L’Île du docteur Moreau

Chapitre 13SEUL AVEC LES MONSTRES

Alors, des buissons, sortirent trois monstres bipèdes, lesépaules voûtées, la tête en avant, les mains informes gauchementbalancées, les yeux questionneurs et hostiles, s’avançant vers moiavec des gestes hésitants. Je leur fis face, affrontant en eux mondestin, seul maintenant, n’ayant plus qu’un bras valide, et dans mapoche un revolver chargé encore de quatre balles. Parmi lesfragments et les éclats de bois épars sur le rivage, se trouvaientles deux haches qui avaient servi à démolir les barques. Derrièremoi, la marée montait.

Il ne restait plus rien à faire, sinon à prendre courage. Jeregardai délibérément, en pleine figure, les monstres quis’approchaient. Ils évitèrent mon regard, et leurs narinesfrémissantes flairaient les cadavres qui gisaient auprès demoi.

Je fis quelques pas, ramassai le fouet taché de sang qui étaitresté sous le cadavre de l’Homme-Loup et le fis claquer.

Ils s’arrêtèrent et me regardèrent avec étonnement.

« Saluez ! commandai-je. Rendez le salut ! »

Ils hésitèrent. L’un d’eux ploya le genou. Je répétai moncommandement, la gorge affreusement serrée et en faisant un pasvers eux. L’un s’agenouilla, puis les deux autres.

Je me retournai à demi, pour revenir vers les cadavres, sansquitter du regard les trois bipèdes agenouillés, à la façon dont unacteur remonte au fond de la scène en faisant face au public.

« Ils ont enfreint la Loi, expliquai-je en posant mon pied surle monstre aux poils gris. Ils ont été tués. Même celui quienseignait la loi. Même l’Autre avec le fouet. Puissante est laLoi ! Venez et voyez.

– Nul n’échappe ! dit l’un d’entre eux, en avançant pourvoir.

– Nul n’échappe, répétai-je. Aussi écoutez et faites ce que jevous commande. »

Ils se relevèrent, s’interrogeant les uns les autres duregard.

« Restez là », ordonnai-je.

Je ramassai les deux hachettes et les suspendis à l’écharpe quisoutenait mon bras ; puis je retournai Montgomery, lui prisson revolver encore chargé de deux coups, et trouvai dans une pocheen le fouillant une demi-douzaine de cartouches.

M’étant relevé, j’indiquai le cadavre du bout de mon fouet.

« Avancez, prenez-le et jetez-le dans la mer. »

Encore effrayés, ils s’approchèrent de Montgomery, ayant surtoutpeur du fouet dont je faisais claquer la lanière toute tachée desang ; puis, après quelques gauches hésitations, quelquesmenaces et des coups de fouet, ils le soulevèrent avec précaution,descendirent la grève et entrèrent en barbotant dans les vagueséblouissantes.

« Allez ! allez ! criai-je. Plus loin encore. »

Ils s’éloignèrent jusqu’à ce qu’ils eussent de l’eau auxaisselles ; ils s’arrêtèrent alors et me regardèrent.

« Lâchez tout », commandai-je.

Le cadavre de Montgomery disparut dans un remous et je sentisquelque chose me poigner le cœur.

« Bon ! » fis-je, avec une sorte de sanglot dans la voix.Et, craintifs, les monstres revinrent précipitamment jusqu’aurivage, laissant après eux, dans l’argent des flots, de longssillages sombres. Arrivés au bord des vagues, ils se retournèrent,inquiets, vers la mer, comme s’ils se fussent attendus à voirMontgomery resurgir pour exercer quelque vengeance.

« À ceux-ci, maintenant » fis-je, en indiquant les autrescadavres.

Ils prirent soin de ne pas approcher de l’endroit où ils avaientjeté Montgomery et portèrent les quatre bêtes mortes, avant de lesimmerger, à cent mètres de là en avançant en biais.

Comme je les observais pendant qu’ils emportaient les restesmutilés de M’ling, j’entendis, derrière moi, un bruit de pas légerset, me retournant vivement, j’aperçus, à une douzaine de mètres, lagrande Hyène-Porc. Le monstre avait la tête baissée, ses yeuxbrillants étaient fixés sur moi, et il tenait ses tronçons de mainsserrés contre lui. Quand je me retournai, il s’arrêta dans cetteattitude courbée, les yeux regardant de côté.

Un instant, nous restâmes face à face. Je laissai tomber lefouet et je sortis le revolver de ma poche, car je me proposais, aupremier prétexte, de tuer cette brute, la plus redoutable de cellesqui restaient maintenant dans l’île. Cela paraître déloyal, maistelle était ma résolution. Je redoutais ce monstre plus quen’importe quelle autre des bêtes humanisées. Son existence était,je le savais, une menace pour la mienne.

Pendant une dizaine de secondes, je rassemblai mes esprits.

« Saluez ! À genoux ! » ordonnai-je.

Elle eut un grognement qui découvrit ses dents.

« Qui êtes-vous pour… ? »

Un peu trop nerveusement peut-être, je levai mon revolver, visaiet fis feu. Je l’entendis glapir et la vis courant de côté pours’enfuir ; je compris que je l’avais manquée et, avec monpouce, je relevai le chien pour tirer de nouveau. Mais la bêtes’enfuyait à toute vitesse, sautant de côté et d’autre, et jen’osai pas risquer de la manquer une fois de plus. De temps entemps, elle regardait de mon côté, par-dessus son épaule ;elle suivit, de biais, le rivage, et disparut dans les masses defumée rampante qui s’échappaient encore de l’enclos incendié. Jerestai un instant, les yeux fixés sur l’endroit où le monstre avaitdisparu, puis je me retournai vers mes trois bipèdes obéissants etleur fis signe de laisser choir dans les flots le cadavre qu’ilssoutenaient encore. Je revins alors auprès du tas de cendres àl’endroit où les corps étaient tombés, et, du pied, je remuai lesable, jusqu’à ce que les traces de sang eussent disparu.

Je renvoyai mes trois serfs d’un geste de la main, et, montantla grève, j’entrai dans les fourrés. Je tenais mon revolver, et monfouet était suspendu, avec les hachettes, à l’écharpe de mon bras.J’avais envie d’être seul pour réfléchir à la position danslaquelle je me trouvais.

Une chose terrible, dont je commençais seulement à me rendrecompte, était que, dans toute cette île, il n’y avait aucun endroitsûr où je pusse me trouver isolé et en sécurité pour me reposer oudormir. Depuis mon arrivée, j’avais recouvré mes forces d’une façonsurprenante, mais j’étais encore fort enclin à des nervosités et àdes affaissements en cas de véritable détresse. J’avaisl’impression qu’il me fallait traverser l’île et m’établir aumilieu des bipèdes humanisés pour trouver, en me confiant à eux,quelque sécurité. Le cœur me manqua. Je revins vers le rivage, et,tournant vers l’est, du côté de l’enclos incendié, je me dirigeaivers un point où une langue basse de sable et de corail s’avançaitvers les récifs. Là, je pourrais m’asseoir et réfléchir, tournantle dos à la mer et faisant face à toute surprise. Et j’allai m’yasseoir, le menton dans les genoux, le soleil tombant d’aplomb surma tête, une crainte croissante m’envahissant l’esprit et cherchantle moyen de vivre jusqu’au moment de ma délivrance – si jamais ladélivrance devait venir. J’essayai de considérer toute la situationaussi calmement que je pouvais, mais il me fut impossible de medébarrasser de mon émotion.

Je me mis à retourner dans mon esprit les raisons du désespoirde Montgomery… Ils changeront, avait-il dit, ils sont sûrs dechanger… Et Moreau ? Qu’avait dit Moreau ? Leur opiniâtrebestialité reparaît jour après jour… Puis, ma pensée revint àl’Hyène-Porc. J’avais la certitude que si je ne tuais pas cettebrute, ce serait elle qui me tuerait… Celui qui enseignait la Loiétait mort… Malchance !… Ils savaient maintenant que lesporteurs de fouet pouvaient être tués, aussi bien qu’eux…

M’épiaient-ils déjà, de là-bas, d’entre les masses vertes defougères et de palmiers ? Peut-être me guetteraient-ilsjusqu’à ce que je vinsse à passer à leur portée ? Quecomplotaient-ils contre moi ? Que leur disaitl’Hyène-Porc ? Mon imagination m’échappait pour vagabonderdans un marécage de craintes irréelles.

Je fus distrait de mes pensées par des cris d’oiseaux de mer,qui se précipitaient vers un objet noir que les vagues avaientéchoué sur le sable, près de l’enclos. Je savais trop ce qu’étaitcet objet, mais je n’eus pas le cœur d’aller les chasser. Je me misà marcher au long du rivage dans la direction opposée, avecl’intention de contourner l’extrémité est de l’île et de merapprocher ainsi du ravin des huttes, sans m’exposer aux embûchespossibles des fourrés.

Après avoir fait environ un demi-mille sur la grève, j’aperçusl’un de mes trois bipèdes obéissants qui sortait de sous-bois ets’avançait vers moi. Les fantaisies de mon imagination m’avaientrendu tellement nerveux que je tirai immédiatement mon revolver.Même le geste suppliant de la bête ne parvint pas à medésarmer.

Il continua d’avancer en hésitant.

« Allez-vous-en », criai-je.

Il y avait dans l’attitude craintive de cet être beaucoup de lasoumission canine. Il recula quelque peu, comme un chien que l’onchasse, s’arrêta, et tourna vers moi ses yeux bruns etimplorants.

« Allez-vous-en ! répétai-je. Ne m’approchez pas.

– Je ne peux pas venir près de vous ? demanda t-il.

– Non ! allez-vous-en », insistai-je en faisant claquer monfouet ; puis en prenant le manche entre mes dents, je mebaissai pour ramasser une pierre, et cette menace fit fuir labête.

