II
L’hôtel Lerouge est situé rue Pavée, auMarais. C’est un Louvre. Il a, du reste, un nom historique que vousconnaissez tous ; mais il m’est défendu de le prononcer. Ceserait désigner trop ouvertement nos patrons.
Allez donc un jour, si vous voulez connaîtreune des plus sincères beautés de la grande ville, allez faire untour au Marais, qui redeviendra quelque jour le quartier à la mode.Entrez à l’hôtel Carnavalet, ce joyau ; franchissez le seuilaustère de l’hôtel Lamoignon, ce palais. Le faubourg Saint-Germaina volé sa réputation ; il est d’une platitude désolante. LeMarais possède encore cinquante hôtels dignes de loger Rohan etMatignon. Ce sont les Parisiennes du temps de Louis XIV quiont inventé le faubourg Saint-Germain. Il a la mine de Versailles.C’est un petit gentilhomme qui enfle ses preuves pour monter dansles carrosses du roi.
Le Marais parle encore de l’hôtel Saint-Pol etdu château des Tournelles. La place Royale, coiffée de ses noblestoitures, est une page complète et correctement écrite dans le bonstyle de Malherbe, et, quoique Paris nouveau ait canalisé la rueSaint-Antoine, l’intérieur du pays garde fermement sa physionomie.Aussi est-ce toujours le domaine de la véritable aristocratieparisienne : les commerçants sérieux se font très-volontiersun nid au Marais, dans les anciennes demeures des mignons deHenri III et du favori de Louis XIII. Ces lambris dorés,qui ont vu autrefois en action des historiettes assez légères, sontsanctifiés aujourd’hui par la vie de famille et le travailhonorable ; où folâtrait Schomberg, on établit cesboîtes charmantes qui servent à mettre les bonbons du FidèleBerger. Le poëte des devises habite les combles où chantaitBussy ; on frappe des boutons de livrée où la belle Navaillesaimait ; on coule des levrettes et des chèvres de bronze pourserre-papier où M. de Rosny économisait ; tousarticles Paris, articles sérieux, menant droit à la présidence dutribunal de commerce.
Que le faubourg Saint-Germain inscrive aufrontispice de ses maisonnettes tous les noms de l’armorial, que laChaussée-d’Antin épuise le procédé Ruolz pour changer son plâtre enor, que le faubourg Saint-Honoré bâtisse en marbre ses palaisriches et lourds comme des millions, nous avons pris le bon coin,nous autres. Nos plafonds sont de Jouvenet ou de Coypel, quelqueélève de Paget a fouillé nos frises, et vous reconnaîtrezl’inimitable délicatesse du ciseau de Goujon si vous vous arrêtezdevant les cariatides de notre façade. Ont-ils cela dans leurslatitudes parvenues ? Le bon marché n’était pas inventé quandon éleva nos solides murailles. Elles ne furent point bâties pournous, c’est vrai, mais nous les avons conquises. Les Gaulois ont euleur revanche sur les Francs. Nous sommes les seigneurs de ceschâteaux, et nous ne les avons gagnés ni par la hache ni parl’épée. Nulle tache de sang, Dieu merci, ne ternit la fraîcheur desgants de Paris, doux et pacifiques comme les innocents chevreauxdont la peau les compose !
La chambre à coucher de Corinne donnait sur levaste jardin. De sa fenêtre, elle voyait nos arbres géants, quisont les aînés des tilleuls des Tuileries. Corinne avait tous lestalents ; elle peignait l’aquarelle avec succès, et passaitpour une des meilleures élèves de Zimmermann. Sa mère avait pincéde la guitare, son aïeule de la harpe ; elle touchait dupiano. Le monde marche, la mode aussi. Cependant, de quelinstrument joueront nos nièces ? C’est l’impénétrableavenir.
Au delà des grands arbres, il y avait unemaison moderne, dont notre sieur Lerouge avait fait couvrir lesmurs de treillages verts pour sauvegarder son paysage. Cettemaison, qui donnait sur la rue Culture-Sainte-Catherine,appartenait à un jeune colonel de chasseurs, le seul des colonelsdu Gymnase qui ait jamais existé. Il avait trente ans à peine, etil avait déjà mangé trois cent mille livres de rente. C’était, danstoute la force du terme, un adorable garçon, bien mis, doux commeune femme douce, mauvaise tête et terrible l’épée à la main,élégant souverainement, spirituel à miracle, bon, généreux, quesais-je ? Vous l’avez vu dans six douzaines de pièces qui,toutes, ont eu beaucoup de succès à cause de lui. C’est lui quiépouse la jeune veuve à la fin.
