Le Triangle d’or

Chapitre 4Devant les flammes

Maman Coralie ! Maman Coralie, cachée dans cette maison queses agresseurs avaient envahie, et où lui-même se cachait grâce àun concours de circonstances inexplicables !

Il eut cette idée immédiate – et alors, une des énigmes tout aumoins se dissipait – qu’entrée, elle aussi, par la ruelle, elleavait pénétré dans la maison par le perron, et qu’elle lui avait,de la sorte, ouvert le passage. Mais, en ce cas, comments’était-elle procuré les moyens de réussir une pareilleentreprise ? Et surtout que venait-elle faire là ?

Toutes ces questions se posaient d’ailleurs à l’esprit ducapitaine Belval sans qu’il essayât d’y répondre, tellement lafigure hallucinée de Coralie l’impressionnait. En outre un secondcri, plus sauvage encore que le premier, partait d’en bas, et ilvit les deux pieds de la victime qui se tordaient devant l’écranrouge du foyer.

Mais cette fois, Patrice, retenu par la présence de Coralie,n’avait pas envie de se porter au secours du patient. Il décidaitde modeler en tout sa conduite sur celle de la jeune femme, de nepas bouger, et même de ne rien faire pour attirer sonattention.

– Repos ! commanda le chef. Tirez-le en arrière. L’épreuvesuffira sans doute.

Et, s’approchant :

– Eh bien, mon cher Essarès, qu’en dis-tu ? Ça te plaît,cette histoire là ? Et, tu sais, nous n’en sommes qu’au début.Si tu ne parles pas, nous irons jusqu’au bout, comme faisaient lesvrais « chauffeurs » du temps de la Révolution, des maîtres,ceux-là. Alors, c’est convenu, tu parles ?

Le chef lâcha un juron.

– Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Turefuses ? Mais, bougre d’entêté, tu ne comprends donc pas lasituation ? ou bien, c’est qu’il te reste encore un peud’espoir. De l’espoir ! Tu es fou. Qui pourrait bien tesecourir ? Tes domestiques ? Le concierge, le valet dechambre et le maître d’hôtel sont des gens à moi. Je leur ai donnéleurs huit jours. Ils sont partis à l’heure qu’il est. La femme dechambre ? la cuisinière ? Elles habitent à l’autreextrémité de la maison, et tu m’as dit toi-même, souvent, qu’on nepouvait rien entendre de cette extrémité-là. Et puis après ?Ta femme ? Elle aussi couche loin de cette pièce, et elle n’arien entendu non plus. Siméon, ton vieux secrétaire ? Nousl’avons ficelé quand il nous a ouvert la porte d’entrée tout àl’heure. D’ailleurs, autant en finir de ce côté, Bournef !

L’homme à la forte moustache, qui maintenait à ce moment lachaise, se redressa et répliqua :

– Qu’y a-t-il ?

– Bournef, où a-t-on enfermé le secrétaire ?

– Dans la loge du concierge.

– Tu connais la chambre de la dame ?

– Certes, d’après les indications que vous m’avez données.

– Allez-y tous les quatre et ramenez la dame et lesecrétaire !

Les quatre individus sortirent par une porte qui se trouvaitau-dessous de maman Coralie, et ils n’avaient pas disparu que lechef se pencha vivement sur sa victime et prononça :

– Nous voilà seuls, Essarès. C’est ce que j’ai voulu.Profitons-en.

Il se baissa davantage encore et murmura de telle façon quePatrice avait du mal à entendre :

– Ces gens-là sont des imbéciles que je mène à ma guise et à quije ne dévoile que le moins possible de mes plans. Tandis que nous,Essarès, nous sommes faits pour nous accorder. C’est ce que tu n’aspas voulu admettre et tu vois où cela t’a conduit. Allons, Essarès,n’y mets pas d’entêtement et ne finasse pas avec moi. Tu es pris aupiège, impuissant, soumis à ma volonté. Eh bien, plutôt que de telaisser démolir par des tortures qui finiraient certainement paravoir raison de ton énergie, accepte une transaction. Part à deux,veux-tu ? Faisons la paix et traitons sur cette base dupartage égal. Je te prends dans mon jeu et tu me prends dans letien. Réunis, nous gagnons fatalement la victoire. Ennemis, quisait si le vainqueur surmontera tous les obstacles qui s’opposerontencore à lui ? C’est pourquoi, je te le répète : part à deux.Réponds. Oui ou non ?

Il desserra le bâillon et tendit l’oreille. Cette fois, Patricene perçut pas les quelques mots qui furent prononcés par lavictime. Mais presque aussitôt, l’autre, le chef, se releva dansune explosion de colère subite.

– Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que tu me proposes ?Vrai, tu en as de l’aplomb ! Une offre de ce genre àmoi ! Offre cela à Bournef ou à ses camarades. Ilscomprendront, eux. Mais moi ? moi ? le colonel Fakhi.Ah ! non, mon petit, je suis plus gourmand, moi ! Jeconsens à partager. Mais, à recevoir l’aumône, jamais de lavie !

Patrice écoutait avidement, et, en même temps, il ne perdait pasde vue maman Coralie, dont le visage, toujours décomposé parl’angoisse, exprimait la même attention.

Et aussi, il regardait la victime que la glace posée au-dessusde la cheminée reflétait en partie. Habillé d’un vêtementd’appartement en velours soutaché, et d’un pantalon de flanellemarron, c’était un homme d’environ cinquante ans, complètementchauve, de figure grasse, au nez fort et recourbé, aux yeuxprofondément renfoncés sous des sourcils épais, aux joues gonfléeset couvertes d’une lourde barbe grisonnante. Du reste, Patricepouvait l’examiner d’une manière plus précise sur un portrait delui qui était pendu à gauche de la cheminée, entre la seconde et lapremière fenêtre, et qui représentait une face énergique,puissante, et pour ainsi dire violente d’expression.

« Une face d’Oriental, se dit Patrice ; j’ai vu, en Égypteet en Turquie, des têtes pareilles à celle-là. »

Les noms de tous ces individus, d’ailleurs, le colonel Fakhi,Mustapha, Bournef, Essarès, leur accent, leur manière d’être, leuraspect, leur silhouette, tout lui rappelait des impressionsressenties là-bas, dans les hôtels d’Alexandrie ou sur les rives duBosphore, dans les bazars d’Andrinople ou sur les bateaux grecs quisillonnent la mer Égée. Types de Levantins, mais de Levantinsenracinés à Paris. Essarès bey, c’était un nom de financier quePatrice connaissait, de même que celui de ce colonel Fakhi, que sesintonations et son langage dénotaient comme un Parisien averti.

Mais un bruit de voix s’éleva de nouveau du côté de la porte.Brutalement celle-ci fut ouverte, et les quatre individussurvinrent en traînant un homme attaché, qu’ils laissèrent tomber àl’entrée de la salle.

– Voilà le vieux Siméon, s’écria celui qu’on appelaitBournef.

– Et la femme ? demanda vivement le chef. J’espère bien quevous l’avez !

– Ma foi, non.

– Hein ? Comment ! Elle s’est échappée ?

– Par sa fenêtre.

– Mais il faut courir après elle ! Elle ne peut être quedans le jardin… Rappelez-vous, tout à l’heure, le chien de gardeaboyait…

– Et si elle s’est enfuie ?

– Comment ?

– La porte de la ruelle ?

– Impossible !

– Pourquoi ?

– Depuis des années, c’est une porte qui ne sert pas. Il n’y amême plus de clef.

– Soit, reprit Bournef. Mais, cependant, nous n’allons pasorganiser une battue avec des lanternes et ameuter tout lequartier, tout cela pour retrouver une femme…

– Oui, mais cette femme…

Le colonel Fakhi semblait exaspéré. Il se retourna vers lecaptif.

– Tu as de la chance, vieux coquin. Voilà deux fois qu’elle mefile entre les doigts aujourd’hui, ta mijaurée ! Elle t’araconté l’affaire de tantôt ? Ah s’il n’y avait pas eu là unsacré capitaine… que je retrouverai d’ailleurs, et qui me paierason intervention…

Patrice serrait les poings avec rage. Il comprenait. MamanCoralie se cachait dans sa propre maison. Surprise par l’irruptiondes cinq individus, elle avait pu – au prix de quels efforts !descendre de sa fenêtre, longer la terrasse jusqu’au perron, gagnerla partie de l’hôtel opposée aux chambres habitées, et se réfugiersur la galerie de cette bibliothèque d’où il lui était possibled’assister à la lutte terrible entreprise contre son mari.

« Son mari ! Son mari » pensa Patrice avec unfrémissement.

Et s’il avait gardé encore un doute à ce sujet, les événementsqui se précipitaient le lui enlevèrent aussitôt, car le chef se mità ricaner :

– Oui, mon vieil Essarès, je puis te l’avouer, ta femme me plaîtinfiniment, et, comme je l’ai manquée cet après-midi, j’espéraisbien, ce soir, aussitôt réglées mes affaires avec toi, en réglerd’autres plus agréables avec elle. Sans compter qu’une fois en monpouvoir, la petite me servait d’otage, et je ne te l’aurais rendue– sois-en sûr – qu’après exécution intégrale de notre accord. Et tuaurais marché droit, Essarès ! C’est que tu l’aimespassionnément, ta Coralie ! Et comme je t’approuve !