Ainsi, seul, je contournai le ravin des animaux humanisés, et,caché parmi les herbes et les roseaux qui séparaient la crevasse dela mer, j’épiai ceux d’entre eux qui parurent, essayant de juger,d’après leurs gestes et leur attitude, de quelle façon les avaitaffectés la mort de Moreau et de Montgomery et la destruction de lamaison de douleur. Je compris maintenant la folie de ma couardise.Si j’avais conservé mon courage au même niveau qu’à l’aurore, si jene l’avais pas laissé décliner et s’annihiler dans mes réflexionssolitaires, j’aurais pu saisir le sceptre de Moreau et gouvernerles monstres. Maintenant j’en avais perdu l’occasion et j’étaistombé au rang de simple chef parmi des semblables.

Vers midi, certains bipèdes vinrent s’étendre sur le sablechaud. La voix impérieuse de la soif eut raison de mes craintes. Jesortis du fourré, et, le revolver à la main, je descendis vers eux.L’un de ces monstres – une Femme-Loup – tourna la tête et meregarda avec étonnement. Puis ce fut le tour des autres, sansqu’aucun fît mine de se lever et de me saluer. Je me sentais tropfaible et trop las pour insister devant leur nombre, et je laissaipasser le moment.

« Je veux manger, prononçai-je, presque sur un ton d’excuse eten continuant d’approcher.

– Il y a à manger dans les huttes », répondit un Bœuf-Verrat, àdemi endormi, en détournant la tête.

Je les côtoyai et m’enfonçai dans l’ombre et les odeurs du ravinpresque désert. Dans une hutte vide, je me régalai de fruits, etaprès avoir disposé quelques branchages à demi séchés pour enboucher l’ouverture, je m’étendis, la figure tournée vers l’entrée,la main sur mon revolver. La fatigue des trente dernières heuresréclama son dû et je me laissai aller à un léger assoupissement,certain que ma légère barricade pouvait faire un bruit suffisantpour me réveiller en cas de surprise.

Ainsi, je devenais un être quelconque parmi les animauxhumanisés dans cette île du docteur Moreau. Quand je m’éveillai,tout était encore sombre autour de moi ; mon bras, dans sesbandages, me faisait mal ; je me dressai sur mon séant, medemandant tout d’abord où je pouvais bien être. J’entendis des voixrauques qui parlaient au-dehors et je m’aperçus alors que mabarricade n’existait plus et que l’ouverture de la hutte étaitlibre. Mon revolver était encore à portée de ma main.

Je perçus le bruit d’une respiration et distinguai quelque êtreblotti tout contre moi. Je retins mon souffle, essayant de voir ceque c’était. Cela se mit à remuer lentement, interminablement, puisune chose douce, tiède et moite passa sur ma main.

Tous mes muscles se contractèrent et je retirai vivement monbras. Un cri d’alarme s’arrêta dans ma gorge et je me rendissuffisamment compte de ce qui était arrivé pour mettre la main surmon revolver.

« Qui est là ? demandai-je en un rauque murmure, et l’armepointée.

– Moi, maître.

– Qui êtes-vous ?

– Ils me disent qu’il n’y a pas de maître maintenant. Mais moi.je sais, je sais. J’ai porté les corps dans les flots, ô toi quimarches dans la mer, les corps de ceux que tu as tués. Je suis tonesclave, maître.

– Es-tu celui que j’ai rencontré sur le rivage ?questionnai-je.

– Le même, maître.»

Je pouvais évidemment me fier à la bête, car elle aurait pum’attaquer tandis que je dormais.

« C’est bien », dis-je, en lui laissant lécher ma main.

Je commençais à mieux comprendre ce que sa présence signifiaitet tout mon courage revint.

« Où sont les autres ? demandai-je.

Ils sont fous, ils sont insensés, affirma l’Homme-Chien.Maintenant ils causent ensemble là-bas. Ils disent : le Maître estmort, l’Autre avec le Fouet est mort ; l’Autre qui marchaitdans la mer est… comme nous sommes. Nous n’avons plus ni Maître, niFouets, ni Maison de Douleur. C’est la fin. Nous aimons la Loi etnous l’observerons ; mais il n’y aura plus jamais, ni Maître,ni Fouets, jamais. Voilà ce qu’ils disent. Mais moi, maître, jesais, je sais. »

J’étendis la main dans l’obscurité et caressai la tête del’Homme-Chien.

« C’est bien, acquiesçai-je encore.

– Bientôt, tu les tueras tous, dit l’Homme-Chien.

– Bientôt, répondis-je, je les tuerai tous, après qu’un certaintemps et que certaines choses seront arrivées ; tous, saufceux que tu épargneras, tous, jusqu’au dernier, seront tués.

– Ceux que le Maître veut tuer, le Maître les tue, déclaral’Homme-Chien avec une certaine satisfaction dans la voix.

– Et afin que le nombre de leurs fautes augmente, ordonnai-je,qu’ils vivent dans leur folie jusqu’à ce que le temps soit venu.Qu’ils ne sachent pas que je suis le Maître.