Il s’appelait, de son vrai nom, le baron deSaint-Arthur ; mais M. Scribe n’a jamais osé l’étiqueterainsi, trouvant le fait romanesque, fade et même ridicule. Vousdire le nombre de jeunes veuves qu’il avait occupées en grignotantses cent mille écus de rente, est au-dessus de mon pouvoir. Relisezl’opéra-comique de M. Etienne, Joconde, ou les Coureursd’aventures, vous aurez une faible idée de ses mœurs. Personnen’avait pu fixer jamais ce papillon brillant et léger quivoltigeait de fleurs en fleurs, prenant à chacune à peine un atomede parfum : personne, ni brune ni blonde, ni ange ni démon.C’était le tout petit don Juan des théâtres sucrés, le Lovelace àl’eau de fleurs d’oranger qui répond aux sanglots par unepirouette, et force ses victimes à sauter le cotillon : unmonstre de colonel, mais un amour.
Il y avait déjà huit jours qu’il regardaitCorinne par une fenêtre de derrière.
Et il y avait déjà quatre jours que Corinnesavait son histoire sur le bout du doigt. Par quel moyen ? Jerépondrai en vous demandant si vous avez pu penser un seul instantque la fille unique de notre sieur Lerouge fût sans demoiselle decompagnie. Elle possédait, en vérité mieux que cela : unefemme de chambre de bon style. La femme de chambre et la demoisellede compagnie étaient toutes les deux de confiance. Jesuppose que vous êtes fixés. En outre, madame Amédée venait desubir une crise de langueur qui n’était pas sans tenir un peu à sonâge. Elle gardait la chambre depuis près d’un mois. Son médecin,ami de la famille, ne la quittait pas. C’était un praticien quichoisissait ses malades et qui vivait honnêtement d’une douzaine debonnes maisons. Il avait du loisir, il savait les cancans ;ses clientes, à qui toujours il conseillait la chose queprécisément elles voulaient faire, lui trouvaient de grandesqualités.
Il fallait peut-être cette réunion deconjonctures fortuites pour donner de l’importance à ce dangereuxcolonel. On n’est réellement pas trop badaud, dans la maisonLerouge, et madame Amédée, femme du grand monde, s’occupemédiocrement de ce qui se passe dans le voisinage. Mais voilà quenotre sieur Lerouge avait dit un jour, après déjeuner, en montrantM. de Saint Arthur, qui fumait sa pipe turque auprès desa fenêtre :
– Je vais faire prendre à Saint-Mandé unarbre de trente ans, et je le planterai en motte devant la croiséede ce fat !
C’était une affaire de quatre ou cinq centsfrancs. Pour madame Amédée, le colonel grandit aussitôt à la tailled’un événement ; car les Lerouge, sans être pince-maille, nejettent pas du tout leur argent dans la rue. Quant à Corinne, elleeut ce petit sourire des ingénues de théâtre, et se retira dans sonboudoir pour rêver. Sur l’honneur, Corinne rêvait de partipris, comme on fait une lecture. Elle aimait cela. Il lui venait,dans ses rêveries, des phrases entières de M. Mélesville. Ellepleurait aussi parfois. Quand elle pleurait, sa pose était toujoursadorable.
Je ne sais si Corinne aimait le colonel.L’hiver passé, elle avait essayé de distinguer deux jeunesgens parmi ses danseurs d’habitude. Elle s’y était employéesincèrement et de tout son cœur, afin d’avoir un peu de théâtre àla maison ; mais elle n’avait pas pu. Ces deux adolescents,jolis et bien couverts, appartenant tous deux, dans d’excellentesconditions, à l’article de Paris, n’entraient pas comme il fautdans son rêve. Ils ne fournissaient pas les monologues entremêlésde soupirs, qui font si bien au début d’un lever de rideau. Corinneconclut de là qu’il fallait attendre ou chercher ailleurs. Sonheure n’était pas venue, ou l’article-Paris ne valait rien pour leroman.
