Micah Clarke – Tome I – Les Recrues de Monmouth

XIV – Du Curé à la jambe raide et de sesouailles.

Notre itinéraire nous fit traverser CastleCarey et Somerton, petites villes qui se trouvent dans une trèsbelle région pastorale, bien boisée et arrosée par de nombreuxcours d’eau.

Les vallées, dont la route coupe le centre,sont d’une richesse exubérante, abritées contre les vents par delongues collines ondulées, qui sont, elles aussi, cultivées avec leplus grand soin.

De temps à autre, nous passions devant latourelle couverte de lierre d’un vieux château, ou devant lespignons pointus d’une maison de campagne de constructionirrégulière, qui surgissait parmi les arbres.

Cela marquait la résidence rurale de quelquefamille bien connue.

Plus d’une fois, lorsque ces manoirs ne setrouvaient pas trop loin de la route, nous pûmes distinguer lestraces intactes, les lézardes béantes qu’avaient causées dans lesmurailles les orages des guerres civiles.

Fairfax, à ce qu’il parait, avait passé par làet avait laissé de nombreux vestiges de sa visite.

Je suis convaincu que mon père aurait eu biendes choses à raconter sur ces signes de la colère puritaine, s’ilavait chevauché côte à côte avec nous.

La route était encombrée de paysans quivoyageaient en formant deux forts courants en sens contraire :l’un dirigé de l’est à l’ouest et l’autre de l’ouest à l’est.

Le dernier se composait surtout de gens âgéset d’enfants, qu’on envoyait en lieu sûr, résider dans les comtésmoins agités jusqu’à la fin des troubles.

Bon nombre de ces pauvres gens poussaient desbrouettes chargées de literie et de quelques ustensiles fêlés quiformaient toute leur fortune en ce monde.

D’autres, plus aisés, avaient des petitescarrioles, tirées par les petits chevaux sauvages et velus queproduisent les landes du Somerset.

Par suite de l’entrain de ces bêtes à moitiédressées et de la faiblesse des conducteurs, les accidentsn’étaient point rares et nous passâmes près de plusieurs groupesmalchanceux, qui avaient versé dans le fossé avec leurs effets, ouqui faisaient cercle, en discutant avec inquiétude au sujet d’untimon fendu ou d’un essieu brisé.

Quant aux campagnards qui faisaient route versl’ouest, c’étaient pour la plupart des hommes à la fleur de l’âge,et peu ou point chargés de bagages.

Leurs figures brunies, leurs grosses bottes,et leurs limousines, indiquaient qu’ils étaient en grande majoritéde simples valets de ferme, quoique parmi eux, on reconnut, à leursbottes à revers ou à leur vêtement en étoffe à côtes, de petitsfermiers ou propriétaires.

Ces gens-là marchaient par bandes.

Le plus grand nombre étaient armés de grossestriques de chêne, qui leur servaient de bâtons pendant leur voyage,mais qui, maniées par des hommes robustes, pouvaient être des armesformidables.

De temps à autre, l’un d’eux entonnait unpsaume, qui était repris en chœur par tous ceux qui étaient àportée de l’entendre, en sorte que le chant finissait par gagnertoute la longueur de la route par vagues successives.

Sur notre passage, plusieurs nous lancèrentdes regards de colère.

D’autres échangèrent quelques paroles àdemi-voix en hochant la tête, et se demandant évidemment qui nousétions et quel était notre but.

Ça et là, parmi ce peuple, nous aperçûmes lehaut chapeau à larges bords et le manteau genevois qui étaient lesinsignes du clergé puritain.

– Nous voici enfin dans le pays de Monmouth,me dit Saxon, car Ruben Lockarby et sir Gervas Jérôme nousprécédaient, voilà les matériaux brutes qu’il nous faudra taillerpour en faire des soldats.

– Et des matériaux qui ne sont pas tropmauvais, répondis-je, car j’avais remarqué la force corporelle, etl’expression d’énergie et de bonhomie des figures. Ainsi donc vouscroyez que ces gens-là sont en route pour le camp deMonmouth ?

– Certainement, ils y vont. Voyez-vous là basce prédicant aux longs membres, à gauche, celui qui a un chapeau àgrande visière ne remarquez-vous pas la raideur avec laquelle ilmarche ?

– Mais oui, c’est sans doute qu’il est lasd’avoir voyagé !

– Ho ! Ho ! fit mon compagnon, enriant, j’ai déjà vu cette sorte de raideur : c’est que notrehomme à un sabre droit dans une des jambes de sa culotte. C’est unartifice qui sent bien son Parlementaire.

« Quand il sera sur un terrain sûr, il lesortira de là, et il s’en servira aussi, mais tant qu’il ne serapas hors de danger, qu’il risquera de tomber sur la cavalerieroyale, il se gardera bien de l’attacher à son ceinturon.

« À sa coupe, on reconnaît un ancien, unde ceux :

Qui appellent l’incendie, l’épée, la désolation,

Une pieuse et parfaite réformation.

« Le vieux Samuel vous les pose d’untrait de plume.

« En voici un autre, en avant de lui, quicache sous sa limousine un fer de faucille ; n’endistinguez-vous pas le contour ?

« Je parie qu’il n’y a pas un de cescoquins qui ne soit armé d’un fer de pioche, d’une lame de fauxdissimulée quelque part sur sa personne.

« Je commence à sentir encore une fois lesouffre de la guerre, et cela me rajeunit. Écoutez, mon garçon, jesuis enchanté de ne pas m’être attardé à l’hôtellerie.

– Vous aviez l’air d’hésiter entre deux partisà ce sujet, dis-je.

– Oui, oui, c’était une belle personne, et lesquartiers étaient confortables. Pour cela, je ne dis pas lecontraire. Mais, voyez-vous, le mariage est une citadelle où il estdiablement aisé de pénétrer, mais une fois qu’on y est entré, levieux Tilly lui-même ne vous en ferait pas sortir à votrehonneur.

« J’ai vu jadis un traquenard de ce genresur le Danube. À la première attaque, les Mameluks avaientabandonné la brèche tout exprès pour attirer les troupes impérialesdans le piège, dans les rues étroites qui s’étendaient au-delà, etbien peu d’hommes en revinrent. Ce n’est pas avec des rusespareilles qu’on attrape les vieux oiseaux.

« J’ai trouvé le moyen de causer avec undes compères et de lui demander ce qu’il pensait de la bonne dameet de son hôtellerie.

« Il paraît qu’à l’occasion, elle saitfaire des scènes et que sa langue a plus contribué à la mort de sonmari que l’hydropisie à laquelle le médecin l’a imputée.

« En outre, il s’est créé dans le villageune autre hôtellerie, qui est bien conduite, et qui probablementlui enlèvera la clientèle.

« Et puis, comme vous l’avez dit, c’estun pays ennuyeux, endormi. J’ai pesé toutes ces raisons, et j’aidécidé qu’il valait mieux renoncer à assiéger la veuve et battre enretraite quand je pouvais le faire encore avec la réputation et leshonneurs de la guerre.

– Cela vaut mieux aussi, dis-je. Vous auriezété incapable de vous habituer à une vie de buveur et de fainéant.Mais notre nouveau camarade… que pensez-vous de lui ?

– Par ma foi, répondit Saxon, nous finironspar former un peloton de cavalerie, si nous nous adjoignons tousles galants en quête d’une besogne. Mais quant à ce Sir Gervas, jesuis d’avis, comme je l’ai dit à l’auberge, qu’il a plus d’activitéqu’on ne lui en attribuerait à première vue.

« Ces jeunes étourdis de la noblesse sonttoujours prêts à se battre, mais je me demande s’il estsuffisamment endurci, s’il a assez de persévérance pour unecampagne telle que sera sans doute celle-ci.

« Puis, son extérieur est de nature à lefaire voir d’un mauvais œil par les Saints, et bien que Monmouth nesoit pas d’une vertu farouche, il est probable que les Saintsauront voix prépondérante dans son conseil.

« Mais regardez seulement de quel air ilmène son bel étalon gris de si belle apparence, et comme il seretourne pour nous regarder. Voyez ce chapeau de cheval enfoncé surses yeux, sa poitrine à demi découverte, sa cravache suspendue à saboutonnière, la main sur la hanche, et autant de jurons à la boucheque de rubans à son doublet.

« Remarquez de quel air il toise lespaysans à côté de lui.

« Il faudra qu’il change de manières,s’il veut combattre côte à côte avec ces fanatiques. Maisattention ! ou je me trompe fort, ou bien il s’est déjà misdans l’embarras.

Nos amis avaient arrêté leurs chevaux pournous attendre.

Mais à peine avaient-ils fait halte que leflot des paysans qui roulait au même niveau qu’eux ralentit samarche.

Ils se serrèrent autour d’eux, en faisantentendre des murmures de mauvais augure, accompagnés de gestesmenaçants.

D’autres campagnards, voyant qu’il se passaitquelque chose, accoururent pour soutenir leurs compagnons.

Saxon et moi, nous donnâmes de l’éperon à nosmontures.

