Un habitant de la planète Mars

LETTRE I

Une correspondance de Richmond. – Découverte sansprécédents. – Grande rumeur en Amérique. – Où l’on cherche dupétrole et où l’on découvre une momie. – Un aérolithe enterré. – Lemonde savant en émoi. – Un homme pétrifié. – D’où sort-il ? –Une tombe fossilifiée. – Quatre planètes et une conclusion. – Unhabitant des autres mondes.

Une découverte scientifique d’une importancecapitale vient d’être faite dans le pays des Arrapahys à plusieursmilles du Pic James.

Un riche propriétaire des environs,M. Paxton, avait commencé des fouilles pour rechercher lepétrole ; un matin, le pic vint rebondir sur un roc d’unetrès-grande dureté ; la souche d’alluvion avait été traversée,on avait dépassé un affleurement carbonifère et l’on travaillaitdans le terrain paléozoïque[1]. On crutavoir rencontré un filon et l’on fit agir la sonde ; elleramena une sorte de conglomérat formé de trapp, de porphyre, decristaux de quartz et de composés métalliques.

M. Davis, géologue très-distingué dePittsbourg, pria M. Paxton de suivre ce singulier amas etaprès plus de quinze jours de travail, on mit à nu par la partiesupérieure une énorme masse un peu ovoïde de compositionnon-seulement distincte de toutes celles des terrains voisins, maisencore dont aucun spécimen n’avait été rencontré sur notre globejusqu’ici.

La masse mesure dans son plus grand diamètrequarante-cinq yards environ et dans son plus petit trente yards. Ony remarque des cassures saccharoïdes énormes, faisant anfractuositéet indiquant sans doute les places d’éclats qui ont dû s’endétacher. Toute la masse est enduite au pourtour d’une sorted’émail noir d’épaisseur variable constituée par des silicatesmétalliques. Au-dessous, d’après M. Davis, la roche est forméede silicates alcalins et terreux, de fer, de manganèse, de nickel,de cobalt, tungstène, cuivre, étain, arsenic, soufre, chloruresalcalins, chlorhydrate d’ammoniaque, traces de chlorure d’argent,traces de cœsium, graphite en grande quantité ; gaz interposésà 1 mètre d’épaisseur ; azote, acide carbonique, hydrogènesulfuré et arsénié.

La composition toute particulière de cet amasne pouvait laisser aucun doute aux géologues.

La masse rencontrée au bas du Pic Jamesn’avait pas une origine terrestre : c’était un aérolithe etcertainement le plus curieux que l’on ait vu, à cause de sacomposition et de son grand volume d’abord, mais surtout à cause desa position. Jamais encore on n’avait pu découvrir aucune traced’aérolithe dans la succession des terrains anciens.

Il est rare qu’un bonheur vienne seul. Uneseconde découverte devait suivre la première, et son importance esttelle qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes elle tient encore enémoi toute la partie intelligente du pays. On a presque oublié laguerre, et les curieux arrivent en foule au pays des Arrapahys.

Une commission s’était rendue sur les lieuxpour examiner l’aérolithe de MM. Paxton et Davis ; elleeut l’heureuse idée de faire percer la masse suivant son granddiamètre. À 4 mètres de profondeur, la composition changeasensiblement ; jusque-là, la roche présentait des traces defusion ; dans sa course à travers notre atmosphère, le bolides’était échauffé et s’était fondu à la superficie ; mais audelà, la matière devenait porphyroïde avec des cristaux très-gros,atteignant le volume d’un œuf d’amphibole[2], de quartzou de feldspath, puis du quartzite avec veines de fer et de cuivre.À 7 mètres, la composition tournait au granit avec cristauxd’argent. À 20 mètres, on avançait lentement dans del’ophite[3], quand l’outil cria tout à coup enrebondissant ; il manqua d’appui en même temps et alla sauter,en rendant un bruit sonore, quelques mètres plus bas. Un jet de gazirrespirable monta jusqu’aux travailleurs.

On élargit le trou de sonde et on creusa unpuits ; il ne fallut pas moins de dix jours ; dix joursd’attente et de curiosité non satisfaite !

Enfin, M. John Paxton, le fils dupropriétaire, et M. Davis, descendirent au fond du trou. Il sepassa quelques minutes d’indécision avant qu’ils remontassent.

Ils étaient tous deux fort pâles.M. Paxton portait avec lui une sorte d’amphore grossière enmétal blanc (argent et zinc) toute criblée de petits trous et dedessins bizarres.

D’où venait ce vase ? Qu’y avait-il aufond du puits ? Telles étaient les questions qui se pressaientsur les lèvres de tout le monde.

À la base du trou, racontèrent les deuxexplorateurs, nous rencontrâmes l’amphore enfoncée horizontalementdans l’ophite ; la sonde l’avait touchée et l’avait détachéeen partie ; deux yards plus bas à peu près, nos pieds seposèrent sur un plancher métallique qui résonna sourdement et parutencaissé dans la roche ; au-dessus et à gauche, mais tropenfoncées dans le rocher pour qu’on pût les en détacher, nous avonsdistingué plusieurs amphores métalliques avec des espèces de bâtonsen métal jaune.

La curiosité était trop excitée pour que l’onen restât là. On élargit le trou à la base jusqu’à ce que lecouvercle métallique s’effondrât. Il était tout bossué, grenu,oxydé, noir par places et même fondu. On travailla la nuit, mais cene fut que le soir du troisième jour que la plaque métalliquecéda.

On avança avec précaution, à cause du gazinflammable, mais il ne se produisit aucune explosion, quand leslampes furent descendues. Deux ouvriers et MM. John Paxton,Davis et Murchison, dérangèrent la plaque très-lourde et large dedeux yards.

Les lampes envoyèrent une lumière jaunâtre surla fouille et l’éclairèrent. Les assistants ne purent retenir uncri d’étonnement. Ils avaient devant les yeux un espacerectangulaire de un yard de profondeur et de deux yards de largeurtaillé très-certainement dans le granit. Le vide était presquepartout comblé par des concrétions calcaires, des espèces destalagmites qui scintillaient à la lueur des lampes. Au centre sedétachaient très-nettement les formes d’un homme de très-petitetaille et comme enveloppé dans un linceul calcaire. Il était couchétout au long et mesurait à peine quatre pieds ; la têtelégèrement soulevée se perdait dans un coussin de carbonate dechaux et les jambes disparaissaient aussi sous l’enveloppecalcaire.

On eut beaucoup de peine à détacher cettetombe pierreuse des parois granitiques, et il fallut encore élargirle puits pour le ramener à la surface du sol. Le calcaire s’étaitmoulé sur la fosse et s’y était sans doute chimiquementprécipité.

On fit mordre à l’acide ; c’étaitévidemment de la chaux siliceuse de tous points semblable à lachaux terrestre. On scia à mi-corps et transversalement ; onparvint vite à mettre complètement à nu une véritable momieadmirablement conservée, bien qu’un peu carbonisée en différentspoints. Les pieds, très-courts, ne purent être retirés quetrès-endommagés ; la tête sortit à peu près intacte ; pasde cheveux ; peau lisse, plissée, passée à l’état decuir ; forme du cerveau triangulaire ; visage singulieren lame de couteau, une sorte de trompe partant presque du front,en guise de nez ; une bouche très-petite, avec quelques dentsseulement ; deux fosses orbitaires dont on avait sans douteretiré les yeux, car les cavités étaient pleines de concrétionscalcaires ; bras très-longs, descendant jusqu’au delà descuisses ; cinq doigts, dont le quatrième beaucoup plus courtque les autres. Apparence généralement grêle… La peau, calcinée unpeu partout, devait sans doute être jaune rougeâtre.

On s’occupe du reste de faire mouler cesingulier habitant des mondes interplanétaires, et nous pourrons enenvoyer bientôt des dessins.

Il n’avait rien à côté de lui ; pas unearme, pas un objet d’ornement ; on retrouva seulement endehors de l’espace fossilifié une petite rondelle métalliquerecouverte d’argent sulfuré avec plusieurs lignes très-profondémentgravées.

Il était impossible de douter que l’on eût làsous les yeux une créature analogue à l’homme qui habite la Terreet venue de l’espace à une époque extrêmement reculée, puisquel’aérolithe a dû tomber à une période géologiquement très-ancienne.Mais d’où est tombé cet homme planétaire ? De la Lune, il n’yfallait pas songer sérieusement. Les aérolithes arrivent avec unevitesse telle qu’elle exclut une origine lunaire.

La discussion durait depuis longtemps lorsqueM. Murchison, en examinant les lignes qui sillonnaientl’envers de la plaque qu’on avait fini par desceller, reconnut ledessin très-net d’une sorte de rhinocéros, puis d’un palmier, etplus loin, au coin opposé, une représentation très-réussie d’unastre que l’on pouvait assimiler au Soleil tel que le dessinent lesenfants.

En examinant de plus près le métal noirci parles réactions chimiques ; en le lavant, la commissiondécouvrit à côté de l’astre qui paraissait représenter le Soleil unautre astre plus petit, puis plus loin une autre étoile, unetroisième, et enfin plus loin encore, un globe figuré beaucoup plusgros que le Soleil. En mesurant les distances, on trouvasensiblement celles qui séparent les planètes Mercure, Vénus, laTerre et Mars, du Soleil.

Il y avait là, un indice bien suffisant pouréclaircir la question. N’était-il pas permis de conclure, en effet,que l’animal dont on venait de trouver si étrangement un spécimen,connaissait les planètes et était par conséquent un êtrepensant ; donc un homme. La grosseur tout honorifique accordéeà la planète Mars au détriment des autres ne décèle-t-elle pasl’amour-propre de l’habitant, et en même temps les défauts morauxde l’espèce humaine interplanétaire ?

L’aérolithe, selon toute probabilité, provientdonc bien de la planète Mars, notre voisine, du reste. Nous pouvonsconsidérer comme hors de doute que les planètes sont bienréellement habitées et qu’elles le sont par des créatures quipeuvent se rapprocher beaucoup de celles qui sont sur Terre.

Scientifiquement, au surplus, c’est le milieuqui paraît faire l’espèce ; Mars se trouve à peu près dans lesmêmes conditions biologiques que la Terre : on y voit desmontagnes de glace, des océans, des continents ; il n’y adonc, en définitive, rien de si admissible que d’y soupçonnerl’existence d’hommes très-analogues à nous-mêmes.

Si le type qui vient d’être découvert est unpeu différent, il faut se rappeler que, biologiquement, Mars est enavance sur la Terre, que l’aérolithe est tombé depuis des milliersd’années, et qu’à cette période de sa vie, ses habitants pouvaientêtre distincts de l’espèce actuelle de la Terre. Il ne faut pas endéduire que Mars n’a pas eu ou n’a pas encore en ce moment deshabitants absolument semblables à ceux de la Terre.

Maintenant comment cet aérolithe est-il venusur Terre, comment est-il sorti de la sphère d’action deMars ? ce sont là tous points difficiles à comprendre et qu’ilfaut soumettre aux recherches de la science moderne.

L’aérolithe a entraîné avec lui une portion dusol renfermant sans aucun doute un tombeau ; ce qui nouspermet de savoir comment on exhume les morts dans cetteplanète.

On taille tout bonnement dans le rocher unefosse de grandeur voulue et on conserve le corps en le fossilifiantà l’aide d’un bain chargé de sel calcaire, absolument comme lafontaine Saint-Allyre que vous possédez près de Clermont le faitdes objets qu’on plonge dans ses eaux : le corps semétamorphose en pierre calcaire.

Encore un pas de fait dans la science, et quelpas ! Il y a un quart de siècle, on refusait de croire auxpierres qui tombent du ciel. L’Académie de France, les sociétésd’Angleterre et d’Allemagne ne se sont rendues que lorsque leursmembres ont failli être écrasés sur place par les aérolithes !Que va-t-on dire maintenant qu’un homme tout entier, parfaitementconservé, nous est tombé de Mars et est venu lui-même nous révélerl’admirable harmonie qui préside à l’évolution desmondes !…

À bientôt les dessins promis.

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