Le Rival du Roi

Chapitre 27UN REVENANT

D’Assas, se voyant pris, était tout d’abord resté anéanti.

Combien de temps resta-t-il ainsi, en proie au désespoir le plusviolent ?

Il n’aurait pu le dire.

Ruisselant de sueur, brisé, haletant, il s’était jeté sur uncanapé et fixait un meuble, une sorte de bibliothèque qu’ilapercevait vaguement dans l’obscurité.

Soudain il lui sembla que ce meuble s’enfonçait dans le mur,tournait, disparaissait.

Il crut d’abord à une hallucination produite par la faim qui letenaillait, mais bientôt il vit avec stupeur une faible lueur àl’endroit où se dressait ce meuble.

D’un bond il fut sur pied, replié sur lui-même, prêt à bondir,et il allait s’élancer… mais il resta cloué sur place.

Dans le rayon lumineux, une ombre venait d’apparaître et unevoix peu rassurée disait :

– Pour Dieu, chevalier, pas de bêtises… c’estmoi !…

Il venait de reconnaître Noé Poisson.

L’instant d’après, il était dans la cellule occupée parl’ivrogne et, tout en dévorant à belles dents les provisions queNoé venait de lui servir, il écoutait un long et fantaisiste récitdans lequel Noé racontait comment il se trouvait enfermé à côté ded’Assas.

L’ivrogne, dans l’état spécial où il se trouvait quandM. Jacques l’avait découvert chez l’herboriste, avait tout vuet entendu, malgré qu’il fût dans l’impossibilité de bouger.

Il avait ainsi pu surprendre le secret de plusieurs ressorts quiouvraient différentes portes secrètes.

Malheureusement il lui avait été impossible de voir comments’ouvrait la porte du souterrain dans lequel on l’avait descendupour l’amener à la chambre qu’il occupait.

Mais ce souterrain était aménagé de telle sorte qu’on entendaitparfaitement, de l’escalier, tout ce qui se disait de l’autre côtéde la muraille.

Grâce à ces dispositions, l’ivrogne avait surpris uneconversation très édifiante entre M. Jacques et du Barry.

Lorsque son appétit fut satisfait et qu’il fut au courant detous ces détails, d’Assas voulut aussi descendre dans le fameuxsouterrain et tous deux cherchèrent longtemps et vainement lebouton secret.

Or, comme ils allaient réintégrer leur chambre, las de leursrecherches infructueuses, ils virent un faible rayon de lumière quis’avançait.

Ils s’arrêtèrent, et pendant que Noé, tremblant de terreur,s’aplatissait contre la muraille, d’Assas se tenait prêt àagir.

Cependant la lumière s’avançait toujours et bientôt ils purentdistinguer une ombre qui, une lanterne à la main, se dirigeaitdroit vers eux.

L’ombre allait et venait d’un pas hésitant, et parfoiss’arrêtait comme quelqu’un qui cherche quelque chose, et, en toutcas, ne paraissait pas soupçonner la présence des deuxprisonniers.

Profitant d’un moment où l’ombre, arrêtée, promenait sa lanternesur la paroi de la muraille, d’Assas, prudemment suivi par Noé,s’était approché doucement et allait bondir sur l’inconnu,lorsqu’un mouvement de la lanterne éclaira en plein le visage dumystérieux explorateur.

– Mais c’est Monsieur Damiens ! s’écria Noé.

C’était en effet Damiens qui, de son côté, reconnut Poisson.

Noé immédiatement expliqua avec force détails sa situation,tandis que Damiens gardait un silence prudent et que d’Assassurveillait de très près cet homme dont les allures luiparaissaient bizarres.

Lorsque Noé eut terminé, Damiens, avec une tranquillitéparfaite, répondit :

– Il est fort heureux pour vous que vous m’ayez rencontré,messieurs… vous ne seriez pas sortis vivants de cette demeure…Suivez-moi ; dans quelques instants vous serez libres…

L’énigmatique personnage avait sans doute trouvé ce qu’ilcherchait, car il appuya sa main sur la muraille et aussitôtcelle-ci s’ouvrit devant eux, démasquant un petit escalier qui lesconduisit dans une pièce que d’Assas reconnut sur-le-champ :il était dans le petit pavillon mis à sa disposition parM. Jacques.

Au même moment ils entendirent, du côté de la rue, des rumeursviolentes, et des coups sonores qui ébranlaient la porteextérieure.

À ce bruit, Damiens devint livide et, comprimant son cœur à deuxmains, il dit avec un accent de haine intraduisible :

– Le roi !… il tient parole !…

Puis, se tournant vers les deux hommes stupéfaits :

– Messieurs, il va se passer ici des choses qui ne vousregardent pas… profitez du brouhaha… fuyez !

Et avant que d’Assas eût pu faire un mouvement, il s’élança etdisparut.

