Le Rival du Roi

Chapitre 16AUTOUR DU PRISONNIER DU CHÂTEAU

Après le départ de M. Jacques, la comtesse du Barry étaitrestée plongée dans une angoisse profonde.

Elle avait appris à connaître le maître redoutable qu’elles’était donné par ambition, et maintenant qu’elle n’avait plus qu’àétreindre solidement le but qu’elle touchait déjà, cette tutelleocculte, mais formidable, qui ne la laissait même pas maîtresse deses pensées, lui pesait lourdement, l’obsédait comme un cauchemaraffreux et la plongeait parfois dans des crises de rageimpuissante.

Le calme apparent de cet homme passé maître dans l’art de ladissimulation n’était pas fait pour la rassurer et elle n’en avaitpas été dupe complètement.

Elle était trop intelligente pour ne pas s’être rendu un compteexact des dangers que sa passion pour le chevalier pouvait luifaire courir. Et si l’amour qui la possédait était assez violentpour lui faire oublier toute autre considération, elle comprenaitparfaitement, en revanche, qu’il n’en était pas de même pour ceuxqui la faisaient agir et qui, n’ayant pas à attendre de cet amourles mêmes satisfactions qu’elle, ne devaient voir que le périlimminent auquel il les exposait et devaient nécessairement lutterde toutes leurs forces pour le contrarier en supprimant au besoincelui qui en était l’objet.

Le calme parfait de M. Jacques l’effraya donc beaucoup plusque ne l’eussent pu faire colères et menaces. Elle sentaitconfusément qu’il n’avait pas cru un mot de l’explication qu’ellelui avait fournie en affirmant qu’elle ne faisait le portrait ded’Assas que pour l’attribuer à Mme d’Étioles, dansl’intention de la perdre irrémédiablement dans l’esprit du roi. Etelle eut l’intuition vague qu’il allait se tramer contre elle etd’Assas quelque ténébreuse machination où, si, par intérêt, elleétait ménagée, il serait, lui, l’innocent, infailliblementbroyé.

Cette pensée la révolta et elle résolut d’agir sans perdre uneminute.

Personnellement, elle ne craignait pas grand’chose. Elle sesentait trop indispensable à la réalisation des projets de sonténébreux protecteur pour se croire menacée ; d’ailleurs leroi, pensait-elle, saurait bien la protéger, le cas échéant.

Toutes ses appréhensions étaient pour d’Assas qui, seul etprisonnier, allait être exposé à des coups redoutables qu’il seraitimpuissant à parer.

C’était une femme énergique et résolue que Juliette Bécu, on apu s’en rendre compte ; elle résolut de lutter opiniâtrementet de tenter l’impossible pour arracher celui qu’elle aimait auxcoups qui le menaçaient.

En ce moment, M. Jacques ne lui inspirait plus ni respectni terreur. Elle se sentait prise d’une haine violente, implacablecontre cet homme qui, non content de la tenir en son pouvoir, sedressait comme une menace vivante entre elle et le seul êtrequ’elle eût aimé au monde.

En attendant, l’arrivée soudaine de M. Jacques bouleversaittoutes ses résolutions.

Il ne s’agissait plus de tergiverser. Elle connaissait trop sonadversaire pour savoir qu’il ne perdrait pas de temps, lui. Il luifallait donc agir aussi promptement, mais comment ?… dans quelsens ?…

S’adresser directement au roi, lui arracher la grâce duchevalier ?… c’était un moyen qu’elle ne pourrait employer queplus tard, quand le courroux du roi serait apaisé et quand sonpouvoir à elle serait solidement assis. Mais, pour le moment,c’était bien chanceux !… et il n’y avait pas de temps àperdre.

La seule solution possible était de faire fuir le chevalier.

Certes, ce n’était pas là chose aisée, mais avec de l’argent, –ses bijoux représentaient une fortune –, de l’intelligence et de laruse ; avec, par là-dessus, le charme tout-puissant d’unebeauté comme la sienne, il lui semblait que ce n’était pasimpossible.

