Un habitant de la planète Mars

LETTRE IV

Mise en scène. – Suite. – Les journalistes. –William Seringuier. – L’abbé Omnish. – Williamson. – Noirot deSauw. – De la difficulté de commencer par le commencement. –Discussion. – L’infiniment petit et l’infiniment grand. –Astronomie moléculaire. – Ce que c’est que la matière. – Dansediabolique de tout ce qui nous entoure. – Étoiles lilliputiennes. –Deux cent cinquante mille ans pour compter ce que renferme d’astresla pointe d’une épingle. – L’harmonie dansl’univers.

Nous sommes en nombre, vous le voyez, et nousavons encore derrière nous les correspondants de nos principauxjournaux. William Seringuier, malgré sa paresse traditionnelle, afait le voyage. L’abbé Omnish, sans contredit notre premiervulgarisateur scientifique, est à son poste. Aussi, A. Williamson,le prétentieux rédacteur du Strand de Washington, puisNoirot de Sauw, un médecin de Molière, ressuscité au dix-neuvièmesiècle.

Quelques mots bibliographiques encore, et j’enfinirai avec cette trop longue mise en scène.

Je suis bien forcé de vous dire en effet queHaugton, que j’ai mis en tête de la liste, passe à notre époquepour un des premiers paléontologistes. Il est à peu près jeune, et,à l’inverse de Stek, il ne sort jamais que le stik en main et quela main dans des gants ajustés. Sa taille serrée indique un ancienmilitaire. Je crois qu’il a servi autrefois. Il esttrès-bienveillant, dit-on, en tous cas, très-indulgent ;peut-être un peu trop à l’eau de rose, malgré sa tournuremilitaire. C’est lui, qui en présentant à l’Académie de Boston, ily a deux ans, un des ouvrages blafards de William Seringuier,s’écriait dans un mouvement d’éloquence comique :« Enfin, que dirai-je de plus à l’Académie ? l’auteur,avec son habileté ordinaire, a su retirer toutes les épines de lascience pour n’en laisser que les roses. »

Le mot est devenu historique, et, quand onveut désigner Haugton, on ne manque pas de dire : Lepaléontologiste aux roses sans épines. Il est de fait queM. Haugton est un gentleman dans toute l’acception du mot.

Vous signalerai-je Liesse, professeur àAlbany, ingénieur des mines, élu il y a deux ans déjà membre del’Académie ? Il est long et maigre, il a beaucoup travaillé lemétamorphisme, comme son confrère l’ingénieur Vanbrée, qui moinsheureux que lui, attend encore un fauteuil. Liesse a fait desaérolithes, sa spécialité académique. Il était ici l’un despremiers. – Oupeau, un médecin de Baltimore reconnaissable danstous les pays du monde à sa cravate blanche qui lui monte au-dessusdes oreilles et à la roideur de son torse. Ce n’est pas un orateur,il s’en faut. – Owerght, professeur d’astronomie physique àRichmond, un ami de l’astronome Greenwigh, bon mathématicien.

Il faut bien s’arrêter : je n’en finiraisjamais, et mon papier diminue à vue d’œil. Je dépeindrai, s’il y alieu, au fur et à mesure de la discussion.

C’est mercredi, 22 juin, que la commission atenu sa première séance, et quelle séance ! Ouverte à uneheure, elle n’a été levée qu’à sept heures ; il n’en est restépour moi cette première fois qu’un fait parfaitement acquis :c’est qu’il n’y a rien de si difficile que de commencer par lecommencement. C’était à qui prendrait la parole et réglementeraitla marche de la discussion. Newbold suait à grosses gouttes à forced’agiter la sonnette et ses mains se croisaient et se décroisaientcomme une bielle de machine à vapeur.

Commencerait-on par discuter la possibilité dela chute sur la terre des corps célestes ? question avanttout, astronomique et sur laquelle Greenwight insistait toutparticulièrement. Ne se préoccuperait-on, au contraire, toutd’abord que d’examiner la momie au point de vue physique,physiologique ? Ne serait-il pas préférable d’examiner lesujet au point de vue chimique ? Et la sonnette s’agitait, etMM. Wintow et Rink faisaient grincer leur voix ;MM. Sawton, Davis, Murchison, tapaient du poing sur la sergeverte ; M. Stek fermait les yeux ; Newbold essayaitde parler ; William Seringuier criait tout haut de sa placeque Newbold n’avait pas de sens commun, et que s’il était à saplace, le silence se rétablirait vite : Quel bruit ! vousn’en auriez guère l’idée qu’en vous reportant aux beaux jours devos débats parlementaires.

