Pardaillan et Fausta

Chapitre 14LES DEUX DIPLOMATES

– Comment se fait-il qu’un homme de votre valeur n’aitd’autre titre que celui de chevalier ? demanda brusquementEspinosa.

– On m’a fait comte de Margency, fit Pardaillan avec unhaussement d’épaules.

– Comment se fait-il que vous soyez resté un pauvregentilhomme sans feu ni lieu ?

– On m’a donné les terres et revenus du comte de Margency…J’ai refusé. Un ange, oui, je dis bien, un ange par la bonté, parle dévouement, par l’amour sincère et constant, fit Pardaillan avecune émotion contenue, m’a légué sa fortune – considérable –monsieur, puisqu’elle s’élevait à deux cent vingt mille livres.J’ai tout donné aux pauvres sans distraire une livre.

– Comment se fait-il qu’un homme de guerre tel que voussoit resté un simple aventurier ?

– Le roi Henri III a voulu faire de moi un maréchal de sesarmes… J’ai refusé.

– Comment se fait-il enfin qu’un diplomate comme vous secontente d’une mission occasionnelle, sans grandeimportance ?

– Le roi Henri de Navarre a voulu faire de moi son Premierministre… J’ai refusé.

Espinosa parut réfléchir un instant. En réalité ilpensait : « Chaque réponse de cet homme est un véritablecoup de boutoir… Eh bien, procédons comme lui… Assommons-le d’unseul coup. »

Et à Pardaillan qui attendait paisiblement :

– Vous avez bien fait de refuser. Ce qu’on vous offraitétait au-dessous de votre mérite, dit-il, d’un air convaincu.

Pardaillan le considéra d’un œil étonné et, doucement :

– Je crois que vous faites erreur, monsieur. Tout ce quim’a été offert était, au contraire, fort au-dessus de ce quepouvait rêver un pauvre aventurier comme moi.

Pardaillan ne jouait nullement la comédie de la modestie. Ilétait sincère. C’était un des côtés remarquables de cette natureexceptionnelle de s’exagérer les obligations, très réelles, qu’onlui devait.

Espinosa ne pouvait pas comprendre qu’un homme conscient de sasupériorité, comme paraissait l’être le chevalier, un audacieuxpareil, fût en même temps un timide et un modeste dans lesquestions de sentiment.

Il crut avoir affaire à un orgueilleux et qu’en y mettant leprix, il pourrait se l’attacher. Il reprit donc, avec une lenteurcalculée :

– Je vous offre le titre de duc avec la grandesse et dixmille ducats de rente perpétuelle à prendre sur les revenus desIndes ; un gouvernement de premier ordre, avec rang device-roi, pleins pouvoirs civils et militaires, et une allocationannuelle de vingt mille ducats pour l’entretien de votremaison ; vous serez fait capitaine de huit bannières[17] espagnoles et vous aurez le collier del’ordre de la Toison… Ces conditions vous paraissent-ellessuffisantes ?

Cela dépend de ce que j’aurai à faire en échange de ce que vousm’offrez, dit Pardaillan avec flegme.

– Vous aurez à mettre votre épée au service d’une causesainte, pour mieux dire, dit Espinosa.

– Monsieur, dit le chevalier simplement, sans forfanterie,il n’est pas un gentilhomme digne de ce nom qui hésiterait à donnerl’appui de son épée à une cause que vous qualifiez noble et juste.Il n’est besoin pour cela que de faire appel à des sentimentsd’honneur ou, plus simplement, d’humanité… Gardez donc titres,rentes, honneur et emplois… L’épée du chevalier de Pardaillan sedonne, mais ne se vend pas.

– Quoi ! s’écria Espinosa stupéfait, vous refusez lesoffres que je vous fais ?

– Je refuse, dit froidement le chevalier… Mais j’accepte deme consacrer à la cause dont vous parlez.

– Cependant, il est juste que vous soyezrécompensé !

– Ne vous mettez pas en peine de ceci… Voyons plutôt enquoi consiste cette cause noble et juste, fit Pardaillan avec sonair narquois.

– Monsieur, fit Espinosa après avoir jeté un coup d’œild’admiration sur le chevalier, modeste et paisible, vous êtes un deces hommes avec qui la franchise devient la suprême habileté…J’irai donc droit au but.

Espinosa parut se recueillir un instant.