Plus intrigué que jamais, d’Assas, toujours suivi de Noé,s’élança à sa poursuite, mais à peine avait-il fait quelques pasdans la cour intérieure qu’il s’arrêta, médusé :

Un homme, nu-tête, les vêtements en désordre, entrait dans lacour, courait, volait plutôt vers le pavillon d’en face, précédépar Damiens qui semblait le guider, et derrière lui, la cour étaitaussitôt envahie par une multitude d’officiers et de soldats qui,l’arme au poing, gardaient toutes les issues.

Cet homme, c’était le roi.

– Oh ! rugit d’Assas, que se passe-t-il doncici ?… Je veux le savoir.

Et à son tour il bondit derrière le roi et entra dans le petitpavillon à sa suite.

Le roi venait d’entrer comme un fou dans une pièce, négligeantde pousser les portes derrière lui.

D’Assas suivit toujours et, comme il allait entrer à son tour,il s’arrêta foudroyé sur place par le tableau suivant :

Dans un grand lit, pâle, défaite, amaigrie, mais toujours jolie,avec un je ne sais quoi de mélancolique et de langoureusementrésigné dans le regard, transfigurée par une joie inouïe, étaitJeanne.

À genoux devant elle, baisant ses mains amaigries, le roi.

Jeanne laissait tomber sur Louis des regards chargés d’amour etlanguissamment murmurait :

– Louis !… oh ! Louis ! vous voilà doncenfin !…

– Oui, me voici, répondait le roi, me voici, chère âme, etje vous jure que plus rien au monde ne pourra vous enlever à monamour.

Louis était sincère, évidemment.

– Ah ! que c’est bon, que c’est doux, de se savoiraimée ! disait Jeanne… Si tu savais, Louis, ce que j’aisouffert…

– Oui, répondait Louis en la regardant avecattendrissement ; oui, je sais, on m’a tout dit… maismaintenant tout est fini… Je t’aime, Jeanne… Ah ! lesmisérables qui t’ont mise dans cet état, je veux…

– Chut ! Louis, il faut leur pardonner… je leur doiscette minute inoubliable.

– Holà ! cria le roi en se redressant, holà !… iln’y a donc personne ici… Nous allons partir… je t’emmène, tu ne mequitteras plus…

– Vous m’emmenez, Louis… où cela ?…

– Au château, pardieu !

Jeanne secoua douloureusement la tête, car le serment fait àd’Assas lui revenait à la mémoire et, d’une voix brisée, ellesanglota :

– C’est impossible !

– Impossible ? se récria Louis, ne pouvant deviner àquel mobile elle obéissait. Impossible ?… ah !pardieu ! malheur à celui qui osera seulement murmurer… Vousêtes à moi, je vous veux garder moi-même jusqu’à votrerétablissement ! Holà ! reprit-il en élevant la voix. Ilne viendra donc personne ?…

– Hélas ! Louis, répéta Jeanne, c’est impossible… j’aijuré…

– Vous avez juré ?… fit le roi soudain angoissé ;qu’avez-vous juré ?…

Jeanne laissa tomber sa tête dans ses mains et pleurasilencieusement.

– Vous pleurez ?… tu pleures ! s’écria Louiséperdu.

À ce moment, un sanglot terrible retentit derrière lui ; ilse retourna et aperçut un homme, le visage convulsé par la douleur,qui s’avançait en chancelant comme un homme ivre.

C’était d’Assas qui, s’approchant du lit, s’inclina profondémentet dit à voix basse :

– Allez, Jeanne, où votre cœur vous dit d’aller… Vous êteslibre… je vous rends votre parole…

L’effort qu’il faisait était surhumain et digne de l’admirationde celle pour qui il se sacrifiait ainsi et qui, néanmoins, tantl’amour est égoïste, laissa échapper un cri de joie entendant sesbras à Louis, s’écria :

– Louis, emmenez-moi… emmenez-moi ! Mais, Louis,regardez cet homme, ne soyez plus jaloux, mon roi, c’est mon frèreet… vous lui devrez votre bonheur.

Louis se retourna alors vers d’Assas :

– Je sais, monsieur, que nous avons des torts à réparer àvotre endroit… nous avons été injustes, sur la foi de rapportsmensongers… Nous rachèterons tout cela. Vous êtes capitaine auxgardes, je crois ?…

– Cornette, Sire, cornette au régiment d’Auvergne.

– Vous faites erreur, monsieur, j’ai dit capitaine auxgardes… Allez, capitaine, et envoyez-nous du monde.

D’Assas, égaré, fou de douleur, sortit en chancelant, suivi parun regard reconnaissant de celle à qui il venait de sesacrifier.

Il allait sortir, oubliant la commission dont le roi l’avaitchargé, mais Noé Poisson, qui avait fidèlement suivi et reconnu,avec des yeux stupides d’étonnement, Jeanne dans les bras du roi,Noé n’eut garde d’oublier et, quelques instants plus tard, Jeanne,transportée dans un carrosse, se dirigeait vers le château,escortée par la troupe et ayant Louis à ses côtés, la main dans lamain.

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