Nous nous fîmes passage à travers la foule,qui devenait de minute en minute plus nombreuse et plus hostile, etnous accourûmes au secours de nos amis, mais nous étions pressés detous côtés par la cohue.

Ruben avait mis la main sur la garde de sonépée, pendant que Sir Gervas mâchait tranquillement son cure-dentet regardait la foule irritée d’un air où il y avait à la fois del’amusement et du dédain.

– Un ou deux flacons d’eau de senteur neseraient pas de trop, remarqua-t-il, si j’avais unvaporisateur.

– Tenez-vous sur vos gardes, mais ne dégainezpas, cria Saxon ; Qu’est-ce donc qui les prend, ces mangeursde lard ? Eh bien ! mes amis, que signifie cevacarme ?

Cette question, au lieu d’apaiser le tumulte,parut le rendre dix fois plus violent.

Tout autour de nous, c’étaient, sur vingthommes de profondeur, des figures farouches, des yeux irrités, çàet là le reflet d’une arme à demi sortie de sa cachette. Le tapage,qui d’abord n’était qu’un grondement rauque, prenait maintenant uneforme définie.

– À bas le Papiste, criait-on, à bas lesprélatistes !

– À mort le boucher érastien !

– À mort les cavaliers philistins !

– À bas ! à bas !

Quelques pierres avaient déjà sifflé à nosoreilles, et pour nous défendre, nous avions été forcés de tirernos épées, lorsque le ministre de haute taille, que nous avionsdéjà remarqué, se fraya passage à travers la cohue, et grâce à sastature et à sa voix impérieuse, parvint à obtenir le silence.

– Qu’avez-vous à dire ? demanda-t-il, ense tournant vers nous. Combattez-vous pour Baal ou pour leSeigneur ? Qui n’est pas avec nous est contre nous.

– De quel côté se trouve Baal, très Révérendmonsieur, et de quel côté se trouve le Seigneur ? demanda SirGervas Jérôme. M’est avis que si vous parliez en bon anglais aulieu de parler hébreu, nous arriverions plutôt à nous entendre.

– Ce n’est pas le moment pour des proposlégers, s’écria le ministre, dont la figure s’empourpra de colère.Si vous tenez à l’intégrité de votre peau, dites-moi si vous êtespour le sanguinaire usurpateur Jacques Stuart, ou pour sa TrèsProtestante Majesté le Roi Monmouth.

– Quoi ! il a déjà pris ce titre ?s’écria Saxon. Eh bien, sachez que nous sommes, tous les quatre,indignes instruments sans doute, en route pour offrir nos servicesà la cause protestante.

– Il ment, bon maître Pettigrue, il ment trèsimpudemment, cria du fond de la foule un robuste gaillard. A-t-onjamais vu un bon Protestant dans ce costume de Polichinelle, commecelui de là-bas ? Le nom d’Amalécite n’est-il pas écrit surson vêtement ? N’est-il pas habillé ainsi qu’il convient à unfiancé de la Courtisane Romaine. Dès lors pourquoi ne lesfrapperions-nous pas ?

– Je vous remercie, mon digne ami, dit SirGervas, dont le costume avait excité la colère de ce champion, sij’étais plus près de vous, je vous rendrais une bonne partie del’attention que vous m’avez accordée.

– Quelle preuve avons-nous que vous n’êtes pasà la solde de l’usurpateur et en route pour aller persécuter lesfidèles ? demanda l’ecclésiastique puritain.

– Je vous le répète, mon homme, dit Saxon d’unton d’impatience, nous avons fait tout le trajet depuis leHampshire pour combattre contre Jacques Stuart. Nous allons nousrendre à cheval au camp de Monmouth en votre compagnie. Pouvez-vousexiger une preuve meilleure ?

– Il peut se faire que vous cherchiezsimplement le moyen d’échapper à la captivité parmi nous, fitremarquer le ministre, après avoir délibéré avec un ou deux chefsde paysans. Nous sommes donc d’avis qu’avant de nous accompagner,vous nous remettiez vos épées, pistolets, et autres armescharnelles.

– Non, cher monsieur, cela ne saurait être. Uncavalier ne peut se défaire honorablement de sa lame ou de saliberté, de la façon que vous demandez. Tenez-vous tout près de moidu côté de la bride, Clarke, et sabrer le premier coquin qui mettrala main sur vous.

Un bourdonnement de fureur monta de lafoule.

Une vingtaine de bâtons et de lames defaucilles se levaient contre nous, quand le ministre intervint denouveau et imposa silence à sa bruyante escorte.

– Ai-je bien entendu ? demanda-t-il.Est-ce que vous vous nommez Clarke ?

– Oui, répondis je.

– Votre nom de baptême ?

– Micah.

– Demeurant à… ?

– Havant.

Le Clergyman s’entretint quelques instantsavec un barbon aux traits durs, vêtu de bougran noir, qui setrouvait tout près de lui.

– Si vous êtes réellement Micah Clarke, deHavant, dit-il, vous pourrez nous dire le nom d’un vieux soldat,qui a appris la guerre en Allemagne et qui devait se rendre avecvous au camp des fidèles.

– Mais le voici, répondis-je. Il se nommaDecimus Saxon.

– Oui, oui, maître Pettigrue, s’écria lebarbon, c’est bien le nom indiqué par Dicky Rumbold. Il a dit quele vieux Tête-Ronde Clarke ou son fils viendrait avec lui. Maisquels sont ces gens-là ?

– Celui-ci, c’est l’ami Ruben Lockarby, deHavant lui aussi, et Sir Gervas Jérôme, du Surrey. Ils sont icil’un et l’autre comme volontaires, désireux de servir sous le ducde Monmouth.

– Je suis tout à fait charmé de vous voiralors, dit l’imposant ministre. Amis, je puis vous certifier queces gentlemen sont bien disposés pour les honnêtes gens et pour lavieille cause.

À ces mots, la fureur de la foule fit placeinstantanément à l’adulation, à la joie la plus extravagante.

On se serra autour de nous ; on caressanos bottes de cheval ; on tira les bords de nos habits ;on nous serra la main ; on appela les bénédictions du ciel surnos têtes.

Le Clergyman parvint enfin à nous délivrer deces attentions et à remettre son monde en marche.

Nous nous plaçâmes au milieu de la foule, leministre allongeant le pas entre Saxon et moi.

Ainsi que Ruben en fit la remarque, il étaitbâti de façon à servir de transition entre nous deux, car il étaitplus grand mais moins large que moi.

Il était plus large et moins grand quel’aventurier.

Il avait la face longue, maigre, avec desjoues creuses, et une paire de sourcils très proéminents, d’yeuxtrès enfoncés, à l’expression mélancolique, où passait de temps àautre comme un éclair la flamme soudaine d’un enthousiasmeardent.

– Je me nomme Josué Pettigrue, gentlemen,dit-il. Je suis un digne ouvrier dans la vigne du Seigneur, et prêtà rendre témoignage par ma voix et mon bras à son saint Covenant.Voici mon fidèle troupeau, que j’emmène vers l’Ouest, afin qu’ilsoit tout prêt pour sa moisson, lorsqu’il plaira au Tout-Puissantde le convoquer.

– Mais pourquoi ne leur avez-vous pas faitprendre une sorte d’ordre ou de formation ? demanda Saxon. Ilssont éparpillés sur toute la longueur de la route comme une banded’oies par un terrain communal, à l’approche de la Saint-Michel.Est-ce que vous ne craignez rien ? N’est-il pas écrit quevotre malheur survient à l’improviste, que vous serez brisésbrusquement, sans remède ?

– Oui, ami, mais n’est-il pas écrit d’autrepart : « Mets ta confiance en Dieu de tout ton cœur, etne l’appuie pas sur ta propre intelligence. » Remarquez-le, sije rangeais mes hommes à la façon des soldats, cela attireraitl’attention, et amènerait une attaque de la part de la cavalerie deJacques qui arriverait de notre côté. Mon désir est d’amener montroupeau au camp de Monmouth et de leur procurer des mousquetsavant de les exposer dans une lutte aussi inégale.

– Vraiment, monsieur, c’est là une sagerésolution, dit Saxon d’un air sévère, car si une troupe decavalerie fondait sur ces bonnes gens, le berger n’aurait plus detroupeau.

– Non, cela n’arriverait jamais, s’écriaMaître Pettigrue avec élan. Dites plutôt que berger, troupeau, etle reste se mettraient en marche sur le sentier épineux du martyre,qui conduit à la Jérusalem nouvelle. Sache, ami, que j’ai quittéMonmouth pour amener ces hommes sous son étendard. J’ai reçu delui, ou plutôt de Maître Ferguson, des instructions m’ordonnant devous trouver, ainsi que plusieurs autres des fidèles, dont nousattendons l’arrivée du côté de l’Est. Par quelle route êtes-vousvenu ?

– À travers la plaine de Salisbury, et ensuitepar Bruton.

– Et avez-vous rencontré de nos gens onroute ?

– Pas un seul, répondit Saxon, mais nous avonslaissé les Gardes bleus à Salisbury, et nous avons vu soit ceux-ci,soit un autre régiment tout près de ce côté-ci de la Plaine, auvillage de Mere.

– Ah ! voici qu’a lieu le rassemblementdes aigles, s’écria Maître Josué Pettigrue, en secouant la tête. Cesont des gens aux beaux vêtements, avec chevaux de guerre etchariots, et harnais, comme les Assyriens de jadis, mais l’Ange duSeigneur soufflera sur eux pendant la nuit. Oui, dans sa colère, illes tranchera tous, et ils seront détruits.

– Amen ! Amen ! crièrent tous ceuxdes paysans qui étaient assez près pour entendre.

– Ils ont élevé leur corne, Maître Pettigrue,dit le Puritain aux cheveux gris. Ils ont établi leur chandeliersur une hauteur, le chandelier d’un rituel corrompu et d’uncérémonial idolâtre. Ne sera-t-il pas abattu par les mains desjustes ?

– Oh ! voici que ledit chandelier agrossi et qu’il brûle en produisant de la suie et qu’il fut même unsujet de répugnance pour les narines, dans les jours de nos pères,s’écria un lourdaud, à figure rouge, que son costume indiquaitcomme appartenant à la classe des yeomen. Il en était ainsi quandle vieux Noll prit ses mouchettes et se mit à l’arranger. C’est unemèche qui ne peut être taillée que par l’épée des fidèles.

Un rire farouche de toute la troupe montracombien elle goûtait les pieuses plaisanteries du compagnon.

– Ah ! frère Sandcroft, s’écria lepasteur, il y a tant de douceur, tant de manne cachées dans votreconversation. Mais la route est longue et monotone. Nel’allégerons-nous pas par un chant d’éloges ? Où est frèreThistlethwaite, dont la voix est comme la cymbale, le tambour et ledulcimer.

– Me voici, très pieux Maître Pettigrue, ditSaxon. Moi-même je me suis hasardé à élever ma voix devant leSeigneur.

Et sans autre préambule, il attaqua d’une voixde stentor l’hymne suivant, repris en chœur au refrain par lepasteur et son troupeau :

Le Seigneur ! Il est un morion

Qui me protège contre toute blessure ;

Le Seigneur ! Il est une cotte de mailles

Qui m’entoure tout le corps.

Dès lors qui craint de tirer l’épée.

Et de livrer les combats du Seigneur ?

Le Seigneur ! Il est mon bouclier fidèle,

Qui est suspendu à mon bras gauche,

Le Seigneur ! Il est la cuirasse éprouvée

Qui me défend contre tous les coups.

Dès lors, qui craint de tirer l’épée

Et de livrer les combats du Seigneur ?

Qui donc redoute les violents

Ou tremble devant l’orgueilleux.

Est-ce que je fuirai devant deux ou trois,

Lorsqu’IL sera à mon côté.

Dès lors, qui craint de tirer l’épée,

Et de livrer les combats du Seigneur ?

Ma foi est comme une citadelle

Qu’entourant de toute part fossé et murailles

Ni mine, ni sape, ni brèche, ni ouverture

Ne sauraient prévaloir contre elle

Dès lors, qui craint de tirer l’épée

Et de livrer les batailles du Seigneur ?

Saxon se tut, mais le Révérend Josué Pettigrueagita ses longs bras et répéta le refrain qui fut repris bien desfois par la colonne des paysans en marche.

– C’est un hymne pieux, dit notre compagnon,qui avait repris la voix nasillarde et pleurarde, à laquelle ilavait recouru en présence de mon père, et qui excitait ainsi mondégoût, en même temps que l’étonnement de Ruben et de Sir Gervas,et il a rendu de grands services sur le champ de bataille.

– Véritablement, dit le clergyman, si voscamarades sont de saveur aussi douce que vous-même, vous vaudrezaux fidèles une brigade de piquiers.

Cette appréciation souleva un murmureapprobateur chez les Puritains qui nous entouraient.

– Monsieur, reprit-il, puisque vous êtes pleind’expérience dans les pratiques de la guerre, je serai heureux devous remettre le commandement de ce petit corps de fidèles jusqu’aumoment où nous rejoindrons l’armée.

– En effet, dit tranquillement Decimus Saxon,il n’est que temps, de bonne foi, de mettre à votre tête un soldat.Ou bien mes yeux me trompent singulièrement, ou j’aperçois lereflet des épées et des cuirasses au haut de cette pente. M’estavis que nos pieux exercices ont attiré l’ennemi sur nous.

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