Zaïre

Scène II

 

OROSMANE, ZAÏRE.

OROSMANE.

Madame, il fut un temps où mon âme charmée,
Écoutant sans rougir des sentiments trop chers,
Se fit une vertu de languir dans vos fers.
Je croyais être aimé, madame, et votre maître,
Soupirant à vos pieds, devait s’attendre à l’être:
Vous ne m’entendrez point, amant faible et jaloux,
En reproches honteux éclater contre vous;
Cruellement blessé, mais trop fier pour me plaindre,
Trop généreux, trop grand pour m’abaisser à feindre,
Je viens vous déclarer que le plus froid mépris
De vos caprices vains sera le digne prix.
Ne vous préparez point à tromper ma tendresse,
A chercher des raisons dont la flatteuse adresse,
A mes yeux éblouis colorant vos refus,
Vous ramène un amant qui ne vous connaît plus,
Et qui, craignant surtout qu’à rougir on l’expose,
D’un refus outrageant veut ignorer la cause.
Madame, c’en est fait, une autre va monter
Au rang que mon amour vous daignait présenter;
Une autre aura des yeux, et va du moins connaître
De quel prix mon amour et ma main devaient être.
Il pourra m’en coûter, mais mon coeur s’y résout.
Apprenez qu’Orosmane est capable de tout;
Que j’aime mieux vous perdre, et, loin de votre vue,
Mourir désespéré de vous avoir perdue,
Que de vous posséder, s’il faut qu’à votre foi
Il en coûte un soupir qui ne soit pas pour moi.
Allez, mes yeux jamais ne reverront vos charmes.

ZAÏRE.

Tu m’as donc tout ravi, Dieu témoin de mes larmes!
Tu veux commander seul à mes sens éperdus…
Eh bien! puisqu’il est vrai que vous ne m’aimez plus,
Seigneur…

OROSMANE.

Il est trop vrai que l’honneur me l’ordonne,
Que je vous adorai, que je vous abandonne,
Que je renonce à vous, que vous le désirez,
Que sous une autre loi… Zaïre, vous pleurez?

ZAÏRE.

Ah! seigneur! ah! du moins, gardez de jamais croire
Que du rang d’un soudan je regrette la gloire;
Je sais qu’il faut vous perdre, et mon sort l’a voulu:
Mais, seigneur, mais mon coeur ne vous est pas connu.
Me punisse à jamais ce ciel qui me condamne,
Si je regrette rien que le coeur d’Orosmane!

OROSMANE.

Zaïre, vous m’aimez!

ZAÏRE.

Dieu! si je l’aime, hélas!

OROSMANE.

Quel caprice étonnant, que je ne conçois pas!
Vous m’aimez! Eh! pourquoi vous forcez-vous, cruelle,
A déchirer le coeur d’un amant si fidèle?
Je me connaissais mal; oui, dans mon désespoir,
J’avais cru sur moi-même avoir plus de pouvoir.
Va, mon coeur est bien loin d’un pouvoir si funeste.
Zaïre, que jamais la vengeance céleste
Ne donne à ton amant, enchaîné sous ta loi,
La force d’oublier l’amour qu’il a pour toi!
Qui? moi? que sur mon trône une autre fût placée!
Non, je n’en eus jamais la fatale pensée.
Pardonne à mon courroux, à mes sens interdits,
Ces dédains affectés, et si bien démentis;
C’est le seul déplaisir que jamais, dans ta vie,
Le ciel aura voulu que ta tendresse essuie.
Je t’aimerai toujours… Mais d’où vient que ton coeur
En partageant mes feux, différait mon bonheur?
Parle. Était-ce un caprice? est-ce crainte d’un maître,
D’un soudan, qui pour toi veut renoncer à l’être?
Serait-ce un artifice? épargne-toi ce soin;
L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin
Qu’il ne souille jamais le saint noeud qui nous lie!
L’art le plus innocent tient de la perfidie.
Je n’en connus jamais; et mes sens déchirés,
Pleins d’un amour si vrai…

ZAÏRE.

Vous me désespérez.
Vous m’êtes cher, sans doute, et ma tendresse extrême
Est le comble des maux pour ce coeur qui vous aime.

OROSMANE.

O ciel! expliquez-vous. Quoi! toujours me troubler?
Se peut-il?…

ZAÏRE.

Dieu puissant, que ne puis-je parler!

OROSMANE.

Quel étrange secret me cachez-vous, Zaïre?
Est-il quelque chrétien qui contre moi conspire?
Me trahit-on? parlez.

ZAÏRE.

Eh! peut-on vous trahir?
Seigneur, entre eux et vous vous me verriez courir:
On ne vous trahit point, pour vous rien n’est àcraindre;
Mon malheur est pour moi, je suis la seule à plaindre.

OROSMANE.

Vous, à plaindre! grand Dieu!

ZAÏRE.

Souffrez qu’à vos genoux
Je demande en tremblant une grâce de vous.

OROSMANE.

Une grâce! ordonnez, et demandez ma vie.

ZAÏRE.

Plût au ciel qu’à vos jours la mienne fût unie!
Orosmane… Seigneur… permettez qu’aujourd’hui,
Seule, loin de vous-même, et toute à mon ennui,
D’un oeil plus recueilli contemplant ma fortune,
Je cache à votre oreille une plainte importune…
Demain, tous mes secrets vous seront révélés.

OROSMANE.

De quelle inquiétude, ô ciel! vous m’accablez:
Pouvez-vous?…

ZAÏRE.

Si pour moi l’amour vous parle encore,
Ne me refusez pas la grâce que j’implore.

OROSMANE

Eh bien! il faut vouloir tout ce que vous voulez;
J’y consens; il en coûte à mes sens désolés.
Allez, souvenez-vous que je vous sacrifie
Les moments les plus beaux, les plus chers de ma vie.

ZAÏRE.

En me parlant ainsi, vous me percez le coeur.

OROSMANE.

Eh bien! vous me quittez, Zaïre?

ZAÏRE.

Hélas! seigneur.

 

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