Greenwight finit néanmoins par conserver laparole.

« Messieurs, dit-il en se ravisant, il mesemble que le débat s’égare et que ni l’astronomie, nil’anthropologie, ni la physiologie, ne doivent avoir le pas ici.Tout doit être repris avec ordre. Or, d’abord de quois’agit-il ? d’un aérolithe. Donc, la parole revient de droitet de fait aux géologues et aux chimistes : une fois ce pointéclairci, je pense qu’il sera convenable de voir de quel coin duciel cette masse nous arrive, si elle n’est pas d’origineterrestre ; ceci regardera les astronomes et lesphysiciens ; enfin viendra le tour des physiologistes, despaléontologistes, etc. Le hasard, du reste, messieurs, nous amontré le chemin. N’avez-vous pas pris pour président un géologue,pour vice-président un astronome et pour secrétaires un zoologisteet un anthropologiste ?

M. NEWBOLD. M. Greenwight me sembleavoir raison et si la commission n’y voit aucun inconvénient, jerésumerai l’ordre du jour ainsi : discussion géologique,discussion astronomique, discussion anthropologique. »

Personne ne demande la parole.

Toute la salle l’avait prise sans lademander.

Un coup de sonnette prolongé.

« La décision est adoptée, » murmurele président en se croisant les mains.

La parole est à M. Paxton d’abord et àM. Davis ensuite.

Ils racontent dans tous leurs détails lesdifférents incidents de la découverte de l’aérolithe. Vous lesconnaissez.

M. Davis montre ensuite les analysesqu’il fit de la surface du bolide. M. Paxton, qui les areprises depuis, donne les siennes. L’accord est à peu prèsparfait.

M. SIEMAN, professeur de docimasie àl’École des mines, petit, railleur, et très-sceptique. –M. Sawton pourrait-il me dire s’il est bien sûr d’avoirconstaté la présence du cœsium ? L’analyse porte traces.Comment a-t-on opéré ? Je demande pardon d’insister, mais lacommission se rappellera peut-être que j’ai trouvé le cœsium, il ya deux ans déjà, dans plusieurs espèces minérales :l’aphanèse, le nickelocre[4], latriphyline[5],la panabase, la bournonite[6], etceci a pour moi un intérêt direct.

M. SAWTON. J’ai tout unimentopéré avec le spectroscope, et la raie caractéristique s’estmontrée dans presque tous les échantillons placés dans laflamme.

M. SIEMAN. Vous n’avez trouvé aucunesubstance étrangère à la terre ?

M. SAWTON. Non.

M. DAVIS. J’ajouterai que certainscristaux, ceux d’argent, par exemple, n’affectent pas la même formequ’ici. J’ai trouvé l’argent cristallisé, non plus dans le systèmeoctaédrique, mais dans le système prismatique carré.

LE PRÉSIDENT. M. Davis a vu le bolide aumoment où il était encore enclavé dans les terres. Lesaffleurements étaient-ils horizontaux ?

M. DAVIS. Non, monsieur le président,mais inclinés N. 33° O. ; pour moi, il n’y a pas lemoindre doute que l’aérolithe est tombé à une époque géologiquementancienne, car on retrouve à très-peu près cette inclinaison dansson axe principal. Très-certainement il était en place, quand laCordillère, en se soulevant, a relevé les couches voisines.

M. NEWBOLD. Je ferai remarquer àM. Davis qu’au-dessus du terrain carbonifère, il existe undépôt variable de 1 mètre à 3 mètres de hauteur. Ce dépôt n’est pasdiluvien, et dans la carte que j’ai moi-même dressée, et certes paspour la circonstance, il est noté terrain d’éboulementoumeuble. Il provient du sol des forêts vierges. Est-ce surcette couche que M. Davis a mesuré l’inclinaison ? Ellen’aurait dès lors aucune valeur.

