai mes larmes et, assis sur lapierre, je me mis à chercher l’impossible moyen de salut, comme unécolier qui peine sur un insoluble problème.

« Mais tout à coup je poussai un cri non,un hurlement de joie. J’avais trouvé. Et comme cela était simple,facile ! Comment n’y avais-je pas songé plus tôt ?

« Je remontai précipitamment jusqu’à laplate-forme de la tour.

« J’allai vers le bonze que je venais demettre en si piteux état et je commençai par le bâillonner, pourlui ôter toute possibilité d’appeler au secours si jamais il avaitquelque velléité de revenir à la vie ; puis je le dépouillaide sa longue robe gris cendré, d’une sorte de tunique qu’il portaiten dessous et d’un lambeau de couverture qui lui tenait lieu demanteau, je le laissai nu comme un ver.

« Avec tous ces matériaux, je me mis autravail, il me fallait une corde, c’était le bonze qui allait enfaire les frais ; j’avais là sous la main une provisiond’excellent drap dont j’appréciai tout de suite la solidité.

« J’ai oublié de vous dire que j’avais uncouteau dérobé au bonze geôlier et qui m’avait déjà servi à couperla corde pour attacher Slud ; je commençai aussitôt à découperla robe gris cendré en longues lanières que je nouai bout àbout.

« Je travaillais à la lueur des éclairsavec une activité fébrile, une prestesse incroyable. Un moment, jevis le coq du clocher, que j’apercevais alors très nettement enface de moi, illuminé d’une sorte d’auréole fulgurante.

« Presque en même temps, un gémissementlamentable monta des profondeurs du gouffre.

« C’était Slud qui m’appelait àl’aide.

« Dans ma précipitation, je n’avais pasassez serré la corde. Sous le poids de son corps, les nœuds sedéfaisaient peu à peu, il les sentait lentement glisser.

« Je ne pouvais deviner cela, je n’enétais pas moins affolé par ce lugubre appel auquel la prudencem’interdisait de répondre. Mais je me hâtais avec une inconcevableardeur ; la corde s’allongeait à vue d’œil sous mes doigtsinquiets.

« Enfin, elle fut prête, je la roulaiautour de ma ceinture et je me laissai glisser le long del’ancienne corde avec l’angoisse qu’il fût arrivé à Slud quelquemalheur que je ne pouvais prévoir.

« J’arrivai à temps.

« Le tronçon de corde s’était tout à faitdénoué.

« Slud ne se maintenait plus que par sesdoigts crispés. Je nouai un peu au-dessus de lui le nouveau câble àl’ancien et notre périlleuse descente recommença.

« – Vous avez eu bien tort de remonter,me dit tout à coup Slud.

« – Comment cela ?

« – J’aurais dû y songer plus tôt, nosvêtements auraient suffi pour allonger la corde…

« Dans la minute même où il prononçaitces paroles, mes pieds touchaient un sol humide et gazonné.

« – Bah ! dis-je en riant, ce quiest fait est bien fait, je crois que cette fois nous y sommes.

« Une minute après, il prenait pied à mescôtés ; nous nous embrassâmes avec transport, nous étionsivres de joie. Pourtant, nous étions loin d’être sauvés.

« La lueur des éclairs nous fit voir quel’endroit où nous avions atterri – je peux dire si miraculeusement– était une sorte de fossé humide et marécageux, situé entre lesfondations de la tour et celles de l’église des Pères jésuites. Auxdeux extrémités, il était barré par de fortes grilles, et devaitsans doute communiquer avec les canaux qui entouraient le temple,comme cela se rencontre dans beaucoup d’édifices du même genre.

« Nous reconnûmes que nous n’étions guèreplus avancés qu’avant de sortir de notre cachot.

« Ce fut Slud, maintenant qu’il étaitdélivré des affres du vertige, il avait repris toute sonimaginative, toute sa perspicace lucidité qui découvrit, à demidissimulée par une touffe de nymphéas, une ouverture voûtée où ildevait nous être possible de marcher en nous courbant un peu.

« – Voilà le salut, déclara-t-il, noussommes certains, en nous cachant là, d’abord de n’être pasdécouverts, ensuite d’arriver presque infailliblement à l’airlibre.

« – Mais, objectai-je timidement, si nousnous perdons dans des souterrains inextricables…

« Il haussa les épaules avecimpatience.

« – Ce n’est pas un souterrain, cela,fit-il, c’est l’entrée d’un égout, nous sommes forcés de trouverune issue vers l’extérieur.

« D’ailleurs, essayons.

« Je ne répliquai plus, nous nousengageâmes sous la voûte basse.

