Un habitant de la planète Mars

LETTRE X

La genèse des êtres. – Les premiers organismes dela terre. – Les végétaux rudimentaires. – Loi de formation et dereproduction. – Les premiers animaux. – Quelques lignes deLavoisier. – Solidarité des êtres. – Espèces. – Variétés. – Oùc’est le terrain qui fait son homme. – Tel sol, tel animal. – De lataille. – Époque des grands animaux.

La parole est continuée à M. Ziegler.

M. ZIEGLER : Messieurs, si vous avezencore présents à la mémoire les quelques détails dans lesquels jesuis entré hier, je crois pouvoir vous faire assister à la genèsedes êtres, comme M. Greenwight a déroulé devant vous la genèsedes mondes.

À l’origine, la quantité du mouvement de notreglobe était trop grande pour permettre aucune juxtaposition deséléments organiques. Quand elle est devenue assez petite pour leurpermettre l’association, l’agrégation, les molécules organiques sesont unies et ont produit les premières organisationsrudimentaires, organisations invisibles pour nous, tant ellesétaient petites et imperceptibles, si nous avions pu alors existersur la surface du globe. Ces corps organisés, qu’étaient-ils ?Nous nous garderons bien de les définir. Qu’étaient-ils ! Desamas de molécules qui, en s’unissant, avaient par ce fait mêmecondensé une certaine quantité de mouvement. Cette agrégation,excitée par le mouvement extérieur, était susceptible des’accroître par l’adjonction de nouvelles molécules, par un échangeavec les autres matériaux voisins. D’où la naissance, la vie, puis,après la détente de tout ce mouvement, la mort. Ainsi prirentnaissance, aux premiers âges de notre planète, les organismes lesplus rudimentaires ; ils se groupèrent sans doute en abondanceun peu partout et couvrirent la surface du globe.

Mais ces petits corps, ces petites cellulesélémentaires ballottées de toutes parts au milieu de l’atmosphèrechargée de gaz, finirent par retomber sur la surface solide ;elles y trouvèrent de nouveaux éléments d’agrégation, et laplupart, puisant des matériaux inorganiques dans le sol, lesentraînèrent dans leur évolution et se transformèrent enorganisations plus complexes. Ainsi alla, se compliquantconstamment, et successivement la molécule organique primitive,prenant quelquefois de la force et de la densité dans sonadjonction avec des molécules inorganiques. Telle est l’origine desvégétaux. Les formes se multiplièrent de plus en plus, depuis lacellule et le tissu élémentaire jusqu’aux tissus multiples. Avanttout, affaire de masse, de temps et de quantité de mouvementintérieure et extérieure.

Pensez-vous qu’un de ces amas de moléculesorganiques, en présence de nouveaux amas, dût gagner toujours etaugmenter indéfiniment par juxtaposition et combinaison ? Non,messieurs, le végétal primitif, la cellule rudimentaire ne pouvaitcroître à l’infini. Sa vie dépend de sa quantité demouvement : or sa quantité de mouvement est finie.

Lorsque la surface développable de la cellulesera devenue suffisamment grande par l’adjonction des moléculesvoisines, sous l’action des forces extérieures (chaleur propre duglobe et chaleur solaire), il se fera équilibre entre ladéperdition superficielle et la détente vitale ; l’élémentorganisé ne pourra plus gagner : mais voyez ce curieuxmécanisme. C’est la surface qui fait dépérir l’individu ; laquantité de mouvement insuffisante pour le faire vivre dans cetétat nouveau concentre ses efforts ailleurs en un point unique. Unnouveau centre d’action se forme, de nouvelles moléculess’agrègent, un nouvel individu apparaît. Les astres étaient descentres d’action constamment variables ; ces végétauxrudimentaires sont aussi des centres d’agrégation incessammenttransmutables. C’est ainsi que la cellule primitive se reproduitindéfiniment par fissiparité, fractionnement, bourgeonnement,etc.

On pourrait supposer qu’il y a perte dequantité de mouvement chaque fois dans la mort et la naissance dechaque élément organique : mais non, car l’agrégation forcéede nouvelles molécules condense chaque fois de nouvellesforces.

Quant à ces infiniment petits rudimentaires,il est évident que nous devons les retrouver à tous les âges del’existence de notre planète, tant que les conditions detempérature permettent aux molécules organiques de subsister.

Ils se formeront de toutes pièces toutes lesfois que les éléments physiques de leur existence ne leur ferontpas défaut, ou ils se reproduiront par fractionnement. De ce quiprécède résulte que pour moi, contrairement à l’opiniondeM. Haughton, si l’on met les éléments organiques enprésence, en quantité voulue, si vous les exposez à une chaleur etsurtout à une lumière convenable, à l’humidité, à l’état électriquevoulu, vous produirez leur association, vous constituerez de toutesparts des êtres susceptibles de vivre, de se nourrir et de sereproduire : par conséquent, des végétaux pardéfinition[19].

