Un habitant de la planète Mars

LETTRE II

Où les noms de deux Américains menacent de devenirimmortels. – Est-ce un canard ou une réalité ? – Avis de deuxfeuilles rivales. – Cancans à Indépendance et à Leawenworth. – Oùl’industrie humaine tire parti de tout. – Au bas de la Cordillère.– Dons et dames patronnesses. – Des académies. – Que penser de lamomie ? – Où l’on assure qu’elle nous arrive de Mars. – Sonportrait. – Singulières apparences. – Logogriphe àdéchiffrer.

Bien que vous ayez sans doute eu de nouveauxdétails sur l’aérolithe du Pic James par les journaux anglais, jevous transmets de la fouille même des renseignements plusexacts.

Que dit-on en France de la découverte deMM. Paxton et David ? ici le public est toujours enrumeur. Je suis arrivé, non sans difficultés, samedi soir, et j’aipu vérifier tout ce que je vous avais écrit de Richmond.

Si nous n’étions pas en guerre, et sans lalongueur du parcours, on ne pourrait plus tenir dans Leawenworth,la dernière station de la route. On se dispute déjà la nourritureet les guides. M. John Paxton a cependant eu l’heureuse idée,pour se débarrasser des importuns, de faire insérer dans les deuxfeuilles rivales de Saint-Louis et de Springfield que tout ce qu’onavait dit jusqu’ici n’était qu’une fable grossière et ridiculeinventée à plaisir par les gens de la localité pour écouler àmeilleur prix leur viande et leur grog. Mais les curieux ne sontpas tombés dans le piège, et tous ceux que la fatigue ou l’ennemin’effrayent pas dirigent leurs pérégrinations de ce côté.

Au fort de Mann, j’ai vu arrêter plusieursofficiers que l’importance de la découverte avait entraînés jusquedans les lignes ennemies.

Le chemin le plus direct est d’abandonner leMissouri à Indépendance ou à Leawenworth et de remonter en piroguejusqu’aux premiers rapides la rivière Bleue, qui prend sa sourcedans la Cordillère ; il faut ensuite continuer à dos de muletjusqu’au fort Mann, où les autorités ont bien voulu mettre à notredisposition le boat du commandant. On reprend la rivière Arkansaspendant deux jours de marche jusqu’au fort Bentz. Là, l’Arkansascesse d’être navigable, et il faut avancer dans la montagne aumilieu des forêts et des rocs.

Le Pic James a plus de 3000 mètresd’altitude ; c’est un soulèvement à travers le nouveau grèsrouge avec affleurement de terrain jurassique, injection de rochescristallines. L’exploitation de MM. Paxton est située sur leterrain carbonifère au contact des roches porphyroïdes. C’est làqu’on a trouvé l’aérolithe. La chute paraît être antérieure à celledu soulèvement de la Cordillère ; il est incliné effectivementdans le sens des couches avoisinantes.

Quand je l’aperçus, l’autre jour, pour lapremière fois, il me fit tout d’abord et de loin l’effet d’uneénorme boule noircie par le feu. On l’a à peu près dégagé desterres et des roches voisines ; il se montre en relief commeenchâssé dans le sol. Tout autour, on a fait une grande tranchée,mais on a laissé les arbres et les plantes, qui s’entrelacentconfusément depuis la forêt jusqu’à la fouille, et font encoremieux ressortir la teinte volcanique du bolide. Il est toutdentelé, tout crevassé ; quelquefois des facettes polies commedu verre réfléchissent les rayons du soleil et vous brûlent leregard.

On a laissé sur le quart environ de la fouilleles terres qui l’entouraient ; elles forment une sorte de pontde service pour les travaux. Au centre, en effet, a été creusé lepuits ; il a environ 12 mètres de profondeur sur 2 mètres àl’ouverture, et 1 mètre 25 centimètres à peu près à la base. Dureste, je n’ai pu descendre, car on travaille maintenanttrès-activement. Il a été décidé qu’on percerait la masse d’outreen outre, et qu’on ferait ensuite sauter à la poudre sur différentspoints pour compléter l’exploration.

L’Académie des sciences de Saint-Louis amontré un empressement qui l’honore. Elle a voté à l’unanimité uneallocation de deux mille dollars pour l’exécution des recherches.Votre Académie des sciences montrerait-elle plus de zèle et delibéralité ?

Les habitants de Leawenworth, de Batesville,deKarkabia et d’Indinapolis font une souscription. MM. Paxtonont déjà reçu mille dollars. C’est à qui participera suivant sesressources à l’œuvre commune. M. Paxton a également envoyé enéchange aux dames patronnesses des colliers et des coupes enpierres du bolide.

On commence à vendre, du reste, à très-hautprix, des échantillons de la masse, des petites figurinesreprésentant grossièrement la momie trouvée au milieu del’aérolithe. On m’en a fait une quatre dollars à mon passage àIndinapolis. C’est une source de richesse inattendue pour lesouvriers et les habitants de l’intérieur.

On bâtit de petites maisons de bois le long duchemin, depuis le fort Bentz jusqu’à l’exploitation, et on élargitle passage à travers la forêt James.

Évidemment on ira là cet été comme vosParisiens vont à Biarritz, à Ems, à Bade. J’ai déjà rencontré audelà du premier rapide de l’Arkansas un groupe de touristes deSaint-Louis, composé en partie de femmes, et des plus élégantes dela ville ; j’ai reconnu la fameuse mistress Howard, dont voussavez sans doute l’histoire.

Elle a joué un grand rôle dans la dernièrecampagne. Emmenée prisonnière par deux officiers de Grant, elles’est fait aimer du premier aide de camp ; deux duels s’ensont suivis, et elle a fini par ramener au camp de Lee, enchaînépar sa beauté, le chef d’état-major de la cavalerie fédérale. Ellehabite Saint-Louis depuis l’hiver.

L’exploitation de MM. Paxton etCie est peu considérable. Située sur le versant ouest dela montagne, très-loin des villes, elle n’était guère connuejusqu’ici que des officiers du fort Bentz, qui poussaientquelquefois leurs promenades jusque-là.

Deux grands corps de bâtiments, reliés par unpavillon central, plusieurs magasins en planche noircie par lesintempéries, une ferme et au loin les hangars destinés àemmagasiner le schiste carbonifère, et les cabanes des ouvriers,voilà toute la propriété.

En ce moment, M. Paxton fait construirepour les voyageurs une grande maison en planches analogue auxhaciendas de l’Amérique du Sud.

La commission scientifique est déjà nombreuse.On lui a réservé l’aile gauche de l’habitation ; on attend dureste de Philadelphie et de Richmond deux de nos zoologistes lesplus autorisés : MM. Wintow et Zeigler. Ils ont étéarrêtés à Pétersburg mais une lettre apportée ce matin annonce leurarrivée prochaine.

M. Murchison, qui était présent au momentde la découverte, a bien voulu se charger, avec M. Davis, dela direction des recherches.

On creuse au pic, en donnant au trou undiamètre de 1 mètre 50 centimètres. La roche est toujoursporphyroïde, très-analogue d’aspect aux éjections de même naturequi se font jour au milieu de nos schistes métamorphiques, on ytrouve des cristaux métalliques en abondance.

Tout ouvrier qui rapportera un indice curieux,un vestige d’objet ouvré, recevra une récompense de deux dollars.Ils ont ordre de n’avancer que très-doucement et avecprécaution.

On a retrouvé dans la masse et au niveau de laplaque métallique qui recouvrait le tombeau calcaire plusieursautres petits bâtons d’environ 50 centimètres de longueur, formésselon toute apparence du même alliage que l’amphore.M. Sawton, professeur de chimie à Indinapolis, arrive cesjours-ci. Les analyses très-précises d’ailleurs de M. Davisvont pouvoir être contrôlées.

L’homme ou animal interplanétaire a été déposédans le cabinet minéralogique de M. Paxton.

On l’a placé horizontalement dans la positionoù il a été découvert au sein de la masse rocheuse. M. Davisn’a pas voulu qu’on y touchât et qu’on le débarrassât de sa gangueavant que les savants aient pu l’examiner à loisir ; aussiest-il resté comme dans son sépulcre.

On ne l’a pas encore moulé, comme je vousl’avais dit, mais on a fait des photographies et des dessins. Jevous adresse avec ces lignes une vue cavalière de l’aérolithe queje viens de prendre sur place, et un croquis de l’habitant de Mars,si tant est que ce singulier personnage vienne bien de là ;considérez-le comme une esquisse enlevée aux notes de monagenda ; il est cependant assez exact pour que votre graveuren tire parti. Vous reconnaîtrez à peu près le portrait que je vousen avais tracé.

Il semble que l’on ait devant soi un de cesvieux sépulcres qui ornent les chapelles des basiliques. Lesconcrétions calcaires font sculpture et la momie elle-même faitstatue. La masse de carbonate de chaux siliceuse dans laquelle lesingulier individu est enclavé affecte la forme quadrangulaire.Elle mesure à peu près 2 mètres de longueur sur 75 centimètres delargeur et 50 centimètres de hauteur. On a scié le calcairetransversalement au tiers environ pour mieux apercevoir la momie,en sorte que l’on peut à volonté la détacher du bloc ou la remettredans sa position première. On a enlevé par places une grande partiede la gangue, ce qui permet de juger de la véritableforme.

Il semble au premier coup d œil que l’on aitdevant soi un gros singe de 1 mètre 35 centimètres de hauteurcouché tout au long et à moitié blanchi à la chaux. Ce n’est qu’enapprochant que les détails font repousser cette premièreimpression. Il n’est, en effet, rien de si étrange que la figure.Cela tient tout à la fois du singe, de l’homme et del’éléphant.

Prenez une tête humaine ; frappez lederrière du crâne avec un battoir jusqu’à ce qu’il s’aplatisse demanière à présenter une surface de 30 centimètres ; puiscontinuez en aplatissant les deux joues obliquement. Vous aurezderrière un plan, sur les côtés deux faces triangulaires ;c’est là très-exactement la conformation de la tête.

Du haut de cette espèce de lame triangulairepend une trompe large à la partie supérieure, mince à la partieinférieure ; elle a été très-endommagée ; elle mesureencore 15 centimètres sur 4 à 5 de diamètre. Elle recouvre à moitiéune toute petite bouche à très-grosses lèvres ; un peu lemuseau d’un rongeur comme petitesse avec trois dents en bas et deuxdents en haut. Au-dessous un menton fuyant et un cou très-long.Épaules étroites. Bras de 80 centimètres. Mains de 30 centimètres.Doigts effilés et pointus, le quatrième plus court que lesautres.

C’est par erreur que j’avais dit que les piedsétaient courts. Ils sont plus longs que les mains et assezétroits.

Le crâne est dépourvu de cheveux, mais on nesaurait rien affirmer à cet égard, car il est légèrement carbonisé.La poitrine est velue ou du moins laisse apercevoir dans la ganguequelques poils grisâtres ou rougeâtres. Là où la peau n’a pas étédécomposée par la chaleur, elle est brune tirant sur le rouge.

La grande plaque qui recouvrait ce tombeau esttrès-curieuse. Le métal dont elle est composée n’a pas encore étéexaminé ; il a les apparences de l’argent noirci par lesacides. Il est tout grenu, tout soufflé. La face qui regardait letombeau est plus unie ; on y distingue un très-grand nombre delignes qui resteront à étudier ; des dessins d’animauxfantastiques et d’objets aux formes bizarres.

Dans un coin, près d’une sorte de rhinocéros,on voit très-bien les astres dont j’ai précédemment parlé.

Hasard ou non, c’est bien le Soleil, Vénus, laTerre et Mars, avec leurs distances respectives, puis plus loinJupiter, Saturne, avec des erreurs dans les distances telles quenous les admettons ici.

Mars a sur le dessin 3 centimètres dediamètre, le Soleil 1, Mercure 1, Vénus 1/2, la Terre 1/2, Jupiter2, et Saturne 2. Au-dessus, et un peu effacés, on trouve des signestrès-serrés qui pourraient bien être des chiffres. Mais jen’anticipe pas aujourd’hui. La commission doit commencer ladiscussion après-demain ; je lui laisserai touteresponsabilité.

En haut et à gauche de la plaque, sous unesorte de palmier, M. Davis m’a fait observer plusieurs dessinsqui semblent représenter des hommes en tout analogues à celui quiest tombé sur terre ; c’est très-certainement cette plaque quinous permettra d’éclaircir ce mystère, s’il peut être éclairci.

Je vous envoie à la hâte ces lignes. Par lepremier courrier je vous rendrai compte des discussions qui vonts’élever ici.

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