« Mordieu ! se dit Pardaillan, voici une franchise quine paraît pas vouloir sortir toute seule ! »

– Je vous écoutais attentivement lorsque vous parliez auroi, continua Espinosa en fixant Pardaillan, et il m’a semblé quel’espèce d’aversion que vous paraissiez avoir pour lui provientsurtout du zèle qu’il déploie dans la répression de l’hérésie. Ceque vous lui reprochez le plus, ce qui vous le rend antipathique,ce sont ces hécatombes de vies humaines qui répugnent à votresensibilité, selon votre propre expression… Est-ce vrai ?

– Cela… et puis autre chose encore, fit énigmatiquement lechevalier.

– Parce que vous ne voyez que les apparences et non laréalité. Parce que la barbarie apparente des effets vous frappeseule et vous empêche de discerner la cause profondément humaine,généreuse, élevée… Trop généreuse et élevée, même, puisqu’elleéchappe à un esprit comme le vôtre, monsieur. Mais si je vousexpliquais…

– Expliquez, monsieur, je ne demande pas mieux que d’êtreconvaincu… Quoique, à vrai dire, vous aurez bien de la peine à mepersuader que c’est par générosité et par humanité que vous faitesgriller des pauvres diables qui ne demandent qu’à vivre leur viepaisiblement, et sans nuire à leur prochain.

– C’est cependant ce que je me fais fort de vous prouver,dit gravement Espinosa.

– Pardieu ! je suis curieux de voir comment vous vousy prendrez pour justifier le fanatisme religieux et lespersécutions qu’il engendre, fit Pardaillan avec son sourirerailleur.

– Fanatisme religieux ! Persécution ! s’exclamaEspinosa. On croit avoir tout dit, tout expliqué, avec ces deuxmots. Parlons-en donc. Vous, monsieur de Pardaillan, je l’ai vu dupremier coup, vous n’avez pas de religion, n’est-ce pas ?

– Si vous entendez parler de culte, de doctrine, oui, jesuis sans religion.

– C’est bien ainsi que je l’entends, approuva Espinosa. Ehbien ! monsieur, comme vous, et au même sens que vous, je suissans religion… Cet aveu que je fais et qui pourrait, s’il tombaitdans d’autres oreilles, me conduire au bûcher, moi, le grandinquisiteur, vous dit assez quelle confiance j’ai en votre loyautéet jusqu’à quel point j’entends pousser la franchise.

– Monsieur, dit gravement le chevalier, tenez pour assuréqu’en sortant d’ici j’oublierai tout ce que vous aurez bien voulume dire.

– Je le sais, monsieur, et c’est pourquoi je parle sanshésitation et sans fard, dit simplement Espinosa, quireprit :

– Là où il n’y a pas de religion, il ne saurait y avoirfanatisme. Il n’y a que l’application rigoureuse d’un systèmemûrement étudié.

– Fanatisme ou système, le résultat est toujours lemême : la destruction d’innombrables existences humaines.

– Comment pouvez-vous vous arrêter à d’aussi pauvresconsidérations ? Que sont quelques existences lorsqu’il s’agitdu salut et de la régénération de toute une race ! Ce quiapparaît aux yeux du vulgaire comme une persécution n’est enréalité qu’une vaste opération chirurgicale nécessaire… Noustaillons les membres gangrenés pour sauver le corps, nous brûlonsles plaies pour les cicatriser… Bourreaux ! dit-on. Niaiserie.Le blessé qui sent le couteau de l’opérateur taillerimpitoyablement sa chair pantelante hurle de douleur et injurie sonsauveur qu’il traite, lui aussi, de bourreau. Cependant celui-ci nese laisse pas émouvoir par les clameurs de son malade en délire… Ilaccomplit froidement sa mission, il va jusqu’au bout de son devoir,qui est d’achever l’opération bienfaisante avec tout le soin voulu,et il sauve son malade, souvent malgré lui. Alors, redevenu sain,robuste et vigoureux, l’opéré n’a plus que de la gratitude pourcelui qu’il appelait bourreau et en qui, revenu à une plus justeappréciation des choses, il ne voit maintenant que ce qu’il est enréalité : un sauveur. Nous sommes, monsieur, ces opérateursimpassibles, impitoyables – en apparence – mais au fond, humains etgénéreux. Nous ne nous laissons pas plus émouvoir par les plaintes,les clameurs, les injures, que nous ne nous montrerons touchés pardes manifestations de reconnaissance le jour où nous aurons mené àbien l’opération entreprise, c’est-à-dire le jour où nous auronssauvé l’humanité. Comme ces opérateurs, nous poursuivonsméthodiquement notre tâche, nous accomplissons patiemment notredevoir sans que rien puisse nous rebuter, et notre seule récompensesera dans la satisfaction du devoir accompli.