Indépendamment de ces ressources dont elle appréciait la valeur,elle possédait une arme puissante qu’elle ne faisait pas entrer enligne de compte, parce qu’elle était latente en elle, sans qu’elles’en rendît compte : c’était l’absence complète, maisinconsciente, de tout préjugé et de sens moral. Car il ne faut pasoublier que Juliette Bécu, lorsque M. Jacques était venu laprendre par la main, exerçait la profession de fille galante, et cepassé ignominieux n’était pas encore assez loin pour qu’elle eût pus’abstraire de certaines tares inhérentes à sa profession, s’éleverjusqu’à la compréhension de choses vaguement entrevues, et encoremoins à l’assimilation de délicatesses insoupçonnées.

Le danger couru par d’Assas lui paraissait certain et imminent.Décidée à l’arracher aux griffes des ennemis qu’elle avaitelle-même déchaînés sur lui, elle passa le reste de la journée etune partie de la nuit à dresser son plan.

Le lendemain matin elle appela sa camériste, Nicole, dont elleavait résolu d’acheter le concours, n’ayant qu’une confiance trèslimitée dans le dévouement de cette fille dont elle avait dûacheter la complicité lorsqu’elle s’était introduite dans lamaison.

Afin de sauver les apparences, elle raconta une histoire danslaquelle le chevalier, qu’elle ne nommait pas, du reste, devenaitson propre cousin, était aimé d’une de ses amies qui se désolait dene pouvoir correspondre avec lui, et dans laquelle elle devenaitelle-même la fée bienfaisante qui s’était chargée de permettre auxdeux amoureux de correspondre entre eux. Mais pour arriver à cerésultat, il lui fallait le concours intelligent et, sinon dévoué,du moins intéressé d’une personne qui pût aller partout sanséveiller des soupçons.

Lorsque la soubrette lui eut affirmé qu’elle pouvait compter surelle, lorsqu’elle crut avoir suffisamment excité la cupidité decette fille pour être certaine de ne pas être trahie, elle sedécida à parler plus ouvertement, avec prudence, et en ne disantque ce qu’il était indispensable de dire pour la réalisation de sonplan :

– Voici, ma fille : il s’agit de M. le chevalierd’Assas, actuellement détenu au château. Il faudrait t’informerdiscrètement, et savoir où sont exactement les prisons, commentelles sont gardées, par qui, et s’il ne serait pas possible defaire passer quelques billets à ce pauvre garçon qui doit biens’ennuyer. Tu vois que ce n’est ni très difficile ni trèscompromettant… L’essentiel est que nul ne devine pour le compte dequi tu prends ces informations… Quand tu auras ces renseignements,j’aviserai.

– Madame, je sors à l’instant, et à mon retour j’aurai tousles détails que madame désire.

– Comment t’y prendras-tu ?

– Que madame ne s’inquiète pas !… Il y a desmilitaires au château… on n’est point trop laide ni trop sotte… lesamoureux ne manquent pas et… il faut bien qu’ils se rendent utiless’ils veulent gagner quelques douceurs.

– Bien, ma fille !… Je ne te demande pas tes petitssecrets, fit Juliette en souriant des mines conquérantes de sacamériste. Va donc, et n’oublie pas que, si tu me sers avec…discrétion, tu sers récompensée royalement.

– Madame sera contente de moi. Je puis le lui affirmer.

Quelques minutes plus tard, Nicole sortait, enveloppée d’unemante foncée, et, d’un pas rapide et léger, se dirigeait vers lechâteau en se retournant de temps en temps pour s’assurer qu’ellen’était pas suivie, car c’était une fille très prudente et quisuivait à la lettre les recommandations de sa maîtresse.

Mais, arrivée au château, au lieu d’y pénétrer, elle en fit toutsimplement le tour et, par des voies détournées, vint aboutir dansla ruelle aux Réservoirs.

Là, elle jeta un dernier coup d’œil derrière elle, et sanshésiter, elle entra dans cette fameuse droguerie dont le pavotd’argent avait si fort impressionné notre ami Noé, l’incorrigibleivrogne.

Au droguiste qui s’empressait, elle dit :

– Je désire un baume pour un mal de dents que j’ai. Le plusvite possible, car je souffre beaucoup.

– Quel baume désirez-vous, ma belle enfant ? nous enavons de toutes sortes.

– Celui de M. Jacques… On m’a dit qu’il étaitsouverain.

– En effet, c’est le meilleur. Entrez là un instant, jevais vous le préparer de suite.

Le droguiste en parlant ouvrait une porte et faisait entrerNicole dans une sorte de réduit encombré d’herbes et demédicaments.

La camériste s’assit et attendit.

