Un chef de chantier à l’isthme de Suez – Une campagne en Kabylie

IX

 

Sur la fin de janvier, les Pères de laTerre-Sainte, absents depuis cinq mois, revinrent dire la messe auSérapéum ; je courus aussitôt leur demander desexplications ; mais les braves gens avaient opéré une mutationdans leur personnel ; l’Espagnol était allé dire sa messeailleurs ; celui qui le remplaçait s’appelait Ambrosio, ungros court, avec une grosse barbe d’un rouge sale, qui lui cachaitune partie de la figure, et sentant l’ail à plein nez.

Quand je lui parlai de Georgette, il eut l’airde ne pas me comprendre.

– Je ne sais pas, signor, ce que vousvoulez dire, faisait-il ; j’ignore de quelle personne vous meparlez ; le Père Domingo pourra peut-être vous en donner desnouvelles ; actuellement il est en Cilicie, je crois, pourrecueillir le denier de Saint-Pierre ; mais ayez patience, monfils, il reviendra.

L’odeur du personnage et son accent papelardme révoltaient ; je compris qu’il se moquait de moi, et j’endevins tout rouge ; quelques Italiens et Dalmates, qui nousobservaient du seuil de la chapelle, m’empêchèrent de lui direvertement ma façon de penser.

Seigneur Dieu, faut-il recourir à de pareilsinstruments pour répandre vos saintes doctrines ? Quelleopinion les Turcs et les Arabes peuvent-ils prendre de nous, sur detels échantillons ? – Enfin, comme disait un homme pieuxrempli de bon sens, il faut bien que notre religion soit divine,puisque ces ordres mendiants, criblés de vices, la véritable pestede l’Orient, n’ont pu la détruire… Oui, c’est la meilleure preuvequ’elle nous vient d’en haut, aucune autre religion n’a de preuvesaussi solides que celle-là.

Je me retirai donc fort triste, n’espérantplus revoir Georgette ; d’ailleurs, j’étais le seul à m’ensouvenir encore : le travail nous absorbait tous, quatre milleouvriers finissaient à la brouette les quatre kilomètres qui nousséparaient des lacs amers, et de notre côté les draguesapprofondissaient le canal sans relâche.

Les bassins, toujours remplis jusqu’aux bords,nous donnaient de l’eau douce en abondance ; aussi jamais nospetits jardins n’avaient été si beaux : radis, pois, salades,y foisonnaient, sans parler des plantes grimpantes qui montaientjusque sur nos baraques.

Ker-Forme, Philibert, – un ancien zouave, – etmoi, nous faisions notre popote ensemble. Tout allait donc trèsbien.

Une seule chose m’ennuyait ; depuisquelque temps, mon saïs Kemsé-Abdel-Kérim maigrissait à vue d’œil,ce n’était plus le même garçon, gai, riant, que tout le campementm’enviait à cause de sa belle humeur ; il semblait toujoursrêvasser et négligeait son service.

À chaque instant j’étais forcé de le brusquer,de le rappeler à l’ordre ; finalement, un beau matin il vintme dire :

– Je pars.

– Tu pars !… Pour alleroù ?

– À Kartoum, mon pays ; je suisassez riche, je m’en vais.

Naturellement, cela m’ennuya ; mais jen’ai pas l’habitude de retenir les gens malgré eux ; je luiréglai son compte, et, supposant qu’il avait peut-être la nostalgieet qu’après avoir vu son pays il ne serait pas fâché de revenir, jele prévins que pendant deux mois j’attendrais pour le remplacerdéfinitivement.

Il parut bien heureux et se mit en route.

En attendant, comme je ne pouvais pas mepasser de domestique, je pris un autre saïs, un jeune nègre venu duSoudan, noir et luisant comme des bottines bien vernies, et la têtecrépue comme un agneau ; il s’appelait Achmet et couraitdevant Choubra durant des kilomètres, sans reprendre haleine ;souvent le pauvre diable me faisait de la peine, je lui criais derester en arrière, mais il ne voulait pas m’entendre.

Nous avions en outre un cuisinier fellah,Charaf, grand, sec, grêlé jusqu’au bout du nez, et qui s’entendaità rôtir le mouton et la volaille comme pas un cuisinierd’Europe.

Ma position était donc améliorée, j’aurais dûme trouver heureux, mais tout cela ne m’empêchait pas de regretterle bon temps du Sérapéum, où nous vivions en famille, le temps dela sécheresse, des sauterelles, des cinquante degrés à l’ombre…voilà l’homme !

Peut-être le souvenir de Georgette n’était-ilpas étranger à mes regrets ; même au milieu des travaux, ilm’arrivait de songer à elle et de m’indigner contre Charlot et Vanden Bergh, qui m’avaient écarté du campement par ruse, pourfaciliter leur enlèvement aux moines ; cette pensée me rendaittout mélancolique.

Un soir, revenant à pied de mon bassin 158, jerencontrai le vieux chamelier Saad-Méhémèche ; nous n’avionsplus de rapports ensemble depuis l’arrivée des dragues, et jepoursuivais mon chemin, en lui faisant un petit signe de maind’ancienne connaissance, lorsqu’il me dit :

– Attends, conducteur, j’ai quelque chosepour toi.

Il fouillait dans sa robe, et finit par meremettre un chiffon de papier tout crasseux, en disant :

– Tiens, c’est à toi !

C’était une lettre de Charlot, remontant àplusieurs mois.

– Qui t’a remis cela ? dis-je auvieux bédouin.

– Arambourou-Omar, le mouker de Suez enrevenant d’Ismaïlia, le troisième jour avant la fin duRamadan ; il s’est arrêté sous ma tente et m’a demandé si jete connaissais ; j’ai dit oui… et voilà !

– Tu ne pouvais pas venir plustôt ?

– Je t’ai cherché, conducteur ; jepensais toujours à toi ; mais depuis que tu travailles surl’eau, je ne te vois plus, et puis j’ai été malade.

– C’est bon, lui dis-je en fourrantbrusquement la lettre dans ma poche, quand je serai pressé, jet’enverrai en courrier.

Et je partis de mauvaise humeur.

Cette lettre m’avait rappelé la petite ;j’allais devant moi tout pensif ; il me semblait revoir lapauvre enfant, entendre ses joyeux éclats de rire.

L’idée de lire ma lettre ne me venait pas,c’est machinalement que je l’avais fourrée dans ma poche, jepensais : « C’est une lettre d’excuse… unefarce ! » Mais, arrivé dans la baraque, me trouvant seulavec Charaf, qui faisait sa cuisine, par curiosité je la lus.

Tiens, la voici, Jean-Baptiste ; hier, enfouillant mes vieux papiers pour te raconter mon histoire, je l’aitrouvée ; écoute :

« Ismaïlia, le 10 septembre.

» Mon cher Montézuma,

» M. Van den Bergh est mortavant-hier à l’hôtel Noger ; il m’a chargé de liquider sesaffaires en Hollande et dans l’Amérique du Sud, et je pars ce soirmême, sans pouvoir remplir la mission qu’il m’avait confiée d’aborden ta présence, au sujet de Georgette Lafosse. Je me repose sur toipour veiller au sort de cette enfant jusqu’à mon retour ; lesbons sentiments que je te connais, et l’intérêt que je t’ai vutémoigner à Georgette Lafosse, me donnent pleine confiance dans tavigilance et ton dévouement. Tout me porte à croire que Georgetteest la fille de M. Van den Bergh et qu’elle doit succéder àson immense fortune. Il a fait un testament en sa faveur avant demourir, mais sous condition.

» Pour te mettre à même de remplir lesintentions de M. Van den Bergh et les miennes, je vaist’ouvrir un crédit de mille livres sterling sur la maison Sinadino,d’Alexandrie ; tu pourras toucher cette somme à mesure desbesoins, et tu retireras d’abord Georgette Lafosse de la tristeposition où je l’ai vue ; tu l’installeras dans un bonétablissement d’éducation, soit en France, soit ailleurs. Il estinutile de rien ménager sous le rapport de la dépense ; ilfaut que tout soit convenable ; mais je te recommande la plusgrande discrétion.

» Dès mon retour en Égypte, il s’agira derecueillir les preuves légales de la filiation, car le sort dutestament en dépend, et la famille aura le plus grand intérêt à lesfaire disparaître… Il importe que je prenne les devants dans tousles consulats où cette preuve peut exister.

» Tu me comprends… Je n’insiste pasdavantage, mon cher Goguel, et je te serre la main de toutcœur.

» Ton vieux camarade,

» Charles Hardy. »

» P. S. La poste estdéjà partie, mais le mouker Arambourou part à l’instant, il teremettra lui-même cette missive, c’est plus sûr. »

Figure-toi mon indignation à cettelecture : les moines avaient donc agi pour leur propre compteen enlevant Georgette… Ils voulaient bien sûr happer sasuccession ; mais comment avaient-ils pu savoir que la pauvreenfant était fille de Van den Bergh, homme riche, étranger au payset prêt à la reconnaître ? Le gueux de mouker leur avait donccommuniqué la lettre ?

Je courus tout de suite au campement deschameliers pour m’en assurer. Le vieux Saad-Méhémèche se trouvaitlà ; il fut tout surpris de mon animation, lorsque jel’interrogeai sur le papier.

– Quand Arambourou t’a-t-il vu, luidis-je, à quelle heure ?

– Il est arrivé juste à la nuit ;l’étoile était déjà levée, fit-il, nous mangions, mes enfants etmoi ; je lui ai dit de s’asseoir, il a mis la main dansl’écuelle…

– C’est bon, je ne te demande pas cequ’il a mangé ; mais venait-il directementd’Ismaïlia ?

– Oui.

– Il ne s’était arrêté nullepart ?

– Non, il s’est arrêté juste à la nuit,près de nos tentes, pour manger, car nous étions en Ramadan ;l’étoile venait de se lever, et il avait faim, n’ayant pas mangé dela journée, comme tout bon croyant.

– Et alors il t’a remis lalettre ?

– Oui ; il m’a demandéd’abord : « Tu connais le conducteur chez lequel j’aifait halte avec mes gens, voilà six jours ? » – j’airépondu que je te connaissais ; alors il m’a remis le papierpour toi, et je l’ai gardé jusqu’à ce que je t’aie vumoi-même. »

Comme il parlait, la réflexion me vint queCharlot n’avait écrit sa lettre que le 10 septembre, six joursaprès sa visite au Sérapéum, et que les moines étaient venus fairele coup la veille de ce jour ; ils n’avaient donc pu connaîtrela missive, leur action l’avait devancée.

Je remerciai le vieux chamelier de sesexplications et je repris le chemin du campement.

Si Charlot ne m’avait pas demandé le secret,ma première pensée aurait été de consulter M. Laugaudin,Saleron et tous les amis capables de me donner un bon conseil, carje n’ai pas l’habitude de ce genre d’affaires, moi ; je n’aimepas les longs détours et je vais directement au but ; maisdans le cas particulier, étant forcé de me taire, touts’embrouillait dans ma tête, et, le souper terminé, je me promenaiplus d’une heure dans ma baraque, me demandant comment réclamer lapetite, qui pourrait m’aider, quel moyen prendre.

Malheureusement, plus j’y songeais, plus celame paraissait difficile ; je finis par me coucher, renvoyantles réflexions au lendemain.

Il paraît que j’y rêvai toute la nuit, car mapremière idée en me levant fut de confier l’affaire à YâniOlympios. Tous ces Grecs, même les plus bornés, sont remplis deruse ; ils s’entendent comme des larrons en foire ;l’idée de mettre la bande des Grecs sur le dos des moines me parutune inspiration lumineuse.

Yâni Olympios aimait Georgette ; jesoupçonnais même un peu la petite de le regarder d’un œilfavorable ; mais, à cette heure que les Pères de laTerre-Sainte tenaient l’oiseau sous leur griffe, il n’y avait plusaucun danger du côté d’Olympios, je pouvais me fier à lui.

Malgré cela, c’était grave, et je ne mepressais pas, quand l’ordre m’arriva d’aller à Kabret-el-Chouche, àquarante kilomètres du Sérapéum, établir un nouveau chantier aumilieu des sables, pour la continuation du canal maritime versSuez.

J’allais être employé principal à 416 francspar mois, sans parler des autres avantages, car, en plus de mesappointements, j’avais un dixième sur les travaux, d’après un prixfixé d’avance par M. Cotard ; mais la position parelle-même laissait beaucoup à désirer, il fallait un bontempérament pour y vivre.

Représente-toi, au milieu d’une plaine immensebrûlée par le soleil d’Égypte, sans un brin d’herbe et sans unegoutte d’eau, un monticule de galets agglomérés, d’où l’on nedécouvrait rien, absolument rien que le désert à perte devue ; voilà Kabret-el-Chouche, entre les grands et petits lacsamers.

Quant à ces lacs, c’étaient d’anciens maraisdesséchés, que la mer Rouge avait remplis quelques milliersd’années avant nous ; le soleil ayant pompé l’eau après saretraite, les coquillages et les galets étaient restés au fond,avec des plaques de sel, qui craquaient sous vos pieds comme descoquilles d’œufs.

Du Sérapéum à Chalouf, ces lacs mesuraientenviron quarante kilomètres, sur une largeur variant de dix àvingt.

La mer Rouge les avait abandonnés en deuxfois ; elle s’était retirée d’abord des grands lacs enfoncésdans le désert, puis, après un repos, des petits lacs rapprochés deses rives, chose visible, car entre les deux s’étendait un largebanc de sable, formant un second rivage amoncelé sur ses bordsavant sa retraite définitive dans le golfe de Suez.

À l’ouest de la barre se trouvait la butte deKabret-el-Chouche (le Tombeau des Oiseaux), ainsi nommée par lesbédouins, sans doute parce que des quantités d’oiseaux aquatiquesavaient laissé là leurs ossements, à l’époque où les marais salantsentouraient ces solitudes.

La ligne droite du canal maritime devaitcouper cette barre, pour arriver dans les petits lacs et plus loinà Chalouf, puis dans la plaine de Suez.

Je te dis cela tout de suite, pour te faireconnaître ma nouvelle destination ; j’avais déjà poussé plusd’une reconnaissance dans cette direction, aux grands passages descailles, en automne, et j’avais découvert au loin l’îlot deKabret-el-Chouche, sans me douter que j’irais passer là deux annéesde ma vie.

Enfin, aussitôt mes ordres reçus, ma décisionétait prise. Je fis mon paquet, je mis mes poules, mes dindes etmes lapins sous la surveillance de Charaf, puis, avant de sellerChoubra, je dis à mon saïs Achmet d’aller prévenir Olympios quej’avais des communications à lui faire et que je l’attendais dansma baraque.

Il partit en courant, et M. Olympios netarda point à paraître.

Je le vois encore arriver dans sa polonaise,le tarbouche sur l’oreille et l’air grave.

– Vous m’avez fait appeler, monsieurGoguel ? me dit-il.

– Oui, monsieur Olympios ;donnez-vous la peine d’entrer, et toi, Charaf, va voir dehors sij’y suis.

Le cuisinier sortit ; alors, meretournant brusquement vers le Grec, je lui demandai :

– Vous avez aimé Georgette ?

Et comme il hésitait à répondre,j’ajoutai :

– Vous n’étiez pas le seul ; tousles honnêtes gens du Sérapéum aimaient cette pauvre enfant ;elle ne méritait pas de tomber entre les mains des moines ;c’est abominable.

– Oui, c’est abominable ; cela m’afait de la peine, dit-il, beaucoup de peine.

Je remarquai qu’il avait les yeux troubles, etj’en fus touché.

– Asseyez-vous, lui dis-je ; etd’abord lisez-moi ça. Je lui présentai la lettre de Charlot, qu’ilse mit à lire, penché sur sa chaise, le coude sur la table, avec laplus grande attention.

Il la lut deux fois, et c’est alors que je merendis compte du caractère de ces Grecs ; au lieu de sefâcher, il devint tout pâle, puis une légère rougeur colora sesjoues ; il déposa la lettre au bord de la table pour roulerune cigarette, et, comme je voulais parler, il me dit à voix basse,en me posant la main sur le bras :

– Attendez, monsieur Goguel, je n’ai pasfini.

Il se remit à lire, exhalant la fumée par lesnarines, comme ils le font tous.

Je l’observais ainsi depuis deux minutes,lorsque, se relevant lentement, il me dit, en jetant son bout decigarette par la porte d’un air flegmatique :

– Tout cela, je le savais déjà.

– Comment, vous le saviez ?

– Oui, quatre ou cinq jours aprèsl’enlèvement de Georgette, j’avais pris toutes mesinformations.

Et voyant dans ce moment quelqu’un passerdehors, il cria :

– Hé ! Angélo !Angélo !

C’était le second du Dr Chabassi,qui passait dans la rue, un docteur de la fabrication deM. Aubert-Roche, autrefois simple porte-mire au campement deRaz-el-Ech, et devenu du jour au lendemain médecin en titre. Aussitout le monde l’appelait en riant : le docteur de la Facultéde Raz-el-Ech !

– Eh bien, fit-il en entrant, qu’est-ceque vous désirez, monsieur Olympios ?

– Tenez, racontez donc à Goguel votreaventure d’Ismaïlia… vous savez, l’histoire des moines… vous pouveztout dire. M. Goguel est des nôtres.

– Ah ! fit-il, je sais toutl’intérêt que M. Goguel portait à Georgette.

Et sans autre préambule, s’asseyant au bout dela table, les jambes croisées, il me raconta qu’environ cinq moisavant, se trouvant à l’hôtel Noger, en train d’extraire une dent àla dame de l’établissement, on était venu l’appeler en toute hâtepour un malade qui se mourait à côté.

– Je n’eus que le temps de serrer moninstrument, dit-il, de replier ma trousse et de grimper quatre àquatre à la galerie. Arrivé là, je vis, sous une grande tentedominant le lac Timsah, un monsieur déjà pâle comme la mort, étendusur un lit, entouré d’un grand nombre de personnes, entre autresArambourou-Omar, le mouker de Suez, un agent consulaire, cinq ousix autres personnages et deux moines, l’un le Père Domingo, etl’autre appelé, je crois Tomasio, de la Propagande romaine, un beaumoine napolitain à barbe noire et large tonsure, qui se tenaitdebout au pied du lit, levant un crucifix qu’il montrait aumoribond.

L’agent consulaire, assis devant un petitbureau, taillait sa plume, attendant que le monsieur revînt à lui,car il avait perdu connaissance. Sa face était baignée de sueur. Jelui fis humecter les tempes de vinaigre et je lui donnai mon flaconde sels à respirer. Il ne me quitte jamais, monsieur Goguel, tenez,le voilà.

– Bon… bon… monsieur Angélo, je vouscrois… Après !

– Eh bien, après, il revint à lui et semit à dicter son testament. C’était un riche planteur de Java, unnommé Van den Bergh. Il parlait avec le plus grand calme, et léguatout son bien, une fortune considérable : des navires, desplantations, des esclaves, il légua tout sans exception à la filled’un certain Julien Desrôses, et finit par dire que ce JulienDesrôses n’était autre que Bernard Lafosse, mort du choléra auSérapéum, et la légataire, sa fille Anne-Louise-Georgette.

– Vous avez entendu cela, monsieurAngélo ?

– Comme je vous entends, fit-il ; etles moines aussi l’ont entendu ; le Père Domingo, penché surle lit du monsieur et l’oreille tendue, recueillait son moindresouffle.

– Oh ! les gueux !m’écriai-je ; c’est pour sa succession qu’ils ont enlevé lapetite !

– Parbleu ! dit Olympios enricanant ; mais je me charge de leur apprendre qu’on n’est pasplus bête qu’eux.

L’indignation me possédait, et jecriai :

– Où peuvent-ils l’avoir emmenée ?…où ?… où ? Voilà ce qu’il faudrait savoir.

– Cela ne signifierait rien, ditOlympios. Si nous conduisons bien l’affaire, ils seront forcés dela rendre eux-mêmes, mais surtout gardons le secret ; votreami M. Hardy n’a pas tort, la famille aura le plus grandintérêt à faire disparaître les preuves de la filiation, et, si lachose s’ébruitait, les moines auraient aussi le plus grand intérêtà les rechercher, pour les vendre aux héritiers deux ou troispetits millions ; vous comprenez, monsieur Goguel ?

Il clignait de l’œil, et je faisais semblantde comprendre ; mais toutes ces histoires de preuves, defiliation, de micmac en tout genre, n’ont jamais pu m’entrer dansla tête ; les Grecs, au contraire, nageaient là dedans commele poisson dans l’eau, c’est leur élément naturel.

Enfin Achmet, que j’avais envoyé chercherChoubra, revint ; le cheval piaffait à la porte, et je n’enfus pas fâché.

– Tout ce que vous me racontez là estclair, dis-je aux Grecs, je m’en rapporte à vous ; mais ilfaut que je parte pour Kabret-el-Chouche, et j’espère que vous medonnerez des nouvelles.

– Partez tranquillement, me dit Olympios,et comptez sur moi, j’aurai soin de vous tenir au courant.

Ils sortirent là-dessus ; je bouclai meséperons et je me mis en route pour Chalouf, heureux d’avoir laisséles affaires de Georgette en aussi bonnes mains.

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