Zaïre

Scène VI

 

OROSMANE, ZAÏRE.

ZAÏRE.

Seigneur, vous m’étonnez; quelle raison soudaine,
Quel ordre si pressant près de vous me ramène?

OROSMANE.

Eh bien! madame, il faut que vous m’éclaircissiez:
Cet ordre est important plus que vous ne croyez;
Je me suis consulté… Malheureux l’un par l’autre,
Il faut régler, d’un mot, et mon sort et le vôtre.
Peut-être qu’en effet ce que j’ai fait pour vous,
Mon orgueil oublié, mon sceptre à vos genoux,
Mes bienfaits, mon respect, mes soins, ma confiance,
Ont arraché de vous quelque reconnaissance.
Votre coeur, par un maître attaqué chaque jour,
Vaincu par mes bienfaits, crut l’être par l’amour.
Dans votre âme, avec vous, il est temps que je lise;
Il faut que ses replis s’ouvrent à ma franchise;
Jugez-vous: répondez avec la vérité
Que vous devez au moins à ma sincérité.
Si de quelque autre amour l’invincible puissance
L’emporte sur mes soins, ou même les balance,
Il faut me l’avouer, et dans ce même instant,
Ta grâce est dans mon coeur; prononce, elle t’attend;
Sacrifie à ma foi l’insolent qui t’adore:
Songe que je te vois, que je te parle encore,
Que ma foudre à ta voix pourra se détourner,
Que c’est le seul moment où je peux pardonner.

ZAÏRE.

Vous, seigneur! vous osez me tenir ce langage!
Vous, cruel! Apprenez que ce coeur qu’on outrage,
Et que par tant d’horreurs le ciel veut éprouver,
S’il ne vous aimait pas, est né pour vous braver.
Je ne crains rien ici que ma funeste flamme;
N’imputez qu’à ce feu qui brûle encor mon âme,
N’imputez qu’à l’amour, que je dois oublier,
La honte où je descends de me justifier.
J’ignore si le ciel, qui m’a toujours trahie,
A destiné pour vous ma malheureuse vie.
Quoi qu’il puisse arriver, je jure par l’honneur,
Qui, non moins que l’amour, est gravé dans mon coeur,
Je jure que Zaïre, à soi-même rendue,
Des rois les plus puissants détesterait la vue;
Que tout autre, après vous, me serait odieux.
Voulez-vous plus savoir, et me connaître mieux?
Voulez-vous que ce coeur, à l’amertume en proie,
Ce coeur désespéré devant vous se déploie?
Sachez donc qu’en secret il pensait malgré lui
Tout ce que devant vous il déclare aujourd’hui;
Qu’il soupirait pour vous, avant que vos tendresses
Vinssent justifier mes naissantes faiblesses;
Qu’il prévint vos bienfaits, qu’il brûlait à vos pieds,
Qu’il vous aimait enfin, lorsque vous m’ignoriez;
Qu’il n’eut jamais que vous, n’aura que vous pourmaître.
J’en atteste le ciel, que j’offense peut-être;
Et si j’ai mérité son éternel courroux,
Si mon coeur fut coupable, ingrat, c’était pour vous.

OROSMANE.

Quoi! des plus tendres feux sa bouche encor m’assure
Quel excès de noirceur! Zaïre!… Ah, la parjure!
Quand de sa trahison j’ai la preuve en ma main!

ZAÏRE.

Que dites-vous? Quel trouble agite votre sein?

OROSMANE.

Je ne suis point troublé. Vous m’aimez?

ZAÏRE.

Votre bouche
Peut-elle me parler avec ce ton farouche
D’un feu si tendrement déclaré chaque jour?
Vous me glacez de crainte en me parlant d’amour.

OROSMANE.

Vous m’aimez?

ZAÏRE.

Vous pouvez douter de ma tendresse!
Mais, encore une fois, quelle fureur vous presse?
Quels regards effrayants vous me lancez! hélas!
Vous doutez de mon coeur?

OROSMANE.

Non, je n’en doute pas.
Allez, rentrez, madame.

 

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