Un habitant de la planète Mars

LETTRE VII

Promenade dans les cieux. – La pluralité desmondes. – Qu’est-ce que le soleil ? Ballon de vapeurssurchauffées. – D’habitants du soleil, point. – Découverte de minesà 38 millions de lieues de la terre. – Pourquoi n’y voit-on pasdans l’obscurité ? Opinion de M. Ziegler. – Héméralopie.– Mercure est-il habité ? – Un mot sur Vénus. – Des hommesinterplanétaires. – De ceux qui ont été ou ne sont plus. – Stationsur terre. – La lune. – A-t-elle une atmosphère ? – OùM. Greenwight tranche la question. – LesSélénites.

La parole est maintenue à M. levice-président.

M. GREENWIGHT. Si je ne craignaisd’abuser des moments de l’assemblée, je passerais maintenant enrevue les principales planètes de notre système. (Parlez !Parlez !)

J’ai fait concevoir précédemment, messieurs,que le groupement des atomes et des molécules, non-seulement étaitlié à la perte de quantité de mouvement de chaque astre, mais qu’ildépendait aussi d’autres éléments, tels que les variations de lapesanteur, de la force centrifuge, etc.

Les combinaisons, l’aspect de la matièrevarieront dans chaque planète d’après la valeur de ceséléments ; nous verrons tout à l’heure dans quelles limites.Examinons chaque astre avec quelque soin, et commençons par lepivot de tout le système, par le Soleil.

Lorsqu’on jette les yeux sur les élémentssolaires, on se convainct facilement que le Soleil doit être leplus jeune, le moins avancé de tous les astres ; son évolutioncommence à peine ; il a à peine perdu de quantité demouvement, il est tout au plus dans la seconde phase de sonexistence, encore tout en enfance. S’il était permis de comparer ladurée de sa vie à celle de l’homme, je dirais qu’il doit avoir desix à sept ans au plus. Sa matière est à peine condensée, lesatomes primitivement en liberté se sont toutefois assez rapprochéspour se grouper et former déjà des gaz et des vapeurs. Il estvraisemblablement partout encore à l’état gazeux. Le noyau est sansdoute seul à l’état de matière dissociée. Nous ne sommes pas encorearrivé au temps où la masse deviendra liquide. C’est un simpleballon, une sphère de gaz surchauffée renfermant des particulessolides au moins dans les régions superficielles que sont les plusrefroidies[10].

Les recherches faites en Europe au moyen del’analyse spectrale ont démontré dans le soleil l’existence deplusieurs des métaux terrestres réduits en vapeur. Ceci tendrait àprouver, et je signale cet exemple à M. Rink, que les atomesadoptent certains groupements partout, malgré les différences demasse, de pesanteur, etc.

Ceci démontrerait en outre que la formation decertains composés se produit à des températures énormes et que leschimistes, à moins de trouver les moyens de créer une semblabletempérature, n’ont aucune chance d’arriver à isoler les atomes, àdécomposer les corps réputés simples.

Enfin, il est permis de conclure de là aussique les mines, les filons qui traversent les roches terrestres nesont bien réellement que des infiltrations de la matière centraleencore en ébullition. Je n’insiste pas sur ces conséquences, ellessont plus familières qu’à moi aux savants chimistes qui composentcette assemblée.

Le Soleil continue son évolution à travers lestemps. Il vieillira et se refroidira comme les autres astres ;mais il restera certainement le dernier du système, et quand tousles centres de mouvement de notre système refroidis seront morts,il aura encore de la vie et survivra seul longtemps encore dansl’immensité.

Il n’est pas habité en ce moment,très-certainement. Concevez-vous des organismes vivant à latempérature de vaporisation de l’argent ? Des organismes envapeur ?

Un organisme, et c’est là peut-être unedéfinition, exige l’assemblage d’éléments solides, liquides,gazeux, en continuel état de réaction ; or, le Soleil nepossède encore qu’un seul de ces éléments nécessaires ; sesorganismes sont en voie d’élaboration ; rien de plus.

Apparaîtront-ils ? Pourquoi non ? Lavie semble résider dans une quantité de mouvements donnée,absolument comme la chaleur et la lumière.

Trop de quantité de mouvement et la chaleurdevient lumière ; pas assez, et la lumière reste seulement lachaleur ; trop de quantité de mouvement, et vous empêchez lamatière de s’organiser ou de refléter elle-même cette quantité demouvement ; trop peu, et le but à atteindre est encore manqué.Il faut la quantité voulue exactement. C’est pourquoi vous verrezla vie se manifester à certaines températures seulement etdisparaître de même ; M. Ziegler, qui m’a développé sesidées à cet égard, partage mon opinion ; il abordera ce sujetbeaucoup mieux que moi ; je passe donc et je me contente dedire que je ne vois pas pourquoi le Soleil ne recevrait pas plustard des habitants.

M. NEWBOLD. M. Greenwight songe-t-ilque le soleil conservateur et régulateur de la force n’aura, lui, àrecevoir de lumière ni de chaleur d’aucun astre voisin et que seshabitants vivraient dans l’obscurité la plus grande ?

M. GREENWIGHT. Je suis peut-être peucompétent pour répondre à mon honorable président ; mais jedemanderai aux physiologistes, à M. Rink, à M. Wintow, àM. Ziegler, s’il n’est pas parfaitement admissible quecertains êtres, même d’un ordre supérieur, y voient dansl’obscurité ?

M. WINTOW. Je suis parfaitement del’opinion de M. Greenwight ; nous avons sur terre desanimaux qui n’y voient que la nuit ; c’est une affaired’adaptation de la rétine. La plupart de nos animaux sont conformésde façon à ce que la lumière solaire ne les gêne pas ; c’estun peu comme s’il s’agissait d’un ressort à mettre en mouvement. Ona tendu beaucoup le ressort ici, parce que la force est grande,mais il peut se faire qu’une force beaucoup moindre puisse lemettre en mouvement si on le détend. Le ressort, c’est le nerf dela vision ; la force, c’est la quantité de mouvement. Laquantité de mouvement, le calorique inhérent au soleil lui-même,suffira sans doute pour ébranler la rétine, pour que les organismesde cet astre voient.

M. ZIEGLER. À l’appui de ce que vient dedire mon savant confrère, j’ajouterai que sur terre, lorsque lalumière solaire a agi trop violemment, lorsque la force a par tropébranlé la rétine et modifié l’élasticité du nerf, les hommes n’yvoient plus du tout, quand le soleil a disparu de l’horizon ;la sensibilité est émoussée. Cette affection, que les médecinsnomment héméralopie,se rencontre surtout chez les soldats,chez les factionnaires obligés de rester longtemps exposés àl’ardeur du soleil. On les guérit en rendant au nerf sonélasticité, et pour cela on garde le malade dans une chambreobscure pendant plusieurs jours. Cet exemple, joint à biend’autres, ne laisse pour moi aucun doute. Des organismes peuvent ytrès-bien voir dans des conditions physiques autres que celles queprésente notre planète.

M. GREENWIGHT. Je conclus donc de là,messieurs, que, selon, toute probabilité, le soleil sera habité unjour. Mais il se passera encore des milliers d’années avant que laquantité de mouvement que l’astre possède soit abaissée au point depermettre à la vie de s’y développer.

Le premier astre projeté dans l’espace enallant du centre à la périphérie, c’est Mercure. En suivant l’ordredes masses, c’est le huitième ; c’est un des astres les plusavancés dans son évolution ; il y a longtemps déjà qu’il n’estplus ni vaporeux, ni liquide ; sa surface solidifiée doit mêmeavoir une épaisseur assez grande.

Il a pour densité 6, la plus grande ;pour pesanteur 5, plus forte que celle de la terre. La chaleursolaire y est représentée par 7 environ, celle de la terre étant 1.Si nous prenons toujours pour type la vie de l’homme, Mercure doitbien avoir trente-cinq ans.

La matière s’y est condensée plus vitequ’ailleurs ; les combinaisons doivent y être moins nombreusesque dans les autres astres. Quant aux organismes, il esttrès-certain qu’ils existent et qu’ils existent même depuislongtemps déjà ; ils doivent différer des organismesterrestres ; mais dans des limites assez restreintes. Àl’inverse de ce que nous avons dit pour les organismes solaires, iln’y a qu’un instant, il nous faudra ici invoquer une rétinebeaucoup plus résistante pour permettre aux organismes d’y voir aumilieu d’une lumière aussi intense que celle que possèdeMercure.

Les êtres doivent être également d’un ordreinférieur par rapport à ceux de la Terre, plus petits. Les liquidesont dû se former à des températures plus élevées que surterre ; la pression y étant supérieure ; peut-être lesorganismes ont pu se développer dès 200 degrés ; en tout casles êtres plus élevés dans l’échelle n’ont pu apparaîtrequ’ultérieurement. Mercure est assez avancé pour que l’on puissedire que l’espèce homologue de l’homme a dû déjà exister sur cetteplanète ; elle doit être maintenant habitée par les homologuesde l’espèce humaine destinée à nous remplacer sur terre.

Il n’y a pas de raisons, en effet, pourrefuser d’admettre que toutes les espèces se remplacentparallèlement dans chaque astre, selon les conditions biologiquesqui se succèdent ; par conséquent dans tout astre en avance,s’il était possible de creuser un puits à travers la série desterrains qui le composent, on retrouverait la série des êtres quiont existé à la surface, et de plus l’espèce qui a son pendant etmême son analogue sur l’astre en retard. De même sur tout astre enretard, la sonde ferait découvrir le passé de l’astre en avance.Question de phase et d’évolution toujours. – Passons[11].

Vénus est sans contredit l’astre qui serapproche le plus de la terre par toutes ses conditions physiques.Si une conviction profonde pouvait être un argument en matièrescientifique, je n’hésiterais pas à prétendre que le voyageurtransporté tout à coup de notre globe dans Vénus ne s’y trouveraitpas plus désorienté que si on l’avait conduit, les yeux bandés,dans une autre région de la Terre. Même quantité de vie, à très-peuprès, partant même matière, même nature, mêmes habitants, peut-êtreun peu en avance sur la Terre.

Voici ce que dit la théorie ; or,l’observation le confirme de tous points. On découvre desmontagnes, une atmosphère absolument comme sur notre globe desvents alizés comme dans nos régions équatoriales. Les habitantsdoivent donc présenter une identité à peu près complète avec nous,et si l’on creusait Vénus, on y retrouverait vraisemblablement lamême série d’êtres que dans la Terre. Les organismes s’y sontdéveloppés parallèlement. Nées et vivant en même temps, Vénus et laTerre mourront en même temps.

La Terre, comme la planète précédente, estencore dans les premières phases de son évolution ; elle estjeune, elle est adolescente ; peut-être n’a-t elle que vingt àvingt-cinq ans. C’est à peine si la quantité de mouvement qu’ellepossédait est devenue assez petite pour permettre l’existenced’êtres supérieurs ; la série de ses êtres ira encorelongtemps sans doute en se perfectionnant, car, il est bon de ledire en passant, quand un astre s’est assez refroidi pour que lasolidification de sa surface ait eu lieu, la déperdition decalorique n’a plus lieu qu’avec une extrême lenteur, et l’on peutmême ajouter, pour ce qui nous concerne, que, depuis les tempshistoriques, la Terre n’a pas perdu de chaleur.

Ici, pour la première fois, nous trouvons unsatellite, la Lune. La Terre fut pour la Lune ce que le Soleil estmaintenant pour la Terre. À l’origine, la Terre était le soleil dela Lune, et la Lune une petite planète éclairée par ce soleilsecondaire. Depuis, la petite planète a vécu, elle a traversé unepartie des phases de son existence, et quand la Terre est descendueau rang de planète, elle est descendue elle-même au rang desatellite.

La Lune est vieille ; sa masse est 1/80de celle de la Terre ; elle a donc vécu à peu près 80 foisplus vite ; elle doit être solidifiée en grande partie ettrès-refroidie. Nous placerons ici une observation qui a sonimportance et qui a trait au meilleur indice peut-être de l’âgeavancé d’un astre ; nous voulons parler de l’atmosphère.

Qu’est-ce que l’atmosphère des astres ? –Messieurs, je considère cette enveloppe fluide comme le résidu, lafumée des réactions chimiques internes qui ont formé l’astre ;au moment de la solidification, les vapeurs les plus légèress’échappaient par les fissures et s’élevaient au-dessus des vapeurssusceptibles de se condenser et de produire le sol primitif.L’atmosphère a dû être constituée à l’origine par des composéscomplexes qui, à mesure du refroidissement, se sont agrégésdavantage et sont devenus ou solides ou liquides.

Il s’est produit ainsi progressivement untriage, une épuration, et il n’est plus resté au-dessus de l’écorceque les composés les plus élémentaires, que ceux qui étaient enexcès pour entrer en combinaison rapide, ou que leur faible densitééloignait de la surface. Ces composés fluides se condensent tousles jours un peu, en raison du refroidissement, mais si peu quenous ne saurions encore nous en apercevoir.

En outre, ils pénètrent insensiblement dudehors au dedans par un phénomène d’endomose, et ils se combinentlentement avec les matériaux intérieurs, si bien que touteatmosphère est destinée à se condenser, à se réduire de plus enplus et à disparaître tout à fait à la longue. Donc, tout astrejeune a une atmosphère complexe et dense ; tout astre vieuxn’en doit plus conserver que des traces.

Ne vous étonnez donc pas de rencontrer dansVénus et la Terre une atmosphère assez pure et peu dense ; nevous étonnez pas davantage de n’en plus trouver trace dans laLune ; elle doit être si peu dense et si peu haute qu’ellepeut échapper à nos observations. Du reste, un calcul approximatifet grossier peut tout au moins nous fournir sur ce point quelqueséclaircissements.

On peut admettre, sans s’éloigner beaucoup dela vérité, que quelles qu’eussent été au début les atmosphèreslunaire et terrestre, leurs hauteurs respectives sont restéesproportionnelles aux rayons de chaque astre et inversementproportionnelles à leur pesanteur, à leur densité et à leurmasse.

En soumettant au calcul ces données, on trouveque la hauteur de l’atmosphère lunaire doit être à peu prèsquatre-vingt fois moindre maintenant que celle de l’atmosphèreterrestre[12].

Or, la hauteur de l’atmosphère terrestre estévaluée à environ 30 lieues au moins[13].L’atmosphère lunaire aurait donc encore environ 1500 mètres. Iln’en est pas moins tout simple que nous n’en apercevions plustrace. La densité doit être si faible en effet, qu’elle doitcorrespondre à celle de l’air qui reste dans nos machinespneumatiques quand nous y avons fait le vide.

L’atmosphère de la Lune baigne la base de seshautes montagnes[14] comme lamer baigne nos côtes. Encore des milliers d’années et tout gazlunaire aura été absorbé dans la masse de l’astre.

La vieillesse de la Lune est encore attestéepar sa densité. La force d’agrégation sur notre satellite est, àquantité de mouvement égale, beaucoup plus petite que celle de laTerre, et cependant sa densité est trois quand celle de notreplanète est cinq. Ceci résulte du grand refroidissement, de lagrande quantité de perte de mouvement.

La Lune est-elle habitée ? Je ne le pensepas. L’a-t-elle été ? J’en suis convaincu. Les organismes onttoujours dû y être soumis à des pressions plus faibles que surterre ; ils ont dû apparaître plus tard que sur terre àrefroidissement égal ; ils ont de même dû disparaître plustard. Les liquides, en effet, n’ont pu se former qu’à unetempérature plus basse que sur terre et les solides se constituer àune température également plus basse. Enfin, tout porte à croireque l’existence y étant plus rapide, les êtres ont dû y être plusinférieurs, plus petits, plus délicats.

Nous ne pensons pas qu’il en existe encore,car il n’y a plus de liquides[15] à lasurface lunaire ; et s’il en existe, ils ne peuvent appartenirqu’aux derniers rangs de la création organique, peut-être desorganismes enfoncés profondément dans le sol qui ont encore échappéà la congélation.

C’est le cas de faire observer ici qu’endehors de la chaleur propre d’un astre, il faut tenir compte de lachaleur rayonnée par l’astre éclairant : or, il est biencertain que le refroidissement lunaire aura été longtemps tempérépar le voisinage de la Terre, puis ensuite et encore maintenant parle rayonnement solaire ; les résultats qui précèdent n’offrentdonc qu’une simple et primitive approximation.

Cette remarque a de la valeur à mes yeux, caril semble que le développement de la vie dépende beaucoup aussi dela somme de mouvement envoyée de l’astre principal.

Je demande pardon à l’assemblée si jedéveloppe aussi longuement ces considérations, mais elles touchentdirectement le sujet, et je suis heureux d’exposer mes vues et deles soumettre au contrôle des premières illustrations scientifiquesdu nouveau monde. C’était peut-être pour moi une occasion unique,et j’en profite. Demain j’examinerai les conditions d’habitabilitéde Mars, celle de toutes les planètes qui semblent le plusintéresser le débat.

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