Le Rival du Roi

Chapitre 11LA MALADE DE LA MAISON DES RÉSERVOIRS

Crébillon se creusait vainement la cervelle à chercher par quelmoyen il pourrait pénétrer dans la maison des Réservoirs ets’assurer de visu si la dame malade était bienMme d’Étioles.

Le prétendu rêve de Noé s’était trouvé conforme à la réalité surtant de points que le poète avait fini par se persuader que lamystérieuse malade et Jeanne ne pouvaient être qu’une seule et mêmepersonne.

Pourtant il pouvait se tromper ; l’étrange aventure del’ivrogne, si rigoureusement exacte sur tant de points, pouvaitêtre fausse sur ce point si important. De là nécessité impérieusede pénétrer coûte que coûte dans cette maison et de se rendrecompte par lui-même de l’identité de cette malade.

Mais comment ?… Par quel moyen ?… Voilà ce que lepoète, malgré tous ses efforts d’imagination, n’arrivait pas àtrouver.

Il avait d’abord songé à se présenter lui-même ouvertement,franchement, à la maison des réservoirs, à demander le maître decette maison et, une fois mis en sa présence, à lui expliquerloyalement qui il était, ce qu’il voulait et ce qu’il attendait delui. Mais il avait vite rejeté ce moyen très simple en effet, maisaussi très aventureux.

De deux choses l’une : ou bien Jeanne se cachait ou bien onla séquestrait.

Dans le premier cas, ayant ses raisons pour se dissimuler et neplus donner signe de vie, – et il était évident que ces raisonsdevaient être capitales, – Jeanne avait dû certainement prendre sesprécautions en conséquences et ne se découvrirait pas elle-même…sinon quand elle le jugerait à propos.

Dans le deuxième cas, c’était plus grave : en effet,s’adresser bénévolement à ces inconnus, c’était se livrer naïvementsoi-même, les mettre sur leurs gardes, leur donner le temps deprendre telles mesures convenables…

Qui sait même si cette démarche qui paraissait de prime abord sisimple ne serait pas un danger pour celle qu’onrecherchait ?

Qui sait si ces mystérieux personnages, ayant un intérêtpuissant à garder leur proie, se sentant devinés, surveillés, ne laferaient pas tout simplement disparaître… pour toujours ?…

Décidément le moyen était mauvais dans le premier cas et pouvaitêtre mortel dans le second : il fallait donc y renoncer,trouver autre chose.

La franchise pouvait être dangereuse pourMme d’Étioles séquestrée ; la violence, s’ill’employait, pouvait être fatale à Crébillon et sans profit pour saprotégée… Restait donc la ruse.

Le poète se disait qu’il fallait de toute nécessité pénétrerdans cette maison par ruse… mais comment ?…

Cette question demeurait obstinément sans réponse.

Crébillon, cependant, ne restait pas inactif pour cela. Le soirmême de ce fameux jour où il s’était rendu compte que Noé n’avaitnullement rêvé, il s’était dirigé, à la tombée de la nuit, vers laruelle et avait minutieusement inspecté les lieux. Il avait vitereconnu qu’une escalade nocturne était pour ainsi direimpossible.

La maison n’avait pas d’autre entrée apparente que celle donnantsur la ruelle ; elle était encadrée à droite et à gauche dedeux maisons à peu près semblables ; le derrière donnait surun terrain vague qui venait aboutir au mur de la maison.

De ce côté là, pas de portes, pas de fenêtres ; deux outrois ouvertures étroites et basses étaient percées dans lamuraille, encore ces ouvertures étaient-elles garnies de deuxsolides barreaux en forme de croix et situées presque au faîte dela maison. Rien à tenter par là.

Pour entrer il fallait de toute nécessité se ménager desrelations dans la place, soit en y achetant une complicité, soit enbernant un des habitants pour en tirer une aide inconsciente.

S’il avait eu vingt ans de moins, Crébillon n’eût pas hésité àcourtiser la petite soubrette et à tenter quelque chose de cecôté-là. Mais il s’avouait franchement à lui-même que son âge, saface luisante de bon ivrogne, ses manières dénuées d’élégance, toutcela lui interdisait formellement d’user de ce stratagème qui eûtfatalement abouti à un échec lamentable.

Le seul moyen pratique qui lui restât était donc l’achat d’unecomplicité. Et, dès lors que l’argent entrait en ligne comme moyend’action, il retrouvait toute son assurance : le poète étaittrop philosophe et désabusé pour ne pas savoir que rien ne résisteà ce levier puissant et, d’autre part, il était assuré de trouver,le cas échéant, la somme nécessaire, si considérable fût-elle.

En effet, Crébillon s’était demandé s’il n’était pas de sondevoir de mettre M. de Tournehem au courant de sesprojets en lui exposant ses soupçons et ses craintes. Mais, aprèsmûre réflexion, il s’était décidé pour la négative.

Non pas qu’il eût, de ce côté, les mêmes répugnances, les mêmesdoutes intuitifs qu’il avait eus devant d’Étioles, par exemple.Bien au contraire, le caractère élevé du véritable père de Jeannelui inspirait une vive et respectueuse sympathie. Mais, connaissantl’immense tendresse qui se dissimulait sous l’abord grave et sévèredu financier, il concevait aisément dans quel désespoir immense ildevait être plongé, et la crainte d’apporter une fausse joie suivied’une déconvenue douloureuse l’avait seul arrêté.

Mais s’il se faisait scrupule d’éveiller un espoir qui pouvaitcrouler aussitôt entrevu, il n’en était plus de même en cas denécessité impérieuse, et il était fermement résolu à faire appel àla bourse du père si le besoin s’en faisait sentir.

D’ailleurs, il n’en était pas là, puisqu’il était riche :il lui restait, en effet, la plus grande partie des cinq millelivres de d’Étioles, et il ne faut pas oublier que cette sommeétait considérable pour l’époque.

Le poète cherchait donc un moyen d’entrer en relations avec undes habitants de la maison des Réservoirs et, guettant l’occasion,il passait la majeure partie de son temps dans cette auberge borgneoù il était entré une fois, et où il avait élu domicile, yétablissant son observatoire.

Noé, de son côté, avait reçu, pour consigne sévère, l’ordre dene jamais approcher de la ruelle sous aucun prétexte ; laruelle étant solitaire et fort peu fréquentée, le poète craignaitde donner l’éveil aux habitants de la maison au cas où, par unhasard malencontreux, l’ivrogne serait reconnu comme étant le mêmequi avait surpris la conversation des deux nocturnes causeurs.

De son poste d’observation, Crébillon avait vu le premier jour,de bon matin, la soubrette sortir et se diriger vers la boutique del’herboriste d’où elle était revenue presque aussitôt chargée,comme la veille, de menus paquets, et avant même que le poète, prisà l’improviste, eût trouvé un prétexte plausible pour l’aborder,elle était rentrée, refermant la porte vivement.

Dépité d’avoir laissé échapper cette occasion, Crébillon s’étaitgratifié lui-même de quelques épithètes injurieuses et s’étaitpromis d’avoir plus de décisions et d’à-propos la prochainefois.

Le lendemain matin, la soubrette sortit encore, et cette fois lepoète se lança sur ses pas, prêt à l’aborder quand elle sortiraitde chez le droguiste.

Mais, cette fois encore, il en fut pour ses frais, car lasoubrette ressortit presque aussitôt… en compagnie d’un vieillardaux allures paisibles, habillé tout de noir comme un clerc,s’appuyant sur une canne à pomme d’ivoire, les yeux abrités par desbesicles et qui, tout en trottinant aux côtés de la soubrette,paraissait approuver de hochements de tête significatifs lesexplications qui lui étaient données avec volubilité par la jeunefemme.

La soubrette et son compagnon marchaient assez vite, comme desgens pressés, mais rien dans leur attitude ne décelait qu’ilseussent quoi que ce fût à dissimuler. La soubrette parlait mêmeassez haut pour que Crébillon pût entendre distinctement qu’elledonnait à son compagnon le titre de docteur.

Quoi qu’il en fut, ce tiers inattendu entravait toute tentativede la part de l’infortuné poète qui, tout furieux, grommelant devagues invectives à l’adresse du malencontreux docteur, réintégrason observatoire en se disant qu’il serait peut-être plus favoriséla prochaine fois, tandis que soubrette et docteur entraient deleur côté dans la maison d’en face.

Au bout d’une heure environ, la porte s’ouvrit à nouveau etCrébillon, de son poste, put apercevoir le docteur qui s’éloignaitde son pas menu et trottinant, pendant que la soubrette refermaitla porte après avoir fait une gracieuse révérence.

Ce fut tout pour ce jour-là.

Le lendemain matin la porte s’ouvrit encore et la soubrette, lestraits bouleversés, sortit précipitamment et s’élança en courantvers le droguiste, oubliant de refermer la porte derrière ellecomme elle avait coutume de le faire.

Aussitôt, Crébillon sortit de son côté, mais comme il avaitremarqué la figure décomposée de la soubrette et ce manque deprécautions anormal, il se demandait avec angoisse si quelquemalheur imprévu n’était pas survenu à la malade qui l’intéressaittant.

Hésitant, se demandant s’il ne fallait pas profiter de cet oubliet se faufiler par la porte entrebâillée, il restait sur placeassez indécis lorsque, soudain, un grand cri déchira l’espace.

Instinctivement, il se tourna du côté d’où était parti ce cridouloureux et vit la soubrette étalée par terre.

Sans hésiter un seul instant, il s’élança et en quelquesenjambées fut sur la jeune fille qui se lamentait.

– Mordieu ! pensait le poète, voilà un petit accidentqui arrive fort à propos pour me mettre en relations avec cettecharmante enfant.

Et, tout aise, il s’empressait de prendre dans ses bras et derelever la jeune fille qui, rougissante et confuse, le remerciaiten souriant gentiment.

Crébillon, tout en la relevant, s’apprêtait à lui décocher unmadrigal aussi galamment tourné que si elle eût été une duchessepour le moins ; mais il n’en eut pas le temps, car la gentillesoubrette ayant essayé de faire un pas, soutenue par Crébillon,laissa échapper un nouveau cri douloureux et, devenant toute pâle,s’abandonna défaillante dans les bras de son cavalier, fortembarrassé, et qui, perdant la tête, lui disaitpiteusement :

– Hé là !… tout doux, mademoiselle !… là !…là !… je vous en prie, ne vous trouvez pas mal !… chèremademoiselle !…

Comme si elle eût entendu cette prière pressante, comme si elleeût deviné l’embarras de son cavalier, la soubrette ouvrit les yeuxet murmura d’une voix mourante :

– Le pied !… le pied !… oh ! je souffrehorriblement !… Je vous en conjure, monsieur, posez-moi parterre, je ne puis rester debout !…

Crébillon s’empressa de faire ce qu’on lui demandait, prodiguantles paroles de consolation, se mettant à la disposition de lablessée, très sincèrement ému malgré lui par l’air de souffranceréelle répandu sur ce frais et gracieux minois.

La soubrette, cependant, pleurait à chaudes larmes etgémissait :

– Quel malheur ! mon Dieu ! quelmalheur !

– Là ! là ! mademoiselle, calmez-vous… ce ne serarien… une petite foulure sans doute… un rien…

– Hé ! monsieur, gémit de plus belle la soubretteéplorée, il s’agit bien de moi… Madame !… cette pauvremadame !… elle est prise d’un terrible accès… le médecinl’avait bien prévu… et moi, sotte, qui vais me blesser stupidement…alors qu’une minute perdue peut être fatale à madame… Quelmalheur !… je ne pourrai jamais aller jusque chez ledroguiste… Que faire, mon Dieu ?… que faire ?… Et monmaître qui est absent… S’il arrive malheur à madame, je seraichassée…

Et, faisant un effort violent, la courageuse enfant se redressa,essaya de marcher, mais ses forces la trahirent ; elle poussaun sourd gémissement et retomba en sanglotant :

– Je ne pourrai jamais…

– Mais, mademoiselle, fit Crébillon, je vous en conjure, nevous désolez pas ainsi. Dites-moi plutôt ce qu’il faut faire chezce droguiste, et j’y vais de ce pas, puisque vous ne pouvezmarcher.

– Quoi, monsieur, vous consentiriez ?… Oh ! c’estla providence qui vous a placé sur mon chemin !…

– Allons ! allons ! disposez de moi, ma belleenfant… Et, puisque le danger est pressant, dites-moi vite ce queje dois faire.

– C’est très simple… et puisque vous avez la bonté de mevenir en aide… allez chez le droguiste, dites-lui que vous venezchercher le médicament pour la crise prévue… il doit être prêt…peut-être trouverez-vous le docteur… il avait promis de venirsurveiller lui-même l’exécution de son ordonnance… alors vous leramènerez avec vous…

– C’est bon, fit Crébillon sans en écouter davantage, j’ycours !…

Et laissant là la soubrette qui gémissait toujours, il prit sesjambes à son cou et gagna en quelques enjambées l’herboristerie oùil se heurta effectivement au petit vieillard qu’il avait vu laveille avec la jeune camériste.

En quelques mots, il lui raconta l’accident survenu ainsi que ledanger pressant que courait la malade.

Le vieux médecin le suivit aussitôt en poussant des exclamationsémues.

Tous deux revinrent à la blessée, qui, voyant le docteur,s’écria en joignant les mains :

– Vite ! vite ! docteur, madame est trèsmal !… courez !

– Mais, ma chère enfant, répondit le médecin, je ne puisvous laisser ainsi…

– Oh ! docteur, je vous en prie, ne vous occupez pasde moi… allez, allez… s’il arrivait un malheur en l’absence demonsieur, je ne me le pardonnerais pas… il est si bon,monsieur !… quel chagrin pour lui !…

– Non pas, fit le docteur, nous ne sommes pas à une minuteprès, Dieu merci !… Allons, faites voir ce peton… Oh !oh ! comme il est enflé !… Vous ne pouvez rester ici,reprit le vieillard avec autorité.

Et se tournant vers Crébillon :

– Monsieur, reprit-il, puisque le hasard vous a mis si fortà propos sur notre route, mettez le comble à vos bontés… aidez-moi,je vous en prie, à transporter cette enfant jusqu’à la maison, là,tout près… à deux pas…

– Mais de grand cœur ! répondit le poète qui sebaissant aussitôt, enleva dans ses bras encore robustes ce légerfardeau et, précédé du médecin, se dirigea vers la fameuse maison,rayonnant de joie à la pensée qu’il allait pouvoir y pénétrer d’unemanière aussi simple.

Le médecin pendant ce temps grommelait à l’adresse de la jeunefille :

– Petite imprudente !… une foulure, ça peut être trèsgrave, savez-vous ?…

– Docteur ! docteur ! gémit la petite imprudente…aïe, que je souffre !… Je vous en prie, occupez-vous demadame !…

– Mais oui… tenez-vous en repos… je suis là, moi… sac àjujube !… Il ferait beau voir qu’un malade osât trépasser sansmon consentement… Ne vous agitez donc pas ainsi !…

Cependant les trois personnages étaient entrés et se trouvaientdans un couloir assez étroit.

– Où faut-il déposer mademoiselle ? demanda lepoète.

– Par ici, s’il vous plaît, répondit le médecin qui sedirigeait vers une porte.

Mais la blessée s’écria vivement :

– Non ! non ! pas ici, docteur… là-haut !…là-haut !… dans la chambre de madame !…

– Mais puisque je vous dis que je suis là, reprit ledocteur, qu’il n’y a rien à craindre…

– N’importe ! je veux être là… je veux voir… je vousen supplie, monsieur, montez-moi là-haut… dans la chambre demadame !…

– Ah ! la petite entêtée, murmura le docteur enrefermant la porte qu’il avait déjà ouverte. Allons, monsieur,reprit-il en s’adressant à Crébillon, je suis confus d’abuserainsi… un tout petit étage… Ah ! les femmes ! lesfemmes !

– Oh ! fit le poète dont le cœur battait violemment,car il sentait qu’il touchait au but. Oh ! disposez de moi… jemonterai où vous voudrez.

Arrivé au premier, le vieux médecin qui marchait le premier,ouvrit une porte et s’effaça pour laisser entrer Crébillon et sonfardeau.

Le poète se trouvait dans une chambre à coucher faiblementéclairée par une veilleuse, car les volets étaient poussés et lesrideaux tirés pour éviter que le jour n’incommodât la malade quireposait là.

Le docteur approcha un fauteuil dans lequel Crébillon déposa lajeune carriériste qui répétait toujours stoïquement :

– Madame !… voyez madame !…

Mais le docteur, très calme, sans se presser, prit une chaise,la plaça devant la jeune fille, et malgré ses protestations neconsentit à s’occuper qu’après avoir déposé les jambes de la petiteentêtée, comme il répétait sans cesse, allongées sur la chaise.

Alors seulement il s’approcha d’un grand lit et tira lesrideaux.

Les yeux de Crébillon se portèrent de ce côté-là.

Dans le lit reposait une dame d’une cinquantaine d’années, pâle,défaite, les joues creuses, rigide. On eût juré un cadavre si unspasme léger qui soulevait de temps en temps la poitrine n’eûtdémontré que toute vie ne s’était pas encore retirée de ce corpsamaigri.

Les yeux étaient fermés et des lèvres pincées s’échappait unmince filet de salive sanguinolente. La malade ne gémissait pas etparaissait être évanouie. Le vieux docteur souleva leslèvres : les dents, dessous, étaient nerveusement serrées.

Toujours très calme, méthodiquement, sans se presser, le docteurprit un instrument dans une trousse qu’il sortit de sa poche enmême temps qu’un minuscule flacon, versa quelques gouttes dans unecuillère et, s’adressant au poète :

– Monsieur, dit-il, si j’osais…

– Dites, monsieur, je suis à vos ordres, réponditCrébillon, voyant qu’il hésitait.

– Voici, reprit le docteur, pendant que je vais desserrerles dents de la malade, auriez-vous l’extrême obligeance de verserles quelques gouttes que voici dans sa bouche.

– Mais très volontiers, répondit le poète qui s’approcha,prit la cuillère que lui tendait le docteur et se tint prêt à fairece qu’on lui demandait, tout en songeant : Corbleu ! j’aifait fausse route !… c’était bien la peine de me donner tantde mal pour arriver à un résultat aussi piteux… Allons, décidément,il me faut rechercher et retrouver à tout prix ce chevalierd’Assas… puis que lui seul pourra me faire retrouver Jeanne.

Cependant la malade avait ingurgité les quelques gouttes que lepoète avait introduites dans sa bouche. Elle eut un soubresautviolent, ouvrit et referma les yeux à plusieurs reprises, puis sestraits crispés se détendirent, les spasmes disparurent, larespiration s’égalisa et elle parut s’endormir doucement.

– Là ! fit le docteur en se redressant, tout irabien.

– Docteur, madame est sauvée, n’est-ce pas ?interrogea anxieusement la soubrette.

– Ma foi, mon enfant, je ne réponds de rien ;toutefois nous avons de grandes chances de nous en tirer.Maintenant, à nous deux, petite entêtée.

– Oh ! docteur, il ne faudrait pas abuser de lacomplaisance de monsieur.

Et la gentille soubrette désignait Crébillon.

Celui-ci, fort déçu, furieux d’avoir trouvé une étrangère là oùil s’attendait à voir Mme d’Étioles, ne demandaitpas mieux que de partir, aussi saisit-il la balle au bond pour seretirer.

Le docteur cependant avait sonné et donnait l’ordre à un valetaccouru de reconduire le poète déconfit, s’excusant de ne pasl’accompagner lui-même, la petite entêtée ayant besoin de soinsimmédiats.

Crébillon se retira donc, reconduit par le valet, non sans avoirreçu les remerciements du docteur et de la petite soubrette quiavait insisté pour que ce galant inconnu laissât son nom et sonadresse, affirmant que son maître à son tour tiendrait à lui porterses remerciements lui-même, car il avait, par son heureuseintervention, peut-être sauvé la vie de la malade qui était uneparente très affectionnée.

Le poète rentra donc à son hôtellerie, où l’attendait Noé fidèleau poste, de fort méchante humeur, furieux d’avoir perdu un tempsprécieux à courir une piste illusoire, et se disant qu’il fallaitmaintenant retrouver à tout prix le chevalier d’Assas.

 

Deux jours après il recevait la visite d’un homme d’un certainâge, très simplement mis, de manières affables et très douces, qui,parlant avec un fort accent tudesque, se disait le maître de lamaison des Réservoirs, lui annonçait que sa parente était hors dedanger grâce à son aide généreuse, lui adressait de vifsremerciements, lui faisait force politesses, le priant de faireétat de lui et de lui faire l’honneur de le venir visiter ainsi quesa parente, et se retirait enfin en lui laissant un nom barbare quele poète ne pouvait arriver à prononcer.

Et tout en rendant politesse pour politesse, Crébillon sedisait :

– Que la peste m’étrangle si je remets jamais les piedschez toi, Teuton de malheur !

Le poète était rancunier ; il ne pardonnait pas à cetinconnu d’avoir perdu trois jours à surveiller inutilement samaison, alors qu’il avait de si sérieuse besogne à accomplir.

Il était furieux aussi contre Noé qui avait sottement mêlé lerêve à la réalité, et furieux surtout contre lui-même qui avaitaccepté bénévolement, pour de bonnes réalités, les billevesées d’univrogne. Et il se disait pour s’excuser lui-même :

– Mais aussi, comment n’être pas frappé par descoïncidences aussi extraordinaires !

Pourtant, si le pauvre Crébillon avait connu toute la vérité, ileût été bien plus furieux encore… mais pour d’autres causes.

Cette vérité, nous la connaissons, nous, et nous allons ladévoiler au lecteur, s’il veut bien.

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