Un habitant de la planète Mars

LETTRE VI

De l’âge des astres. – Moyen de le déterminer. –Où il est montré que tous les mondes ne sauraient être habités. –Objections. – Éléments de notre système solaire – Relations quisemblent exister entre les volumes, les masses et la densité desplanètes. – Différents aspects. – Ce qu’il faut pour que deuxastres se ressemblent. – La parole est continuée àM. Greenwight.

M. GREENWIGHT. J’ai montré dans ladernière séance que si les astres présentaient des aspectsdifférents, il fallait en chercher uniquement la cause dans larapidité plus ou moins grande de leur évolution. À l’époque où nousles voyons, ils sont plus ou moins avancés, ils sont plus ou moinsjeunes ou vieux, suivant leur masse initiale.

Il faut un peu les envisager comme lesdifférents membres d’une même famille.

Chacun deux, sauf quelques particularitéscaractéristiques et à l’unité d’origine près, présentera à uneépoque donnée la même forme, le même aspect ; seulement vusensemble, l’un est jeune, l’autre vieux.

Ainsi des astres. Ils vivent, ils ont passé oupasseront tous par les mêmes phases, comme toute individualité dela nature. Il me reste maintenant à appliquer ces considérations età en tirer parti.

Je vous propose donc une simple promenade dereconnaissance chez nos voisins les mondes : j’espère pouvoirpréciser leurs caractères biologiques, leurs conditionsd’habitabilité.

D’abord et avant de partir seront-ils toushabitables ?

Évidemment non, messieurs, et le savantFrançais Arago, tant d’autres après lui, qui plaçaient deshabitants partout, même dans le soleil, n’avaient aucune notion desvéritables lois qui président à la destinée des mondes.

Par habitant, car il faut tout définir pouréviter les méprises, j’entends un être animé quelconque, unorganisme vivant. Or, un organisme ne peut exister évidemment qu’àla condition d’être composé en partie de liquides et de solides.Les liquides sont généralement les véhicules de la vie. Pour nous,le sang, les humeurs sont absolument nécessaires à l’entretien ou àl’épuration de nos organes. On ne saurait concevoir un êtrequelconque uniquement formé de matériaux solides, il serait inerte.Partout aussi bien qu’ici un pareil corps appartient à la natureinorganique.

Ceci dit, nous arrivons fatalement à cetteconséquence, c’est qu’aucun être vivant ne saurait exister suraucun astre, tant que la quantité de mouvement possédée par cetastre, c’est-à-dire sa chaleur propre, sera assez élevée pourvaporiser les liquides de l’organisme.

Inversement, tout être organisé disparaîtra desa surface lorsque sa chaleur sera devenue assez basse pourcongeler les liquides de l’organisme. Voici les deux limitesextrêmes de la vie.

M. RINK. Mais comment M. Greenwightsaura-t-il si les liquides de tel ou tel astre ne sont passusceptibles de résister à de hautes températures et comment, parsuite, déterminer les limites biologiques de l’apparition et de ladisparition des êtres ?

M. GREENWIGHT. M. Rink est un peupressé ; tout ne peut se dire à la fois. Il est évident que deprime abord on ne voit pas pourquoi les liquides n’auraient pas unecohésion différente dans tous les astres d’un système.

Le point d’ébullition est lié à la pressionque supporte le liquide et à sa composition. Si la pression et lacomposition sont notablement différentes, comme le dit très-bienM. Rink, les liquides pourront exister dans chaque astre à destempératures très-diverses. Mais j’ai de bonnes raisons de croirequ’il n’en est rien et je me rallie à l’opinion opposée.

Oui, sans contredit, sur terre et ailleurs, lapression a varié depuis l’origine des temps ; elle devait êtreplus considérable au début, et par suite les liquides devaient nes’évaporer qu’à une température plus élevée que maintenant. Oui, jecrois également que la pression peut être un peu variable danschaque astre, mais dans des limites très-restreintes.

Enfin, en examinant ce qui est maintenant surterre et dans les planètes voisines, en se rappelant l’unitéd’origine des astres, en jugeant du passé par le présent, on estporté à admettre que la composition des liquides de même nature estpartout à peu près la même. Nous reviendrons, du reste, tout àl’heure sur ce point et nous entrerons dans quelques nouvellesexplications. Donc, composition et pression restant à peu prèsidentiques, on peut avancer que les limites de l’existence sont àpeu près les mêmes partout.

À quelle température les liquides del’organisme terrestre se volatilisent-ils ? Vers 80 degrés. Lapression étant plus grande au début, nous porterons à 100 degréscette température initiale. De même nous porterons à 30 degrésau-dessous de zéro la température finale, celle où la congélationse produit en dépit du calorique fourni par l’acte vital. De 100degrés à 30 degrés, soit 130 degrés. Voici les degrés de lavie ; voici les limites normales dans lesquelles il fautcirconscrire l’existence des organismes.

Donc, messieurs, tout astre qui possédera unechaleur propre, à sa surface, supérieure à une centaine de degrésne saurait avoir d’habitants. Tout astre qui serait refroidi audelà de 30 degrés au-dessous de zéro ne saurait plus d’autre partentretenir la vie. Conclusion : Tous les mondes ne sont pashabités.

Voyons maintenant autour de nous ceux quipeuvent être habités ; recherchons l’âge de chaqueplanète.

La quantité de mouvement pour chaque astre,nous l’avons déjà dit, dépend avant tout de sa masse. Lesdifférentes planètes qui nous entourent ont été sans douteabsolument semblables pendant un laps de temps encore assezconsidérable, pendant toute la période où elles étaient encore àl’état de vapeurs ; mais elles se sont bientôt refroidiesinégalement, et dès lors ont changé pour chacune d’elles lesconditions d’existence et de vitalité. Les unes ont gagné del’avance ; les autres sont restées bien en retard.Examinons.

Pour ne pas abuser de l’attention de lacommission, je prendrai seulement les mondes qui nous entourent,ceux pour lesquels la vérification est jusqu’à un certain pointpossible ; soit le Soleil, Jupiter, Saturne, Neptune, Uranus,la Terre, Vénus, Mercure, Mars.

Voici les masses approximatives de ces astres,celles que l’on a déduites de l’attraction newtonienne.

Masses par rapport à celles de la terre.

 

Soleil

354 930.000

Jupiter

338.034

Saturne

101.411

Neptune

20.879

Uranus

14.789

La Terre

1.000

Vénus

0.885

Mercure

0.175

Mars

0.132

Voici maintenant les volumes de ces astres,leur densité et l’intensité de la lumière et de la chaleur solaireà la surface de chacun d’eux ; éléments dont nous pourronsavoir besoin.

Volumes en myriamètres cubes.

 

Soleil

1.520.976.847.653.880

Jupiter

1.528.718.930.570

Saturne

793.742.722.600

Neptune

113.604.675.800

Uranus

88.600.521.920

La Terre

1.080.863.240

Vénus

1.034.348.528

Mars

151.320.850

Mercure

64.851.800

Densité par rapport à celle de laTerre.

 

Soleil

1.4

Jupiter

1.3

Saturne

0.7

Neptune

1.8

Uranus

0.9

La Terre

5.5

Vénus

5.1

Mars

5.4

Mercure

6.8

Intensité de la lumière et de la chaleur solaires.

 

Jupiter

0.04

Saturne

0.01

Neptune

0.001

Uranus

0.003

La Terre

1

Vénus

1.9

Mars

0.4

Mercure

6.7

Si nous considérons le premier de ces groupes,il est évident que nous y trouverons l’ordre dans lequel on peutranger les astres d’après la somme de leur quantité demouvements ; nous aurons leur quantité de vie, nous saurons end’autres termes la durée de leur existence.

C’est ainsi qu’il est facile de voir que leSoleil n’est encore qu’au début de son évolution ; il est enenfance. Jupiter vient ensuite, puis Saturne, etc. La durée del’existence de ces mondes est environ exprimée, en prenant la Terrepour unité, par les chiffres suivants :

Soleil, 355,000 ; – Jupiter, 339 ; –Neptune, 20 ; – Uranus, 14 ; – Vénus, 1 ; – Mars,0/13 ; – Mercure, 0/17. Ce qui signifie que si nous admettonsque la Terre ne puisse exister qu’un siècle, le Soleil existera355,000 siècles ; Jupiter, 339 siècles ; Neptune,20 ; Uranus, 14 ; Vénus, 1 seulement, etc.

Il ne faut pas perdre de vue toutefois qu’ilne s’agit ici que d’existence individuelle, car les différentsastres individuellement morts n’en resteront pas moins agrégésjusqu’à la séparation complète du groupe auquel nous appartenons,absolument comme de la matière terrestre morte subsiste encorelongtemps et ne s’en va en poussière qu’à la longue.

Le second tableau montre que les volumesoccupés dans l’espace par ces différents mondes décroissent avecleurs masses, mais sans qu’il y ait proportionnalité. Ainsi, Marsest moins dense que Mercure et cependant son volume est plusgrand.

Ceci n’a rien qui doive surprendre personne.Nous voyons sur terre et en petit les mêmes phénomènes seproduire.

Un corps peut diminuer de masse et augmenterde volume, et inversement. Vous savez, par exemple, que l’eau en serefroidissant augmente de volume ; la glace est moins denseque l’eau. Le bismuth est dans le même cas. Tout dépend en effet dugroupement, de l’arrangement des molécules constitutives ; or,vous vous expliquerez ces différences en remontant à la genèse deces astres. Tous étaient à l’état de vapeur. Ils ont perdu chacundu mouvement, de la chaleur, et suivant la rapidité de cette perte,les atomes se sont groupés de telle ou telle manière ; lescombinaisons les plus simples correspondent aux refroidissementsles plus rapides, et au contraire la variété des combinaisons doitse retrouver avec la lenteur dans l’évolution de l’astre.

Il est impossible également, messieurs, de nepas remarquer que la durée de rotation de chaque astre sur lui-mêmea dû influer sur la plus ou moins grande condensation de sesmolécules. La force centrifuge dépendant de la vitesse de rotationa dû écarter la matière et augmenter le volume de l’astre ; levoisinage de la nébuleuse centrale, son action attractive a dûaussi modifier les phénomènes de groupement, de combinaison desatomes. Il doit y avoir une certaine dépendance entre les densitésde chaque astre, sa durée de rotation et la pesanteur à sa surface.La vitesse de rotation écartait les atomes, mais l’attractioncentrale tendait à les rapprocher.

En remontant au troisième tableau qui renfermeles densités des planètes ; en mettant en regard les durées derotation et la pesanteur, on a :

 

Densité.

Durée de rotation

Pesanteur.

Mercure

6.8

24h 5m

5.63

La Terre

5.5

23h56m

4.90

Mars

5.4

24h39m

2.16

Vénus

5.1

23h23 m

4.65

Neptune

1.8

 

5.00

Jupiter

1.3

9h55m

12.49

Uranus

0.9

 

5.44

Saturne

0.7

10h18 m

5.34

Ces nombres sans relation apparente ne sont aucontraire que la traduction fidèle d’une loi générale demécanique.

Il faut en effet observer que, non-seulementla vitesse de rotation a un grand rôle dans la disposition desatomes, mais encore le volume de l’astre ou son rayon. La forcecentrifuge dépend directement de son rayon. En tenant compte de cesdivers éléments, en n’oubliant pas d’ailleurs que l’intensité de lachaleur solaire donnée dans le troisième tableau a modifié aussipour son compte le groupement des molécules de la surface, onarrive à trouver la cause des anomalies apparentes qui semblentexister dans les densités des planètes.

Un monde, pour le dire en passant, serad’autant plus riche, d’autant plus élevé, qu’il aura de quantité devie, de temps de transformation devant lui.

Ainsi, pourquoi Mercure est-il plus dense queMars et moins gros ? On verra vite que Mars tourne un peu plusvite et que sa pesanteur à la surface est beaucoup moindre. Pources deux raisons, les molécules avaient de la tendance à moinss’agréger ; d’où un plus gros volume. On verrait de même que,relativement, c’est encore à la surface de Mercure que doit existerla plus grande force de groupement moléculaire. Et, en effet, c’estcette planète qui a la plus forte densité. Également et pour lesmêmes raisons, on trouverait que la force d’agrégation est de plusen plus petite pour la Terre, Mars, Vénus, Jupiter, Saturne.

Ces remarques ne sont pas sans valeur, si l’onveut bien se rappeler les objections de M. Rink.

Qui vous dit, demandait en effet notrehonorable collègue, que les liquides dans chaque astre n’ont pasune force de cohésion très-différente et qui puisse leur permettrede résister à de hautes températures ? Et, en effet, lorsquel’on voit agir des forces d’agrégation aussi manifestementdifférentes, la demande de M. Rink est parfaitementjustifiée.

Nous devons donc insister et faire remarquerqu’ici l’âge de l’astre a une influence prépondérante sur la forced’agrégation ; l’une est liée à l’autre, il ne faut pascomparer la force de deux planètes d’âges éloignés ; lacomparaison n’est admissible que pour des astres sensiblementarrivés au même point de leur évolution.

Ainsi examine-t-on la Terre et Vénus, dont lesmasses sont très-voisines et qui ont par conséquent à très-peu prèsla même quantité de vie, on trouve sensiblement la même densité, lamême vitesse de rotation, le même volume, la même pesanteur. Icinous osons affirmer que les liquides se comportent comme surterre.

Prend-on, au contraire, la Terre et Mars, dontles masses sont entre elles comme 1 et 0,13, la quantité de vieétant bien différente, la comparaison directe n’est pluspossible ; la densité de Mars devrait être de prime abord plusforte que celle de la Terre, puisque Mars est plus condensé ;elle lui est seulement à peu près égale ; le fait s’expliqueen remarquant que la pesanteur à la surface n’est que de moitiémoindre que celle de la Terre ; il faut absolument tenircompte ici de tous les éléments qui peuvent modifier le problème.Demain, si M. le président veut bien m’y autoriser, jepoursuivrai ces considérations.

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