Le chevalier avait écouté attentivement l’explicationqu’Espinosa venait de lui donner avec une chaleur qui contrastaitétrangement avec le calme immuable qu’il montraithabituellement.

Lorsque Espinosa eut terminé, il resta un moment rêveur, puisredressant sa tête fine :

– Je ne doute pas de votre sincérité, dit-il. Mais vousavez proclamé votre manque de foi religieuse. Or le médecin dontvous parliez est sincèrement convaincu de l’efficacité del’opération qu’il va pratiquer sur un corps malade. Il peut setromper, il est respectable parce que sincère… Mais vous, monsieur,vous vous attaquez à un corps sain, et sous prétexte de lerégénérer, de le sauver – et je me demande de quoi vous voulez lesauver puisqu’il n’est pas malade – vous voulez lui imposer unremède auquel vous-même vous n’avez pas foi… Alors, monsieur,j’avoue que je ne comprends plus…

– Comme vous, monsieur, reprit Espinosa avec une convictionardente, je suis dénué de cette religion qui consiste à rendre unculte aveugle à une divinité quelconque. Comme vous, j’ai cettereligion qui ne suit que les inspirations du cœur et de la raison.Comme vous, je me sens animé pour mon prochain de cet amour vaste,profond, désintéressé qui m’a fait rêver le bonheur de messemblables. C’est pourquoi je n’ai pas hésité à consacrer toutesles forces de mon intelligence et de mon énergie à rechercher où setrouvait ce bonheur, afin de le leur donner. Mais, monsieur,cherchez combien sont capables de comprendre ce que je vous dis… Àpeine une infime poignée de cerveaux naturellement doués, à peinequelques âmes hautes et droites… Le reste – la masse immense,incalculable – est dans la situation de ce blessé, dont je vousparlais, à qui le médecin doit imposer l’opération salutaire qu’ilmaudit sur le moment parce qu’il ne la comprend pas et qu’il béniraplus tard quand il sentira la vie affluer de nouveau en lui.

– Mais êtes-vous sûr, monsieur, qu’en agissant ainsi, vousréalisez le bonheur de l’humanité ?

– Oui, fit nettement Espinosa. J’ai longuement médité cesquestions et j’ai mesuré le fond des choses, je suis arrivé à cetteconclusion que la science est la grande, l’unique ennemie qu’ilfaut combattre avec une ténacité implacable, parce que la scienceest la négation de tout et qu’au bout c’est la mort, c’est-à-direle néant, c’est-à-dire la terreur, le désespoir, l’horreur. Tout cequi se livre à la science aboutit fatalement là où je suis :au doute. Le bonheur se trouve donc dans l’ignorance la pluscomplète, la plus absolue, parce qu’elle préserve la foi, et que lafoi seule peut rendre doux et paisible l’inéluctable moment où toutest fini. Parce qu’avec la foi tout n’est pas fini précisément, etque ce moment d’horreur intense devient un passage dans une viemeilleure. Voilà pourquoi je poursuis irrémissiblement tout ce quimanifeste des idées d’indépendance, tout ce qui s’adonne à lascience maudite. Voilà pourquoi je veux imposer à l’humanitéentière cette foi que j’ai perdue, parce que, assuré de mourirdésespéré, je veux, dans mon amour pour mes semblables, leur éviterdu moins, mon sort affreux.

– En sorte que vous leur imposez toute une vie decontrainte, de souffrances et de malheur pour leur assurerquoi ?… Un moment d’illusions qui durera l’espace d’unsoupir.

– Qu’importe ! Croyez-moi, le moment est assez affreuxpour que son adoucissement ne soit pas payé trop cher par toute unevie misérable, comme vous dites.

Le chevalier le considéra un instant avec une stupeur indignée,et d’une voix vibrante :

– Vous osez parler d’humanité quand vous rêvez de fairepayer de toute une vie de misère l’adoucissement problématique d’uninstant fugitif ! dit-il. Il me semble, à moi, qu’il seraitpréférable de vivre toute une vie heureuse, quitte à la payer d’uninstant de terreur et d’angoisse. Soyez sûr, monsieur, que lesmalheureux à qui vous voulez imposer l’effroyable supplice que, parsuite de je ne sais quelle aberration, vous appelez un bonheur,vous diraient ce que je dis si vous preniez la peine de lesconsulter sur une chose qui les intéresse pourtant un peu,convenez-en.

– Ce sont des enfants, dit Espinosa avec dédain. On neconsulte pas des enfants… On les corrige, et tout est dit.

– Des enfants ! c’est bientôt dit, monsieur ! Cesenfants sont en droit de vous dire, avec quelque apparence deraison, que c’est vous et vos pareils qui êtes, non pas des enfantsinoffensifs, malheureusement, mais des fous furieux, qu’il faudraitabattre sans pitié pour le bien général. Mordieu ! monsieur,de quoi vous mêlez-vous ? Laissez donc les gens vivre à leurguise et ne cherchez pas à leur imposer un bonheur qu’à tort ou àraison ils considèrent comme un épouvantable malheur.

– Ainsi, monsieur, fit Espinosa, qui reprit son air calmeet paisible, vous croyez que le bonheur consiste à vivre saguise ?

– Monsieur, dit froidement Pardaillan, je crois que sousvos airs d’humanité et de désintéressement, vous cherchez votrepropre bonheur avant tout. Eh bien, ce bonheur, vous ne letrouverez pas dans l’effroyable domination que vous rêvez. Le longdes routes où j’ai passé la plus grande partie de mon existence,j’ai ramassé des idées qui ont cours et qui pourraient vousparaître étranges. Cependant, nous sommes quelques-uns, plusnombreux qu’on ne pense, qui voulons notre part de soleil et de vieNous estimons que la vie serait belle si nous la vivions en hommesque nous sommes et non en loups dévorants, et nous ne voulons passacrifier notre part de bonheur à l’appétit d’une poignéed’ambitieux titrés rois, princes ou ducs. C’est pourquoi je vousdis : Ne vous occupez pas tant des autres, vivez la vie tellequ’elle est, prenez-en tout ce qu’on en peut prendre dans ce courtpassage. Aimez le soleil et les étoiles, la chaleur de l’été et lesneiges de l’hiver, aimez surtout l’amour, qui est tout l’homme.Mais laissez à chacun la part qui lui revient. Vous trouverez là lebonheur… En tout cas, Espagnol vous êtes, restez Espagnol, etlaissez-nous nous débrouiller comme nous pourrons chez nous.N’essayez pas de venir nous imposer les sinistres idées que vousavez… Cela vaudra mieux pour nous… et pour vous.

– Allons, fit Espinosa, sans manifester aucun dépit, jen’ai pas réussi à vous convaincre. Mais si j’ai échoué dans desgénéralités, peut-être serai-je plus heureux dans un casparticulier que je veux vous soumettre.

– Dites toujours, fit Pardaillan sur la défensive.

– Vous, monsieur, dit Espinosa sans la moindre ironie, vousqui êtes un preux, toujours prêt à tirer l’épée pour le faiblecontre le fort, refuserez-vous de prêter l’appui de votre épée àune cause juste ?

– Cela dépend, monsieur, fit le chevalier, imperturbable.Ce qui vous apparaît comme noble et juste peut m’apparaître, à moi,comme bas et vil.

– Monsieur, fit Espinosa en le regardant en face,laisseriez-vous accomplir froidement un assassinat sous vos yeux,sans essayer d’intervenir en faveur de la victime ?

– Non pas, certes !

– Eh bien ! monsieur, dit nettement Espinosa, ils’agit d’empêcher un assassinat.

– Qui veut-on assassiner ?

– Le roi Philippe, dit Espinosa avec un air de sincéritéimpressionnant.

– Diantre ! monsieur, fit Pardaillan, qui reprit sonsourire gouailleur, il me semble pourtant que Sa Majesté est detaille à se défendre !

– Oui, dans un cas normal. Non, dans ce cas toutparticulier, Sa Majesté se trouve livrée pieds et poings liés auxcoups qui la menacent.

– Expliquez-vous, monsieur, fit le chevalier, intrigué.

– Un homme, un ambitieux, a juré de tuer le roi. Il amûrement et longuement préparé son forfait. À cette heure, il estprêt à frapper, et nous ne pouvons rien contre ce misérable, parcequ’il a eu la diabolique adresse de se faire adorer de toutel’Andalousie, et que porter la main sur lui, tenter seulement del’arrêter serait provoquer un soulèvement irrésistible. Parce quepour l’atteindre et sauver le roi, il faudrait frapper les milliersde poitrines qui se dresseront entre cet homme et nous. Le roin’est pas l’être sanguinaire que vous croyez, et plutôt que defrapper une multitude d’innocents égarés par les machinations decet ambitieux, il préfère s’abandonner aux mains de Dieu etaffronter la mort. Mais nous, monsieur, qui avons pour devoir sacréde veiller sur les jours de Sa Majesté, nous cherchons un moyend’arrêter la main criminelle avant l’accomplissement de sonforfait, sans déchaîner la fureur populaire. Et c’est pourquoi jevous demande, si vous consentez à empêcher ce crime monstrueux.

– Il est de fait, dit Pardaillan, qui cherchait à démêlerla vérité dans l’accent et la physionomie du grand inquisiteur, quebien que le roi ne me soit guère sympathique, il s’agit d’un crimeque je ne pourrais laisser s’accomplir froidement s’il dépendait demoi de l’empêcher.

– S’il en est ainsi, dit vivement Espinosa, le roi estsauvé et votre fortune est faite.

– Ma fortune est toute faite, ne vous en occupez donc pas,railla le chevalier, qui réfléchissait profondément. Expliquez-moiplutôt comment je pourrai exécuter seul ce que votre Saint-Officene peut accomplir malgré la puissance formidable dont ildispose.

– C’est bien simple. Supposez qu’un accident survienne quiarrête l’homme avant l’accomplissement de son crime, sans qu’onpuisse nous accuser d’y être pour quelque chose. Le roi est sauvésans que ces troubles soient à redouter, ce qui estl’essentiel.

– Vous ne pensez pourtant pas que je vaisl’assassiner ! fit Pardaillan glacial.

– Non pas, certes, dit vivement Espinosa. Mais vous pouvezvous prendre de querelle avec lui et le provoquer en combat loyal.L’homme est brave. Mais votre épée est invincible. Le dénouement dela rencontre est assuré, c’est la mort certaine de votreadversaire. Pour le reste, la foule n’ira pas, je présume,s’ameuter parce qu’un étranger se sera pris de querelle avec ElTorero, et d’un coup d’épée malheureux aura brisé net la carrièrede ce trop remuant personnage… C’est l’accident banal dont je vousparlais.

« J’avais bien deviné, pensa Pardaillan. C’est un tour detraîtrise à l’adresse de ce malheureux prince, et ce prêtre pensebénévolement que j’accepterai d’exécuter le coup. »

Et, la moustache hérissée :

– Vous avez bien dit El Torero ?

– Oui, fit Espinosa avec un commencement d’inquiétude.Auriez-vous des raisons personnelles de le ménager ?

– Monsieur, dit Pardaillan, d’un air glacial et sansrépondre à la question, je pourrais vous dire que cette histoire decomplot contre la vie du roi n’est qu’un conte forgé de toutespièces… je me contenterai de vous dire que vous me proposez là unbel assassinat dont je ne me ferai pas le complice.

– Pourquoi ? fit doucement Espinosa.

– Mais, fit Pardaillan du bout des lèvres, d’abord parcequ’un assassinat est une action basse et vile, et qu’avoir osé mela proposer, m’avoir cru capable de l’accepter, constitue uneinjure grave que je devrais vous faire rentrer dans la gorge, si jene me souvenais qu’il n’y a pas bien longtemps vous avez préservémes jours en négligeant d’utiliser les assassins que vous aviezaposté à mon intention. Mais prenez garde ! La patience n’ajamais été une de mes vertus, et les propositions injurieuses quevous me faites depuis une heure me dégagent des obligations que jecrois vous avoir. Mais comme vous pourriez ne pas comprendre cesraisons, que je m’étonne d’être obligé de vous donner, je vousavertis simplement que don César est de mes amis. Et si j’ai unconseil à vous donner à vous et à votre maître, c’est de ne rienentreprendre de fâcheux contre ce jeune homme.

– Pourquoi ? fit encore Espinosa avec la mêmedouceur.

– Parce que je m’intéresse à lui et que je ne veux pasqu’on y touche, dit froidement Pardaillan, qui se leva.

Espinosa eut un sourire livide et se levait aussi :

– Je vois avec regret que nous ne sommes pas faits pournous entendre, dit-il.

– Je l’ai vu du premier coup… je l’ai même dit à votremaître, fit Pardaillan toujours froid.

– Monsieur, dit Espinosa impassible, je vous ai engagé maparole que vous quitteriez le palais sain et sauf. Si je tiens maparole c’est que je suis sûr de vous retrouver et alors je vousbriserai impitoyablement, car vous êtes un obstacle à des projetslonguement et patiemment élaborés… Allez donc, monsieur, etgardez-vous bien.

Pardaillan le regarda bien en face et l’air étincelant, sansforfanterie, avec une assurance impressionnante :

– Gardez-vous vous-même, monsieur, dit-il, car moi aussi jeme suis promis à moi-même de renverser ces projets longuement etpatiemment élaborés, et quand je promets quelque chose, je tienstoujours ma promesse.

Et il sortit d’un pas ferme et assuré, suivi des yeux parEspinosa, qui souriait d’un sourire étrange.

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