Au bout de cinq minutes, une porte qui se trouvait à l’opposé decelle par où elle était entrée s’ouvrit et M. Jacques lui-mêmeparut.

Nicole lui raconta mot pour mot tout ce que sa maîtresse venaitde lui dire, ainsi que la mission dont elle s’était chargée.

Quand elle eut fini, M. Jacques lui donna des instructionstrès précises et la congédia.

Comme elle allait sortir, après une imperceptible hésitation quin’échappa pas à l’œil pénétrant de cet homme qui semblait douéd’une sorte de divination, il l’arrêta et demanda :

– À propos, combien ta maîtresse a-t-elle promis de tedonner quand tu lui apporteras les renseignements qu’elledésire ?

– Cinq mille livres, monsieur, répondit impudemment lasoubrette.

– C’est peu ! fit dédaigneusement M. Jacques.Voici des valeurs qui représentent le double de cette somme…Va ! et n’oublie pas mes recommandations.

Nicole empocha les papiers qu’on lui tendait du bout des doigts,fit une révérence qui ressemblait à une génuflexion et sortit en sedisant :

– Ma fortune est faite, si ce jeu dure quelque temps dansles mêmes conditions.

Et faisant des rêves dorés dans lesquels elle se voyait vivantgrassement, à l’abri du besoin, libre de toute contrainte et detoute attache grâce à cet argent honnêtement acquis, elle reprit lechemin de la petite maison des Quinconces où nous lalaisserons.

 

M. de Verville, commandant le poste des prisons aumoment où d’Assas y était entré, était un homme de trente-cinq ansenviron ; il était de petite noblesse et n’avait, pour toutefortune, que sa solde d’officier. D’ailleurs, soldat dans l’âme etrien que soldat, il n’avait rien du courtisan et était de ce fait –il le savait bien – destiné à végéter dans les grades inférieurs,ce dont il avait philosophiquement pris son parti depuislongtemps.

Ce loyal soldat s’était pris d’une franche et solide amitié pource jeune camarade confié à sa garde.

D’Assas ne lui avait pas dit pourquoi il était prisonnier et,par discrétion, ne voulant pas forcer une confidence qu’on ne luifaisait pas spontanément, il n’avait rien demandé. Mais pendant lesquinze jours qu’il avait passés en tête à tête avec le chevalier,il avait pu apprécier l’énergie rare de ce compagnon qui, à lafougueuse impétuosité de ses vingt ans, savait allier une prudenceet une réserve fort au-dessus de son âge, et il s’était dit que,pour qu’un tel homme jugeât sa situation présente comme il lefaisait, il fallait en effet que celle-ci fût des plus graves.

D’autre part la loyauté évidente, la chevaleresque franchise deson prisonnier parlaient trop haut en sa faveur pour qu’il ne fûtpas convaincu qu’il n’avait rien fait pour mériter son infortuneactuelle et qu’il était victime des circonstances, si ce n’était dela méchanceté des hommes.

Quoi qu’il en fût, de Verville se sentait vivement attiré versd’Assas et il eût donné beaucoup pour le tirer du mauvais pas où ilétait, ou, tout au moins, pour lui venir en aide.

Dans ces dispositions, il avait été vivement frappé del’importance que d’Assas paraissait attacher à ce que le comte deSaint-Germain connût son arrestation et le lieu où il étaitincarcéré.

De là à conclure que ce comte de Saint-Germain pouvait apporterà son jeune ami une aide puissante, sans doute, il n’y avait qu’unpas qui fut vite franchi.

Si bien qu’après avoir donné sa parole, de Verville en vintrapidement à se dire qu’exécuter la commission dont il s’étaitchargé serait bon, mais que l’exécuter le plus promptement possibleserait meilleur.

De sorte qu’après avoir remis la garde à son successeur, cebaron de Marçay qui lui déplaisait tant, après s’être assuré qu’iln’avait aucun service commandé pour ce jour-là, il se rendit toutdroit aux écuries, se fit seller un cheval et partit aussitôt pourParis où il arriva à l’heure du dîner, c’est-à-dire vers deuxheures de l’après-midi.

De Verville se rendit dans une auberge où il se fit servir àdîner, se disant qu’il serait incongru de se présenter chez cecomte à l’heure où il allait se mettre à table, lui aussi, tandisqu’en y allant sur le coup de trois heures et demie, il avait deschances de le trouver avant son départ pour la promenade ou lespectacle.

