Un habitant de la planète Mars

LETTRE XIII

Plaidoyer de M. Owerght. – Ce que c’est qu’unaérolithe. – La partie et le tout ; bolide et astéroïde. –Collisions entre ciel et terre. – Un boulet inattendu. – Vassal etsuzerain. – La lune peut-elle lancer des pierres aux hommes de laterre ? – Négation absolue des astronomes. – Une planète pluspuissante peut-elle bombarder la terre ? – Comme quoi noussommes emprisonnés sur chaque astre. – Rien au dehors. – Les forcesextérieures. – Comment tout peut s’expliquer. – Le bolide est unemontagne. – Où la terre vole Mars.

M. NEWBOLD. La parole est àM. Owerght. Je dois vous rappeler, messieurs, que je suisobligé de clore nos débats demain : je ne saurais donc troprecommander à chacun de vous d’être bref.

M. OWERGHT. Monsieur le président, il mesuffit de quelques instants. Mon illustre confrère,M. Greenwight, a parfaitement établi que physiquement uneseule planète pouvait renfermer, à l’époque de la chute déjàextrêmement ancienne de l’aérolithe, un être conformé comme celuique nous avons sous les yeux.

La momie ne saurait être d’origineterrestre ; elle vient de l’espace, et toutes les données del’astronomie physique s’accordent à lui donner pour berceau laplanète Mars. Mon rôle est désormais bien simple. Il s’agit decontrôler ce résultat et de voir s’il est mathématiquementpossible.

Or, je ne dissimulerai pas que de prime abordil semble impossible, et tous les astronomes seront de monavis.

Qu’est-ce en effet, messieurs, qu’unaérolithe ? C’est la partie d’un tout auquelnous donnons le nom de bolide.

Qu’est-ce qu’un bolide ? La question netrouve plus aussi facilement de réponse. Je n’accumulerai pas icitoutes les hypothèses faites par les savants. Je donnerai l’opinionla plus généralement admise.

Un bolide, c’est une planète, une planète enminiature. Et si vous vous reportez aux considérations développéespar notre honorable vice-président, vous verrez immédiatement quece sont des planètes infiniment primitives, d’un âge relatiftrès-grand et fermées depuis longtemps à toute évolution des êtres.La vie y a sans doute passé, mais si peu de temps que lesorganismes les plus inférieurs ont seuls pu prendre naissance.

Ces bolides ou planéticules parcourent lesespaces, obéissant aux mêmes lois que les grandes planètes. Créésen même temps, gouvernés par les mêmes forces, ils décrivent autourde l’astre central, autour du soleil, leurs trajectoiresfermées.

Or, admettons que la route que les bolidesparcourent autour du soleil vienne à couper celle que parcourt deson côté la terre. Et admettons enfin que notre planète vienne àpasser par le point de jonction au moment où un bolide va à sontour se diriger du même côté.

En langage industriel, ce sont deux convois dechemin de fer qui menacent de s’engager sur la même voie et de seprendre en écharpe.

Il arrivera nécessairement une collision. Lebolide, qui n’est qu’une mouche par rapport à la masse terrestre,heurtera le sol sans que les habitants de la terre en reçoivent lamoindre secousse.

Si la terre passe avant ou après le bolide,mais à une distance relativement petite, il pourra encore se fairequ’elle agira sur lui et l’entraînera absolument comme dans unbain, une boule de sureau placée à la surface de l’eau est attiréepar la baignoire : la terre attirera le bolide qui quitterason chemin et qui, au lieu de tourner autour du soleil, se mettra,vassal obéissant, à tourner autour de la terre, jusqu’à ce qu’il seprécipite à la surface.

Enfin, il arrivera encore que le bolidepassera trop loin de notre planète pour que celle-ci s’enempare ; la terre l’influencera ; il entrera même dansl’atmosphère, mais il finira par fuir.

Nous considérons les bolides comme desplanètes et nullement comme des projectiles énormes lancés ainsique l’on a voulu le faire croire, par les volcans lunaires, parceque la vitesse dont ils sont animés exclut toute originesélénitique. Jamais la lune n’aurait assez de puissance, jamais sesvolcans ne constitueraient des canons assez énergiques pour lancerde tels boulets à de telles vitesses.

Un projectile lancé de la lune arriverait surterre avec une vitesse de onze kilomètres par seconde. Or, lesmoindres bolides avancent avec une vitesse de trente kilomètresenviron.

Quand un bolide frise la terre, il pénètredans son atmosphère, et le frottement qui en résulte échauffe assezsa surface pour le faire rougir. Cette haute température modifie sastructure ; l’inégale dilatation qui en résulte le fait sebriser, ou tout au moins oblige la masse à lancer des éclats quitombent à la surface du sol. Ce sont les aérolithes.

La masse météorique découverte parMM. Paxton et Davis offre toutes les apparences physiques desaérolithes. Cependant, jamais jusqu’ici on n’en avait trouvéd’aussi volumineux. Son existence au milieu de terrains anciens,bien que très-remarquable, n’offrirait absolument riend’extraordinaire et ne serait nullement en désaccord avec ce quenous savons. Ce bloc, détaché sur terre au moment d’un passage debolide, eût été recouvert par les terrains modernes.

Mais ce qui devient très-extraordinaire, c’estcette momie aux formes si bizarres et ces vases relativementadmirablement travaillés, que l’on rencontre dans sa masse.

Ou le bolide avait des habitants, et tout peutalors s’expliquer ; ou il n’en avait pas, et le bloc auraitété arraché à une planète habitée, ce qui devient beaucoup plusdifficile à concevoir.

Or, on a prouvé qu’un semblable bolide nepouvait être habité. La vie ne peut prendre naissance ou tout aumoins se perpétuer sur des astres aussi infimes. De plus, il a étéégalement démontré que la planète Mars était la seule qui pûtposséder de semblables habitants. Donc, il faut bien en revenir àcette proposition : la momie et l’aérolithe sont tombés de laplanète Mars.

Comment ? c’est ici que la difficulté derépondre devient grande.

Qu’un bolide circulant autour du soleil viennetomber sur terre, ce fait existe et s’explique : mais qu’unbloc appartenant à une autre planète s’échappe de cette planètepour aller sur une autre, ceci devient absolument inadmissible, ettout le monde le concevra vite.

Une planète n’est-elle pas la résultante detoutes les forces qui poussaient les atomes de l’espace vers uncentre donné ? Autant de planètes, autant de buts à atteindreet atteints ? Aussi tout ce qui existe autour des planètestend à venir s’y concentrer depuis le commencement de leur origine.Cette propriété de la matière, nous la connaissons bien ; surterre, on l’appelle pesanteur : par conséquent, loind’avoir des tendances à s’échapper, tout corps placé sur uneplanète a des tendances à y rester, et y reste effectivement sanspouvoir en sortir.

Mais, objectera-t-on, pourquoi une forcevolcanique quelconque ne parviendrait-elle pas à repousser un blocassez loin de la planète pour qu’elle entre dans le champ d’actiond’un autre astre ? Pourquoi un volcan de Mars n’aurait-il paslancé cet énorme projectile assez haut pour qu’il soit attiré parla terre ?

Évidemment, ceux qui ont mis cette hypothèseen avant, pour la Lune ou Mars, ne réfléchissent pas au mode degénération des mondes.

Quelle est la force qui pourrait lancer dansl’espace un aérolithe ?

Ne provient-elle pas des réactions de lamatière interne encore incandescente ? Or, cette forcen’est-elle pas la transformation avec perte de la force primitivequi a condensé les atomes de l’espace ? Comment cette forcediminuée serait-elle capable de repousser maintenant les atomesplus loin qu’ils ne sont venus ? L’équivalence du travailmécanique dans l’un et l’autre cas démontre l’absurdité de cettehypothèse.

Non, il est impossible qu’« une sommequelconque d’atomes placés sur une planète puisse, sous l’actiondes propres forces de cette planète, passer dans une planètevoisine. » Je pose cette proposition comme fondamentale.

Alors, messieurs, nous sommes encore à nousdemander comment l’habitant de Mars est arrivé sur la terre.

Il est bon d’observer que, dans le théorèmeprécédent, il est bien spécifié qu’une planète avec sesforces ne peut rien s’enlever à elle-même.

Mais je ne vois absolument plus riend’impossible à admettre que, sous l’action de forces étrangères,une planète ne puisse pas perdre de la matière. Ici, seulement, jecrois apercevoir la clef du merveilleux transport de l’aérolithe etde sa momie.

En effet, messieurs, supposons l’aérolithe,que nous possédons maintenant, constituant le sommet d’une deshautes montagnes de Mars. Admettons qu’un bolide comme ceux quitraversent le champ d’action de la terre ait passé à une époquetrès-reculée tout près de Mars, assez près même pour frôler lesommet des montagnes.

Le bolide devient un boulet d’une force énormequi casse et enlève tout sur son passage. Il rencontre le pic d’unemontagne, il le brise et le charrie et le pousse devant lui en luicommuniquant sa vitesse. Remarquez qu’il n’y a là rien demathématiquement impossible. Le choc, eu égard à la masse del’aérolithe, est absolument nul ; ici le bolide étaitconsidérable. Dévié, peut-être, un peu de sa route, l’énorme globeaura néanmoins poursuivi son chemin dans l’espace.

On se tromperait beaucoup, si l’on considéraitcomme étrange que le pic enlevé à la montagne ne soit pas retombéaprès le choc ; nullement : jetez devant un wagon enmarche un morceau de papier, ce papier y restera collé, et ainsid’objets de plus en plus lourds, si la vitesse du wagon ou desprojectiles est de plus en plus grande. Il n’y a là riend’extraordinaire. Le pic de la montagne de Mars et le boliden’auront bientôt plus fait qu’un seul et même tout ; le pic dela montagne eût même été un véritable aérolithe pour les habitantsdu bolide, s’il en avait eu.

Il reste à rendre compte maintenant de lachute du bloc sur la terre.

Le bolide de Mars dévié adopta sans doute à lalongue et insensiblement une trajectoire coupant d’assez près cellede la terre pour être influencé par sa masse. Le bolide de Marssera devenu le bolide de la terre. Le bloc sera sorti de la sphèred’action du bolide pour entrer dans celle de la terre et aura finipar tomber à la surface comme un aérolithe actuel.

Quant à l’habitant trouvé dans la massemétéorique, il est évident qu’il appartiendrait bien à Mars.Enseveli au sommet d’une montagne avec des objets d’ornements, cethabitant de notre voisine était sans doute un grand personnage, quisait ? un grand savant qui avait demandé à être enterré loindu monde, bien au-dessus de ses semblables ; qui sait ?peut-être un astronome, un géomètre auquel ses compatriotes sontredevables de la découverte des lois qui régissent le monde.

Les habitants de Mars ne se doutentcertainement pas que nous ayons sur terre leur Newton ou leurKepler !

Ainsi, messieurs, pour ma part, il ne meparaît pas impossible que, par suite de circonstances toutesfortuites, un bloc puisse être arraché à une planète par le passaged’un bolide et rejeté sur une autre. À ce point de vue spécial, sije ne puis pas prouver que cela soit absolument, je ne puis pasdavantage nier absolument que cela ait pu survenir. En présence despreuves curieuses accumulées par mes confrères, ce résultat estpresque une confirmation. (Bruit. – Plusieurs applaudissements. –Conversations particulières.)

La sonnette du président a quelque peine àrétablir le silence.

Pendant la dernière partie de la séance, laparole fut tour à tour prise par MM. Wintow, Rink, Ziegler, G.Mitchell, etc. La discussion porta sur l’ethnologie des racesplanétaires, sur la physiologie comparée, sur les formes bizarresde l’habitant de Mars. Je ne vous envoie pas ces détails, que j’aieu beaucoup de peine moi-même à bien saisir, et qui, du reste,n’auraient aucun intérêt pour vos lecteurs.

Qu’il me suffise de vous dire que l’assembléefinit par rester d’accord sur ce point que la forme triangulaire dela tête de la momie devait résulter des pressions qu’elle avaitsubies, comprimée comme elle l’était dans son enveloppe calcaire.Quant à la petite trompe qui pend du front, c’est évidemment lenez ; elle communique avec l’arrière-bouche. Les dessins plusfinis que je termine en ce moment vous en feront très-biencomprendre les détails.

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