– La volonté du Maître est bonne, répondit l’Homme-Chien, avecle rapide tact de son hérédité canine.

– Mais il en est un qui a commis une grave offense. Celui-là, jele tuerai où que je le rencontre. Quand je te dirai : c’est lui, tusauteras dessus sans hésiter. Et maintenant, je vais aller versceux qui sont assemblés. »

Un instant l’ouverture de la hutte fut obstruée parL’Homme-Chien qui sortait. Ensuite, je le suivis et me trouvaidebout presque à l’endroit exact où j’étais lorsque j’avais entenduMoreau et son chien me poursuivre. Mais il faisait nuit maintenantet ce ravin aux miasmes infects était obscur autour de moi, et plusloin, au lieu d’une verte pente ensoleillée. je vis les flammesrougeâtres d’un feu devant lequel s’agitaient de grotesquespersonnages aux épaules arrondies. Plus loin encore s’élevaient lestroncs serrés des arbres, formant une bande ténébreuse frangée parles sombres dentelles des branches supérieures. La luneapparaissait au bord du talus du ravin, et, comme une barre autravers de sa face, montait la colonne de vapeur qui, sans cesse,jaillissait des fumerolles de l’île.

«Marche près de moi », commandai-je, rassemblant tout moncourage ; et côte à côte nous descendîmes l’étroit passagesans faire attention aux vagues ombres qui nous épiaient par lesouvertures de huttes.

Aucun de ceux qui étaient autour du feu ne fit mine de mesaluer. La plupart, ostensiblement, affectèrent l’indifférence. Monregard chercha l’Hyène-Porc, mais elle n’était pas là. Ils étaientbien en tout une vingtaine, accroupis, contemplant le feu oucausant entre eux.

« Il est mort, il est mort, le Maître est mort, dit la voix del’Homme-Singe, sur sa droite. La Maison de Souffrance, il n’y a pasde Maison de Souffrance.

– Il n’est pas mort, assurai-je d’une voix forte. Maintenantmême, il vous voit. »

Cela les surprit. Vingt paires d’yeux me regardèrent.

« La Maison de Souffrance n’existe plus, continuai-je, mais ellereviendra. Vous ne pouvez pas voir le Maître, et cependant, en cemoment même, il écoute au-dessus de vous.

– C’est vrai, c’est vrai », confirma l’Homme-Chien.

Mon assurance les frappa de stupeur. Un animal peut être féroceet rusé, mais seul un homme peut mentir.

« L’Homme au bras lié dit une chose étrange, proféra l’un desanimaux.

– Je vous dis qu’il en est ainsi ! affirmai-je. Le Maîtrede la Maison de Douleur reparaîtra bientôt. Malheur à celui quitransgresse la Loi ! »

Ils se regardèrent les uns les autres curieusement. Avec uneindifférence affectée, je me mis à enfoncer négligemment mahachette dans le sol devant moi, et je remarquai qu’ils examinaientles profondes entailles que je faisais dans le gazon.

Puis le Satyre émit un doute auquel je répondis ; aprèsquoi l’un des êtres tachetés fit une objection, et une discussionanimée s’éleva autour du feu. De moment en moment je me sentaisplus assuré de ma sécurité présente. Je causais maintenant sans cessaccades dans la voix, dues à l’intensité de ma surexcitation etqui m’avaient tout d’abord troublé. En une heure de ce bavardage,j’eus réellement convaincu plusieurs de ces monstres de la véritéde mes assertions et jeté les autres dans un état de doutetroublant. J’avais l’œil aux aguets pour mon ennemie l’Hyène-Porc,mais elle ne se montra pas. De temps en temps, un mouvement suspectme faisait tressaillir, mais je reprenais rapidement confiance.Enfin, quand la lune commença à descendre du zénith, un à un, lesdiscuteurs se mirent à bâiller, montrant à la lueur du feu quis’éteignait de bizarres rangées de dents, et ils se retirèrent versles tanières du ravin. Et moi, redoutant le silence et lesténèbres, je les suivis, me sachant plus en sécurité avec plusieursd’entre eux qu’avec un seul.

De cette façon commença la partie la plus longue de mon séjourdans cette île du Docteur Moreau. Mais, depuis cette nuit jusqu’àce qu’en vînt la fin, il ne m’arriva qu’une seule chose importanteen dehors d’une série d’innombrables petits détails désagréables etde l’irritation d’une perpétuelle inquiétude. De sorte que jepréfère ne pas faire de chronique de cet intervalle de temps, etraconter seulement l’unique incident survenu au cours des dix moisque j’ai passés dans l’intimité de ces brutes à demi humanisées.J’ai gardé mémoire de beaucoup de choses que je pourrais écrire,encore que je donnerais volontiers ma main droite pour les oublier.Mais elles n’ajouteraient aucun intérêt à mon récit.Rétrospectivement, il est étrange pour moi de me rappeler combienje m’accordai vite avec ces monstres, m’accommodai de leurs mœurset repris toute ma confiance. Il y eut bien quelques querelles, etje pourrais montrer encore des traces de crocs, mais ils acquirentbientôt un salutaire respect pour moi, grâce à mon habileté àlancer des pierres – talent qu’ils n’avaient pas – et grâce encoreaux entailles de ma hachette. Le fidèle attachement de monHomme-Chien Saint-Bernard me fut aussi d’un infini service. Jeconstatai que leur conception très simple du respect était fondéesurtout sur la capacité d’infliger des blessures tranchantes. Jepuis bien dire même – sans vanité, j’espère – que j’eus sur eux unesorte de prééminence. Un ou deux de ces monstres, que, dansdiverses disputes, j’avais balafrés sérieusement, me gardaientrancune, mais leur ressentiment se manifestait par des grimacesfaites derrière mon dos et à une distance suffisante, hors de laportée de mes projectiles.

