Scène III
ZAÏRE, FATIME.
ZAÏRE.
Lis ce billet: hélas! dis-moi ce qu’il faut faire;
Je voudrais obéir aux ordres de mon frère.
FATIME.
Dites plutôt, madame, aux ordres éternels
D’un Dieu qui vous demande au pied de ses autels.
Ce n’est point Nérestan, c’est Dieu qui vous appelle.
ZAÏRE.
Je le sais, à sa voix je ne suis point rebelle,
J’en ai fait le serment: mais puis-je m’engager,
Moi, les chrétiens, mon frère, en un si grand danger?
FATIME.
Ce n’est point leur danger dont vous êtes troublée;
Votre amour parle seul à votre âme ébranlée.
Je connais votre coeur; il penserait comme eux,
Il hasarderait tout, s’il n’était amoureux.
Ah! connaissez du moins l’erreur qui vous engage.
Vous tremblez d’offenser l’amant qui vous outrage!
Quoi! ne voyez-vous pas toutes ses cruautés,
Et l’âme d’un Tartare à travers ses bontés?
Ce tigre, encor farouche au sein de sa tendresse,
Même en vous adorant, menaçait sa maîtresse…
Et votre coeur encor ne s’en peut détacher?
Vous soupirez pour lui?
ZAÏRE.
Qu’ai-je à lui reprocher?
C’est moi qui l’offensais, moi qu’en cette journée
Il a vu souhaiter ce fatal hyménée;
Le trône était tout prêt, le temple était paré,
Mon amant m’adorait, et j’ai tout différé.
Moi, qui devais ici trembler sous sa puissance,
J’ai de ses sentiments bravé la violence;
J’ai soumis son amour, il fait ce que je veux,
Il m’a sacrifié ses transports amoureux.
FATIME.
Ce malheureux amour, dont votre âme est blessée,
Peut-il en ce moment remplir votre pensée?
ZAÏRE.
Ah! Fatime, tout sert à me désespérer:
Je sais que du sérail rien ne peut me tirer;
Je voudrais des chrétiens voir l’heureuse contrée,
Quitter ce lieu funeste à mon âme égarée;
Et je sens qu’à l’instant, prompte à me démentir,
Je fais des voeux secrets pour n’en jamais sortir.
Quel état! quel tourment! Non, mon âme inquiète
Ne sait ce qu’elle doit, ni ce qu’elle souhaite;
Une terreur affreuse est tout ce que je sens.
Dieu! détourne de moi ces noirs pressentiments;
Prends soin de nos chrétiens, et veille sur mon frère!
Prends soin, du haut des cieux, d’une tête si chère!
Oui, je le vais trouver, je lui vais obéir:
Mais dès que de Solyme il aura pu partir,
Par son absence alors à parler enhardie,
J’apprends à mon amant le secret de ma vie:
Je lui dirai le culte où mon coeur est lié;
Il lira dans ce coeur, il en aura pitié.
Mais dussé-je au supplice être ici condamnée,
Je ne trahirai point le sang dont je suis née.
Va, tu peux amener mon frère dans ces lieux.
Rappelle cet esclave.