Son modeste repas achevé il se dirigea pédestrement vers l’hôteldu comte de Saint-Germain, situé place Louis-XV, et sans doute lecomte avait-il donné des ordres en conséquence, car il futintroduit séance tenante auprès de celui-ci, dès qu’il eut ditqu’il venait de la part du chevalier d’Assas.

Après les civilités et congratulations alors obligatoires entregens de qualité, de Verville s’acquitta avec force détails de lacommission dont il s’était chargé, ajoutant :

– Le chevalier m’a paru attacher une importance si grande àce que vous fussiez averti que, sitôt mon service terminé, je suisaccouru vers vous.

Le comte avait écouté attentivement sans manifester ni surpriseni émotion. On eût dit qu’il s’attendait à ce que l’officier venaitde lui dire.

Il répondit donc tranquillement, mais en accentuant lacordialité du sourire et du regard en faveur de cet inconnu qui luiplaisait probablement :

– En attendant que ce pauvre chevalier puisse vousremercier lui-même de l’empressement que vous avez mis à l’obliger,je vous prie d’agréer mes remerciements personnels et de me fairel’honneur de me compter au nombre de vos amis.

– Comte, répondit Verville en s’inclinant, tout l’honneurest pour moi.

– Et comme j’ai l’habitude de ne pas me gêner avec mesamis, continua Saint-Germain, je vous demanderai la permission dem’absenter quelques instants.

– Comment donc, comte ? fit Verville en se levantvivement.

– Non pas, restez, je vous prie… Je vous dirai à mon retource que je compte faire… En attendant, cette maison est la vôtre.Vous voilà mon prisonnier ! ajouta Saint-Germain en riant, paspour longtemps d’ailleurs…

Avant de sortir le comte sonna et commanda à son valetd’apporter des rafraîchissements et du café – fort à la mode en cemoment – et ne se retira que lorsqu’il se fut assuré que son hôtene manquerait de rien pendant son absence.

C’était à peu près vers ce moment que M. Jacques se rendaitaux prisons, où il devait avoir avec le baron de Marçay l’entretienque nous avons relaté.

Au bout d’une heure, le comte vint retrouver de Verville quil’attendait patiemment.

Il était toujours aussi calme et souriant, seulement ilparaissait très fatigué.

– Mon cher monsieur de Verville, dit Saint-Germain, je vousemmène au spectacle, nous souperons ensemble, vous coucherez ici etdemain matin, à la première heure, nous partirons ensemble pourVersailles. Vous voudrez bien me conduire, j’espère jusqu’auxprisons, où je prierai le farouche de Marçay de me laissercommuniquer avec notre ami.

– Oh ! oh ! fit de Verville en hochant la tête,je doute fort que ce maître cafard vous accorde cette faveur.

– Allons toujours ! dit Saint-Germain en souriant avecassurance. Dites-moi seulement où vous avez laissé votrecheval ; un de mes laquais ira le chercher, à seule fin quevous le retrouviez demain matin.

Et bras dessus, bras dessous, comme deux amis, ilssortirent.

Le lendemain matin, vers dix heures, Saint-Germain frappait à laporte de garde et demandait à voir le prisonnier au baron de Marçayqui, après avoir fait quelques objections pour la forme, leconduisait dans la chambre de d’Assas qui tomba dans ses bras ensanglotant comme un enfant.

Discrètement le baron avait voulu se retirer, mais Saint-Germains’y était opposé vivement, disant :

– Songez donc, baron, si le chevalier réussissait às’évader, vous pourriez croire que c’est moi qui, profitant devotre absence et de votre gracieuse autorisation, en ai abusé pourlui en faciliter les moyens. Je tiens trop à votre estime pourm’ex-poser à un tel soupçon.

Sans se faire prier, de Marçay était donc resté, tandis que lepauvre d’Assas lançait à Saint-Germain un coup d’œil chargé dereproches que celui-ci n’eut pas l’air de remarquer.

Le comte cependant, avec une aisance parfaite, s’était assis et,coupant court aux expansions qu’il devinait sur les lèvres du jeunehomme, sortait une feuille de papier qu’il tendait au chevalier endisant :

– Chevalier, je vous rapporte le plan de votre invention,que vous m’aviez communiqué. Elle est admirable, votre invention,d’une simplicité enfantine ; elle ne nécessite pas de frais,quelques accessoires seulement, et elle présente cet avantageconsidérable de pouvoir être utilisée par tout le monde sans dangeraucun, à la seule condition d’être doué d’un peu de sang-froid etde volonté. Mes compliments sincères, chevalier, c’est trouvé.