L’Hyène-Porc m’évitait, et j’étais toujours en alerte à caused’elle. Mon inséparable Homme-Chien la haïssait et la redoutaitexcessivement. Je crois réellement que c’était là le fond del’attachement de cette brute pour moi. Il me fut bientôt évidentque le féroce monstre avait goûté du sang et avait suivi les tracesde l’Homme-Léopard. Il se fit une tanière quelque part dans laforêt et devint solitaire. Une fois je tentai de persuader lesbrutes mi-humaines de le traquer, mais je n’eus pas l’autoriténécessaire pour les obliger à coopérer à un effort commun. Maintesfois j’essayai d’approcher de son repaire et de le surprendre àl’improviste, mais ses sens étaient trop subtils, et toujours il mevit ou me flaira à temps pour fuir. D’ailleurs, lui aussi, avec sesembuscades, rendait dangereux les sentiers de la forêt pour mesalliés et moi, et l’Homme-Chien osait à peine s’écarter.

Dans le premier mois, les monstres, relativement à leursubséquente condition, restèrent assez humains, et même envers unou deux autres, à part mon Homme-Chien, je réussis à avoir uneamicale tolérance. Le petit être rosâtre me montrait une bizarreaffection et se mit aussi à me suivre. Pourtant, l’Homme-Singem’était infiniment désagréable. Il prétendait, à cause de ses cinqdoigts, qu’il était mon égal et ne cessait, dès qu’il me voyait, dejacasser perpétuellement les plus sottes niaiseries. Une seulechose en lui me distrayait un peu : son fantastique talent pourfabriquer de nouveaux mots. Il avait l’idée, je crois, qu’enbaragouiner qui ne signifiaient rien était l’usage naturel à fairede la parole. Il appelait cela « grand penser » pour le distinguerdu « petit penser » – lequel concernait les choses utiles del’existence journalière. Si par hasard je faisais quelque remarquequ’il ne comprenait pas, il se répandait en louanges, me demandaitde la répéter, l’apprenait par cœur, et s’en allait la dire, enécorchant une syllabe ici où là, à tous ses compagnons. Il nefaisait aucun cas de ce qui était simple et compréhensible, etj’inventai pour son usage personnel quelques curieux « grandspensers ». Je suis persuadé maintenant qu’il était la créature laplus stupide que j’aie jamais vue de ma vie. Il avait développéchez lui, de la façon la plus surprenante, la sottise distinctivede l’homme sans rien perdre de la niaiserie naturelle du singe.

Tout ceci, comme je l’ai dit, se rapporte aux premières semainesque je passai seul parmi les brutes. Pendant cette période, ilsrespectèrent l’usage établi par la Loi et conservèrent dans leurconduite un décorum extérieur. Une fois, je trouvai un autre lapindéchiqueté, par l’Hyène-Porc certainement – mais ce fut tout. Versle mois de mai, seulement, je commençai à percevoir d’une façondistincte une différence croissante dans leurs discours et leursallures, une rudesse plus marquée d’articulation, et une tendancede plus en plus accentuée à perdre l’habitude du langage. Lebavardage de mon Homme-Singe multiplia de volume, mais devint demoins en moins compréhensible, de plus en plus simiesque. Certainsautres semblaient laisser complètement s’échapper leur facultéd’expression, bien qu’ils fussent encore capables, à cette époque,de comprendre ce que je leur disais. Imaginez-vous un langage quevous avez connu exact et défini, qui s’amollit et se désagrège,perd forme et signification et redevient de simples fragments deson. D’ailleurs, maintenant, ils ne marchaient debout qu’avec unedifficulté croissante, et malgré la honte qu’ils en éprouvaientévidemment, de temps en temps je surprenais l’un ou l’autre d’entreeux courant sur les pieds et les mains et parfaitement incapable dereprendre l’attitude verticale. Leurs mains saisissaient plusgauchement les objets. Chaque jour ils se laissaient de plus enplus aller à boire en lapant ou en aspirant, et à ronger etdéchirer au lieu de mâcher. Plus vivement que jamais, je me rendaiscompte de ce que Moreau m’avait dit de leur rétive et tenacebestialité. Ils retournaient à l’animal, et ils y retournaient trèsrapidement.

Quelques-uns – et ce furent tout d’abord à ma grande surpriseles femelles – commencèrent à négliger les nécessités de ladécence, et presque toujours délibérément. D’autres tentèrent mêmed’enfreindre publiquement l’institution de la monogamie. Latradition imposée de la Loi perdait clairement de sa force, et jen’ose guère poursuivre sur ce désagréable sujet. Mon Homme-Chienretombait peu à peu dans ses mœurs canines ; jour après jouril devenait muet, quadrupède, et se couvrait de poils, sans que jepusse remarquer de transition entre le compagnon qui marchait à mescôtés et le chien flaireur et sans cesse aux aguets qui meprécédait ou me suivait. Comme la négligence et la désorganisationaugmentaient de jour en jour, le ravin des huttes, qui n’avaitjamais été un séjour agréable, devint si infect et nauséabond queje dus le quitter, et, traversant l’île, je me construisis unesorte d’abri avec des branches au milieu des ruines incendiées dela demeure de Moreau. De vagues souvenirs de souffrances, chez lesbrutes, faisaient de cet endroit le coin le plus sûr.

Il serait impossible de noter chaque détail du retour graduel deces monstres vers l’animalité, de dire comment, chaque jour, leurapparence humaine s’affaiblissait ; comment ils négligèrent dese couvrir ou de s’envelopper et rejetèrent enfin tout vestige devêtement ; comment le poil commença à croître sur ceux deleurs membres exposés à l’air ; comment leurs frontss’aplatirent et leurs mâchoires s’avancèrent. Le changement sefaisait, lent et inévitable ; pour eux comme pour moi, ils’accomplissait sans secousse ni impression pénible. J’allaisencore au milieu d’eux en toute sécurité, car aucun choc, danscette descente vers leur ancien état, n’avait pu les délivrer dujoug plus lourd de leur animalisme, éliminant peu à peu ce qu’onleur avait imposé d’humain.

Mais je commençai à redouter que bientôt ce choc ne vînt à seproduire. Ma brute de Saint-Bernard me suivit à mon nouveaucampement, et sa vigilance me permit parfois de dormir d’unemanière à peu près paisible. Le petit monstre rose, l’aï, devintfort timide et m’abandonna pour retourner à ses habitudesnaturelles parmi les branches des arbres. Nous étions exactement encet état d’équilibre où se trouverait une de ces cages peupléesd’animaux divers qu’exhibent certains dompteurs, après que ledompteur l’aurait quittée pour toujours.

Néanmoins ces créatures ne redevinrent pas exactement desanimaux tels que le lecteur peut en voir dans les jardinszoologiques – d’ordinaires loups, ours, tigres, bœufs, porcs ousinges. Ils conservaient quelque chose d’étrange dans leurconformation ; en chacun d’eux, Moreau avait mêlé cet animalavec celui-ci : l’un était peut-être surtout ours, l’autre surtoutfélin ; celui-là bœuf, mais chacun d’eux avait quelque choseprovenant d’une autre créature, et une sorte d’animalismegénéralisé apparaissait sous des caractères spécifiques. De vagueslambeaux d’humanité me surprenaient encore de temps en temps chezeux, une recrudescence passagère de paroles, une dextéritéinattendue des membres antérieurs, ou une pitoyable tentative pourprendre une position verticale.

Je dus, sans doute, subir aussi d’étranges changements. Meshabits pendaient sur moi en loques jaunâtres sous lesquellesapparaissait la peau tannée. Mes cheveux, qui avaient crû fortlongs, étaient tout emmêlés, et l’on me dit souvent que, maintenantencore, mes yeux ont un étrange éclat et une vivacitésurprenante.

D’abord, je passai les heures de jour sur la grève du sudexplorant l’horizon, espérant et priant pour qu’un navire parût. Jecomptais sur le retour annuel de la Chance-Rouge, maiselle ne revint pas. Cinq fois, j’aperçus des voiles et trois foisune traînée de fumée, mais jamais aucune embarcation n’abordal’île. J’avais toujours un grand feu prêt que j’allumais ;seulement, sans aucun doute, la réputation volcanique de l’endroitsuppléait à toute explication.

Ce ne fut guère que vers septembre ou octobre que je commençai àpenser sérieusement à construire un radeau. À cette époque, monbras se trouva entièrement guéri, et de nouveau j’avais mes deuxmains à mon service. Tout d’abord, je fus effrayé de monimpuissance. Je ne m’étais, jamais de ma vie, livré à aucun travailde charpente, ni d’aucun genre manuel d’ailleurs, et je passais montemps, dans le bois, jour après jour, à essayer de fendre destroncs et tenter de les lier entre eux. Je n’avais aucune espèce decordages et je ne sus rien trouver qui pût me servir deliens ; aucune des abondantes espèces de lianes ne semblaitsuffisamment souple ni solide, et, avec tout l’amas de mesconnaissances scientifiques, je ne savais pas le moyen de lesrendre résistantes et souples. Je passai plus de quinze jours àfouiller dans les ruines de l’enclos ainsi qu’à l’endroit du rivageoù les barques avaient été brûlées, cherchant des clous ou d’autresfragments de métal qui puissent m’être de quelque utilité. De tempsà autre, quelqu’une des brutes venait m’épier et s’enfuyait àgrands bonds quand je criais après elle. Puis vint une saisond’orages, de tempêtes et de pluies violentes, qui retardèrentgrandement mon travail ; pourtant je parvins enfin à terminerle radeau.

