Zaïre

Scène IV

 

ZAÏRE, NÉRESTAN.

NÉRESTAN.

Ma soeur, je puis donc vous parler;
Ah! dans quel temps le ciel nous voulut rassembler!
Vous ne reverrez plus un trop malheureux père.

ZAÏRE.

Dieu! Lusignan?…

NÉRESTAN.

Il touche à son heure dernière.
Sa joie, en nous voyant, par de trop grands efforts,
De ses sens affaiblis a rompu les ressorts;
Et cette émotion dont son âme est remplie,
A bientôt épuisé les sources de sa vie.
Mais, pour comble d’horreurs, à ces derniers moments,
Il doute de sa fille et de ses sentiments;
Il meurt dans l’amertume, et son âme incertaine
Demande en soupirant si vous êtes chrétienne.

ZAÏRE.

Quoi! je suis votre soeur, et vous pouvez penser
Qu’à mon sang, à ma loi, j’aille ici renoncer?

NÉRESTAN.

Ah! ma soeur, cette loi n’est pas la vôtre encore;
Le jour qui vous éclaire est pour vous à l’aurore;
Vous n’avez point reçu ce gage précieux
Qui nous lave du crime, et nous ouvre les cieux.
Jurez par nos malheurs, et par votre famille,
Par ces martyrs sacrés de qui vous êtes fille,
Que vous voulez ici recevoir aujourd’hui
Le sceau du Dieu vivant qui nous attache à lui.

ZAÏRE.

Oui, je jure en vos mains, par ce Dieu que j’adore,
Par sa loi que je cherche, et que mon coeur ignore,
De vivre désormais sous cette sainte loi…
Mais, mon cher frère… hélas! que veut-elle de moi?
Que faut-il?

NÉRESTAN.

Détester l’empire de vos maîtres,
Servir, aimer ce Dieu qu’ont aimé nos ancêtres,
Qui, né près de ces murs, est mort ici pour nous,
Qui nous a rassemblés, qui m’a conduit vers vous.
Est-ce à moi d’en parler? Moins instruit que fidèle,
Je ne suis qu’un soldat, et je n’ai que du zèle.
Un pontife sacré viendra jusqu’en ces lieux
Vous apporter la vie, et dessiller vos yeux.
Songez à vos serments, et que l’eau du baptême
Ne vous apporte point la mort et l’anathème.
Obtenez qu’avec lui je puisse revenir.
Mais à quel titre, ô ciel! faut-il donc l’obtenir?
A qui le demander dans ce sérail profane?…
Vous, le sang de vingt rois, esclave d’Orosmane!
Parente de Louis, fille de Lusignan!
Vous chrétienne, et ma soeur, esclave d’un soudan!
Vous m’entendez… je n’ose en dire davantage:
Dieu, nous réserviez-vous à ce dernier outrage?

ZAÏRE.

Ah! cruel, poursuivez, vous ne connaissez pas
Mon secret, mes tourments, mes voeux, mes attentats.
Mon frère, ayez pitié d’une soeur égarée,
Qui brûle, qui gémit, qui meurt désespérée.
Je suis chrétienne, hélas!… j’attends avec ardeur
Cette eau sainte, cette eau qui peut guérir mon coeur.
Non, je ne serai point indigne de mon frère,
De mes aïeux, de moi, de mon malheureux père.
Mais parlez à Zaïre, et ne lui cachez rien;
Dites… quelle est la loi de l’empire chrétien?…
Quel est le châtiment pour une infortunée
Qui, loin de ses parents, aux fers abandonnée,
Trouvant chez un barbare un généreux appui,
Aurait touché son âme, et s’unirait à lui?

NÉRESTAN.

O ciel! que dites-vous? Ah! la mort la plus prompte
Devrait…

ZAÏRE.

C’en est assez; frappe, et préviens la honte.

NÉRESTAN.

Qui? vous? ma soeur!

ZAÏRE.

C’est moi que je viens d’accuser.
Orosmane m’adore,… et j’allais l’épouser.

NÉRESTAN.

L’épouser! est-il vrai, ma soeur? est-ce vous-même?
Vous, la fille des rois?

ZAÏRE.

Frappe, dis-je; je l’aime.

NÉRESTAN.

Opprobre malheureux du sang dont vous sortez,
Vous demandez la mort, et vous la méritez:
Et si je n’écoutais que ta honte et ma gloire,
L’honneur de ma maison, mon père, sa mémoire;
Si la loi de ton Dieu, que tu ne connais pas,
Si ma religion ne retenait mon bras,
J’irais dans ce palais, j’irais, au moment même,
Immoler de ce fer un barbare qui t’aime,
De son indigne flanc le plonger dans le tien,
Et ne l’en retirer que pour percer le mien.
Ciel! tandis que Louis, l’exemple de la terre,
Au Nil épouvanté ne va porter la guerre
Que pour venir bientôt, frappant des coups plus sûrs,
Délivrer ton Dieu même, et lui rendre ces murs:
Zaïre, cependant, ma soeur, son alliée,
Au tyran d’un sérail par l’hymen est liée!
Et je vais donc apprendre à Lusignan trahi!
Qu’un Tartare est le Dieu que sa fille a choisi!
Dans ce moment affreux, hélas! ton père expire,
En demandant à Dieu le salut de Zaïre.

ZAÏRE.

Arrête, mon cher frère… arrête, connais-moi;
Peut-être que Zaïre est digne encor de toi.
Mon frère, épargne-moi cet horrible langage;
Ton courroux, ton reproche est un plus grand outrage,
Plus sensible pour moi, plus dur que ce trépas
Que je te demandais, et que je n’obtiens pas.
L’état où tu me vois accable ton courage;
Tu souffres, je le vois; je souffre davantage.
Je voudrais que du ciel le barbare secours
De mon sang, dans mon coeur, eût arrêté le cours,
Le jour qu’empoisonné d’une flamme profane,
Ce pur sang des chrétiens brûla pour Orosmane,
Le jour que de ta soeur Orosmane charmé…
Pardonnez-moi, chrétiens; qui ne l’aurait aimé!
Il faisait tout pour moi; son coeur m’avait choisie;
Je voyais sa fierté pour moi seule adoucie.
C’est lui qui des chrétiens a ranimé l’espoir;
C’est à lui que je dois le bonheur de te voir:
Pardonne; ton courroux, mon père, ma tendresse,
Mes serments, mon devoir, mes remords, ma faiblesse,
Me servent de supplice, et ta soeur en ce jour
Meurt de son repentir plus que de son amour.

NÉRESTAN.

Je te blâme, et te plains; crois-moi, la Providence
Ne te laissera point périr sans innocence:
Je te pardonne, hélas! ces combats odieux;
Dieu ne t’a point prêté son bras victorieux.
Ce bras, qui rend la force aux plus faibles courages,
Soutiendra ce roseau plié par les orages.
Il ne souffrira pas qu’à son culte engagé,
Entre un barbare et lui ton coeur soit partagé.
Le baptême éteindra ces feux dont il soupire,
Et tu vivras fidèle, ou périras martyre.
Achève donc ici ton serment commencé
Achève, et dans l’horreur dont ton coeur est pressé,
Promets au roi Louis, à l’Europe, à ton père,
Au Dieu qui déjà parle à ce coeur si sincère,
De ne point accomplir cet hymen odieux
Avant que le pontife ait éclairé tes yeux,
Avant qu’en ma présence il te fasse chrétienne,
Et que Dieu par ses mains t’adopte et te soutienne.
Le promets-tu, Zaïre?…

ZAÏRE.

Oui, je te le promets:
Rends-moi chrétienne et libre; à tout je me soumets.
Va, d’un père expirant va fermer la paupière;
Va, je voudrais te suivre, et mourir la première.

NÉRESTAN.

Je pars; adieu, ma soeur, adieu: puisque mes voeux
Ne peuvent t’arracher à ce palais honteux,
Je reviendrai bientôt par un heureux baptême
T’arracher aux enfers, et te rendre à toi-même.

 

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