Tout en parlant, Saint-Germain appuyait sur le pied de d’Assaspour lui faire comprendre qu’il devait se taire et approuver.

– Baron, reprit-il en riant, je ne vous montre pas cettefeuille de papier, c’est le secret du chevalier, mais vous pouvezvous assurer qu’elle ne contient ni échelle de corde, ni lime, nipoignard, ni aucun engin susceptible d’aider à l’évasion d’unprisonnier… Et, cependant, n’en doutez pas, mon cher baron, cettesimple feuille de papier, c’est la liberté de notre prisonnierqu’elle contient… Mon Dieu oui !… car le roi ne pourra fairemoins qu’accorder sa liberté à l’inventeur… Mais, mon Dieu,qu’avez-vous donc, baron ?…

– Je… je ne sais… un malaise…

– Ah ! mon Dieu !… vite, chevalier… un peud’eau…

Ce disant, Saint-Germain ne quittait pas des yeux le baron deMarçay qui se renversait, défaillant, dans son fauteuil, et commele chevalier effaré lui tendait un verre d’eau :

– Inutile, fit-il simplement, il dort… Maintenant, vite,mon cher enfant, vous avez entendu, vous avez compris ce que j’aidit au sujet de la feuille de papier que je vous ai remise… laliberté est là… À l’œuvre, d’Assas, marchez sans crainte… jeréponds du succès… Surtout, mon cher enfant, défiez-vous de cethomme qui est là… gardez-vous de lui comme du pire de vos ennemis…vous m’entendez ?… Ah ! j’oubliais !… à daterd’aujourd’hui, il y aura constamment deux chevaux frais qui vousattendront derrière le château, et quand vous serez libre,rappelez-vous que vous ne trouverez nulle part une retraite aussisûre que chez moi… Ne perdez pas de temps, agissez promptement, etsurtout pas de défaillance, pas de vertige… vous m’avezcompris ?… Dans quelques jours il serait trop tard !…

Et pour couper court à des remerciements et à des explications,le comte passa sa main sur le front du baron de Marçay quiparaissait évanoui, et aussitôt celui-ci ouvrit les yeux endisant :

– Merci ! comte, cette eau fraîche m’a fait du bien.C’est bizarre, ce singulier malaise !

– Allons ! allons ! fit Saint-Germain, ce ne serarien que cela…

– Oh ! je suis complètement remis… mais vraiment jesuis confus !…

– Allons ! je vous laisse… À propos, baron, lechevalier aura sans doute besoin pour des expériences de quelquesmenus objets… oh ! un rien !… quelques bouts de bois… uneou deux cordes… soyez tranquille, très courtes… trop courtes pourtenter la descente d’ici à terre… Aurez-vous l’obligeance…

– Mais comment donc !… J’ai eu l’honneur de me mettreà la disposition du chevalier, j’espère qu’il voudra bien s’ensouvenir.

Saint-Germain eut un coup d’œil vers d’Assas comme pourdire : « Vous voyez ?… profitez de cette bonnevolonté ! » À quoi d’Assas eut un geste résolu quisignifiait : « Soyez tranquille ! » Et touthaut :

– Mille grâces, baron ! J’userai de votre gracieusebonne volonté… sans en abuser.

– Usez et abusez, chevalier, sans quoi vous medésobligeriez.

– Vous verrez, baron, l’invention du chevalier… quellemerveilleuse invention !… Et puis, entre nous, ce sera unegrande satisfaction, pour un homme de cœur comme vous, de vous direque vous aurez contribué à rendre la liberté à ce pauvre chevalierqui est bien le meilleur et le plus inoffensif garçon de laterre…

Allons, adieu, chevalier !… Baron, je dépose à vos piedsl’expression de ma vive gratitude… ne vous dérangez pas, je vous enprie.

Et tout confit en douceurs et en politesses, le comte sortit enlaissant le baron assez intrigué de cette visite en apparence siinsignifiante et si banale, et le chevalier bouillant d’impatiencede déplier et d’étudier cette feuille de papier si fragile qui,pourtant, à ce que prétendait Saint-Germain, contenait un trésorinestimable : la liberté.

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