Zaïre

Scène X

 

OROSMANE, ZAÏRE, NÉRESTAN,
CORASMIN, FATIME, ESCLAVES.

OROSMANE.

Approche, malheureux, qui viens de m’arracher,
De m’ôter pour jamais ce qui me fut si cher;
Méprisable ennemi, qui fais encor paraître
L’audace d’un héros avec l’âme d’un traître;
Tu m’imposais ici pour me déshonorer.
Va, le prix en est prêt, tu peux t’y préparer.
Tes maux vont égaler les maux où tu m’exposes,
Et ton ingratitude, et l’horreur que tu causes.
Avez-vous ordonné son supplice?

CORASMIN.

Oui, seigneur.

OROSMANE.

Il commence déjà dans le fond de ton coeur.
Tes yeux cherchent partout, et demandent encore
La perfide qui t’aime, et qui me déshonore.
Regarde, elle est ici.

NÉRESTAN.

Que dis-tu? Quelle erreur?

OROSMANE.

Regarde-la, te dis-je.

NÉRESTAN.

Ah! que vois-je! Ah, ma soeur!
Zaïre!… elle n’est plus! Ah, monstre! Ah, jour horrible!

OROSMANE.

Sa soeur! Qu’ai-je entendu? Dieu! serait-il possible?

NÉRESTAN.

Barbare, il est trop vrai; viens épuiser mon flanc
Du reste infortuné de cet auguste sang.
Lusignan, ce vieillard, fut son malheureux père;
Il venait dans mes bras d’achever sa misère,
Et d’un père expiré j’apportais en ces lieux
La volonté dernière, et les derniers adieux;
Je venais, dans un coeur trop faible et trop sensible,
Rappeler des chrétiens le culte incorruptible.
Hélas elle offensait notre Dieu, notre loi;
Et ce Dieu la punit d’avoir brûlé pour toi.

OROSMANE.

Zaïre!… Elle m’aimait? Est-il bien vrai, Fatime?
Sa soeur?… J’étais aimé?

FATIME.

Cruel voilà son crime.
Tigre altéré de sang, tu viens de massacrer
Celle qui, malgré soi constante à t’adorer,
Se flattait, espérait que le Dieu de ses pères
Recevrait le tribut de ses larmes sincères,
Qu’il verrait en pitié cet amour malheureux,
Que peut-être il voudrait vous réunir tous deux.
Hélas! à cet excès son coeur l’avait trompée;
De cet espoir trop tendre elle était occupée;
Tu balançais son Dieu dans son coeur alarmé.

OROSMANE.

Tu m’en as dit assez. O ciel! j’étais aimé!
Va, je n’ai pas besoin d’en savoir davantage…

NÉRESTAN.

Cruel! qu’attends-tu donc pour assouvir ta rage?
Il ne reste que moi de ce sang glorieux
Dont ton père et ton bras ont inondé ces lieux;
Rejoins un malheureux à sa triste famille,
Au héros dont tu viens d’assassiner la fille.
Tes tourments sont-ils prêts? Je puis braver tes coups;
Tu m’as fait éprouver le plus cruel de tous.
Mais la soif de mon sang, qui toujours te dévore,
Permet-elle à l’honneur de te parler encore?
En m’arrachant le jour, souviens-toi des chrétiens
Dont tu m’avais juré de briser les liens;
Dans sa férocité, ton coeur impitoyable
De ce trait généreux serait-il bien capable?
Parle; à ce prix encor je bénis mon trépas.

OROSMANE, allant vers le corps de Zaïre.

Zaïre!

CORASMIN.

Hélas!seigneur, où portez-vous vos pas?
Rentrez, trop de douleur de votre âme s’empare;
Souffrez que Nérestan…

NÉRESTAN.

Qu’ordonnes-tu, barbare?

OROSMANE, après une longue pause.

Qu’on détache ses fers. Écoutez, Corasmin,
Que tous ses compagnons soient délivrés soudain.
Aux malheureux chrétiens prodiguez mes largesses;
Comblés de mes bienfaits, chargés de mes richesses,
Jusqu’au port de Joppé vous conduirez leurs pas.

CORASMIN.

Mais, seigneur…

OROSMANE.

Obéis, et ne réplique pas;
Vole, et ne trahis point la volonté suprême
D’un soudan qui commande, et d’un ami qui t’aime;
Va, ne perds point de temps, sors, obéis…
(A Nérestan.)
Et toi,
Guerrier infortuné, mais moins encor que moi,
Quitte ces lieux sanglants; remporte en ta patrie
Cet objet que ma rage a privé de la vie.
Ton roi, tous tes chrétiens, apprenant tes malheurs,
N’en parleront jamais sans répandre des pleurs.
Mais si la vérité par toi se fait connaître,
En détestant mon crime, on me plaindra peut-être.
Porte aux tiens ce poignard, que mon bras égaré
A plongé dans un sein qui dût m’être sacré;
Dis-leur que j’ai donné la mort la plus affreuse
A la plus digne femme, à la plus vertueuse,
Dont le ciel ait formé les innocents appas;
Dis-leur qu’à ses genoux j’avais mis mes États;
Dis-leur que dans son sang cette main s’est plongée;
Dis que je l’adorais, et que je l’ai vengée.
(Il se tue.)
(Aux siens.)
Respectez ce héros, et conduisez ses pas.

NÉRESTAN.

Guide-moi, Dieu puissant! je ne me connais pas.
Faut-il qu’à l’admirer ta fureur me contraigne.
Et que dans mon malheur ce soit moi qui te plaigne!

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer