Zaïre

Scène I

OROSMANE, CORASMIN.

OROSMANE.

Vous étiez, Corasmin, trompé par vos alarmes;
Non, Louis contre moi ne tourne point ses armes;
Les Français sont lassés de chercher désormais
Des climats que pour eux le destin n’a point faits;
Ils n’abandonnent point leur fertile patrie,
Pour languir aux déserts de l’aride Arabie,
Et venir arroser de leur sang odieux
Ces palmes, que pour nous Dieu fait croître en ceslieux.
Ils couvrent de vaisseaux la mer de la Syrie.
Louis, des bords de Chypre, épouvante l’Asie;
Mais j’apprends que ce roi s’éloigne de nos ports;
De la féconde Égypte il menace les bords;
J’en reçois à l’instant la première nouvelle;
Contre les mamelucs son courage l’appelle;
Il cherche Méledin, mon secret ennemi;
Sur leurs divisions mon trône est affermi.
Je ne crains plus enfin l’Égypte ni la France.
Nos communs ennemis cimentent ma puissance,
Et, prodigues d’un sang qu’ils devraient ménager,
Prennent en s’immolant le soin de me venger.
Relâche ces chrétiens, ami, je les délivre;
Je veux plaire à leur maître, et leur permets de vivre:
Je veux que sur la mer on les mène à leur roi,
Que Louis me connaisse, et respecte ma foi.
Mène-lui Lusignan; dis-lui que je lui donne
Celui que la naissance allie à sa couronne;
Celui que par deux fois mon père avait vaincu,
Et qu’il tint enchaîné, tandis qu’il a vécu.

CORASMIN.

Son nom cher aux chrétiens…

OROSMANE.

Son nom n’est point à craindre.

CORASMIN.

Mais, seigneur, si Louis…

OROSMANE.

Il n’est plus temps de feindre,
Zaïre l’a voulu; c’est assez: et mon coeur,
En donnant Lusignan, le donne à mon vainqueur.
Louis est peu pour moi; je fais tout pour Zaïre;
Nul autre sur mon coeur n’aurait pris cet empire.
Je viens de l’affliger, c’est à moi d’adoucir
Le déplaisir mortel qu’elle a dû ressentir
Quand, sur les faux avis des desseins de la France,
J’ai fait à ces chrétiens un peu de violence.
Que dis-je? ces moments, perdus dans mon conseil,
Ont de ce grand hymen suspendu l’appareil:
D’une heure encore, ami, mon bonheur se diffère;
Mais j’emploierai du moins ce temps à lui complaire.
Zaïre ici demande un secret entretien
Avec ce Nérestan, ce généreux chrétien…

CORASMIN.

Et vous avez, seigneur, encor cette indulgence?

OROSMANE.

Ils ont été tous deux esclaves dans l’enfance;
Ils ont porté mes fers, ils ne se verront plus;
Zaïre enfin de moi n’aura point un refus.
Je ne m’en défends point; je foule aux pieds pour elle
Des rigueurs du sérail la contrainte cruelle.
J’ai méprisé ces lois dont l’âpre austérité
Fait d’une vertu triste une nécessité.
Je ne suis point formé du sang asiatique:
Né parmi les rochers, au sein de la Taurique,
Des Scythes mes aïeux je garde la fierté,
Leurs moeurs, leurs passions, leur générosité:
Je consens qu’en partant Nérestan la revoie;
Je veux que tous les coeurs soient heureux de ma joie.
Après ce peu d’instants, volés à mon amour,
Tous ses moments, ami, sont à moi sans retour.
Va, ce chrétien attend, et tu peux l’introduire.
Presse son entretien, obéis à Zaïre.

 

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