La cellule végétale est distincte de lacellule animale ; même origine, cependant, mais groupementmoléculaire différent.

L’agate, le jaspe, l’améthyste, ne sont que dela pierre à fusil, mais leurs molécules sont diversement combinées.Ainsi pour la cellule végétale et l’élément animal. Les rudimentsanatomiques se constituaient sans doute en même temps que lesrudiments végétaux, et la différence est encore insensibleaujourd’hui.

Certains animaux et certains végétaux sont sisemblables, que l’on ne saurait préciser le point où la sérieanimale cesse pour faire place à la série végétale.

Comme les végétaux rudimentaires, les premiersorganismes animaux, en puisant de nouveaux matériaux au sein deseaux, dans l’air, à la surface du sol, se compliquèrent etaugmentèrent de dimensions. Comme les végétaux, ils furent obligésde ne pas s’accroître au delà d’un certain point, et leur mortamena la naissance d’individus nouveaux. Quant à la durée de leurvie, elle est évidemment proportionnelle à la quantité de mouvementinitiale emmagasinée par l’agrégation moléculaire et à la surfacede ces êtres. Elle est donc peu considérable ; la reproductiondoit se manifester avec une grande énergie. La vie et la mortpassent sur ces organismes avec une rapidité extrême.

Ces êtres primitifs durent seuls exister,pendant des temps considérables, les uns dans l’atmosphère, sur lasurface solide, les autres dans les eaux. Puis, quand le calmedevint plus grand sur le globe, que les sédiments commencèrent à sedéposer, les organismes se montrèrent plus nombreux et plus variés.Les cellules végétales trouvèrent tout autour d’elles des matériauxd’assimilation, plus nombreux.

Les cellules animales s’accrurent aux dépensdes cellules végétales et des substances minérales de l’atmosphèreet des eaux. Les échanges se multiplièrent, les formes prirent plusde variétés, et peu à peu apparurent les premières espèces quicorrespondent aux premiers âges du globe.

Chaque espèce ainsi formée se perpétuaforcément pendant d’autant plus de temps qu’elle avait été créée àune époque plus reculée. En effet, un organisme, c’est un centred’action, c’est de la force emmagasinée : la mort ne vient quelorsque cette force est épuisée, mais les forces extérieures(chaleur, lumière, etc.), qui excitent la détente de la vie chezl’individu,travaillent en outre, accumulent chez lui desmatériaux empruntés au milieu où il est plongé.

Or, pour que ces forces puissent exciter ladétente vitale, il faut de toute nécessité admettre quelles soientcapables de produire précisément le même travail qu’elle ;autrement, il y aurait arrêt ; la vie n’apparaîtrait pas.

Les forces extérieures peuvent donc travaillerà grouper de nouvelles molécules et sont susceptibles de déterminerpar cette agrégation une quantité de vie égale à celle que possèdel’individu. Cette nouvelle agglomération permet la formation dugerme, de l’embryon d’un individu semblable au précédent. Et ainside suite.

Toutefois, les forces extérieures vont endiminuant sans cesse, bien qu’imperceptiblement. Donc forcément laquantité de vie qu’elles accumulent dans chaque germe va aussidiminuant. À la longue l’espèce périra. Telle est une des causesrégulières et insensibles de l’extinction de l’espèce. Quant à lalongueur de la vie pour chaque individu, nous l’avons dit, elledépend de sa masse et de sa surface développable ; lapuissance de reproduction également.

Je n’ai pas besoin de faire observer que cesconsidérations trouvent tous les jours encore une confirmation.Placez un germe ou un organisme déjà en mouvement dans un milieuprivé de chaleur et de lumière, et jamais, jamais vous ne verrez lavie naître ou se perpétuer. Du reste, messieurs, je dois rendrejustice ici au fondateur de la chimie, à un Français que nous tousadmirons, au grand Lavoisier. J’ai retrouvé dans ses écrits cepassage mémorable qui dit et renferme tout :

« L’organisation, le sentiment, lemouvement spontané, la vie, n’existent qu’à la surface de la terreet dans les lieux exposés à la lumière. On dirait que la flamme duflambeau de Prométhée était l’expression philosophique qui n’avaitpoint échappé aux anciens. Sans lumière, la nature était sansvie ; elle était morte et inanimée. Un Dieu bienfaisant, enapportant la lumière, a répandu sur la surface de la terrel’organisation, le sentiment et la pensée. »

Ces paroles resteront éternellementl’expression de la vérité. (Applaudissements prolongés.)

M. NEWBOLD. Nous écoutons avec le plusvif intérêt M. Ziegler, mais je suis forcé de lui rappeler quenous nous éloignons sans cesse de la question. Les digressions, siintéressantes qu’elles soient, ne font pas avancer la solution duproblème. Que M. Ziegler veuille bien se rappeler que depuisdix jours nous sommes réunis, et nous ne savons pas à quoi nous entenir encore sur l’habitant de la planète Mars.

M. ZIEGLER. Monsieur le président, j’aibientôt fini. Si l’assemblée veut m’y autoriser, j’achèverai matâche. (Oui, oui, oui !)

Je continue : Le végétal, messieurs,seul, possède la faculté de tirer directement du sol et del’atmosphère les molécules organiques et inorganiques ; ilfait directement la matière organisée. Ceci tient à la simplicitédes agrégations qui le constituent. L’animal n’a pas ce privilège,il ne peut s’accroître qu’aux dépens de la substance organiséevégétale ou animale. Le végétal a donc précédé l’animal dans lacréation. Ceci est très-remarquable, il me semble, et marquetrès-bien la distance qui sépare les deux organismes. L’un élaborece que l’autre absorbera ensuite.

On voit ici, dès le début, apparaître cetteloi immuable de la nature. Toute organisation va sans cesse pardegrés ascendants, du simple au multiple, la première créationservant à la suivante et toujours.

L’animal ne peut puiser sur place les élémentsprimitifs d’accroissement, puisqu’il a besoin qu’ils aient subi uneélaboration première. Il faut donc qu’il se déplace. À l’origine,cette nécessité de déplacement aura forcé les organismesrudimentaires à se façonner pour la marche, et cette faculté auraété croissant avec la variété des aliments à puiser de toutesparts. Ainsi l’animal aura seul parmi les corps de la nature lepouvoir d’exécuter un travail extérieur. Grande concession qui luivaudra toute sa supériorité. Ce privilège, nous le répétons,réduit, très-réduit au début, aura toujours été augmentant.

Nous aurons donc aux premières époques desêtres ne se déplaçant que très-difficilement, puis successivementdes animaux de mieux en mieux conformés pour la locomotion.

Des affinités matérielles réciproques serontnées les qualités de chaque individu, puis l’instinct et lecaractère dominant de chaque espèce. Il est parfaitement certainque les animaux et les végétaux d’une même période sontnon-seulement dépendants l’un de l’autre, mais encore les uns desautres.

Un mathématicien dirait qu’ils sont tous devéritables variables satisfaisant à une équation. Quand l’équation,c’est-à-dire les forces extérieures, change, les variables,c’est-à-dire les espèces, changent aussi forcément.

Qu’il me soit permis, messieurs, de signaler àvos méditations un grand principe qui paraît gouverner l’évolutionde la matière. Je le définirai ainsi :

« Un groupement moléculaire quelconquetend à produire un groupement moléculaire semblable. »

La force qui n’échappe d’une agrégation donnéetend à rapprocher harmoniquement le même nombre d’atomes et à créerdes molécules similaires. C’est pourquoi, messieurs, plus lessédiments se déposent nombreux à la surface terrestre, plus lessubstances se groupent et se compliquent, plus les organismes segroupent, et se compliquent eux-mêmes.

Vous trouverez leur structure de plus en pluscompliquée et dépendante des matériaux voisins, de l’atmosphère,des eaux et du sol ; leurs organes se mettront en relationimmédiate avec leurs besoins. Le poisson se conformera pour vivredans les eaux, l’oiseau dans les airs, le mammifère à la surface dusol.

Chaque espèce, nous l’avons dit, ne peutexister indéfiniment. Il est facile de préciser la durée de sonexistence. Elle a pris naissance, en effet, sous l’ébranlement desforces extérieures agissant sur des agrégations moléculairesdéfinies. L’espèce est donc intimement liée aux variations desforces extérieures (chaleur, lumière…) et par suite aux variationsdes substances du globe.

Les organismes formés des molécules les plusrudimentaires se perpétueront le plus longtemps ; aucontraire, les molécules plus complexes variant de groupementbeaucoup plus vite, les êtres plus élevés dans l’échelle seperpétueront moins longtemps.

Une espèce s’éteindra forcément quand elle nerencontrera plus de molécules similaires à celle qui la forme etque les forces extérieures seront devenues insuffisantes pour endéterminer l’ébranlement.

En langage ordinaire, chaque fois qu’unerévolution géologique aura modifié le milieu, les espèceschangeront ; elles se transformeront, et le passage serad’autant moins sensible que les organismes végétaux et animauxprécédents, que le sol lui-même, seront plus complexes et plusvariés.

Ainsi, on peut, traduire ce qui précède endisant que les premiers organismes peu modifiés se perpétuerontpresque à tous les âges de la Terre ; que les végétaux et lesanimaux, plus élevés dans l’échelle ascendante, ne peuvent seperpétuer que pendant un temps limité ; leur origine et leurextinction dépendent essentiellement du milieu géologique etphysique : ils différeront donc en général pour chaque phasegéologique, et d’autant plus, que le cataclysme qui aura remaniéles matériaux de la surface terrestre sera lui-même plusimportant ; d’autant moins, au contraire, que les changementsseront plus insignifiants[20].

Avec la variété des terrains viendra lavariété des espèces. Avec leur multiplicité, la supériorité etl’élévation des individus.

Vous le voyez, messieurs ; je n’esquiverien, je nie formellement que la création ait été l’œuvre d’unjour ; je combats énergiquement l’opinion qui fait naître toutd’une pièce les espèces variées qui peuplent la terre.

Beaucoup de savants, en Europe surtout,affirment que les germes de tous les animaux existant, ayant existéou qui existeront, sont créés depuis l’origine des temps, et necommenceront leur évolution que successivement et à leur tour.C’est absolument contraire au raisonnement et à l’étude approfondiedes phénomènes biologiques.

Non, messieurs, l’espèce, l’individu, parti dela molécule organique primitive, passe comme le globe lui-même pardes phases distinctes ; l’espèce naît, croît et meurt commel’individu.

C’est une intégrale qu’il s’agit dedifférencier.

Mais comme le globe, comme le systèmeplanétaire auquel nous appartenons, chaque espèce en perdant de lavie commence fatalement la génération d’une nouvelle espèce :c’est là une simple question de transmission de force.

Jetez un coup d’œil sur notre époque, vousverrez nos espèces actuelles très-voisines d’espèces précédentes.Il y a déjà transformation. Nos animaux et nos végétaux actuelsserviront de transition, et par degrés insensibles, à de nouveauxanimaux, à d’autres végétaux.

La fin de l’existence de nos espècescorrespondra à la génération des suivantes en rapport avec lesforces extérieures de l’époque, avec les milieux géologiques. Ceciest fatalement nécessaire ; les matériaux et l’ouvrierchangent : il faut donc que l’œuvre se transforme.

On ne s’étonnera pas non plus de voir unterrain caractérisé par sa faune et sa flore, puisque c’estprécisément lui qui a régi l’évolution des organismes pendant toutle laps de temps qu’il a été à découvert.

Quant aux variétés distinctes qui se montrentdans chaque espèce, après ce que nous venons de résumer, il n’estpersonne qui ne voie de prime abord qu’elles sont intimement liéestout à la fois aux milieux géologiques et physiques. C’est le solet le milieu ambiant qui fabriquent chimiquement et physiquementl’espèce et l’individu[21].

Plus révolution du globe avance et plus lesêtres se perfectionnent par degrés plus insensibles, car lescombinaisons de la matière deviennent plus difficiles et plusrares, et les espèces par suite se fondent de plus en plus les unesdans les autres.

Cette remarque suffit aussi pour faire voirque les espèces, après s’être succédé avec rapidité et grandevariété, doivent commencer à devenir plus stables et moins facilesà transformer.

Non-seulement la structure des êtres a été ense modifiant, mais aussi leur taille. N’est-il pas parfaitementclair qu’elle a dû croître avec la variété des matériauxdisponibles ? La force emmagasinée est devenue plus grande etl’accroissement possible de chaque individu plus considérable.

Il est bien évident que le maximum de taillepour les espèces successives a dû coïncider simultanément avec laplus grande variété de matériaux terrestres et la plus grande sommede forces extérieures. D’une équation encore a dû sortir et sortjournellement la taille de l’espèce et de l’individu.

Il semble que nous avons dépassé le maximum,et que, les forces extérieures décroissant plus vite que n’augmentela variété des combinaisons, la taille des espèces aille endiminuant.

Il est inutile d’ajouter que pour chaque phasela grandeur d’une espèce a toujours dépendu de la latitude et aaugmenté sans cesse du pôle vers l’équateur. Des observationsnombreuses ont toujours prouvé qu’en effet, conformément à cesdéductions, les plus grands animaux se sont toujours rencontrésdans les régions équatoriales. Je terminerai ces considérations, vul’heure avancée, lundi, si l’assemblée veut bien me lepermettre.

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