J’étais ravi de mon œuvre. Mais avec ce manque de sens pratiquequi a toujours fait mon malheur, je l’avais construite à unedistance de plus d’un mille de la mer, et avant que je l’eussetraînée jusqu’au rivage, elle était en morceaux. Ce fut peut-êtreun bonheur pour moi de ne pas m’être embarqué dessus ; mais, àce moment-là, le désespoir que j’eus de cet échec fut si grand que,pendant quelques jours, je ne sus faire autre chose qu’errer sur lerivage en contemplant les flots et songeant à la mort.

Mais je ne voulais certes pas mourir, et un incident seproduisit qui me démontra, sans que je pusse m’y méprendre, quellefolie c’était de laisser ainsi passer les jours, car chaque matinnouveau était gros des dangers croissants du voisinage desmonstres.

J’étais étendu à l’ombre d’un pan de mur encore debout, leregard errant sur la mer, quand je tressaillis au contact dequelque chose de froid à mon talon, et, me retournant, j’aperçusl’aï qui clignait des yeux devant moi. Il avait depuis longtempsperdu l’usage de la parole et toute activité d’allures ; salongue fourrure devenait chaque jour plus épaisse, et ses griffessolides plus tordues. Quand il vit qu’il avait attiré monattention, il fit entendre une sorte de grognement, s’éloigna dequelques pas vers les buissons et se détourna vers moi.

D’abord je ne compris pas, mais bientôt il me vint à l’espritqu’il désirait sans doute me voir le suivre et c’est ce que je fisenfin, lentement – car il faisait très chaud. Quand il fut parvenusous les arbres, il grimpa dans les branches, car il pouvait plusfacilement avancer parmi leurs lianes pendantes que sur le sol.

Soudain, dans un espace piétiné, je me trouvai devant un groupehorrible. Mon Saint-Bernard gisait à terre, mort, et près de luiétait accroupie l’Hyène-Porc, étreignant dans ses griffes informesla chair pantelante, grognant et reniflant avec délices. Commej’approchais, le monstre leva vers les miens ses yeux étincelants,il retroussa sur ses dents sanguinolentes ses babines frémissanteset gronda d’un air menaçant. Il n’était ni effrayé nihonteux ; le dernier vestige d’humanité s’était effacé en lui.Je fis un pas en avant, m’arrêtai et sortis mon revolver. Enfin,nous étions face à face.

La brute ne fit nullement mine de fuir. Son poil se hérissa, sesoreilles se rabattirent et tout son corps se replia. Je visai entreles yeux et fis feu. Au même moment le monstre se dressait d’unbond, s’élançait sur moi et me renversait comme une quille. Ilessaya de me saisir dans ses informes griffes et m’atteignit auvisage ; mais son élan l’emporta trop loin et je me trouvaiétendu sous la partie postérieure de son corps. Heureusement, jel’avais atteint à l’endroit visé et il était mort en sautant. Je medégageai de sous son corps pesant, et, tremblant, je me relevai,examinant la bête secouée encore de faibles spasmes. C’étaittoujours un danger de moins, mais, seulement, la première d’unesérie de rechutes dans la bestialité qui, j’en étais sûr, allaientse produire.

Je brûlai les deux cadavres sur un bûcher de broussailles.Alors, je vis clairement qu’à moins de quitter l’île, sans tarder,ma mort n’était plus qu’une question de jours. Sauf une ou deuxexceptions, les monstres avaient, à ce moment, laissé le ravin pourse faire des repaires, suivant leurs goûts, parmi les fourrés del’île. Ils rôdaient rarement de jour et la plupart d’entre euxdormaient de l’aube au soir, et l’île eût pu sembler déserte àquelque nouveau venu. Mais, la nuit, l’air s’emplissait de leursappels et de leurs hurlements. L’idée me vint d’en faire unmassacre, d’établir des trappes et de les attaquer à coups decouteau. Si j’avais eu assez de cartouches, je n’aurais pas hésitéun instant à commencer leur extermination, car il ne devait guèrerester qu’une vingtaine de carnivores dangereux, les plus férocesayant déjà été tués. Après la mort du malheureux Homme-Chien, mondernier ami, j’adoptai aussi, dans une certaine mesure, l’habitudede dormir dans le jour, afin d’être sur mes gardes pendant la nuit.Je reconstruisis ma cabane, entre les ruines des murs de l’enclos,avec une ouverture si étroite qu’on ne pouvait tenter d’entrer sansfaire un vacarme considérable. Les monstres d’ailleurs avaientdésappris l’art de faire du feu, et la crainte des flammes leurétait venue. Une fois encore, je me remis avec passion à rassembleret à lier des pieux et des branches pour former un radeau surlequel je pourrais m’enfuir.

Je rencontrai mille difficultés. À l’époque où je fis mesétudes, on n’avait pas encore adopté les méthodes de Slojd, etj’étais par conséquent fort malhabile de mes mains ; maiscependant d’une façon ou d’une autre, et par des moyens fortcompliqués, je vins à bout de toutes les exigences de mon ouvrage,et cette fois je me préoccupai particulièrement de la solidité. Leseul obstacle insurmontable fut que je flotterais sur ces mers peufréquentées. J’aurais bien essayé de fabriquer quelque poterie,mais le sol ne contenait pas d’argile. J’arpentais l’île en toussens, essayant, avec toutes les ressources de mes facultés, derésoudre ce dernier problème. Parfois, je me laissais aller à defarouches accès de rage, et, dans ces moments d’intolérableagitation, je tailladais à coups de hachette le tronc de quelquesmalheureux arbres sans parvenir pour cela à trouver unesolution.

Alors, vint un jour, un jour prodigieux que je passai dansl’extase. Vers le sud-ouest, j’aperçus une voile, une voileminuscule comme celle d’un petit schooner, et aussitôt j’allumaiune grande pile de broussailles et je restai là en observation,sans me soucier de la chaleur du brasier ni de l’ardeur du soleilde midi. Tout le jour, j’épiai cette voile, ne pensant ni à manger,ni à boire, si bien que la tête me tourna ; les bêtesvenaient, me regardaient avec des yeux surpris et s’en allaient.L’embarcation était encore fort éloignée quand l’obscuritédescendit et l’engloutit ; toute la nuit je m’exténuai àentretenir mon feu, et les flammes s’élevaient hautes etbrillantes, tandis que, dans les ténèbres, les yeux curieux desbêtes étincelaient. Quand l’aube revint, l’embarcation était plusproche et je pus distinguer la voile à bourcet d’une petite barque.Mes yeux étaient fatigués de ma longue observation et malgré mesefforts pour voir distinctement je ne pouvais les croire. Deuxhommes étaient dans la barque, assis très bas, l’un à l’avant,l’autre près de la barre. Mais le bateau gouvernait étrangement,sans rester sous le vent et tirant des embardées.

Quand le jour devint plus clair, je me mis à agiter, commesignal, les derniers vestiges de ma vareuse. Mais ils ne semblèrentpas le remarquer et demeurèrent assis l’un en face de l’autre.J’allai jusqu’à l’extrême pointe du promontoire bas, gesticulant,et hurlant, sans obtenir de réponse, tandis que la barquecontinuait sa course apparemment sans but, mais qui la rapprochaitpresque insensiblement de la baie. Soudain, sans qu’aucun des deuxhommes ne fasse le plus petit mouvement, un grand oiseau blancs’envola hors du bateau, tournoya un instant et s’envola dans lesairs sur ses énormes ailes étendues.

Alors, je cessai mes cris et m’asseyant, le menton dans ma main,je suivis du regard l’étrange bateau. Lentement, lentement labarque dérivait vers l’ouest. J’aurais pu la rejoindre à la nage,mais quelque chose comme une vague crainte me retint. Dansl’après-midi, la marée vint l’échouer sur le sable et la laissa àenviron une centaine de mètres à l’ouest des ruines del’enclos.

Les hommes qui l’occupaient étaient morts ; ils étaientmorts depuis si longtemps qu’ils tombèrent par morceaux lorsque jevoulus les en sortir. L’un d’eux avait une épaisse chevelure roussecomme le capitaine de la Chance-Rouge et, au fond dubateau, se trouvait un béret blanc tout sale. Tandis que j’étaisainsi occupé auprès de l’embarcation, trois des monstres seglissèrent furtivement hors des buissons et s’avancèrent vers moien reniflant. Je fus pris à leur vue d’un de mes spasmes de dégoût.Je poussai le petit bateau de toutes mes forces pour le remettre àflot et sautai dedans. Deux des brutes étaient des loups quivenaient, les narines frémissantes et les yeux brillants ; latroisième était cette indescriptible horreur faite d’ours et detaureau.

Quand je les vis s’approcher de ces misérables restes, que jeles entendis grogner en se menaçant et que j’aperçus le reflet deleurs dents blanches une terreur frénétique succéda à ma répulsion.Je leur tournai le dos, amenai la voile et me mis à pagayer vers lapleine mer, sans oser me retourner.

Cette nuit-là, je me tins entre les récifs et l’île ; aumatin, j’allai jusqu’au cours d’eau pour remplir le petit baril queje trouvai dans la barque. Alors, avec toute la patience dont jefus capable, je recueillis une certaine quantité de fruits, guettaiet tuai deux lapins avec mes trois dernières cartouches ;pendant ce temps, j’avais laissé ma barque amarrée à une saillieavancée du récif, par crainte des monstres.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer