Le Rival du Roi

Chapitre 26LE TRAQUENARD

D’Assas, avons-nous dit, avait suivi Jean.

Celui-ci, d’après les instructions de Saint-Germain, son maître,à qui il était dévoué jusqu’à la mort, veillait fidèlement et avaitpréparé les voies en cas d’alerte.

Il conduisit d’Assas droit au grenier et par une petite lucarnele fit passer sur le toit d’un corps de bâtiment contigu et de làdans le grenier de ce corps de bâtiment.

De ce grenier ils purent voir les soldats qui s’éloignaientbredouilles, et quelques instants plus tard du Barry lui-même quiemmenait la comtesse.

Aussitôt d’Assas avait dépêché Jean vers Crébillon pour lerassurer, tandis que lui-même s’élançait sur les traces ducomte.

C’est ainsi qu’après avoir mis Lubin, qui était venu lui ouvrir,hors d’état de nuire, il put pénétrer dans l’antichambre déserte,surprendre une bonne partie de la scène qui se déroulait entreJuliette, M. Jacques et du Barry, et enfin intervenir aumoment opportun.

En reconnaissant celui qui lui parlait avec cette tranquilleassurance, M. Jacques avait lâché le poignet de la comtesse ets’était vivement reculé de deux pas, ce qui le rapprochait de laporte masquée par une portière.

Du Barry, d’un geste de fauve, avait instantanément mis l’épée àla main.

La comtesse avait joint les mains avec terreur, car elle pensaitque le chevalier ne sortirait pas vivant de ce repaire où il avaiteu la témérité de s’engager.

Tous les trois, avec des intonations différentes, lancèrent lamême exclamation :

– D’Assas !

– Moi-même, messieurs, dit d’Assas en souriantironiquement ; vous parliez de moi, je crois… Vous disiez deschoses fort intéressantes… Continuez, je vous prie… Quoi ! maprésence vous trouble à ce point ?…

M. Jacques fit encore quelques pas qui le rapprochèrent dela portière.

Du Barry tourmentait son épée, mais comme d’Assas avait unpistolet dans chaque main, il n’osait intervenir.

Seule, la comtesse n’avait pas bougé et murmurait :

– Le malheureux !… il est perdu !…

– Rassurez-vous, madame, dit d’Assas qui avaitentendu ; ces messieurs ne me tiennent pas encore !

Puis à M. Jacques qui se rapprochait toujours de laportière et qu’il surveillait du coin de l’œil :

– Monsieur, je vous prie, ne bougez pas… nous avons à nousexpliquer ensemble… et il me paraît que vous semblez vouloir fuircette explication… ne bougez pas… si vous faites un pas de plusvers cette portière, je vous abats proprement… avant que vous ayezpu fermer cette main qui doit m’écraser… Quant à vous, comte, netourmentez pas ainsi votre épée… je vous avertis charitablementqu’au moindre mouvement suspect de votre part je tire… et je passepour un assez bon tireur…

Cependant M. Jacques s’était remis.

À l’avertissement de d’Assas, il répondit avec un calmeapparent :

– Vous vous trompez, jeune homme, je ne cherche pas à fuir…Cette pièce, derrière cette portière, n’a pas d’autre issue quecelle-ci… il me serait donc impossible de fuir par là… vous pouvezvous en assurer vous-même…

– Oui-da !… voyez-vous cela… Madame, vous à qui jedois tant déjà, oserai-je vous prier de tirer cette portière etvous assurer si ce que monsieur dit est vrai ?… pas un geste,pas un mouvement, messieurs ou je tire…

Juliette s’était levée, avait tiré la portière comme on le luidemandait, était entrée dans la pièce et en ressortait presqueimmédiatement en disant :

– C’est vrai… pas d’autre porte que celle-ci…

– Parfait !… je vous rends mille grâces, madame… Etavant de m’occuper de ces messieurs, laissez-moi vous demanderpardon, encore une fois, de vous avoir soupçonnée… mais mettez-vousà ma place… j’ai tout entendu, madame… pour le moment je ne puisvous dire qu’une chose :

Comptez désormais sur le chevalier d’Assas comme sur unfrère !

– Ah ! merci !… dit Juliette dans un élan degratitude infinie.

– Mettez-vous derrière moi et ne craigniez rien… je répondsde vous.

Juliette obéit docilement comme si celui qui parlait eût été leseul maître ayant le droit d’élever la voix et de commander.

Du Barry cependant, qui s’était contenu à grand’peine jusque-là,disait d’une voix que la colère faisait trembler :

– Voilà bien des manières… et le brave chevalier d’Assasn’est brave qu’à la condition d’avoir un pistolet au poing… uneépée lui fait peur…

– Vous savez bien que non, monsieur le comte… contre uneépée comme la vôtre un bâton me suffit… vous ne devez pas l’avoiroublié, j’imagine…

– Lâche ! gronda le comte écumant, jette donc tonpistolet et mesure toi contre cette épée…

– La leçon que je vous ai donnée l’autre jour ne voussuffit donc pas ?…

– Lâche !… lâche !… hoquetait du Barry fou derage.

– Eh bien ! soit, je suis bon prince… puisque vousvoulez vous battre, je suis votre homme… seulement je vous avertisque cette nouvelle leçon que je vais vous donner vous coûteracher.

Puis, se tournant vers M. Jacques impassible spectateur, ildit :

– Monsieur, veuillez nous faire place… ce sera vite fait…nous nous expliquerons ensuite…

Vivement M. Jacques s’éloigna de la fameuse portière etdans le mouvement qu’il fit, s’approcha de du Barry à qui il ditrapidement quelques paroles à voix basse. Du Barry tressaillit.

D’Assas n’avait rien vu, mais Juliette avait sinon entendu, dumoins vu. Elle dit :

– Méfiez-vous, d’Assas, ils vont vous jouer quelque méchanttour.

Le comte lança à la jeune femme un coup d’œil haineux.

D’Assas regarda M. Jacques avec défiance et dit d’un toncinglant :

– Est-ce que ce brave aurait l’intention de m’attaquer parderrière pendant que je serais occupé avec monsieur ?

Devant cette supposition plus insultante qu’un soufflet,M. Jacques devint livide.

Néanmoins il ne bougea pas et resta debout près de la cheminée,où il s’était placé.

– Je ne sais, dit Juliette, mais tenez-vous sur vosgardes…

– Bien… Prenez ces pistolets, madame, braquez-les sur cerespectable M. Jacques… parfait… Au moindre mouvement suspectqu’il fera pendant que j’expédierai M. le comte, tuez-le commeun chien… Je vous demande pardon, messieurs, mais vous parlieztranquillement de me faire assassiner tout à l’heure… avec desassassins on ne saurait prendre trop de précautions.

M. Jacques, livide et toujours muet, s’était appuyédédaigneusement contre la muraille, une main derrière son dos,l’autre fourrageant son jabot, et dans cette pose, il regardaitfixement Juliette qui, ses deux pistolets aux poings, ne le perdaitpas de vue comme on le lui avait recommandé et semblait bienrésolue à l’abattre sans pitié au moindre mouvement de sa part.

– Quand vous voudrez ! rugit du Barry qui toutaussitôt tomba en garde.

– À vos ordres, monsieur, dit d’Assas qui tira son épée etcroisa le fer.

Soit hasard, soit intentionnellement, du Barry était placé àdeux pas de la fameuse portière à laquelle il tournait le dos,tandis que d’Assas était au milieu de la pièce.

Il en fit la remarque et, tout en ferraillant, dit à sonadversaire :

– Vous êtes bien mal placé, monsieur… Vous ne pourrez pasrompre.

– Bon, grogna du Barry, défendez-vous et ne vous occupezpas de moi… je ne vous ménagerai pas.

– Ce que j’en dis, c’est pour l’acquit de ma conscience…Comme je vais vous tuer, je ne voudrais pas vous laisser croire quej’ai profité sciemment d’un avantage.

– Que de scrupules !… répondit du Barry.

Tout en parlant, les deux adversaires se portaient des coupsrapides.

Pour mieux dire, d’Assas seul portait coup sur coup ; duBarry n’attaquait pas et se contentait de parer.

Au premier coup à fond que lui porta d’Assas, du Barry fit unbond en arrière et se trouva placé au milieu du chambranle de laporte qui était derrière lui, et se trouvait ainsi fort mal àl’aise.

– Bon, dit d’Assas en se fendant, vous reculez déjà. Vousêtes encore plus mal placé que tout à l’heure.

De même qu’il avait évité les coups précédents en reculant parbonds, du Barry évita ce nouveau coup par un bond en arrière, ensorte qu’il se trouva dans la seconde pièce tandis que d’Assas, àson tour, tenait le milieu du chambranle.

– Ah ! dit du Barry toujours uniquement préoccupé deparer sans jamais attaquer, c’est vous qui maintenant avez lamauvaise place…

– Pas pour longtemps, répondit d’Assas qui se fendait àfond…

Pour la troisième ou quatrième fois, du Barry fit un bond enarrière pendant que d’Assas avançait d’autant en disant :

– Vous reculez toujours… prenez garde, vous allezrencontrer la muraille et je serai forcé de vous y clouer comme unscorpion…

En effet, ils étaient entrés tous deux tout à fait dans cetteseconde pièce où d’Assas occupait le milieu, tandis que du Barryétait presque acculé à la muraille.

– Allons, dit d’Assas, vous ne pouvez plus reculer… vousêtes un homme mort.

Ce disant il se fendit encore une fois et porta un coup quidevait transpercer son adversaire.

Mais alors un bruit sec, pareil au déclic d’un ressort, se fitentendre et la muraille derrière du Barry s’entr’ouvrit.

Celui-ci avait sans doute entendu le bruit avertisseur, car aucoup porté par d’Assas il bondit une dernière fois en arrière et setrouva de l’autre côté de cette fantastique muraille qui venait des’entr’ouvrir miraculeusement.

D’Assas, qui croyait avoir cloué son ennemi au mur, vit avecstupeur un trou noir devant lui…

Il se précipita tête baissée et son épée se brisa comme du verresur une cloison de métal.

La muraille venait de se refermer instantanément sur du Barry, àl’abri derrière.

Désarmé, commençant à craindre quelque effroyable piège, il fitdemi-tour et se rua vers la porte par où il venait d’entrer…

Mais il s’arrêta, les cheveux hérissés, se demandant s’il nedevenait pas fou !

Il n’y avait plus de porte…

Au même instant il entendit une double détonation suivie d’uncri de douleur, suivi lui-même d’un double éclat derire !…

Il était dans une obscurité complète.

Il avait vaguement aperçu, en ferraillant, des rideaux defenêtre ; il chercha en tâtonnant et trouva.

Les rideaux s’écartèrent aisément sous sa main, mais…

Il n’y avait pas de fenêtre non plus.

Il cria.

L’écho lui renvoya le son de sa voix avec des vibrationsmétalliques comme s’il avait été enfermé dans une énorme cuve defer.

 

Le pavillon de M. Jacques était truqué comme un décor dethéâtre.

Lorsqu’il avait vu que d’Assas acceptait le duel que luiproposait le comte, il avait, en quelques mots brefs, donné sesinstructions à celui-ci, qui avait manœuvré de façon à attirer lechevalier dans la pièce à côté.

Pendant ce temps, M. Jacques suivait les phases de la luttedans un miroir habilement disposé à cet effet, et quand il avaitjugé le moment opportun, de sa main placée derrière son dos, ilavait pressé le bouton secret qui actionnait les portes secrètes dece réduit.

Lorsqu’il vit que la porte secrète se refermait, il portavivement à ses lèvres un petit sifflet d’argent qui rendit un sonstrident et prolongé.

En même temps, il se jetait à plat ventre sur le tapis.

Au même instant Juliette lâchait presque en même temps les deuxcoups de ses pistolets.

Les balles allèrent se perdre dans la boiserie, à l’endroit mêmeoù se dressait M. Jacques qui ne devait son salut qu’à sonhabile manœuvre.

Ayant tiré ses deux balles, Juliette se trouva désarmée.

Alors d’un bond M. Jacques se redressa et fut sur la ported’entrée dont il tira les verrous que d’Assas avait poussés enentrant.

Aussitôt plusieurs hommes armés, accourant à l’appel du sifflet,firent irruption dans la pièce et entourèrent Juliette qui restaitpétrifiée, ses pistolets fumants dans chaque main.

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