Un habitant de la planète Mars

LETTRE XI

Comment nous vient la vie. – Détente vitale. –Moyen de la mesurer. – Où le végétal qui pousse dans l’obscuritépèse moins que le grain qui l’a produit. – Du maximum de vie. –Durée de l’existence. – M. Ziegler est en désaccord avecM. Flourens. – Longévité humaine. – Pourquoi les végétaux seréveillent au printemps ? – L’homme crée-t-il sonsemblable ? – Machine à fabriquer les êtres. – Transmission dela force organique. – Le Créateur.

M. ZIEGLER. Plusieurs membres de lacommission ont bien voulu me faire hier dimanche plusieursobjections : je crains que les physiologistes n’aient passaisi toute ma pensée et je demande, messieurs, à insister sur lepoint de départ de la vie ; d’autres enfin n’ont vu dans monexposition qu’une thèse matérialiste sans issue ; il estindispensable d’éclairer les uns et de rassurer les autres.

Je rappelle ici ce principe fondamental déjàcité :

Une agrégation moléculaire quelconque tend àengendrer une agrégation moléculaire semblable.

Le germe, messieurs, c’est une agrégationmoléculaire définie, travaillée, produite par les forces organiquesen fonction. Prenez le germe, prenez une graine, prenez unœuf : si vous ne placez ni celui-ci ni celui-là dans lesconditions physiques voulues, vous ne tirerez rien, absolument riende l’un ni de l’autre. Mais mettez la graine dans un milieuconvenable, de telle sorte qu’elle trouve autour d’elle às’adjoindre des molécules similaires, vous verrez bientôtl’activité vitale se développer, la graine se transformer enplante.

La graine, l’embryon, était-ce donc, avantl’excitation des forces extérieures, un corps brut, inerte,inorganique ? Mais non, messieurs, c’était une agrégation demolécules organiques ne possédant pas la quantité de mouvementvoulue pour s’adjoindre les molécules similaires ; c’était unecréation incomplète n’attendant qu’un excès de force pour setransformer. J’ai dit qu’il fallait que deux conditions fussentremplies pour que le germe produisît la plante ; des forcesextérieures suffisantes, des éléments d’agrégations voulus. Voici,messieurs, une vérification immédiate.

Supprimons en partie, en partie seulement, lesforces extérieures ; plaçons, par exemple, le germe dans uneobscurité absolue, et conservons les éléments d’agrégation. La vie,nous l’avons dit, c’est la détente de la force emmagasinée. Or,laissons se détendre la force emmagasinée dans le germe ;comme nous supprimons la majeure partie de la force excitatrice,évidemment la vie sera très-courte ; de nouvelles molécules nepourront venir se grouper auprès des anciennes ; quand laquantité de mouvement emmagasinée sera épuisée, l’organismemourra.

Voyez maintenant : voici unegraine ; on l’a placée au soleil ; elle a germé ;puis on l’a enfermée dans une chambre obscure. L’excitation solairelui a donné la vie ; la suppression de cette force ne la luienlève pas. Il faut attendre que la force emmagasinée soitépuisée : ce végétal va donc vivre et vivre d’autant pluslongtemps que la masse de l’embryon était plus considérable. Enfinon le verra s’étioler, puis mourir. Le végétal aura épuisé toute laforce emmagasinée dans l’embryon.

Ici se montre dans toute sa simplicité lanotion de détente de la force vitale. Si un organisme vitlongtemps, il le doit incontestablement à la force qui prendnaissance au fur et à mesure de l’agrégation de nouvellesmolécules.

Ajoutons qu’avec la déperdition de la force alieu forcément la déperdition de molécules et que le végétal qui apoussé dans l’obscurité doit peser moins que la graine qui l’aproduit.

Ceci semble paradoxal, messieurs, cependantj’ai planté des graines, je les ai pesées, puis, quand le végétalpoussé dans l’obscurité était sur le point de mourir, je pesais denouveau. Les principes disparus s’élevaient à 50 0/0[22].

Laissez-vous au contraire au germe et lesforces excitatrices et les molécules d’agrégation, vous verrez levégétal pousser et gagner sans cesse du poids. Dans cettehypothèse, en effet, le germe, loin de perdre de la quantité demouvement, en gagne sans cesse ; les molécules ne s’échappentplus de la combinaison ; elles y rentrent : donc la vieaugmente dans l’organisme en même temps que son poids, et ainsi ettoujours, chaque fois que les forces extérieures s’accroîtront,vous remarquerez un redoublement d’énergie vitale et une nouvelleaugmentation de poids. Les forces extérieures augmentent à chaqueprintemps : aussi voyez-vous poindre les bourgeons, et lestiges monter plus nombreuses. Le phénomène est tout simple.

Mais alors le végétal s’accroîtra doncindéfiniment et la vie ira donc sans cesse croissant ? Non,messieurs : comme pour tout dans l’univers, il y a un maximum,et, une fois dépassé, la vie se perd progressivement pourdisparaître tout à fait.

La vie suit une courbe ascendante, tant queles forces extérieures l’emportent sur la force de détenteintérieure, et l’organisme gagne en poids, mais nécessairementl’équilibre est obligé de se faire ; la force éliminatriceintérieure, pour employer le terme usité en physiologie, finit parégaler la force assimilatrice extérieure. À ce moment-là, levégétal ne gagne ni ne perd ; la vie atteint le maximum ;elle va bientôt diminuer.

Et en effet, la force extérieure ne peut plusproduire d’agrégation nouvelle ; elle est tout entièreemployée à exciter et à maintenir les molécules qu’elle aagrégées.

La force emmagasinée seule est libred’agir ; d’après ce qui a été dit déjà, on voit qu’elle estprécisément égale à la force extérieure qui a bâti l’organisme.Elle est devenue telle par suite des agrégations successives demolécules ; elle va peu à peu diminuer et disparaître parsuite de désagrégations successives et lentes.

Plus puissante maintenant que la forceextérieure équilibrée, elle rendra plus de matériaux que l’autren’en apportera ; elle se perdra sans cesse et aveclenteur ; la plante diminuera de poids ; il est vrai quechaque nouvelle agrégation apporte une nouvelle quantité de vie,mais comme une partie du mouvement engendré est employée à exciterles molécules ajoutées, il y a en résumé soustraction de force etperte.

Or, la force extérieure est relativement enquantité infinie ; la force intérieure, au contraire, enquantité essentiellement finie. Perdant sans cesse, il faudra bienqu’elle devienne nulle et que l’organisme meure. Au fur et à mesurede cette déperdition, les molécules se rapprochent, le tissuvégétal devient plus serré, il devient vieux.

Quelques-uns d’entre vous, messieurs, aurontdéjà aperçu l’importante conséquence qui ressort des faitsprécédents.

La force vitale égale au maximum del’existence la force extérieure qui l’a produite ; n’est-cepas assez dire que, si vous doublez le temps nécessaire à unorganisme pour atteindre tout son développement, vous aurez ladurée normale de sa vie ? N’est-ce pas assez dire encore quela rapidité d’accroissement d’un individu va sans cesse diminuantdepuis la naissance jusqu’au maximum de vie, et inversement que larapidité de déperdition va sans cesse croissant depuis le maximumde vie jusqu’à la mort ?

Un organisme donné exhalera donc dans savieillesse plus d’acide carbonique que dans sa jeunesse, et de làencore un moyen de déterminer l’âge d’un individu.

S’agit-il enfin, messieurs, de préciser ladurée de l’existence d’un organisme, vous le ferez vite le mètre enmain. Mesurez-le, et, quand il aura atteint tout son développement,il vous suffira de doubler son âge pour avoir la limite normale desa vie. Ces faits, qui trouvent journellement leur confirmation,viennent apporter un appui considérable à la théorie que j’ail’honneur d’exposer devant vous.

M. NEWBOLD. Monsieur Ziegler, l’habitantde Mars ! l’habitant de Mars ! nous n’en finironsjamais ?

M. ZIEGLER. J’ai terminé, monsieur leprésident, ou à peu près.

Je vous ai montré brièvement la naissance, lavie et la mort chez le végétal. Quelques mots maintenant surl’animal.

M. WILLIAMSON. Le voilà reparti ; ilva remplir un livre tout entier…

M. ZIEGLER, sans faire attention auxinterruptions. D’abord, entre l’œuf et la graine, il y a,messieurs, la plus grande, la plus complète analogie. Jugezvous-même :

Œufs.

Graine.

Albumine.

Albumine.

Matières grasses.

Matières grasses.

Sucre de lait, glucose.

Amidon, dextrine donnant duglucose.

Soufre phosphore.

Soufre, phosphore.

Phosphate de chaux.

Phosphate de chaux.

Eau en forte proportion.

Eau en faible proportion.

Cellulose.

La composition est presque identique. Lacellulose doit exister dans l’œuf ; elle y sera rencontréequand on se donnera la peine de bien l’y chercher.

Comme pour la graine, il faut des conditionsphysiques déterminées pour exciter le mouvement chez les moléculesanimales. Sans chaleur, l’œuf reste inerte.

Le développement de l’animal se fait commecelui du végétal ; au lieu de puiser des aliments nonélaborés, il va lui-même chercher des substances déjà préparéesqui, tout en permettant son accroissement, augmentent sa forcevitale. Il gagne sans cesse du dedans au dehors. Comme pour levégétal, il y aura nécessairement un terme à cet accroissement.

Il y aura augmentation de l’individu tant quela force vitale ne sera pas égale à la force qui déterminel’agrégation des matériaux ingérés, mais, cette limite atteinte, ily aura plus de déperdition que de fixation de nouveaux éléments, etinsensiblement la vie ira diminuant. Ici encore il ne faut pass’imaginer que les matériaux acquis doivent disparaîtrerapidement.

En aucune façon : la force vitale exhaledes matériaux ; par cela même, elle rompt l’équilibre, et laforce extérieure en rapporte de nouveaux : seulement lapremière l’emporte sur la seconde, et c’est chaque jour unesoustraction nouvelle, jusqu’à extinction complète de toutmouvement vital.

La loi de la durée de l’existence vraie pourle végétal doit l’être pour l’animal. Tout individu peut fixer lalongueur normale de sa vie en doublant le nombre d’années qu’il luia fallu pour atteindre son développement complet. Si un homme cessede s’accroître à quarante ans, c’est qu’il ne dépassera pasquatre-vingt… et quelques années, pour tenir compte du temps oùl’organisme reste stationnaire. L’homme qui n’acquiert son completdéveloppement qu’à cinquante ans vivra cent ans…[23]

Il est très-probable aussi qu’il y a unerelation entre la durée de l’existence et le temps de gestation.Ainsi, chez les femmes, l’élaboration dure neuf mois, chez lapoule, vingt et un jours, chez le chien, soixante-cinq jours, chezle cheval, onze mois, et la durée de leur existence estrespectivement quatre-vingt-dix ans, huit ans, douze ans, vingtans. Si le cheval vit si peu, il faut en rejeter la cause sur letravail excessif qu’il accomplit. Les chevaux sauvages doiventvivre plus longtemps.

Il y a lieu de tenir compte ici du reste de lamasse de l’embryon. Il est très-certain que la durée de l’existenceet le temps de gestation dépendent beaucoup de ces éléments.

C’est le cas de faire observer encorel’influence très-remarquable des variations des forces extérieuressur les phénomènes de la vie. Quand l’intensité de ces forcesdiminue, il est clair, d’après ce qui précède, que la force vitale,qui y est entièrement liée, doit diminuer. Elle doit augmenter, aucontraire, lorsque celle-ci augmente. C’est bien, en effet, ce quiarrive.

Pour le végétal, n’est-ce pas visiblement auprintemps qu’il semble se réveiller d’une mort apparente ? Lesforces extérieures s’accroissent, la force vitale aussi, la planteou l’arbre pousse. Chaque rotation de la terre sur elle-même influeégalement ; pendant la nuit, il y a diminution de la forcevitale : il y a sommeil, pour ainsi dire ; la planteexhale de l’acide carbonique. La force intérieure plus puissanteque la force extérieure chasse au dehors les matériaux. Le soleillevé, l’effet est inverse, la force extérieure l’emporte, laplante, loin de perdre, gagne de l’oxygène qu’elle absorbe.

De même, l’animal se sent renaître auprintemps. Il y a redoublement de vie. Chaque jour, il passe aussipar une phase analogue. Quand le soleil disparaît de l’horizon,quand la lumière lui fait défaut, il lui prend un besoin insatiablede dormir ; il se manifeste une réaction curieuse : laforce qui l’anime semble diminuer et diminue en effet à l’avantagede la force qui reconstruit ses tissus ; on dirait que, lesforces extérieures ayant disparu en partie, il ne doit pluseffectuer de travail extérieur ; toute l’activité vitale estconcentrée à l’intérieur du corps qu’elle répare et accroît. Quandla lumière revient, un phénomène inverse apparaît, et c’est aucontraire la faculté d’agir extérieurement qui l’emporte. Tous cesfaits trouvent une explication toute simple, sur laquelle je neveux pas insister, dans les considérations établies dans cetteséance et dans la précédente.

Vous voudrez bien remarquer, messieurs, qu’endéfinitive le végétal ou l’animal ne sont que des machines, desrécepteurs de force faisant incessamment travailler la matière. Or,voici une machine susceptible d’une force donnée, une somme dequantité de mouvement qui va, grâce à l’étonnant phénomène de lareproduction, de la génération, faire de toutes pièces une machinesemblable, soit créer une nouvelle somme de quantité demouvement.

Avec un pourrait-on faire deux, avec rienpourrait-on créer l’unité ? Que l’on ne s’abuse pas,messieurs, l’acte de la génération ne produit pas ; il ne créepas : il y a là simple transformation de la force, de cetteforce éternellement transmissible, à tout jamais l’immortellepreuve de la création initiale et du Créateur.

Le germe n’est qu’une agrégation de moléculesorganiques combinée par les forces extérieures. Or, les forcesextérieures sont en quantité indéfinie ; les moléculesorganiques également ; l’organisme n’est que la machine quiréunit les molécules sous l’action des forces extérieures ; legerme n’emprunte et ne prend rien à la force vitale ; ill’appauvrirait nécessairement, si les molécules extérieures nepouvaient remplacer celles qui sont destinées à la reproduction del’espèce. Mais nous savons que jusqu’à un moment donné lesmolécules peuvent entrer dans l’organisme et l’accroître.

Il ne faut donc pas s’étonner de voir unesomme donnée de molécules organiques produire une série de sommesanalogues ; elle ne donne chaque fois pour son compte qu’unefraction insignifiante d’elle-même. Et encore ne donne-t-elle quelorsqu’elle peut distraire sans danger pour elle-même quelquesunités superflues.

Puisque la reproduction dépend des moléculesque peut puiser l’être reproducteur et des forces extérieures, onvoit qu’elle aura surtout lieu quand ces forces augmenterontd’intensité.

Ceci explique le besoin d’amour qui anime lesanimaux au printemps et le réveil des végétaux ! Sousl’excitation plus grande des rayons solaires, les végétaux et lesanimaux forment de nouvelles agglomérations moléculaires qui setraduisent à l’œil par un bourgeon ou un germe fécondé. Le bourgeonet le germe deviennent à leur tour de nouveaux centres d’actiondestinés à transmettre la force qu’ils ont déjà et vont encorepuiser tout autour d’eux.

Tels sont, messieurs, dans leurs principes,les lois infiniment simples et générales qui président àl’évolution, à la génération des espèces, et qui gouvernent la viedes êtres. Il me reste maintenant un dernier point à traiter pourrassurer plusieurs de mes honorables confrères : il s’agit demontrer que cet admirable mécanisme n’est nullement l’expressiond’un hasard aveugle, qu’il ne conduit pas à la notion dumatérialisme, et qu’au contraire il témoigne de toutes parts de latoute-puissance et de l’absolue nécessité d’un Créateur.

(Bruit et applaudissements sur plusieursbancs.)

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer