Un habitant de la planète Mars

LETTRE V

La parole est à M. Greenwight. – La matièreet le mouvement. – Comment se font les mondes ? – Les étoilesen vie. – Transformation des astres. – Comment certains astronomespeuvent encore assister en ce moment à la création de notre systèmesolaire. – Pourquoi la Terre ne saurait être brune et Vénus blonde,Mercure roux et Mars albinos ?

La discussion va beaucoup plus vite que mescorrespondances. Pour me mettre au pair et ne pas abuser de votrehospitalité, je suivrai un peu l’exemple des journaux quotidiens aumoment des débats législatifs.

Je résumerai la discussion, en lui laissantson caractère, comme ils résument les débats insérés inextenso au Moniteur. Je sauterai également d’uneséance à la suivante pour gagner de la place.

La parole est donnée à M. Greenwight.

M. GREENWIGHT. On a jusqu’ici, messieurs,parlé des infiniment petits de la nature ; je demande àinsister à mon tour quelque peu sur les infiniment grands.M. Sieman, M. Newbold, notre honoré président, ontparfaitement résumé nos connaissances ou nos théories sur laconstitution de la matière ; qu’il me soit permis d’en tirerdes conséquences que je crois importantes pour la constitution del’univers, et ensuite, avec l’agrément des naturalistes présents,sur la vie dans les planètes.

La matière, primitivement ténue et à l’étatd’atomes indépendants, emplissait les espaces, inerte, immobile. LeCréateur lui imprima le mouvement, lui communiqua une certainequantité de force à tout jamais impérissable. Cette force initialeet la matière, voici le point de départ de toutes lestransformations qui ont été, sont et seront[9].

Toutes les forces physiques que nous voyonsagir dans l’univers ne sont que les manifestations différentes descombinaisons de la matière et de la quantité de mouvements qu’ellepossède. Au début, les atomes indépendants obéirent à la résultantedes forces qui les sollicitaient. Ils se groupèrent par régions etpar centres et tournèrent les uns autour des autres, suivant leslois de la mécanique. Ainsi se forma par place ce que nous avonsappelé matière cosmique, véritable œuf ou embryond’astre.

La matière condensée se groupa et continua saroute dans les espaces ; mais à mesure que les tempss’écoulaient, la réaction élastique s’opérait ; la quantité demouvement de chaque centre cosmique diminuait pour aller sereporter ailleurs et rapprocher de nouveaux atomes indépendants. Cequi se perdait en force ici, se gagnait ailleurs : c’est lesort commun ici-bas ; rien n’est stable.

À l’origine, chaque groupe était animé d’unetelle vitesse que les atomes constitutifs tournaient dans destrajectoires très-allongées.

Vous savez que mouvement et chaleur sontsynonymes ; l’un n’est que la manifestation de l’autre ;aussi ne vous étonnerez-vous pas qu’à cette époque la matièrecondensée fût à l’état de vapeur. Mais bientôt, nous l’avons dit,du mouvement s’échappa nécessairement et par suite de lachaleur ; la matière se refroidit ; les atomesconstitutifs circulèrent dans des trajectoires plusresserrées ; la matière devint liquide, et l’astre, sedégageant des premières vapeurs indécises, se montra enfin sous saforme sphéroïdale. Nous disons l’astre, il faudrait dire lesastres, car de la matière condensée sort, au moment durefroidissement, plusieurs centres d’actions, et, par suite, autantd’astres, autant de mondes !

Notez que la quantité de mouvement perdue parcet astre embryonnaire pour n’en suivre qu’un parmi tous, elle futrigoureusement et exactement gagnée par un autre centred’action ; et ce qui, ici, avait amené la forme liquide etavait contribué à avancer l’astre, ailleurs déterminait ungroupement d’atomes indépendants, une agglomération de matière àl’état de vapeurs, un nouvel embryon destiné à passer pardifférentes phases, comme le précédent, et à transmettre enfin saforce à un autre centre d’action. Ainsi et toujours !

Les temps passent et l’astre embryonnaire quenous avons distingué parmi toutes ces condensations de matière entravail perd de plus en plus de mouvement ; les atomess’agglomèrent et forment des combinaisons diverses, tout enconservant leurs directions primitives ; les moléculesprennent naissance ; puis, enfin, tous ces groupementsparticuliers qui affectent nos regards et qui nous donnent lesdiverses sensations correspondant aux divers corps de lanature.

Ce sont les petits mondes que vous avezprécédemment si bien établis. L’astre prend tournure ; il sesolidifie ainsi peu à peu à la surface, et cet écran ainsi forméretarde de beaucoup la déperdition du mouvement, soit lerefroidissement de la matière.

Ainsi vous l’avez vu naître : ilvit ; il a eu sa jeunesse, il a eu son âge viril ; ilaura sa vieillesse ; il mourra. Suivons-le encore dans lasérie de ses transformations. Il ira se refroidissant sanscesse ; les conditions physiques dans lesquelles il se trouvene cesseront de varier depuis la température la plus élevéejusqu’aux froids les plus grands que nous puissions imaginer.

Enfin, il arrivera certainement un moment oùil n’aura plus à perdre de quantité de mouvement ; il enpossédera juste tout autant que la matière subtile et ténue, queles atomes indépendants qui emplissent l’espace.

Sa température sera celle des espacesplanétaires. Il aura atteint les dernières limites de la vie ;encore un peu et il ne sera plus. Il est bien mort, en effet ;mais la matière n’en reste pas moins encore agglomérée, condenséepour longtemps, non pas pour toujours, car ainsi tout l’espace secongèlerait peu à peu et deviendrait solide, ce qui excluraitl’idée de perpétuation de la force.

Non, il faut ne pas oublier qu’il n’est passeul dans ce groupe ; il n’est qu’une pierre del’édifice ; les astres qui ont même origine, mais quipossèdent encore de la vie, du mouvement, lui en cèdent etl’empochent de se désagréger jusqu’à ce que pour eux tousl’équilibre soit établi ; – alors la quantité de mouvement estla même ; la matière condensée n’a pas plus d’impulsion que lamatière libre et indépendante des espaces ; elle reprend saliberté ; les atomes se désagrégent ; les groupementsmoléculaires cessent ; l’astre s’évanouit ; laconstruction s’écroule ; les matériaux seuls subsistent pouraller ailleurs entrer dans de nouvelles combinaisons et subir denouvelles métamorphoses. De la mort renaît la vie. Tout est danstout.

Vous le voyez, messieurs, la matière est priseici, là, partout, au sein des espaces, rapprochée par la forceinitiale, puis séparée par la même force, reprise ailleurs,composée de nouveau, et c’est un perpétuel travail de constructionet de destruction. On peut dire qu’il n’existe pas un grain desable, une molécule si infime qu’elle soit qui n’obéisse pas detous points à cette loi nécessaire et immuable. Des forcessecondaires la font et la défont ; en un mot, matière etmouvement, voilà la nature tout entière. (Bien !bien !)

Ces généralités comprises, il m’est facile,messieurs, d’aborder mon sujet et de déterminer avec quelqueprécision, j’espère, le véritable âge relatif des planètes.Remontons à l’origine de la création de notre système, et remarquezbien, messieurs, que, si cette époque primitive, nous n’avons pu lavoir, d’autres l’ont vue et assurément.

Supposez-vous, en effet, dans un astretrès-éloigné présentant en ce moment les mêmes caractères physiquesque la terre.

La lumière parcourt, vous le savez, 298millions de lieues par seconde ; or, pour les habitants de cetastre, s’il est assez éloigné, la formation de nos mondes seraréalisée depuis des millions d’années, et cependant ils ne ferontque de les apercevoir dans cette région du ciel. C’est une simpleaffaire de distance. Il faut, à la lumière qui relie les astres àce coin de l’espace, le temps d’arriver jusqu’à ses habitants.Donc, encore en ce moment, beaucoup d’astronomes perdus dans lesoasis du ciel ne font que d’assister à la création de notresystème.

Qu’était-ce ? Comme toujours, un nuagevaporeux s’avançant dans l’espace à une température extrêmementélevée ; un ballon de vapeurs surchauffées. À la longue, lerefroidissement s’est produit ; les vapeurs se sontcontractées et condensées en certains points, obéissant à larésultante des forces qui les tenaient en équilibre. Là où avant iln’y avait qu’un globe opalisé de vapeurs brûlantes, il s’est forméde nouveaux petits globes moins chauds et plus condensés,solidifiés en partie, absolument comme de la vapeur d’eau répanduedans l’espace sort par refroidissement une multitude degouttelettes d’eau.

La matière cosmique initiale s’est résolue enune pluie de gouttes rouges de feu, en une pluie d’astres, demondes. Nous les voyons tous autour de nous ; maintenantencore ils emplissent l’espace environnant.

Notre soleil n’est qu’une goutte à peinecondensée de cette matière primitive en ignition ; lesplanètes, des petites gouttelettes qui ont jailli en même temps ouse sont condensées tout près de lui. Le mouvement initial quientraînait l’ensemble s’est conservé à chacune des parties, et tousles astres ainsi formés ont continué d’avancer dans l’espace commeavant et de tourner dans les trajectoires que suivaient les atomesantérieurement à leur agglomération.

Ainsi, il reste établi que pour moi le soleilet les planètes ont absolument la même origine. Au début, au momentde la condensation de la pluie cosmique, ils étaient constitués demême, de la matière unie à la même quantité de mouvement, celle,d’ailleurs, qui animait tout le système La similitude étaitcomplète.

Poursuivons maintenant ces astres à traversleurs transformations, à travers leur évolution.

N’est-il pas parfaitement clair que laquantité de mouvement que chacun d’eux possède ne saurait rester lemême. Si on la considère après un certain temps, on la trouveradifférente. N’est-elle pas représentée par la somme des atomesprimitifs libres et indépendants multipliés par la vitesse aveclaquelle ces astres rudimentaires décrivent leurstrajectoires ?

Or, nous le savons, il faut que chaque petitatome perde de sa vitesse à la longue, mais qu’il la perdeharmoniquement, c’est-à-dire que la perte se répartisse sur chaqueatome. Plus il y en a et plus la perte de vitesse est lente ;moins il y en a et plus elle est rapide. En d’autres termes, laperte de quantité de mouvement, soit le refroidissement d’un astre,est proportionnelle à la somme des atomes qui le constituent, elleest proportionnelle à sa masse. Ceci n’est, du reste, il est bon dele remarquer, que la traduction de ce principe bien connu duvulgaire qu’un corps se refroidit d’autant plus vite qu’il estmoins volumineux. De ce qui précède, vous voyez immédiatementpoindre, messieurs, cette importante conséquence.

La rapidité de l’évolution d’un astre, ladurée de sa vie est liée à sa masse. Sa vie sera d’autant pluslongue ou plus courte que sa masse sera plus grande ou plus petite.De là une méthode permettant de juger l’âge d’une planète, de seformer une idée des phénomènes biologiques dont elle peut être lethéâtre.

Ce que fait pressentir le raisonnement, est-ceque le bon sens ne l’indique pas de prime abord ? Pourquoiadmettez-vous, messieurs, un plan de construction différent pourchacun des astres ? Pourquoi la Terre ne serait-elle paspétrie de la même pâte que toute autre planète ? PourquoiVénus serait-elle blonde et Jupiter brun, Saturne châtain, Mercureroux, Mars albinos ?

Pourquoi pas la même constitutionpartout ? Ce qui est ici est là, ce qui est là est ici ;la matière passe partout, encore une fois, par les mêmesévolutions. La seule différence physique que les astres présententtient uniquement à leur âge, à la période de leurtransformation : tout est là…

M. LE PRÉSIDENT. M. Greenwight vientde définir très-nettement ma pensée et celle, je crois, de tous lesgéologues philosophes sur la genèse des mondes ; je…

M. GREENWIGHT. Monsieur le président, jen’ai pas fini ; le sujet est large, et à moins que vous n’ayezdes objections personnelles à m’adresser, je réclame encore labienveillante attention de l’assemblée.

M. HAUGTON, le géologue aux épines et auxroses. – Je demande la parole.

M. NEWBOLD. Je voulais uniquement prierM. Greenwight d’insister en temps et lieu sur les évolutionsgéologiques. La parole, à ce propos, sera donnée à M. Haugton.Mais l’heure avancée m’oblige à prier mon savant confrère deremettre à demain la fin de son intéressante dissertation.

La séance est levée à sept heures.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer