Quatre femmes et un homme

MARIAGE

Cependant, à Paris, lettres sur lettresarrivaient de Naples, qui toutes concluaient ainsi :

« De l’argent.

» Il ne nous manque que de l’argent.

» Ne laissez rien à l’hôtel de Guise,voire à l’hôtel de Chevreuse. Et envoyez-nous del’argent. »

Le vieux duc envoyait toujours.

Déjà plusieurs millions étaient passés àNaples, sans qu’aucun résultat fût venu récompenser tant de zèlegénéreux.

M. de Chevreuse était riche ;mais il n’y a pas de fortune pour résister à de si terriblesassauts.

Deux mois environ avant les événementsrapportés au précédent chapitre, il fit venir le chevalier deLorraine, frère de M. de Guise, et lui déclara nettementqu’il était à bout de ses ressources.

Celui-ci voulut bien faire quelquesobjections ; mais M. de Chevreuse lui ferma labouche, en montrant la copie d’un message où il priait monsieur sonneveu de ne plus compter sur son secours.

La lettre était en route pour Naples.

– Et il était grand temps de m’arrêter,Charles, ajouta-t-il. Sauf mon château de Chevreuse et mon hôtel,je ne me connais pas, grâce à M. de Guise, un pouce deterre en France, à l’heure qu’il est.

La réponse au message dont nous venons deparler ne se fit pas attendre.

C’était une longue et piteuse lamentation.L’entreprise était à point.

Encore un effort, et tout se terminerait àsouhait :

« Enfin, monsieur mon oncle, disait leduc en finissant, envoyez ce que vous pourrez (le plus sera lemieux), et, si vous n’avez pas de nouvelles avant huitaine,embarquez-vous hardiment.

» Votre soumis neveu vous recevra lacouronne en tête et vous donnera place sur son trône. »

– Manquer si magnifique aubaine, faute dequelques milliers de louis ! soupira le vieux duc, tandis queson secrétaire déposait la lettre en grande cérémonie dans uncoffret où reposaient toutes les missives royales deM. de Guise.

» Laisser Henri, mon neveu, en si beauchemin !… Vive Dieu ! vive Dieu !… c’est à en perdrela tête !… Comtois !

Le valet contemporain de Henri le Grand montrasilencieusement sa tête chauve à la porte entr’ouverte.

– Mon carrosse ! tout de suite…Allons donc ! dit impatiemment le duc.

Comtois s’inclina et obéit de son mieux ;mais il paraît que le ton de son maître l’avait grandementmécontenté, car ses camarades purent l’entendre murmurer, pendantqu’il traversait l’antichambre :

– Ventre-saint-gris ! depuis le jouroù le feu roi (Henri IV, sans doute) fut malement assassiné,on ne m’a pas parlé sur ce ton à l’hôtel de Chevreuse… « Moncarrosse tout de suite ! Allons donc !… »Ventre-saint-gris !

M. de Chevreuse se fit conduira àl’hôtel de Guise, afin de faire argent de ce qui s’ytrouvait ; mais tout avait disparu déjà ; le dernierenvoi de Charles de Lorraine se composant du prix des meubles del’hôtel.

Ces salles immenses privées de meubles, cescheminées de six pieds de haut, nues, sans candélabres ni horloges,ces murailles veuves des tentures qui leur prêtaient naguère leursomptueux éclat, amenèrent plus d’une réflexion pénible dans l’âmedu vieillard. M. de Guise était ruiné !

Lui-même avait tout vendu ; sespierreries ornaient les devantures des joailliers ; savaisselle d’or avait pris la route de la Monnaie.

Il mangeait maintenant dans l’argenterie,comme un gentilhomme de province.

– Si c’était en vain ! se disait-ilen parcourant tristement ces pièces que leur vide rendait plusvastes encore.

» Si M. de Guise allait s’enrevenir comme il est parti ! et cela faute d’un derniersacrifice !… Eh ! vive Dieu ! quand on s’est avancéà ce point, il n’est pas temps de reculer.

» Voici vide et nu l’hôtel de la brancheaînée ; c’est une honte que la demeure des cadets soit pourvueencore ; il faut mettre ordre à cela.

Quelques heures après, en effet, destapissiers, convoqués, faisaient main basse sur tout ce qui étaitmeuble à l’hôtel de Chevreuse, et bientôt la demeure de l’onclen’eut rien à envier à celle du neveu.

Il va sans dire que la somme provenant decette vente fut immédiatement expédiée à Naples.

Après ce suprême sacrifice,M. de Chevreuse se fit celer pendant huit jours, nesortant que pour faire une courte visite à madame de Châtillon.

Ceux qui pouvaient approcher de lui disaientqu’il semblait dans un état d’anxiété maladive.

Tous les matins, en se levant, c’était avec lamine d’un coupable attendant son arrêt qu’il demandait le courrierde Naples.

Il tremblait comme la feuille, et retrouvaitseulement quelque calme lorsque son valet l’assurait que nulmessage n’était arrivé pendant la nuit.

Quel pouvait donc être le motif de cechangement étrange ?

Lui qui naguère souhaitait plus que chose aumonde des nouvelles de son neveu de Guise, semblait maintenant lescraindre comme si chaque missive devait lui amener la peste.

Et cette frayeur allait toujours croissant, aupoint de devenir une fièvre véritable.

C’est que le vieux duc avait mûrement lu etmédité la dernière lettre de M. de Guise. Il avait prisfort au sérieux surtout ce passage :

« Si, avant huit jours, vous n’avez pasde mes nouvelles, vous pouvez hardiment vous mettre en chemin,etc. »

Certes, M. de Chevreuse avait agipar dévouement avant tout ; mais où est le cœur dans lequell’intérêt personnel ne trouve pas un petit coin à son aise ?Le bonhomme brûlait réellement d’être reçu par son neveu, lacouronne en tête, et de s’asseoir avec lui sur son trône, pour sereposer des fatigues du voyage.

En outre, ceci était un espoir timide, millefois rejeté, puis repris : il pensait que, si madame deChâtillon se décidait à lui confier le soin de son bonheur, ilaurait à offrir à sa beauté une position enviable.

Que de fois, dans de longues et juvénilesrêveries, le vieillard s’était exalté à cette pensée !

Le septième jour, il fut obligé de resterétendu sur une chaise longue, tant était grand son émoi ;mais, quand la matinée du huitième se fut passée sans nouvelles, ilsauta gaillardement à bas de son lit, se fit habiller sans prendrele temps de confier sa tête aux soins de Versac, et s’achemina versl’hôtel de Châtillon.

Il ne faisait pas jour encore chez la belleveuve.

Comtois, cette fois, n’avait point précédé sonmaître, et madame de Châtillon, réveillée en sursaut par sa fillede chambre annonçant M. de Chevreuse, refusa d’abord toutnet de le recevoir.

Il s’ensuivit une série d’ambassades du salonà la chambre à coucher.

Enfin, un dernier message porta cetultimatum : M. de Chevreuse faisait humblement etrespectueusement ses adieux à madame de Châtillon. Quittant Parisau plus tard dans une heure, il aurait le mortel déplaisir de nepoint la saluer avant son départ.

Madame de Châtillon n’avait point fait satoilette ; mais, cette fois, la curiosité fut plus forte quela coquetterie ; elle ordonna que M. de Chevreusefût introduit.

Il entra le corps en double, osant à peinelever les yeux, et respirant, narines gonflées, l’air enivrant dece sanctuaire de la beauté.

Plus audacieux, il n’aurait pas vudavantage ; madame de Châtillon était bien la demi-couchée surson lit, un large peignoir jeté négligemment sur ses épaules et latête embéguinée d’un flot de dentelles ; mais, sur son ordreexprès, la femme de chambre avait poussé les contrevents.

Outre cela, les doubles rideaux de soieétaient hermétiquement tirés.

Bref, il restait juste assez de jour pourdistinguer une masse blanche et indécise au fond de l’alcôve.

Libre à M. de Chevreuse de parer àson gré l’idole.

La scène d’adieux fut longue et des plustouchantes ; lorsque M. de Chevreuse se leva enfinpour prendre congé, madame de Châtillon, vu la circonstance, voulutbien lui abandonner sa main à baiser.

Jusqu’à ce moment, le vieux duc avaitpassablement gardé son secret ; mais, emporté par cette faveurinattendue, il s’écria tout à coup avec enthousiasme :

– Uranie, que vous seriez belle sur untrône !

Et il dévoila ses espoirs, et, pour lacentième fois, peut-être, il mit son cœur et sa main aux pieds demadame de Châtillon.

Un quart d’heure auparavant, celle-ci eûtrepoussé bien loin cette prétention téméraire ; mais le vieuxduc avait parlé ; il ne s’agissait de pas moins pour elle àprésent que d’être la tante du roi de Naples.

Tante d’un roi ! cette idée latransportait d’aise, et, sans l’obscurité presque complète quirégnait dans la chambre à coucher, M. de Chevreuse auraitpu constater sur le visage de sa maîtresse un changement trop subitpour être bien flatteur.

Mais il ne voyait rien, et, sentant que lemoment était décisif, il s’évertuait à plaider sa cause.

– Ce n’est point là, disait-il, un espoirchimérique.

» Pour remplacer ma fortune employée à leservir, mon royal neveu me donnera quelque apanage… la Sicile,peut-être…

» Belle dame, vous signerez vosprécieuses épîtres à vos amis de France : « Uranie,princesse souveraine de Sicile ! »

Madame de Châtillon ne demandait pasmieux : le mariage fut célébré presque immédiatement et avecpompe.

Après la cérémonie, le couple regagnaprécipitamment l’hôtel de Chevreuse, suivi des félicitationslégèrement équivoques du populaire.

– À Naples, la fête des épousailles,avait dit le vieux duc.

– À Naples ! avait répété madame deChevreuse avec un soupir d’impatience.

M. de Chevreuse ne se possédait pasde joie.

Il partageait son temps entre sa femme et lespréparatifs du départ.

Bien que bon maître, il ne communiquait guèred’habitude avec sa livrée ; mais, ce jour-là, il donnait àtous un mot de bienveillance ou d’encouragement.

Comtois se vanta jusqu’à sa mort d’avoir eul’oreille gauche tirée de la propre main de monseigneur, qui luidit en souriant :

– Eh bien, mon vieux ventre-saint-gris,que dis-tu de notre mariage ?

– Monseigneur, avait répondu Comtois aveceffusion, je remercie Dieu de m’avoir fait vivre assez pour voir sinoble fête !…

» Et cependant, ajoutait-il commeconclusion de son récit, feu M. le cardinal de Lorraine avaitun proverbe qui donnait grandement tort à monseigneur :

» Mieux vaut jamais que tard !

» Mais monseigneur était siamoureux !

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