La demoiselle de compagnie de Corinne étaitson ancienne institutrice, mademoiselle Joséphine Commandeur,personne douce, honnête et pleine des bonnes intentions qui,dit-on, pavent l’enfer. Depuis longtemps, elle flottait entre deuxâges, essayant toujours de remonter le courant. Elle était imbuedes principes de l’éducation préventive. Madame Amédée s’endormaittous les soirs en se faisant lire Télémaque. Notre sieurLerouge la regardait avec cette bienveillance qu’inspire un meubled’habitude. Corinne l’aimait. Il ne faut pas vous y tromper,Corinne avait un bon et cher petit cœur. Les travers que nousdécouvrirons en elle, chemin faisant, appartenaient tous àl’article-Paris, au Gymnase, à l’Opéra-Comique, à madame Amédée, ànotre sieur Lerouge, à mademoiselle Commandeur ou à Félicie.Félicie était la soubrette ; une bonne pièce qui appelait lepatron mon bienfaiteur. Méfiance ! Félicie pensaitbien que Corinne aimait le colonel ; mademoiselle Commandeuren tremblait. Madame Amédée n’y avait pas encore songé. Elleconservait des restes de beauté, empaillés soigneusement. Comme lejardin était grand et qu’elle savait les effets adoucissants de laperspective, c’était pour son propre compte qu’elle se formalisaitdes hardiesses du colonel. Quant à notre sieur Lerouge, sa colèrecontre M. de Saint-Arthur avait-elle sa source dans lesentiment paternel ou dans la susceptibilité conjugale ? Nuln’aurait su le dire. Il y avait du froid dans la maison, à cause dumariage projeté avec le Monnerot de Domfront. Le patron s’étaitdonné le tort impardonnable de ressasser les avantages de cetteunion, tous les jours depuis dix ans. Parisiennes ou non, les damesont la coutume de prendre en grippe le dada de leur époux. C’estbien naturel. Madame Amédée avait horreur du mariage Monnerot. Elleavait dit souvent à son petit cercle que notre sieur Lerougel’inquiétait avec son idée fixe. On a vu des gens devenir maniaquesen partant de plus loin. Corinne partageait, à l’égard du mariageMonnerot, toutes les idées de sa mère. Elle s’était arrangé unMonnerot de fantaisie qui lui servait de jouet et deplastron ; une sorte de Pourceaugnac mitigé qu’on devaitberner de toutes les façons quand viendrait l’heure de labataille ; car il était bien entendu qu’on userait de tous lesmoyens indiqués par les répertoires réunis des divers théâtres pourconjurer cette ridicule union. Le Monnerot de Domfront n’avait, mafoi, qu’à se tenir ferme. On lui préparait des croupières. Félicieet mademoiselle Commandeur, elle-même, étaient déjà du complot.
Notre sieur Lerouge seul connaissait leMonnerot. Ces dames avaient formellement refusé de le voir. LeMonnerot, du reste, paraissait peu désireux de quitter sa villenatale. Notre sieur Lerouge avait été obligé de faire le voyage deDomfront pour se mettre en rapport avec la famille. Il était revenuchaque fois disant que Domfront était un délicieux pays, que lesMonnerot étaient des gens tout à fait comme il faut, et que songendre futur pouvait lutter, comme savoir-vivre, esprit,distinction, élégance, avec les plus remarquables héritiers del’article-Paris. De tout cela, ces dames croyaient ce qu’ellesvoulaient.
Cependant, la guerre n’était pas encoredéclarée.
Il faut à toute rébellion un motif actuel etdéterminé. Notre sieur Lerouge n’ayant jusqu’alors menacé quel’avenir, on le laissait dire. Les rancunes s’accumulaient ensilence. On peut dire, en employant une métaphore sans doute trophardie (mais nous sommes comme cela dans les gants : rien nenous résiste, pas même la langue) ; on peut dire que, si lesbarricades ne sortaient pas de terre, elles étaient déjà semées, etque la graine en fermentait déjà sous le sol. On savait, du côté deces dames, que la manie du patron était inflexible, et le patrons’attendait à une belle résistance. De part et d’autre, les canonsétaient chargés et la mèche allumée.