Il se dirigea vers la droite de la cheminée et, tournant uninterrupteur, alluma une lampe électrique posée sous un réflecteur,entre la troisième et la quatrième fenêtre.

Il y avait là un tableau qui faisait pendant au portraitd’Essarès. Il était voilé. Le chef tira le rideau. Coralie apparuten pleine lumière.

– La reine de ces lieux ! L’enchanteresse !L’idole ! La perle des perles ! Le diamant impériald’Essarès bey, banquier ! Est-elle assez jolie ! Admirela forme délicate de sa figure, la pureté de cet ovale, et ce coucharmant, et ces épaules gracieuses. Essarès, il n’y a pas defavorite, en nos pays de là-bas, qui vaille ta Coralie ! lamienne bientôt ! car je saurai bien la retrouver. Ah !Coralie ! Coralie ! …

Patrice regarda la jeune femme, et il lui sembla qu’une rougeurde honte empourprait son visage.

Lui-même, à chaque mot d’injure, tressaillait d’indignation etde colère. C’était déjà pour lui la plus violente douleur queCoralie fût l’épouse d’un autre, et il s’ajoutait à cette douleurla rage de la voir ainsi exposée aux yeux de ces hommes et promisecomme une proie impuissante à celui qui serait le plus fort.

Et, en même temps, il se demandait la cause pour laquelleCoralie restait dans cette salle. En supposant qu’elle ne pûtsortir du jardin, elle pouvait cependant, étant libre d’aller etvenir en cette partie de la maison, ouvrir quelque fenêtre etappeler au secours. Qui l’empêchait d’agir ainsi ? Certes,elle n’aimait pas son mari. Si elle l’eût aimé, elle auraitaffronté tous les périls pour le défendre. Mais comment luiétait-il possible de laisser torturer cet homme, bien plus,d’assister à son supplice, de contempler le plus affreux desspectacles et d’écouter les hurlements de sa souffrance ?

– Assez de bêtises ! s’écria le chef en ramenant le rideau.Coralie, tu seras ma récompense suprême, mais il faut te mériter. Àl’œuvre, camarades, et finissons-en avec notre ami. Pour commencer,dix centimètres d’avance. Ça brûle, hein ! Essarès ? Maistout de même , c’est encore supportable. Patiente, mon bon ami,patiente.

Il détacha le bras du captif, installa près de lui un petitguéridon sur lequel il mit un crayon et du papier, et reprit :

– Tout ce qu’il faut pour écrire. Puisque ton bâillon t’empêchede parler, écris. Tu n’ignores pas de quoi il s’agit, n’est-cepas ? Quelques lettres griffonnées là-dessus, et tu es libre.Tu consens ? Non ? Camarades, dix centimètres deplus.

Il s’éloigna, et, se baissant sur le vieux secrétaire, en quiPatrice, à la faveur d’une lumière plus vive, avait effectivementreconnu le bonhomme qui accompagnait parfois Coralie jusqu’àl’ambulance, il lui dit :

– Toi, Siméon, il ne te sera fait aucun mal. Je sais que tu esdévoué à ton maître, mais qu’il ne te met au courant d’aucune deses affaires particulières. D’autre part, je suis sûr que tugarderas le silence sur tout cela, puisqu’un seul mot dedénonciation contre nous serait la perte de ton maître plus encoreque le nôtre. C’est compris, n’est-ce pas ? Eh bien, quoi, tune réponds pas ? Est-ce qu’ils t’auraient serré la gorge unpeu trop fort avec leurs cordes ? Attends, je vais te donnerde l’air…

Près de la cheminée, cependant, la besogne sinistre continuait.À travers les deux pieds rougis par la chaleur, on aurait cru voir,en transparence, l’éclat fulgurant des flammes. De toutes sesforces, le patient tâchait de replier ses jambes et de reculer, etun gémissement sortait de son bâillon, sourd, ininterrompu.

« Ah ! sacrebleu, se dit Patrice, allons-nous le laissercuire ainsi, comme un poulet à la broche ? »

Il regarda Coralie. Elle ne bougeait pas, la figure convulsée,méconnaissable, et les yeux comme fascinés par la terrifiantevision.

– Cinq centimètres encore, cria du bout de la pièce le chef, quidesserrait les liens du vieux Siméon.

L’ordre fut exécuté. La victime poussa une telle plainte quePatrice se sentit bouleversé. Mais, au même moment, il se renditcompte d’une chose qui ne l’avait pas frappé jusqu’ici, ou du moinsà laquelle il n’avait attaché aucune signification. La main dupatient, par une série de petits gestes qui semblaient dus à descrispations nerveuses, avait saisi le rebord opposé du guéridon,tandis que le bras s’appuyait sur le marbre. Et, peu à peu, cettemain, à l’insu des bourreaux dont tout l’effort consistait à tenirles jambes immobiles, à l’insu du chef, toujours occupé avecSiméon, cette main faisait tourner un tiroir monté sur pivot, seglissait dans ce tiroir, en sortait un revolver, et ramenéebrusquement, cachait l’arme à l’intérieur du fauteuil.

L’acte ou plutôt le dessein qu’il annonçait était d’unehardiesse folle, car enfin, réduit à l’impuissance comme ill’était, l’homme ne pouvait espérer la victoire contre cinqadversaires libres et armés. Pourtant, dans la glace où il levoyait, Patrice nota sur le visage une résolution farouche.

– Cinq centimètres encore, commanda le colonel Fakhi en revenantvers la cheminée.

Ayant constaté l’état des chairs, il dit en riant :

– La peau se gonfle par endroits, les veines sont prèsd’éclater. Essarès bey, tu ne dois pas être à la noce, et je nedoute plus de ta bonne volonté. Voyons, as-tu commencé àécrire ? Non ? Et tu ne veux pas ? Tu espères doncencore ? Du côté de ta femme, peut-être ? Allons donc, tuvois bien que, même si elle a pu s’échapper, elle ne dira rien.Alors ? alors, c’est que tu te moques de moi ?…

Il fut saisi d’une fureur soudaine et vociféra :

– Foutez-lui les pieds au feu ! et que ça sente le roussiune bonne fois ! Ah ! tu te fiches de moi ? Eh bien,attends un peu, mon bonhomme, et d’abord, je vais m’en mêler, moi,et te faire sauter une oreille ou deux… tu sais ? comme ça sepratique dans mon pays.

Il avait tiré de son gilet un poignard qui étincela auxlumières. Sa face était répugnante de cruauté bestiale. Avec un crisauvage, il leva le bras et se dressa, implacable.

Mais si rapide que fut son geste, Essarès le devança.

Le revolver braqué d’un coup détona violemment. Le couteau tombade la main du colonel. Il demeura quelques secondes dans sonattitude de menace, le bras suspendu en l’air, les yeux hagards, etcomme s’il n’eût pas bien compris ce qui lui arrivait. Et puis,subitement, il s’écroula sur sa victime, lui paralysant le bras detout son poids, à l’instant même où Essarès visait un des autrescomplices.

Il respirait encore. Il bégaya :

– Ah ! la brute… la brute… il m’a tué… mais c’est ta perte,Essarès… J’avais prévu le cas. Si je ne rentre pas cette nuit, lepréfet de police recevra une lettre… on saura ta trahison, Essarès…toute ton histoire… tes projets… Ah ! misérable… Est-cebête ?… On aurait pu si bien s’accorder tous les deux…

Il marmotta encore quelques paroles confuses et roula sur letapis. C’était la fin.

Plus encore peut-être que ce coup de théâtre, la révélationfaite par le chef avant de mourir et l’annonce de cette lettre qui,sans doute, accusait les agresseurs aussi bien que leur victime,produisirent une minute de stupeur. Bournef avait désarmé Essarès.Celui-ci, profitant de ce que la chaise n’était plus maintenue,avait pu replier ses jambes, et personne ne bougeait.

Cependant, l’impression de terreur qui se dégageait de toutecette scène semblait plutôt s’accroître avec le silence. À terre,le cadavre, allongé, et dont le sang coulait sur le tapis. Nonloin, la forme inerte de Siméon. Puis le patient, toujours captifdevant les flammes prêtes à dévorer sa chair. Et, debout à côté delui, les quatre bourreaux, hésitant peut-être sur la conduite àtenir, mais dont la physionomie indiquait la résolution implacablede dompter l’ennemi par quelque moyen que ce fût.

Bournef, que les autres consultaient du regard, paraissaitdéterminé à tout. C’était un homme assez gros et petit, taillé enforce, la lèvre hérissée de cette moustache qu’avait remarquéePatrice Belval. Moins cruel en apparence que le chef, moins élégantd’allure et moins autoritaire, il montrait plus de calme et desang-froid.

Quant au colonel, ses complices ne semblaient plus s’en soucier.La partie qu’ils jouaient les dispensait de toute vainecompassion.

Enfin Bournef se décida, comme un homme dont le plan est établi.Il alla prendre son chapeau de feutre gris déposé près de la porte,en rabattit la coiffe, et sortit de là un menu rouleau dontl’aspect fit tressaillir Patrice. C’était une fine cordeletterouge, identique à celle qu’il avait trouvée au cou de MustaphaRovalaïoff, le premier complice arrêté par Ya-Bon.

Cette cordelette, Bournef la déplia, la saisit par les deuxboucles, en vérifia sur son genou la solidité, puis, revenant àEssarès, la lui passa autour du cou, après l’avoir débarrassé deson bâillon.

– Essarès, dit-il, avec une tranquillité plus impressionnanteque l’emportement et les railleries du colonel, Essarès, je ne teferai pas souffrir. La torture, c’est un procédé qui me dégoûte, etje ne veux pas y avoir recours. Tu sais ce que tu as à faire, et jesais, moi, ce que j’ai à faire. Un mot de ta part, un acte de lamienne, et ce sera fini. Ce mot, c’est le oui ou lenon que tu vas prononcer. Cet acte que je vais accomplir,moi, en réponse à ton oui ou à ton non, ce serata mise en liberté ou bien…

Il s’arrêta quelques secondes, puis déclara :

– Ou bien ta mort.

La petite phrase fut articulée très simplement, mais avec unefermeté qui lui donnait la signification d’une sentenceirrévocable. Il était clair qu’Essarès se trouvait en face d’undénouement qu’il ne pouvait plus éviter que par une soumissionabsolue. Avant une minute, il aurait parlé, ou il serait mort.

Une fois de plus, Patrice observa maman Coralie, prêt àintervenir s’il avait deviné en elle autre chose qu’une terreurpassive. Mais l’attitude de la jeune femme n’avait pas changé. Elleadmettait donc les pires événements, même celui qui menaçait sonmari ? Patrice se contint.

– Nous sommes d’accord ? fit Bournef à ses complices.

– Entièrement d’accord, fit l’un d’eux.

– Vous prenez votre part de responsabilité ?

– Nous la prenons.

Bournef rapprocha ses mains l’une de l’autre, puis les croisa,ce qui noua la cordelette autour du cou. Ensuite il serralégèrement de manière à ce que la pression fût sentie, et ildemanda d’un ton sec

– Oui ou non ?

– Oui.

Il y eut un murmure de joie. Les complices respiraient, etBournef hocha la tête d’un air d’approbation.

– Ah ! tu acceptes ?… Il était temps… je ne crois pasqu’on puisse être plus près de la mort que tu l’as été,Essarès.

Sans lâcher la corde cependant, il reprit :

– Soit. Tu vas parler. Mais je te connais, et ta réponsem’étonne, car je l’avais dit au colonel, la certitude même de lamort ne te ferait pas confesser ton secret. Est-ce que je metrompe ?

Essarès répondit :

– Non, ni la mort, ni la torture…

– Alors, c’est que tu as autre chose à nous proposer ?

– Oui.

– Autre chose qui en vaut la peine ?

– Oui. Je l’ai proposée tout à l’heure au colonel, pendant quevous étiez sortis. Mais s’il voulait bien vous trahir et traiteravec moi pour l’ensemble du secret, il a refusé cette autrechose.

– Pourquoi l’accepterai-je ?

Parce que c’est à prendre ou à laisser, et que tu comprends,toi, ce qu’il n’a pas compris.

– Donc, une transaction, n’est-ce pas ?

– Oui.

– De l’argent.

– Oui.

Bournef haussa les épaules.

– Sans doute quelques billets de mille ? Et tu t’imaginesque Bournef et que ses amis seront assez naïfs ?… Voyons,Essarès, pourquoi veux-tu que nous transigions ? Ton secret,nous le connaissons presque entièrement…

– Vous savez en quoi il consiste, mais vous ignorez les moyensde vous en servir. Vous ignorez, si l’on peut dire, l’« emplacement» de ce secret. Tout est là.

– Nous le découvrirons.

– Jamais.

– Si, ta mort nous facilitera les recherches.

– Ma mort ? Dans quelques heures, grâce à la dénonciationdu colonel, vous allez être traqués et pris au collet probablement,en tout cas incapables de poursuivre vos recherches. Parconséquent, vous non plus, vous n’avez guère le choix. Ou l’argentque je vous propose, ou la prison.

– Et si nous acceptons, dit Bournef, que l’argument frappa,quand serons-nous payés ?

– Tout de suite.

– La somme est donc là ?

– Oui.

– Une somme misérable, je le répète ?

– Non, beaucoup plus forte que tu n’espères, infiniment plusforte.

– Combien.

– Quatre millions.

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