M. DAVIS. La couche était enlevée quandje suis arrivé, et je n’aurais d’abord pris mes mesures, bienentendu, que sur les dépôts anciens.

M. WINTOW. Vous n’avez reconnu aucunetrace d’ossements humains dans cette couche supérieure, aucun silextaillé ?

M. PAXTON. J’ai trouvé un peu plus loin,dans une fouille au N. O., un amas de bouts de flèches en pierre etdes ossements d’aurochs, je crois. Mais les flèches étaient enporphyre et non en silex.

M. RINK. Je vous demanderai à voir cesobjets, monsieur Paxton. L’Institut de France se préoccupe beaucoupde ces questions. M. de Quatrefages sera heureux que nouslui envoyions quelques spécimens. M. Lyell, de son côté,recevra avec intérêt les détails que vous voudrez bien luidonner.

M. LE PRÉSIDENT. Messieurs, nos séancessont chargées. Permettez-moi de vous ramener à la question. Lepremier point à élucider est celui-ci : la masse rocheusedécouverte par M. Paxton est-elle bien un aérolithe ? Jecrois que personne ne doute que la composition et le gisementsemblent le prouver. Pour moi, je ne pense pas qu’on ait jamaistrouvé sur terre aucune roche présentant ses caractèresspéciaux.

M. HAUGTON, le géologue aux épines,appuie par signes l’opinion de M. le président.

M. LIESSE, ingénieur des mines, demande àfaire une observation. Je pense, en effet, dit-il, que l’on a bienmis à nu un véritable aérolithe, mais, pour mettre notre décision àl’abri de toute critique, il me paraît important de voir si l’on netrouverait pas dans les environs et dans la même formation desroches analogues à celles-ci par la composition. Ne pourrait-onsupposer en effet qu’il s’est produit à une certaine époque desconcrétions, ou une pluie de matériaux d’une composition identiqueà celle de l’aérolithe ? On a des exemples de géodes ou decristallisations complètement différentes, par la substance qui lescompose, des terrains voisins.

M. RINK. On ne peut que gagner à faire ceque demande M. Liesse, mais, à mon sens, la question estjugée. Le vernis noir et épais qui entoure la masse indique destraces de fusion, et la roche n’a pu se fendre que par suite d’unlong voyage à travers l’atmosphère et à une vitesse énorme. Doncson origine n’est pas terrestre.

LE PRÉSIDENT. Je mets aux voix la proposition.Que ceux qui sont d’avis de l’adopter lèvent la main.

Un grand nombre de mains se lèvent. Laproposition est adoptée.

M. VAUBRÉE. Je demanderai à faireobserver à la commission que, bien que l’opinion qu’elle vientd’exprimer ne l’engage en rien sur la véritable origine de lamomie, elle n’en a pas moins beaucoup d’importance au point de vuede la constitution planétaire. C’est un bolide, donc il vient desespaces ; donc sa composition est celle des corpscélestes ; donc, d’après les analyses faites, les éléments desautres astres seraient à très-peu près ceux de la terre ; danstout notre système on retrouverait sous différentes formes decristallisation les mêmes roches, les mêmes métaux.

Il y a donc là, chacun le comprendra, un grandpas de fait. Si les éléments constitutifs des astres sont lesmêmes, il est permis de préjuger que tout notre système a uneorigine commune.

Je n’insiste pas ; j’ai seulement vouluattirer sur ce point l’attention des géologues et desastronomes.

M. MURCHISON. C’est une confirmation pureet simple des théories de Laplace, qui fait de nos planètes et dusoleil des débris et des morceaux d’une grosse nébuleuseprimitive.

M. OWERGHT. Évidemment, mais n’aurait-onpas trouvé les mêmes substances ou aurait-on même découvert dessubstances différentes, qu’il ne serait encore permis de rienconclure, car toute matière est caractérisée par le groupement deses éléments, la juxtaposition de ses molécules. Or, cettejuxtaposition dépend de la température et de la vitesse aveclaquelle se produisent ces changements de température. Donc, quedans chaque astre la température ait varié brusquement oudifféremment, et voilà autant de causes de transformation de lamatière, autant d’origines de substances diverses.

M. O. CLINTOCK. Je tiens à confirmerl’opinion de mon honorable collègue. Il me paraît très-certain,dans l’état actuel de la science, que les corps ne diffèrent quepar le groupement moléculaire comme les constellations du ciel sontdissemblables par la position des étoiles. Prenez deux, troisvilles quelconques, vues d’un ballon à une grande hauteur ;elles différeront peu ; ce seront bien des villes, mais, unpeu plus près de terre, leur aspect changera, et uniquement à causedu rangement des maisons, de la disposition topographique des rues,des promenades et des édifices.

Tel est le cas pour un minéral ou unesubstance quelconque. Suivant que les forces naturelles aurontplacé de telle ou telle manière les rues, les promenades ou lesmaisons de ces petites villes moléculaires, vous ressentirez uneimpression différente. Tout dépend là de l’architecte, ici del’influence de la force prédominante.

M. SIEMAN. J’approuve de tous points lamanière de voir de mes savants confrères, et, si la commissionm’autorisait à garder la parole quelques minutes (oui !oui !), j’ajouterais que des travaux personnels développantles vues de mathématiciens américains et étrangers me permettentd’avancer qu’un corps quelconque représente très-exactement et enminiature tout un système céleste comme celui que nous apercevonsdans le ciel chaque soir ; la voie lactée. Les astronomes quiveulent bien m’écouter savent mieux que moi que la terre est unemolécule parmi tous ces innombrables astres dont l’ensemble frappenos yeux comme une longue traînée blanche.

La terre fait partie intégrante de la voielactée. Hé bien ! un corps, quel qu’il soit, prenez, pourfixer les idées, le bois, l’or, le diamant, n’est qu’un amas deconstellations moléculaires diversement groupées. Du grand au petitl’analyse est complète. Notre œil n’est pas fait pour apercevoirdans tous leurs détails ces étoiles et ces systèmes infinimentpetits. Peut-être d’autres animaux mieux constitués que nous lesaperçoivent-ils ?

Toujours est-il clair que, si vous pouviezconstruire un microscope d’une puissance considérable, vousarriveriez avec cet instrument à dédoubler les étoiles moléculairesde chaque petite voie lactée terrestre, comme on dédouble et commeon réduit les nébuleuses du ciel avec les télescopes. Affaire decoup d’œil. Vous verrez alors ce qui vous paraît être un amasconfus se ranger avec une symétrie admirable.

Les corps seraient percés à jour ; vousdécouvririez d’énormes interstices, des espaces vides, comme lesespaces planétaires ; puis, de place en place, des étoilesharmonieusement groupées, et tout autour de chacune d’elle, desatmosphères ; et, merveilleux spectacle ! tous ces petitsastres moléculaires tourneraient avec une rapidité vertigineuse,décriraient des trajectoires plus ou moins obliques ; commeles gros astres du ciel ; puis, en augmentant encore lapuissance de votre instrument, vous finiriez par voir tout autourde chacun des astres principaux d’autres petites étoiles, dessatellites comme notre lune, opérant majestueusement etrégulièrement leur mouvement de rotation : l’infiniment petitest si infiniment grand !

Tous ces mouvements sont si rapides qu’ilssont insaisissables pour l’homme ! ils sont suffisammentnéanmoins pour l’impressionner !

Étranges résultats ! la chaleur, lalumière, messieurs, dont nous ne savions trouver la causevéritable, mais nous l’avons découverte, cette cause !

Ces mouvements infiniment rapides, ils nouschoquent, ils nous touchent.

Directement ? non.

Ces petites étoiles ont des masses si petitesqu’elles ne produiraient pas sur nous plus d’effet que les grainsde sable qui voltigent dans l’air sur le Micromégas du FrançaisVoltaire. Mais ces petits astres, qui grouillent en cadence dansleur milieu intermoléculaire, y trouvent une atmosphère de masse demême ordre que la leur ; ils agitent cette atmosphère ;ils y font naître des rides comme la pierre jetée dans l’eauproduit des cercles concentriques. Et ces ondulations, répétéesavec une vitesse de 400 billions par seconde et même de 1000billions ! viennent nous heurter et déranger le mouvement desautres astres qui forment la charpente de notre corps.

Si ces chocs augmentent leur vitesse detranslation ou de rotation, nous ressentons une impression dechaleur ; si, au contraire, les constellations de notre corpsétaient animées de mouvements plus rapides, ces chocs nous feraientperdre de la vitesse, et nous éprouverions une sensation defroid.

Lorsque ces mouvements intermoléculaires seproduisent dans des circonstances de masse et de vitesse données,ils impressionnent l’œil ; les ondulations de ces petitesatmosphères si subtiles viennent frapper la rétine et mettent envibration, à leur tour, les astres qui la constituent. Nous voyons,nous ressentons l’impression lumineuse. Je reviendrai sur ce point,du reste, dans la suite de la discussion. Je ne suis pas fâchéd’avoir montré que les géologues, ou plutôt les minéralogistes,sont des astronomes, de véritables astronomes ; ils s’occupentd’astronomie moléculaire, au lieu d’étendre leursexplorations dans l’infini des espaces appropriés à l’étendue de lavue humaine.

Il n’y a de différence que dans l’ordre desgrandeurs. S’il existait sur terre des animaux infiniment petits etintelligents, il pourrait s’y trouver de véritables astronomes dontles découvertes porteraient au même titre que nous sur la mécaniquecéleste de ces petits mondes lilliputiens. J’ajouterai encore, etje ne crois pas contrarier par là ni les astronomes ni surtout lesminéralogistes, que l’astronomie est, sans qu’il y paraisse,dépendante de la minéralogie. Et le jour où nous aurons trouvé leslois qui régissent les groupements moléculaires, les lois quigouvernent les mouvements de ces infiniment petits, les astronomesn’auront plus qu’à nous suivre.

M. NEWBOLD. Vous venez, messieurs (plushaut !) de montrer que les dernières particules des corpsn’étaient que l’image réduite de ces grands corps célestes quitourbillonnent dans les cieux : mais la terre elle-même n’estqu’une particule, qu’une molécule même de l’amas que nous désignonssous le nom de voie lactée. Nous avons là très-grossie,très-facile à étudier par conséquent, une molécule type qui nousdonne l’aspect physique très-exact des dernières moléculesinfiniment petites dont l’agrégation forme tous les corps que nousvoyons. Nous n’avons qu’à passer du grand au petit pour savoir cequi se passe dans ces interstices moléculaires si infimes qu’ilséchappent aux instruments les plus puissants.

Qu’est-ce que la Terre ? une sphère de1 500 lieues de rayon dont les parties constituantes vonttoujours en augmentant de densité de l’extérieur au centre.

Depuis l’origine, les matériaux ont pris placepar ordre de densité, les parties lourdes au centre, les partiesplus légères à la circonférence. Le plancher sur lequel nousmarchons, le sol, véritable écorce rigide et élastique, n’estqu’une mince pellicule moins lourde que ce qui précède ; c’estun radeau continu flottant sur la matière interne ; on auraune idée de son épaisseur en la comparant à la peau d’unepêche.

Au centre, la matière a plus de masse ;ses mouvements sont plus rapides ; la température est élevée.À mesure qu’on monte, la masse de la matière est moindre, lesmouvements diminuent de rapidité en se communiquant plus facilementà la matière déliée répandue dans l’espace, et la température estbeaucoup moindre. Elle devient même à un certain point assez bassepour que les molécules matérielles se rapprochent et se juxtaposentassez près l’une de l’autre pour former un sol rigide. C’estl’écorce terrestre.

Au delà, la température est variable,directement soumise aux influences du soleil ! La matière estplus rare, les corps sont gazeux ; l’atmosphère aériennesuccède à la croûte terrestre, et on y retrouve comme dansl’intérieur le même ordre de densités, beaucoup plus de matière àla surface que dans les couches élevées. Le fluide aérien va aussien se raréfiant de plus en plus, pour se confondre à la limite avecla matière si ténue qui remplit les espaces. (On n’entendpas !) La suite de ces chiffres donnera un peu l’idée dudécroissement successif de la masse de la matière, depuis le centrejusqu’à la périphérie :

Globe terrestre.

Atmosphère.

10, 8, 6, 4, 2, 1

1/2000, 1/4000, 1/6000, 1/8000

Il se produit, comme le montre cetteproportion, un saut brusque au delà de l’écorce. La matière déliéequi a échappé à la combinaison et qui, par conséquent, a le moinsde masse, surnage.

C’est l’excès de matière refouléesuperficiellement par les réactions internes ; c’est une sortede remous.

Peu à peu, cet excès de matière trouve saplace à l’intérieur, elle se casse lentement, se combine etdisparaît. L’atmosphère de toutes les planètes dans l’immensité destemps se réduit ainsi successivement, elle se condense de plus enplus, entre en combinaison stable. Aussi ne faudra-t-il pass’étonner de voir les hauteurs des atmosphères diminuerprogressivement et leur limite se confondre de plus en plus avec lamatière subtile et insaisissable des milieux interplanétaires.

Ce que je viens de dire, messieurs, pour notreglobe en particulier, pour la molécule terrestre, s’adresse aussibien à tous les astres, à toutes les molécules planétaires, àtoutes les molécules constituantes des corps. Nous allons retrouverles mêmes détails, les mêmes caractères, les mêmes lois dans cesmyriades de particules qui font cette table sur laquelle jem’appuie, cette main, cet encrier, tous les objets quim’environnent.

Soulevez avec le levier d’Archimède l’unquelconque de ces petits mondes miniatures, la molécule qui formece morceau de sucre, par exemple ; voyez-les avec des yeuxcent millions de fois plus forts que les vôtres. Cette molécule, onvous l’a dit, c’est un assemblage de plusieurs petits astres,d’atomes, si vous voulez leur donner un nom.

Mais remarquez comme c’est beau. Voici toutnotre système planétaire. Il y a l’étoile principale, le soleil,puis les planètes secondaires qui tournent tout autour avec unevertigineuse vitesse.

Saisissez les détails et supposez qu’avec unepince sans contredit gigantesque pour ces ténuités sublimes vousenleviez un de ces petits astres.

Cela ne saurait être, quand bien même vous lepourriez, car enlever un astre serait détruire la pondérationnécessaire à l’existence de l’ensemble. Vous enlèveriez lemouvement dont il est doué ; vous l’anéantiriez. Admettonsnéanmoins.

Eh bien ! vous retrouvez là etl’atmosphère et la croûte solide, ou tout au moins la matière pluscondensée, et si vous allez jusqu’au centre, vous verrez lescouches successives de cet atome imperceptible se disposer encoresuivant l’ordre des densités.

Ainsi, un noyau à matière condensée, uneatmosphère de moins en moins dense, voilà l’astre moléculaire,l’atome.

Rapprochez tous ces petits astres, vous lesverrez tourner avec leurs atmosphères, vous aurez la molécule.Réunissez toutes ces molécules, vous aurez la particule, vous aurezla matière avec sa forme, telle que notre œil l’aperçoit.

J’ai insisté de mon côté, messieurs, sur cepoint capital, car, vous le comprenez, la minéralogie etl’astronomie n’ont pas seules le privilège de cette étude. Lagéologie donne la clef de la composition intime et primordiale dela matière. Des déductions qui lui sont familières il est permisd’arriver jusqu’à la formation des éléments des corps, et par là deremonter jusqu’aux phénomènes d’affinité chimique, de cohésion,d’élasticité.

C’est ce que j’essayerai de faire et deprouver ailleurs et dans une occasion plus propice. La discussion abesoin de ne pas s’égarer[7].

M. SIEMAN. Je remercie notre honorableprésident des détails si intéressants qu’il a bien voulu donnerpour confirmer ma thèse. J’ai bon espoir qu’elle éclaircira plusd’un point encore obscur dans la science.

M. STEK. M. le président serait-ilassez bienveillant pour me dire si, dans son opinion, il y a aussides montagnes et des soulèvements sur ces petits mondesmoléculaires ; si les révolutions géologiques qui ontbouleversé notre globe s’y produisent également et modifient leursurface ?

M. NEWBOLD. Ceci ne saurait embarrasserpersonne, monsieur Stek. Les raisons qui sont bonnes sur terre lesont aussi dans ces mondes de l’infiniment petit. Les réactionsintérieures proportionnées à la taille de ces planètes atomesdoivent également modifier, travailler la surface ou la partie toutau moins la plus résistante qui doit se courber, se redresser,suivant l’action des forces mises en jeu. Il y a des montagnes etdes vallées, soyez-en sûr, et qui mieux est, dont la direction etles accidents obéissent à des lois fixes et immuables. Dois-je vousrappeler que sur terre je crois qu’il a été prouvé par quelqu’unque personne ne connaît mieux que moi, qu’il n’y avait pas unechaîne de montagnes dont la direction fût confiée au hasard ?Toutes les montagnes se dirigent suivant des axes parfaitementfixes[8]. Encore mieux, un de mes amis que jeregrette de ne pas voir parmi nous, M. l’ingénieur en chefNuevopolis, a déduit de là des faits de symétrie admirable. Iln’est plus de petit accident de la surface terrestre, col,embouchure d’un fleuve, défilé, source, mines, dont la positionexacte ne puisse se déterminer mathématiquement. Les anfractuositésdu sol, les dépressions, tout s’est fait suivant une loidéterminée. Cette butte qui vous obstrue l’horizon, cette côte,cette vallée, sont-elles là plantées par un hasardaveugle ?

Non, mille fois non. Tout est harmonie. Ledésordre n’est qu’apparent. M. Nuevopolis a mis, entre autresfaits, parfaitement en relief cette loi singulière, à savoir quetout accident important, tel que source, nœuds, volcans, etc., setrouvait toujours aux 4 dixièmes de la longueur totale du groupeenvisagé. Est-ce une rivière, prenez la ligne qui jointl’embouchure à la source. Marquez les 4 dixièmes, c’est là à coupsûr que vous rencontrerez l’accident le plus remarquable de cecours d’eau : de même pour une chaîne de montagnes, un filon,etc.

Cette symétrie curieuse, monsieur Stek, je nesais pas pourquoi je ne l’admettrais pas aussi bien pour lesmolécules et les astres moléculaires. Toutes ces ondulations du solne résultent que des vibrations de la matière ; ellesobéissent aux lois de l’harmonie musicale. Et ce phénomène qui faitqu’une plaque entrant en vibrations sous l’influence d’un archetreste immobile par place fait aussi que certaines parties du sol sehaussent et que d’autres se baissent ou ne quittent pas leurposition première.

Les lois de la musique sont aussi celles de lagéologie. Tout est dans tout. Il n’y a qu’un principe universel quianime la matière et lui donne ses différentes formes et sesdifférentes propriétés. (Bien ! très-bien ! Onentend.)

M. GREENWIGHT. Monsieur le président, lesconsidérations très-importantes et très-intéressantes que noshonorables collègues et vous-même venez de si bien développerconduisent directement à des applications astronomiques d’une hauteportée philosophique. Si la commission trouve que le débatgéologique est épuisé, si les géologues nous autorisent à regarderla roche découverte par M Paxton comme d’origine réellement extraterrestre, je demanderai la parole pour entrer directement dans monsujet, montrer par quelles phases les planètes et les corpscélestes passent nécessairement, pour rechercher enfin de quelpoint du ciel nous est tombée cette volumineuse pierre météoritedont la présence ici peut modifier tant des idées admises sur lamarche et l’équilibre des astres au milieu de l’espace.

La grosse horloge de James-House tintait alorsses sept coups sonores. Le soleil avait disparu à l’horizon. –Demain ! demain ! criait-on sur plusieurs bancs. –Demain, messieurs ! hurla sympathiquement l’honorableastronome : aussi bien la séance a été longue, et moi tout lepremier je serai heureux d’en finir.

M. NEWBOLD. La parole est accordée àM. Greenwight… et la séance est levée. (Rires nombreux.) C’estun privilège qu’a le grand géologue d’accorder la parole, et, quandil se sent disposé à bâiller, de lever la séance. Il donne ainsisatisfaction au postulant et à lui-même.

À bientôt. Je crains de manquer le boat dufort Man et le courrier.

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