Un dernier trait, cependant, car il seraitinsensé de représenter une famille de l’article-Paris sérieusementdésunie : madame Amédée aimait beaucoup son mari, Corinneadorait son père, et notre sieur Lerouge chérissait sa femme et safille comme la prunelle de ses yeux.
Par une belle matinée d’avril, en cette année1830, où l’article-Paris devait faire une révolution politique etfabriquer un roi, la cloche de l’hôtel Lerouge sonna pour ledéjeuner à onze heures moins cinq minutes ; c’était l’usage.Tout cordon bleu qui ne s’y conformait pas strictement était mis àpied dans les vingt-quatre heures. Les cinq minutes étaient donnéesaux convives pour faire leurs petits préparatifs ; onze heuressonnant au magnifique coucou Louis XV qui ornait la salle àmanger, tout le monde devait être derrière sa chaise. Voici quelétait le personnel accoutumé de la table de notre sieurLerouge : madame et mademoiselle Lerouge, M. ConstantinLerouge, cousin entre trente et quarante, qui avait une sinécure demille écus dans les bureaux, mais qui les gagnait durement à faireles commissions délicates de madame ; mademoiselle JoséphineCommandeur, M. J.-T. Rocambeau, secrétaire intime du patron.Ce Rocambeau était le lettré qui avait fait l’histoire de France aupoint de vue Lerouge, ainsi que le relevé statistique des alliancesde cette dynastie.
Le pauvre garçon, disait parfois notre sieurAmédée quand il lui plaisait de montrer une aimable gaieté, estbien heureux de m’a voir rencontré sur son chemin. Il allait toutdroit à l’Académie !
Ceci peut vous donner une idée de l’esprit quenotre sieur Lerouge avait.
Par le fait, Rocambeau, qu’il eût ou non suivile glorieux sentier qui mène à l’Académie, avait maintenantd’autres chats à fouetter. Il mettait au net les comptes du patronet recevait ses confidences. Depuis une semaine environ, notresieur Lerouge était embarqué dans une entreprise fort ardue. Seulau monde J.-T. Rocambeau savait ce que cette tête un peu pointuepouvait contenir de calculs subtils et de combinaisonsdiplomatiques.
Un couvert de surplus était mis à demeure etattendait toujours ce bon docteur Mirabel, qui trouvait moyen departager les avis complètement opposés de monsieur et de madame.C’était un homme bien précieux. Quand sa place restait vide,quelque chose manquait à la maison.
Les vibrations de la cloche ébranlaient encorel’atmosphère, lorsque M. Constantin Lerouge fit son entréedans la salle à manger, où tout annonçait l’opulence et aussi lebon goût ; car l’argent a du goût à Paris, et, quand il enmanque, il lui est loisible d’en acheter. Ses deux bahutsLouis XV, qui se regardaient, montraient d’admirablesporcelaines du Japon et des pièces d’argenterie poinçonnées à laMonnaie du grand roi. Les châteaux et les palais conquis parl’article-Paris ont recouvré leurs anciens meubles. Notre sieurLerouge avait son potage servi dans la soupière de Lauzun, etbuvait dans le verre de Bassompierre. Ces races mortes avaient sansdoute négligé les croisements.
M. Constantin, vêtu d’une redingotemarron et d’un pantalon écossais, fit le tour de la tableélégamment servie, en sifflotant un couplet des Nouveautés. Ilregarda, sans les voir, les quatre natures mortes d’Houdry quicouronnaient les portes, et vint battre la générale aux carreaux dela fenêtre donnant sur le jardin.
– Pas bête, ce grand fainéant decolonel ! grommela-t-il ; – dans quelle pièce y a-t-ilune croisée ouverte et une pipe turque ? J’ai vu aussi sa robede chambre au théâtre, et sa calotte, et ses airspenchés !…
Il se retourna, prit une pose cérémonieuse, etsalua profondément. Madame Amédée entrait, appuyée sur le bras demademoiselle Commandeur. Une autre porte s’ouvrit en mêmetemps : Rocambeau parut en habit noir et cravate blanche.