« J’avais cédé sans trop de résistanceparce que je comptais sur l’obscurité pour arrêter cette marcheimprudente, je fus complètement déçu dans cette prévision.

À peine avions-nous fait quelques pas que jepoussai un cri de stupeur. À perte de vue, les parois, le sol et lavoûte du souterrain étaient éclairés par une lumière verdâtre, unesorte de phosphorescence très douce.

« Slud triompha bruyamment :

« – Je ne m’y attendais pas,s’écria-t-il, mais cela tombe à merveille. Savez-vous ce que c’estque cette lumière ?

« – Ma foi, non, avouai-jehumblement.

« – Surtout, ne croyez pas à quelquemiracle de Cakya-Mouni !

« Ce sont tout bonnement des animalculesphosphorescents, l’éclairage de l’avenir.

« Il trépidait d’enthousiasme.

« – Edgar Poe avait déjà songé à cela,reprit-il, quand, dans la Maison Usher, un de ses plusbeaux contes, il parle de cette lumière incompréhensible quibaigne les parois du souterrain.

« Maintenant, les microbes lumineux trèscommuns, d’ailleurs, surtout à ces latitudes sont parfaitementdécrits, classés, catalogués.

« Tout laboratoire qui se respecte enpossède quelques bocaux.

« J’avoue que j’étais émerveillé. Nouscontinuâmes notre chemin à cette lueur fantastique, qui ne faisaitdéfaut à certains endroits que pour phosphorer plus brillamment unpeu plus loin.

« Slud constata avec un certainétonnement que le sol allait en montant et que le couloir semblaits’élargir à mesure que nous avancions.

« Au bout d’une centaine de pas, nouspouvions marcher sans nous courber ; un peu plus loin, nousarrivâmes à une sorte de carrefour ; le souterrain se divisaiten deux branches, l’une déclive, l’autre ascendante ; nousétions fort embarrassés pour faire un choix. Ce fut, comme ilarrivait souvent, Slud, qui d’autorité, trancha laquestion :

« – La branche descendante, décida-t-il,ne nous mènerait sans doute qu’à quelque étang, plein de crocodileset de serpents d’eau c’est l’autre qu’il faut prendre.

« Je le suivis sans objection ; Sludavait une telle influence sur moi que j’étais rarement d’un avisdifférent du sien ; mais, au bout de très peu de temps, nouseûmes la désagréable surprise de voir les phosphorescencesdiminuer, puis disparaître complètement ; l’humidité chaudedes bas-fonds était sans doute nécessaire aux animalculeslumineux.

« Tâtant les mûrs, ne plaçant nos piedsque l’un après l’autre – j’avais toujours présentes à l’esprit deshistoires d’oubliettes -, nous fîmes encore un peu de chemin.

« Slud n’était pas content, il grommelaitsourdement contre ce féerique éclairage si commode et qui tout àcoup nous laissait en plan, je pressentais qu’il n’allait pastarder à rebrousser chemin.

« – Halte ! cria-t-il tout àcoup.

« Bon, pensais-je, ça y est, nous allonsrevenir sur nos pas, et je demandai à haute voix :

« – Qu’y a-t-il donc, mon cherSlud ?

« – Impossible d’aller plus loin… lagalerie ne se continue pas, c’est un cul-de-sac, une impasse.

« – Alors, nous revenons ?

« – Pas du tout… Venez doncm’aider !

« Je m’approchai.

« Dans les ténèbres, je sentis qu’il memettait en main un gros anneau de fer, glacial et rugueux, en mêmetemps qu’il m’invitait à tirer de toutes mes forces.

« Et, comme je tâtonnais avec unecertaine hésitation…

« Vous ne comprenez donc pas ?fit-il avec vivacité. Nous sommes certainement devant une portesecrète dont il s’agit de faire jouer les ressorts ; lecouloir que nous venons de suivre n’aurait pas de raison d’êtresans cela. Tirez ! Mais tirez donc !

« Et, pour me donner l’exemple, il avaitempoigné l’anneau et il tirait de toutes ses forces. Je joignis mesefforts aux siens ; mais, tout d’abord – à voir le peu derésultat que nous obtenions -, je pensai que nous nous étionsattelés à quelque anneau scellé dans le roc. Cette opiniontimidement émise eut le don d’exaspérer Slud.

« – Bien sûr, hurla-t-il, que l’anneauest scellé dans le roc !

« Ce n’est pas difficile àvoir !

« Mais vous n’avez donc jamais visité detemple hindou, pour ignorer que presque toutes les portes secrètesdes cryptes sont faites de pierres pivotantes, si bien équilibréesqu’un léger heurt les déplace et que, d’elles-mêmes, ellesreprennent leur position… Mais tirez donc !

J’obéissais, mais c’était plutôt pour donnersatisfaction à Slud ; tout le résultat qu’on pouvait attendred’un labeur aussi fallacieux, c’était que l’anneau – que sesrugosités me révélaient passablement rouillé – nous restât dans lesmains en nous envoyant les quatre fers en l’air.

« Aussi ma surprise fut-elle à son comblelorsque, après un grincement mélancolique, le roc pivotabrusquement sur lui-même, découvrant une baie étroite et vaguementéclairée, exactement comme Slud l’avait annoncé.

« Nous nous empressâmes de pénétrer parcet huis miraculeusement entrebâillé.

« Hein ! qu’en dites-vous ? fitSlud d’un ton de supériorité écrasant.

« Je rendis hommage comme toujours auflair étonnant de mon compagnon et nous marchâmes cette fois sousune voûte spacieuse qu’éclairait cette lumière vague et commelointaine dont j’ai parlé.

« Mais il était dit que nous devionsmarcher de surprise en surprise. À peine avions-nous fait trois pasque nous débouchâmes dans une vaste crypte, une vraie cathédralesouterraine, creusée à même le flanc du roc vif. Les batailles desdieux et des monstres du Mahabharata se déroulaient en gigantesquesbas-reliefs sur les murs. De la voûte creusée en dôme pendait uneénorme lanterne de corne, comme on en fabrique au Thibet. C’est delà que s’épandait cette lueur embrumée et molle que nous avionstout d’abord aperçue. L’imperceptible mouvement – dû sans doute àl’aspiration d’invisibles prises d’air – dont elle était agitée,faisait danser de grandes ombres mouvantes sur les murs etfrissonner des ombres accroupies dans les coins sombres. Nousdemeurâmes quelque temps silencieux. Je n’ai jamais vu d’endroitplus solennel que ce sanctuaire souterrain ; j’eusl’impression accablante de toute la masse des temples, de toute lasuite des siècles et des générations qui pesaient au-dessus de matête.

« Slud m’arracha brusquement à cettecontemplation non exempte d’une terreur que je sentais grandird’instant en instant. De son bras étendu, il me montrait uncolossal Bouddha de bronze accroupi dans la pose hiératique entreles hauts brûle-parfums. Je remarquai alors une chose qui toutd’abord m’avait échappé le dieu, quinze à vingt fois grandeurnature, avait de larges prunelles étrangement étincelantes.

« – Mais vous ne voyez donc pas, clamaSlud, éperdu, ce sont des diamants, il a des yeux dediamant !

« Regardez ces feux qu’ils jettent aumoindre balancement de la lanterne !

« Il n’y a pas moyen de s’y tromper.

« Je ne crois pas qu’il existe dansl’univers entier une troisième pierre aussi belle !

« Le Kohinoor, le Sancy, ne sont à côtéque des cailloux ridicules.

« Il gesticulait, il gambadait, ilperdait la tête.

« – Ha ! ha ! ricana-t-il,messieurs les bonzes, vous allez nous donner une jolie indemnitépour notre détention illégale dans votre tour !

« À nous les prunelles du vieuxBouddha !

« Et d’abord, je veux leur donner nosnoms.

« L’un s’appellera le Ralph, l’autre leSlud, c’est un moyen comme un autre de passer à la postérité.

« Qu’en dites-vous, mon vieuxRalph ?

« – Je dis, répliquai-je avec unsang-froid qui le stupéfia, que vous n’avez pas tout vu.

Regardez ce qu’élève le Bouddha dans sa maindroite.

« – Eh ! pardieu, c’est unlotus !

« – Vous n’y êtes pas, c’est bel et bienune clef, une énorme clef, pendant que la main gauche abaissée versle sol s’appuie sur un coffre de bronze que j’avais d’abord pris,tant il est vaste, pour un petit autel…

« Nul doute que la clef n’ouvre lecoffre.

« Nous avons sûrement mis la main sur undes trésors secrets du grand lama, confié à la garde du dieului-même !

« La joie de Slud, à cette révélation, neconnut plus de bornes.

« – Le trésor viendra après lesdiamants !

« – Hurrah ! Tout va bien !

« – Donnez-moi, le couteau, Ralph ;je veux avoir la gloire de les détacher moi-même.

« – Voulez-vous que je vousaide ?

« – Inutile… Vite le couteau.

« Je le lui donnai et il sauta d’un bondsur l’autel. Il y eut alors un terrible grondement detonnerre ; mais Slud avait déjà escaladé le bras, puisl’épaule du dieu. Debout sur l’épaule, il fouillait l’orbitegauche.

« Il y eut un crissement de métal.

« – Et d’un ! hurla-t-iltriomphalement en brandissant la pierre et il passa sur l’autreépaule.

« Était-ce une illusion ? Mais il mesembla que le Bouddha avait froncé ses sourcils de bronze, lesourire paisible de sa face éborgnée me parut plein de menaces.

« Slud mit un certain temps à arracher laseconde prunelle. Mais, lorsqu’il y parvint, la foudre éclata avecune si fracassante horreur que je crus que les étages du vieuxtemple s’écroulaient. La lanterne dansa au bout de son câble ;les images monstrueuses des Devas et des Asparas, des serpentsailés et des dieux zoocéphales eurent un mouvement pour quitter lesbas-reliefs et allongèrent des têtes menaçantes. Il me sembla quela face auguste du dieu maintenant aveugle s’entourait d’uneauréole livide.

« Slud lui-même, surpris par lacommotion, perdit pied et glissa ; s’il ne se fût rattrapé etcramponné à un des ornements du diadème de l’idole, il fût tombé,fût allé s’ouvrir le crâne sur le pavé du sanctuaire. Mais il nefit que rire de cet accident.

« – Je crois, déclara-t-il, que leBouddha veut m’impressionner avec ses coups de tonnerre. Nous nesommes pourtant pas quittes. Maintenant, au trésor !

« Il avait mis les diamants dans sa pocheet il descendait avec précaution.

« Pour moi, je demeurai à la même place,envahi d’une sourde terreur qu’augmentaient les ombres flottantesqui semblaient douer les murailles d’un frémissement de vie. Lesgongs suspendus autour de l’autel répétaient encore le mugissementdu tonnerre, et je discernai nettement dans ces voix de bronze demenaçantes intonations. J’avais le cœur serré d’un affreuxpressentiment et je vis bien que Slud partageait cette impression,car il ne riait plus, il ne plaisantait plus.

«, Ce fut silencieusement qu’il prit la clefdans la main de l’idole et qu’il la fit entrer dans la serrure,puis se retenant d’une main à un câble qui pendait de la voûte et,s’arc-boutant, il se mit en devoir d’ouvrir. Il y eut un bruit secde déclic, le couvercle de la caisse se dressa, en même temps que,par un mécanisme savamment combiné, le dieu relevait sa mainprotectrice.

« Mais alors, comment vous direl’effroyable catastrophe ? Le Bouddha, avec son terriblesourire, m’apparut dans un océan de flammes fuligineuses quidardaient comme des serpents leurs langues bleuâtres jusqu’à mespieds !

« À la place de Slud disparu, un génie auvisage d’or, au torse d’or, s’agitait au milieu du brasier…

« Je demeurai paralysé par la peur, clouéau sol, éperdu, pantelant d’horreur.

« Le mugissement d’un coup de tonnerreplus violent que les précédents éclata presque à mon oreille, lebrasier s’était éteint ; l’homme d’or se dressait seulimmobile près du coffre ouvert.

« Je demeurai quelques instants à demiévanoui…

« Quand je revins à moi, que je reprisassez de courage pour m’approcher de l’autel, essayer de comprendrel’affreux prodige, je reconnus avec une terreur sans nom quel’homme d’or toujours immobile – c’était mon pauvre Slud…

– La foudre avait volatilisé l’or ducoffre, murmura l’ingénieur.

– Précisément, reprit RalphPitcher ; quand je fus près de Slud, quand je le touchai, iltomba en poussière sous mes doigts et, sous cette poussière, jereconnus deux gros charbons luisants, qui étaient les prunelles duBouddha…

« La main relevée du dieu avait touché lecâble du paratonnerre installé là sans doute autrefois par lesjésuites… Je ne sais qui a pu avoir l’idée de ce mécanismediabolique.

« Dans le coffre, la foudre avaitrespecté une boîte de laque pleine de gemmes de moindre valeur etde lingots d’or.

« J’eus le courage de m’enfuir avec cebutin, de regagner la porte secrète, et je réussis à me sauver, ensuivant la branche descendante du canal souterrain qui allaitaboutir dans la jungle.

« Certes, je suis riche, mais il y a desmoments où cette richesse me pèse, quand je songe à la mort dupauvre Slud…

Un grand silence accueillit le récit de cetteaventure extraordinaire, dont Ralph Pitcher paraissait aussibouleversé que si elle eût lieu la veille.

Robert Darvel s’empressa de changer laconversion.

Impressionné par ce récit, il se retira detrès bonne heure, mais en s’engageant à revenir le lendemain et nonsans avoir formellement promis à son ami d’user de sa bourse commede la sienne propre si jamais il en avait besoin.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer