Un habitant de la planète Mars

LETTRE XII

Volte face inattendue. – Où M. Zieglerdevient spiritualiste, – La matière et l’âme. – La penséepeut-elle, jaillir des réactions matérielles ? – Activitémentale et corporelle. – De l’existence de l’âme. – Pauvre machineque le corps ! – Influence de la matière. – Perfectibilité del’individu, perfectibilité des impressions. – Mauvais instruments,mauvaise besogne. – Théorie du magnétisme. – Où une âme peuttélégraphier à une âme. – Sommeil somnambulique. – Influencesmagnétiques. – M. Haughton et M. Pasteur. – Conclusion deM. Ziegler.

M. NEWBOLD. Messieurs, plusieurs de noscollègues ont reçu des lettres de rappel ; les débats seprolongent plus que nous ne le pensions ; il faudraitcependant conclure. M. Ziegler a demandé la parole ;après lui M. Owerght est inscrit. Je serai moi-même, dansquelques jours, obligé de quitter Paxton-House : je prieraidonc M. Ziegler d’abréger beaucoup, et je ne puis luiconserver son tour qu’à cette condition expresse.

M. ZIEGLER. Je remercie monsieur leprésident. Un quart d’heure me suffira pour terminer ce que j’aiencore à dire.

Au banc des journalistes. – Son quart d’heuredurera bien plusieurs heures.

M. ZIEGLER. On m’a accusé de conduire parmon système au matérialisme le plus complet. Je réclame quelquesminutes d’attention encore pour me disculper.

Qu’ai-je fait, messieurs ? J’ai montré lamatière s’organisant sous l’influence du mouvement transmis par lamatière ; j’ai donné la clef de ces transformations. J’ai ditensuite que les êtres se perfectionnaient à mesure que lesmatériaux de chaque planète devenaient de plus en plus complexes etvariés. On peut croire, en effet, que je veuille avancer ; quel’intelligence devienne de plus en plus supérieure avec la variétédes éléments matériels, que, par conséquent, l’intelligence dépendeexclusivement de la matière. Il importe de bien distinguer.

Oui, messieurs, l’intelligence pour moi dépendde la matière, mais ce n’est pas la matière qui faitl’intelligence. Il faut bien différencier le principe vital, laforce qui anime votre corps, de l’intelligence, de l’âme. Leprincipe vital appartient au monde matériel ; l’intelligenceest régie par le monde matériel, mais ne lui appartient pas. Leprincipe vital naît et meurt ; l’âme ne meurt pas.

Le principe vital relève complètement de lamatière, masse et quantité de mouvement ; voici saformule : sans la masse, sans le mouvement, pas de principevital. L’intelligence, au contraire, la faculté de penser, revientà l’âme, à un élément avant tout inconnu et d’essence divine.

Pourquoi ? pourquoi la pensée nejaillirait-elle pas tout aussi bien des réactions matérielles quidonnent la force vitale ? Messieurs, il est bien facile de leprouver et de mettre en parfaite évidence la nature spéciale,l’existence d’un principe spirituel échappant complètement au mondematériel.

N’a-t-il pas été montré que la vie allaitcroissant d’énergie jusqu’à une certaine limite pour diminuerensuite ? Il s’agit ici des réactions matérielles quiproduisent la force vitale. Or, si la pensée était aussi gouvernéepar les mêmes évolutions, il arriverait nécessairement quel’intelligence irait croissant dans la même proportion pourdécroître aussi dans la même proportion.

Il n’en est absolument rien. Si la décadencematérielle réagit le plus souvent et doit en effet réagir, commenous le montrerons, sur les facultés de l’intelligence,très-souvent l’intelligence reste vivace et entière jusqu’auxderniers moments de la vie. Donc, la production de la pensée, bienque liée aux réactions matérielles, n’a nullement pour originecelle de la force vitale.

L’activité mentale coïncide le plus souventavec l’activité vitale. Mais on comprend bien qu’ayant beaucoup deforce à dépenser, l’âme en profite et se serve de la puissance dontelle dispose. Évidemment l’âme indépendante du corps, dirige lamachine et l’utilise[24].

En quoi, car je suis obligé d’aller très-vite,l’intelligence relève-t-elle du corps ? Absolument commel’ouvrier relève de l’instrument. L’âme n’est en communication avecle monde matériel qu’à l’aide du corps : corps incomplet, malconstruit ; réactions matérielles insuffisantes, principevital insuffisant, intelligence bornée ; et vous allez lecomprendre, messieurs, avec la plus grande facilité.

L’âme est en rapport par le corps avec lemonde matériel au moyen des organes de relation : œil, ouïe,mains, etc. Or, plus ces organes seront complexes et variés, plusl’intelligence sera impressionnée, plus les sensations serontmultiples. Modifiez un organe, simplifiez la structure,l’intelligence ou l’instinct baissera fatalement.

Comment une impression vient-elle ?L’impression est d’origine matérielle. C’est une onde, un mouvementqui vient frapper l’oreille, l’œil, la main, le corps.L’ébranlement se propage aux nerfs, au cerveau. L’impression esttransmise.

Autant de molécules différentes, autant demouvements différents, comme il a été dit, autant de sensationsdiverses par conséquent. Mais, pour que tous ces mouvementsparviennent, il faut absolument que les organes qui les reçoiventsoient susceptibles d’être ébranlés, il faut que leurs moléculessoient aussi compliquées que celles qui envoient le mouvement,d’après les principes énoncés précédemment.

Il devient donc évident que la sensibilité deperception dépend de la structure de l’organe. Ne vous étonnez doncplus de ne pas voir les mêmes personnages également impressionnéespar un même phénomène, ni surtout les différents animaux del’échelle voir ou ne pas voir ce que nous pouvons, nous, percevoirdans tous les détails. Les animaux inférieurs ne peuvent êtreimpressionnés que par les mouvements élémentaires dérivés desmolécules les moins complexes et correspondantes à celles quiforment leur corps.

La sensibilité chez l’animal, l’intelligenceou l’instinct, ne dépendent donc nullement de la masse, du principevital, mais de la finesse, de la variété, de la multiplicité desmolécules qui constituent ses organes. Plus elles seront multipleset variées, plus elles seront aptes à recueillir les mouvementsvenus de toutes parts, et plus les impressions elles-mêmes serontnettes et nombreuses.

Pourquoi tous les corps nous apparaissent-ilsavec des couleurs propres ? Uniquement parce que leursmolécules sont diverses et les mouvements de ces moléculesdifférents. Autant de mouvements, autant de sensations. – Pourquoile même individu ne sera-t-il pas impressionné de même qu’un autrepar la même couleur ? Parce qu’à son tour les molécules de sesorganes ne sont pas agrégées identiquement comme celle de sonvoisin. – Et de même pour le son, pour le toucher, pour toutes lesimpressions quelles qu’elles soient.

Les animaux, on peut en être sûr, ne voientpas comme nous, ne jugent pas comme nous de la grandeur ou de lacouleur.

Il n’est même pas dans l’espèce humaine deuxpersonnes pour lesquelles les impressions soient identiques. Deuxpersonnes ne voient jamais précisément au même moment, n’entendentjamais précisément au même instant. La différence du temps donneune idée de la différence de constitution de leurs sens.

Ainsi, il n’arrive jamais que deux astronomes,si exercés qu’ils soient, observent le passage d’un astre au mêmemoment ; l’un verra un peu plus tôt que l’autre. L’erreur peuts’élever à une seconde. Pour chaque individu il faut un tempsdifférent, afin que la transmission du mouvement moléculaires’effectue. Votre âme ordonne à votre bras de se lever : pourque le mécanisme obéisse, il faut une petite fraction deseconde ; pour votre voisin, ce sera une autre fraction deseconde. En un mot, la vitesse de la transmission varie sans cessed’individu à individu.

Avez-vous remarqué qu’il suffit de regarderquelqu’un pour qu’après un certain temps ses yeux se portent surles vôtres ? L’effet est instinctif.

C’est l’âme de celui que vous regardez quiobéit à la vôtre, et toujours par l’intermédiaire d’un agentmatériel, ici la lumière.

Vous projetez sur l’œil d’une personne lemouvement[25] qui vous arrive du soleil, et cemouvement va ébranler la rétine, puis le cerveau de cettepersonne.

Ce mouvement est différent de celui qu’ellereçoit elle-même directement du soleil ; votre rétine l’amodifié au passage. Elle ressent donc une impression distincte.Elle veut en connaître la source, et elle regarde dans la directiond’où lui vient ce mouvement particulier.

Si sa constitution est telle qu’elle puisseentrer en vibration harmonique avec vous, elle regardera de plus enplus ; vous vous mettrez de plus en plus à l’unisson, puis legrand sympathique, les nerfs, vibreront synchroniquement. Lesmolécules des deux corps tendront à s’animer de mouvementsidentiques et les organes, qui n’en sont que l’assemblage, vivrontde la même vie. Le dicton populaire : leurs deux cœursbattent à la fois, sera entièrement vérifié ; c’est ainsique l’amour peut naître d’un regard.

Si, au contraire, la constitution moléculaireest telle que jamais les mouvements ne pourront coïncider et semettre à l’unisson, c’est la gêne que produira le regard ;l’antipathie naîtra.

La mise en rapport ainsi produite par lemouvement lumineux peut être accrue, augmentée considérablement parles mouvements moléculaires des autres organes de relation ;la main posée sur la main suffit pour hâter encore les vibrationsharmoniques du corps, et par suite la similitude des impressions etdes pensées.

On s’étonne des phénomènes magnétiques ;on ne peut concevoir comment, à distance, une personne a del’influence sur une autre. On a voulu considérer le magnétismecomme une jonglerie, les savants en rient ; c’est pourtant,messieurs, une branche parfaitement définie de la scienceexacte.

Quand deux personnes sont à l’unisson,c’est-à-dire que leurs filets nerveux également ébranlés vibrent àl’unisson, comme les mouvements extérieurs gouvernent lessensations, il suffit que la plus forte pense une chose pour que laplus faible ait le contre-coup de la même pensée ; c’est unevéritable télégraphie.

Toutefois, comme les objets extérieurstransmettent aussi les mouvements de leurs molécules, si lapersonne qui reçoit n’est pas soustraite à ces impressionsétrangères, elle mêle les sensations émanant de ces sourcesdifférentes, absolument comme le ferait un télégraphe qui reçoit ungrand nombre de dépêches à la fois. Toutefois, elle en conserve unenotion vague et indécise.

Les magnétiseurs tournent la difficulté. Quandla mise en rapport a eu lieu, que le sujet obéit déjà un peu àvotre propre pensée, vous ordonnez qu’il dorme. Vous le soustrayezainsi aux influences étrangères et votre pensée devient lasienne.

Vos deux âmes communiquent, et votre âme,commandant à la sienne, fait mouvoir son corps comme s’il vousappartenait.

J’ai dit à l’instant que vous ordonniezqu’il dorme. Qu’est-ce donc que le sommeil et pouvez-vousainsi le produire ?

Messieurs, on a répété à satiété que lesommeil était l’image de la mort. Les psychologistes ont vivementcombattu cette expression ; l’idée est fausse ;toutefois, jamais plus que pendant le sommeil, l’âme n’estindépendante et ne se trouve plus près par conséquent de l’étatquelle recouvre à la mort. Elle est enfermée dans le corps, maiselle ne lui commande plus, elle ne s’en sert plus. Le sommeil estdonc le temps pendant lequel l’âme ne communique plusqu’accessoirement à l’aide du corps avec le monde extérieur.

Il faut que le corps répare journellement laperte de force vitale qu’il a dépensée par son travailextérieur ; le principe vital diminuant, l’âme ne peut plusfaire obéir la machine. C’est le matelot allant à la dérive, fautede gouvernail.

Le corps repose, l’âme veille, mais elle n’estplus avec ce qui l’entoure ; elle ne voit plus ; ellespécule sur ses souvenirs ; elle combine, elle prévoit ;n’étant plus gênée par les impressions extérieures, elle acquiertune puissance et une activité de jugement incomparables.

Pendant ce temps, toute la force vitale estemployée à reconstruire le corps, à réparer l’usure de la journée.Chez certaines personnes, chez les somnambules, l’âme conserveassez d’action sur le corps pour le faire fonctionner, maisgénéralement sans se mettre en rapport direct avec le mondeextérieur.

Que fait maintenant, messieurs, lemagnétiseur ? Quand l’organisation du sujet le permet, ilcommande le sommeil, absolument comme il le ferait si le corps dela somnambule était le sien. L’âme obéit ; le sujet dort, etle magnétiseur n’a plus qu’à télégraphier sa volonté.

Moins un corps est massif, et plus les effetsmagnétiques se produisent vite, puisqu’il y a moins de masse àentraîner. C’est pour la même raison que les personnes faibles etpetites sont plus impressionnables que les autres.

Il y aura toujours plus de rapidité et definesse dans la conception d’une organisation nerveuse que cheztoute autre, précisément à cause de la prédominance de la forcevitale sur la matière.

Les matérialistes, ceux qui confondent leprincipe vital avec l’âme, n’ont certainement jamais réfléchi à cesfaits, qui détruisent leur opinion. Ils s’étonnent de ce que nousn’ayons pas la notion exacte de la Divinité, que nos idées roulentéternellement dans un même cercle. Mais quoi ! est-ce que nossensations peuvent venir d’ailleurs que de la matière, que de ceque nous voyons ou touchons ? Notre âme ne voit et ne peutjuger que d’après les notions acquises par nos organes.

Nos sensations ne s’écarteront jamais delà : nous ne pouvons donc marcher plus loin dans cette voie dupositivisme. Si l’âme n’existait pas, nous n’aurions pasprécisément cette faculté d’émettre des idées autres que celles quenous donneraient nos sensations directement produites par le mondematériel.

Et d’ailleurs, l’idée de Dieu et de l’âme vasans cesse en prenant de la force à mesure que les impressionsextérieures sont moins vives, et finit par dominer toutes nospensées. Il doit en être ainsi, en effet, car, à mesure quel’énergie vitale disparaît, l’âme se replie sur elle-même, plus àelle, beaucoup moins au corps.

Je pourrais multiplier les arguments, maisM. Newbold voit avec impatience l’heure s’avancer, et je nevoulais en quelques mots que bien faire voir que tout ce que j’aidit s’applique au principe vital, et nullement à l’âmeéternellement indépendante de la matière.

Enfin, messieurs, rappelez-vous que, si lemouvement et la matière font et transforment les organismes, il afallu un créateur pour le mouvement et la matière. La main de Dieu,messieurs, apparaît partout dans l’univers. (Applaudissements.)

M. NEWBOLD. La parole est àM. Haughton.

M. HAUGHTON. Un mot seulement àM. Ziegler. Je n’insiste nullement sur les dernièresconsidérations toutes nouvelles qu’il vient d’émettre ;seulement, puisque la matière peut s’organiser d’elle-même, suivantlui, qu’il le prouve expérimentalement.

M. NEWBOLD. Monsieur Haughton, nousallons encore être entraînés…

M. ZIEGLER. Non, monsieur le président,une minute de grâce, non pour convaincre M. Haughton, maispour ne pas laisser son objection sans réponse. Je dis qu’enmettant de la matière convenable en présence de la matièreconvenable, je puis encore de nos jours produire des organismes Sije le fais et que je le montre, mon honorable adversaire affirmeraque les organismes proviennent de germes préexistants. Il merappellera les expériences de M. Pasteur en France.

À mon tour, je dirai que les faits invoquéspar M. Pasteur ne signifient absolument rien, et je pourraisle démontrer, si le temps ne me faisait défaut ; j’ajouteraique M. Haughton met comme M. Pasteur la production desorganismes inférieurs sur le dos de germes impalpables. On ne lesvoit pas, on les pressent seulement, dit-il ; moi, je faisabsolument de même ; ce n’est plus un germe, ce sont desmolécules organiques si infimes qu’elles échappent à l’œil ;ces molécules en s’agrégeant forment l’organisme.

Ici le point de départ, c’est le germe vital,issu de l’animal : là c’est le corpuscule également invisibleformé directement par la matière organique en décomposition.

Toutes les expériences de M. Pasteurdonnent raison à ma manière de voir, aussi bien qu’à la sienne, etje possède plusieurs autres expériences qui, tout en restantfavorables à mes vues, contredisent sa théorie. CependantM. Haughton et moi, nous pourrions discuter longtemps sur cesinfiniment petits ; je préfère passer outre aujourd’hui,jusqu’à ce que l’expérience me permette de serrer davantage monargumentation. Cette fois, M. Newbold ne me reprochera pas mesdéveloppements. (Rires et bruit.)

M. NEWBOLD. Messieurs, l’habitant deMars !

H. RINK. Je ferai remarquer à l’assemblée queles discussions précédentes montrent aussi que les êtres dépendent,par la structure et la supériorité, de l’état de la matière surchaque planète, ils en suivent l’évolution. À ce point de vue,elles n’étaient nullement hors de propos dans la question qui nousoccupe.

M. GREENWIGHT. Monsieur le président, lesconclusions sont très-prochaines : il ne reste plus en effetqu’à établir comment l’aérolithe a pu tomber sur la terre venantd’une planète voisine. M. Owerght est inscrit et je réclame,au nom de l’astronomie, son tour de parole.

Demain, à demain !

M. OWERGHT. Je remercie mon honorablevice-président, et je me mettrai demain à la disposition del’assemblée.

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