– Monsieur fait demander à madame,dit-il, la permission de ne point quitter sa robe de chambre et sespantoufles : il est légèrement indisposé.
J’espère que ces mœurs courtoises etvéritablement chevaleresques feront une forte impression sur lagénéralité des lecteurs. Ce sont les nôtres. Nous n’avons pashérité seulement des palais et de la vaisselle ; on ne trouveplus guère que chez nous les vrais échantillons de la galanterie defamille.
Madame Amédée répondit :
– M. Lerouge sait bien que nous nesommes pas à cheval sur l’étiquette.
Rocambeau, satisfait, salua et sortit pourreparaître bientôt, donnant le bras au patron. Depuis un tempsimmémorial, Rocambeau faisait chaque matin cette demande, etobtenait cette réponse.
Le patron était peut-être indisposé, mais iln’en avait pas l’air. Il donna un gros baiser au front blanc etcharmant de Corinne, après avoir effleuré de sa lèvre rasée la mainencore très-belle de madame. Mademoiselle Commandeur eut un signede tête amical, et Constantin un cordial bonjour. Ces deuxcomparses ne prirent place qu’au moment où notre sieur Lerouge futassis et eut déplié sa serviette, roulée dans un rond d’or massif,ciselé avec art et orné d’une très-belle émeraude. Ce luxe peutsembler un peu fastueux ; mais c’était une offrandehonorifique du comité directeur de la production du chevreau.
Le froid qui était dans la famille à cause dela question Monnerot n’enlevait l’appétit à personne. Pendant queBerlin découpait sur la table de service en chêne gris sculpté, leshors-d’œuvre furent attaqués assez gaiement… Ceux qui ont parlé dufaible appétit des Parisiennes sont d’infimes calomniateurs.
– Deux faillites ce matin, dit lepatron ; Virginie, vous ne me parlerez plus des diamants demadame César Troupeau… C’est leur terre de Touraine qui les aruinés…
– Pauvre femme murmura madame Amédée, labouche pleine.
– Nous sommes couverts, fit observer lepatron. Que dit-on de nouveau, Constantin ?
– On parle d’un changement deministère…
– Vieilleries… Bertin ! poussez levolet du côté droit. De ma place, je vois cet impertinent bonnetgrec et la fumée de la pipe turque !
– Ce pauvre jeune homme fume vraimentbeaucoup trop, dit madame Lerouge avec douceur.
– L’oisiveté…, commença Constantin.
– Quand on a un grade comme le sien à sonâge…, interrompit Corinne.
– La faveur…, riposta Constantin.
Notre sieur Lerouge se frotta les mainsénergiquement.
– Une chose certaine, dit-il ens’adressant à ces dames, c’est que vous m’avez tiré une fière épinedu pied en refusant d’aller lundi prochain à la soirée desLecouteux. Je savais que ce précieux M. de Saint-Arthur…(Saint-Arthur !…) devait y être.
Une nuance plus rose vint aux joues veloutéesde Corinne, tandis que les sourcils fiers de madame Amédée sefronçaient à demi. Il y eut en elle un travail mental qui dura lequart d’une seconde.
– Avais-je donc oublié de vous le dire,mon ami ? prononça-t-elle avec un calme parfait. Nous nousétions ravisées, Corinne et moi ; la lettre d’acceptation estpartie… Mais on peut revenir là-dessus si vous le voulezabsolument.
Corinne perdit ses jolies couleurs roses etbaissa les yeux sur son assiette. Le cousin Constantin avala troisbouchées d’un coup. C’était lui qui répondait aux invitations.Madame Lerouge venait de mentir ; le cousin Constantin étaitaussi sûr de cela que Corinne elle-même. Pourquoi madame Lerougeavait-elle menti ?
Quant à notre sieur Amédée, il fut admirable,comme toujours, de convenance et de dignité.
– Virginie, répondit-il aux dernièresnotes de sa femme, – je vous ai dit ma façon de penser sur cemilitaire. Il n’a pas mon estime. Mais ce serait lui accorder aussipar trop d’importance que de modifier, à cause de lui, les projetsde plaisir ou d’affaires de madame et de mademoiselle Lerouge. Vousirez à la soirée dansante des Lecouteux, et je me charge de vous yaccompagner en personne.