Le Château dangereux

Le Château dangereux

de Sir Walter Scott

Lorsque je m’arrêtai près de la tour sans toiture, où la fleur sauvage parfume l’air humide, où le hibou se plaint dans son berceau de lierre, et dit l’heure de minuit à la clarté de la lune ; les vents dormaient, l’air était assoupi,les étoiles brillaient immobiles dans les cieux ; le renard hurlait sur la colline, et les échos lointains du vallon répétaient ses cris.

ROBERT BURNE

Chapitre 1 Les Deux Voyageurs.

On a vu des armées prendre la fuite à ce terrible nom : oui, le nom de Douglas mort a gagné des batailles.

John Home.
C’était à la fin d’un des premiers jours d’automne, où la nature, dans une froide province d’Écosse, se réveillait de son sommeil de l’hiver, et où l’air du moins, sinon encore la végétation, donnait cette promesse d’un adoucissement dans la rigueur de la saison. On vit deux voyageurs dont l’apparence, à cette époque reculée, annonçait suffisamment la vie errante qui, en général, assurait un libre passage à travers un pays même dangereux. Ils venaient du sud-ouest, à peu de milles du château de Douglas, et faisaient route, à ce qu’il semblait, dans la direction de la rivière de ce nom, dont la petite vallée facilitait l’approche de cette fameuse forteresse féodale. Ce cours d’eau, petit en comparaison de l’étendue de sa renommée, servait comme d’égout aux campagnes du voisinage, et en même temps procurait les moyens d’arriver, quoique par une voie difficile, auvillage et au château. Les hauts-seigneurs à qui ce château avaitappartenu durant des siècles auraient pu sans doute, s’ilsl’avaient voulu, rendre cette route plus unie et pluscommode ; mais ils n’avaient encore que bien peu brillé cesgénies qui, par la suite, ont appris à tout le monde qu’il vautmieux prendre le chemin le plus long en faisant un circuit autourdu pied de la montagne, que la gravir en ligne droite d’un côté, etla descendre directement de l’autre, sans s’écarter d’un seul paspour suivre un chemin plus aisé ; moins encore songeait-on àces merveilles qui sont dernièrement sorties du cerveau de MacAdam. Mais, à dire vrai, comment les anciens Douglas auraient-ilspu appliquer ses théories, quand même ils les eussent connues aussiperfectionnées qu’elles le sont aujourd’hui ? Les machinesservant au transport des objets et munies de roues, excepté dugenre le plus grossier et pour les plus simples opérations del’agriculture, étaient absolument inconnues. La femme même la plusdélicate n’avait pour toute ressource qu’un cheval, ou, en cas degrave indisposition, une litière. Les hommes se servaient de leursmembres vigoureux ou de robustes chevaux pour se transporter d’unlieu dans un autre ; et les voyageurs, les voyageusesparticulièrement, n’éprouvaient pas de petites incommodités dans lanature raboteuse du pays. Parfois un torrent grossi leur barrait lepassage et les forçait d’attendre que les eaux eussent diminué deviolence. Souvent la rive d’une petite rivière était emportée parsuite d’une tempête, d’une grande inondation ou de quelque autreconvulsion de la nature ; et alors il fallait s’en remettre àsa connaissance des lieux, ou prendre les meilleures informationspossibles pour diriger sa route de manière à surmonter desobstacles si terribles.

Le Douglas sort d’un amphithéâtre de montagnesqui bornent la vallée au sud-ouest, et c’est de leurs tributs ainsiqu’à l’aide des orages qu’il entretient son mince filet d’eau.L’aspect général du pays est le même que celui des collinespastorales du sud de l’Écosse, formant comme d’ordinaire de pâleset sauvages métairies, dont la plupart ont été, à une époque encoreplus éloignée de la date de cette histoire, recouvertes d’arbres,comme plusieurs d’entre elles l’attestent encore en portant le nomde Shaw, c’est-à-dire forêt naturelle. Sur les bords mêmedu Douglas le terrain était plat, capable de produire d’abondantesmoissons d’avoine et de seigle, et permettait aux habitans de tirertout l’usage possible de ces productions. À peu de distance desbords de la rivière, si l’on en exceptait quelques endroits plusfavorisés, le sol susceptible de culture était de plus en plusentrecoupé de prairies et de bois, qui, bois et prairies, venaientse terminer par de tristes marécages en partie inaccessibles.

C’était surtout une époque de guerre, etnécessairement il fallait bien que toute circonstance de simplecommodité cédât au sentiment exclusif du péril ; c’est,pourquoi les habitans, au lieu de chercher à rendre meilleures lesroutes qui les mettaient en communication avec d’autres cantons,étaient charmés que les difficultés naturelles qui les entouraientne les missent pas dans la nécessité de construire desfortifications, et d’empêcher qu’on arrivât chez eux des pays moinsdifficiles à parcourir. Leurs besoins, à peu d’exceptions près,étaient complétement satisfaits, comme nous l’avons déja dit, parles chétives productions qu’ils arrachaient par le travail et àleurs montagnes et à leurs holms[1], cesespèces de plaines leur permettant d’exercer leur agriculturebornée, tandis que les parties les moins ingrates des montagnes etles clairières des forêts leur offraient des pâturages pour leursbestiaux de toute espèce. Comme les profondeurs de ces antiquesforêts naturelles, qui n’avaient été pas même explorées jusqu’aufond, étaient rarement troublées, surtout depuis que les seigneursdu district avaient mis de côté, durant cette période guerrière,leur occupation jadis constante, la chasse, différentes sortes degibier s’étaient considérablement multipliées, au point que, entraversant les parties les plus désertes du pays montagneux ettriste que nous décrivons, on voyait parfois non seulementplusieurs variétés de daims, mais encore ces troupeaux sauvagesparticuliers à l’Écosse, ainsi que d’autres animaux qui indiquaientla grossièreté et même la barbarie de l’époque. On surprenaitfréquemment le chat sauvage dans les noirs ravins ou dans leshalliers marécageux, et le loup, déja étranger aux districts pluspopuleux du Lothian, se maintenait dans cette contrée contre lesempiétemens de l’homme, et était encore une terreur pour ceux quiont fini par l’expulser complétement de leur île. Dans l’hiversurtout ces sauvages animaux (et l’hiver n’était encore qu’à peineécoulé) étaient ordinairement poussés par le manque de nourriture àune extrême hardiesse, et avaient coutume de fréquenter par bandesnombreuses les champs de bataille, les cimetières abandonnés, mêmequelquefois les habitations humaines, pour y guetter des enfans,proie, hélas ! sans défense, avec autant de familiarité que lerenard s’aventure de nos jours à rôder autour du poulailler de lafermière[2].

De ce que nous avons dit, nos lecteurs, s’ilsont fait (car qui ne l’a point fait aujourd’hui ?) leur tourd’Écosse, pourront se former une idée assez exacte de l’étatsauvage où était encore la partie supérieure de la vallée deDouglas, pendant les premières années du XIVe siècle. Lesoleil couchant jetait ses rayons dorés sur un pays marécageux quiprésentait vers l’ouest des nappes d’eau plus larges, et étaitborné par les monts que l’on nommait le grand Cairntable et lepetit. Le premier de ces deux monts était, pour ainsi dire, le pèredes montagnes du voisinage, source de plus de cent rivières, etsans contredit le plus élevé de toute la chaîne, conservant encoresur sa sombre crête et dans les ravins dont ses flancs étaientsillonnés, des restes considérables de ces antiques forêts donttoutes les éminences de cette contrée étaient jadis couvertes, etsurtout les collines dans lesquelles les rivières, tant celles quicoulent vers l’est que celles qui s’en vont à l’ouest se déchargerdans la Solway, cachent comme autant d’ermites leur source premièreet peu abondante.

Le paysage était encore éclairé par laréflexion du soleil couchant, tantôt renvoyé par des marais ou descours d’eau, tantôt s’arrêtant sur d’énormes rochers grisâtres quiencombraient alors le sol, mais que le travail de l’agriculture adepuis fait disparaître, et tantôt se contentant de dorer les bordsd’un ruisseau, prenant alors successivement une teinte grise, verteou rougeâtre, suivant que le terrain lui-même présentait des rocs,du gazon et de la bruyère, ou formait de loin comme un rempart deporphyre d’un rouge foncé. Parfois aussi l’œil s’arrêtait sur lavaste étendue d’un marécage brunâtre et sombre, tandis que lesjaunes rayons du soleil étaient renvoyés par un petit lac, avec unenappe d’eau claire, dont le brillant, comme celui des yeux dans lafigure humaine, donne la vie et le mouvement à tous les traitsd’alentour.

Le plus âgé et le plus robuste des deuxvoyageurs dont nous avons parlé était un homme bien et mêmerichement habillé, par rapport aux modes du temps, et portait surson dos, suivant la coutume des ménestrels ambulans, une caisse quirenfermait une petite harpe, une guitare, une viole ou quelqueautre instrument de musique propre à l’accompagnement de lavoix ; la caisse de cuir l’annonçait d’une manièreincontestable, quoique sans indiquer la nature exacte del’instrument. La couleur du pourpoint de ce voyageur était bleue,celle de ses chausses, ou culotte, était violette, avec destaillades qui montraient une doublure de même couleur que lajaquette. Un manteau aurait dû, suivant la coutume ordinaire,recouvrir ce costume, mais la chaleur du soleil, quoique la saisonnouvelle fût encore si peu avancée, avait forcé le ménestrel de leplier aussi mince que possible, et d’en former un paquet long qu’ilavait attaché autour de ses épaules, comme la redingote militairedes soldats d’infanterie de nos jours. La netteté avec laquelle cemanteau était arrangé dénotait la précision d’un voyageur quiconnaissait depuis long-temps et par expérience toutes lesressources nécessaires contre les changemens de temps. Une grandequantité de rubans étroits ou aiguillettes, formant les ganses aveclesquelles nos ancêtres attachaient leur pourpoint et leurschausses, constituait une espèce de cordon tout composé de nœuds,bleus et violets, qui entourait le corps du voyageur, et setrouvait ainsi correspondre pour la couleur avec les deux partiesde l’habillement que ces cordons étaient destinés à réunir. Latoque ordinairement portée avec ce riche costume était de l’espèceavec laquelle Henri VIII et son fils Édouard VI sonthabituellement représentés. Elle était plus propre, vu la richeétoffe dont elle était faite, à briller dans un lieu public qu’àgarantir d’un orage ou d’une averse. On y remarquait deux couleurs,car elle était composée de différentes taillades bleues etviolettes ; et l’homme qui la portait, sans doute pour sedonner un certain air de distinction, l’avait ornée d’une plume dedimension considérable, et aussi des couleurs favorites. Les traitsau dessus desquels se balançait cette espèce de panache n’avaientabsolument rien de remarquable pour l’expression ; cependant,dans un pays si triste que l’ouest de l’Écosse, il aurait étédifficile de passer près de cet individu sans lui accorder plusd’attention qu’il en aurait excitée si on l’eût rencontré dans unlieu où la nature du paysage aurait été plus propre à captiver lesregards des passans.

Un œil vif, un air sociable qui semblaitdire : « Oui, regardez-moi, je suis un homme qui vaut lapeine d’être remarqué et qui mérite bien votre attention, »donnaient néanmoins de l’individu une idée qui pouvait êtrefavorable ou défavorable, suivant le caractère des personnes querencontrait le voyageur. Un chevalier ou un soldat aurait pus’imaginer simplement qu’il avait rencontré un joyeux gaillard,bien capable de chanter une chanson, de conter une histoire un peuleste, et de boire sa part d’un flacon, doué enfin de toutes lesqualités qui constituent un gai camarade d’hôtellerie, sinon quepeut-être il ne mettait pas trop d’empressement à payer un écot.D’un autre côté, un ecclésiastique aurait trouvé que le personnagehabillé de bleu et de violet avait des mœurs un peu trop relâchées,et ne savait pas assez contenir sa gaîté dans les justes bornespour que sa compagnie pût convenir à un ministre des autels.Cependant on voyait sur la physionomie de l’homme de chant unecertaine assurance, d’où il était permis de conclure qu’il n’auraitpas été plus déplacé dans des scènes sérieuses que dans des partiesde plaisir. Un riche voyageur (et le nombre n’en était pasconsidérable à cette époque) aurait pu redouter en lui un voleur deprofession, ou un homme capable de profiter de l’occasion pourdevenir tel ; une femme aurait craint d’être maltraitée parlui, et un jeune homme, une personne timide, eût songé tout desuite à un meurtre ou à de coupables violences. Néanmoins, s’il neportait pas d’armes cachées, le ménestrel était mal équipé pourentreprendre aucune voie de fait. Sa seule arme visible était unpetit sabre recourbé, semblable à ce que nous appelons aujourd’huiun coutelas ; et l’époque aurait justifié tout le monde, sipacifiques que fussent les intentions, de s’armer ainsi contre lesdangers de la route. Si un regard lancé à cet homme pouvait sousquelque rapport donner une mauvaise idée de lui à ceux qui lerencontraient en chemin, un coup d’œil jeté sur son compagnon,autant qu’il était possible de conjecturer quel il était, car sonmanteau lui cachait une partie du visage, aurait pleinementdisculpé et même garanti son camarade.

Le plus jeune voyageur paraissait être de lapremière jeunesse, doux et gentil garçon, qui portait la robed’Esclavonie, vêtement ordinaire du pèlerin, plus serrée autour deson corps que la rigueur du temps semblait l’exiger ou même lepermettre. Sa figure, vue imparfaitement sous le capuchon de soncostume de pèlerin, était prévenante au plus haut degré, etquoiqu’il portât aussi une épée, il était facile de voir quec’était plutôt pour se conformer à l’usage que pour s’en servirdans un but criminel. On pouvait remarquer des traces de chagrinsur son front, et de larmes sur ses joues ; telle était mêmesa tristesse, qu’elle semblait exciter la sympathie de soncompagnon plus indifférent, qui d’ailleurs ressentait aussi sa partde la douleur qui laissait de pareilles traces sur une si aimablephysionomie. Ils causaient ensemble, et, le plus âgé des deux, touten prenant l’air respectueux qui convient à l’inférieur parlant àson supérieur, semblait, par le ton et les gestes, témoigner à soncamarade de route autant d’intérêt que d’affection.

« Bertram, mon ami dit le jeune voyageur,de combien sommes-nous encore éloignés du château de Douglas ?Nous avons déja parcouru plus de trente milles ; et c’étaitlà, disais-tu, la distance de Cammock au château… ou commentappelles-tu la dernière hôtellerie que nous avons quittée à lapointe du jour ?

– « Cumnock, ma très chère dame… Jevous demande dix mille fois pardon, mon gracieux jeuneseigneur. »

« Appelle-moi Augustin, lui répliqua soncamarade, si tu veux parler comme il convient le mieux pour lemoment. »

« Oh ! pour ce qui est de cela, ditBertram, si votre seigneurie peut condescendre jusqu’à mettre decôté sa qualité, mon savoir vivre ne m’est si solidement cousu aucorps, que je ne puisse le quitter et le reprendre ensuite sans enperdre quelque lambeau ; et puisque votre seigneurie, à quij’ai juré obéissance, a bien voulu m’ordonner que j’eusse à voustraiter comme mon pauvre fils, il serait honteux à moi de ne pasvous témoigner l’affection d’un père, d’autant plus que je puisbien jurer mes grands dieux que je vous dois des attentions toutespaternelles, quoique je n’ignore pas qu’entre nous deux ce soit lefils qui ait joué le rôle du père, le père qui ait été contenu parla tendresse et la libéralité du fils ; car quand est-ce quej’ai eu faim ou soif, et que la grande table de Berkely[3] n’a point satisfait tous mesbesoins ? »

« Je voudrais, répliqua la jeunepersonne, dont le costume de pèlerin était arrangé de manière à luidonner l’air d’un homme, je voudrais qu’il en eût toujours étéainsi. Mais que servent les montagnes de bœuf et les océans debeurre que produisent, dit-on, nos domaines, s’il y a un cœuraffamé parmi nos vassaux, et surtout si c’est toi, Bertram, toi quias servi pendant plus de trente ans comme ménestrel dans notremaison, qui dois éprouver un pareil mal ? »

« Assurément, madame, répondit Bertram,ce serait une catastrophe semblable à celle qu’on raconte du baronde Fastenough, lorsque sa dernière souris mourut de faim dans lapapeterie même ; et si j’échappe à ce voyage sans une tellecalamité, je me croirai pour le reste de ma vie hors d’atteinte dela soif ou de la faim. »

– « Tu as déja souffert une ou deuxfois de pareils dangers, mon pauvre ami. »

– « Ce que j’ai pu souffrir jusqu’àprésent n’est rien en comparaison ; et je serais un ingrat sije donnais un nom si sérieux à l’inconvénient de manquer undéjeûner ou d’arriver trop tard pour dîner. Mais je ne comprendspas en vérité que votre seigneurie puisse endurer si long-temps unaccoutrement si lourd. Vous devez sentir aussi que ce n’est pas uneplaisanterie que de voyager dans ces montagnes, dont les Écossaisnous donnent si bonne mesure dans leurs milles : et quant auchâteau de Douglas, ma foi, il est encore éloigné de cinq millesenviron, pour ne rien dire de ce qu’on appelle en Écosse unbittock, ce qui équivaut bien a un mille de plus. »

« Il s’agit alors de savoir, dit la jeunepersonne en potassant un soupir, ce que nous ferons quand, aprèsêtre venus de si loin, nous trouverons fermées les portes duchâteau, car elles le seront bien avant notre arrivée. »

« J’en donnerais ma parole, réponditBertram. Les portes de Douglas, confiées à la garde de sir John deWalton, ne s’ouvrent pas si aisément que celles de la dépense denotre château lorsqu’elles sont bien huilées ; et si votreseigneurie veut suivre mon conseil, nous retournerons vers le sud,et en deux jours au plus tard nous serons dans un pays où l’on peutsatisfaire les besoins de son estomac dans le plus bref délaipossible, comme le proclament toutes les enseignes desauberges ; et le secret de ce petit voyage ne sera connu depersonne en ce monde que de nous, aussi vrai que je suis unménestrel juré et un homme d’honneur. »

– « Je te remercie du conseil, monhonnête Bertram, mais je ne puis en profiter. Si ta connaissance dece triste pays pouvait t’indiquer quelque maison décente, qu’elleappartînt à des gens riches ou pauvres, je m’y établiraisvolontiers ; si l’on voulait me le permettre, jusqu’à demainau matin. Les portes du château de Douglas seront alors ouvertespour des étrangers d’une apparence aussi pacifique que la nôtre,et… et… je l’espère, nous trouverons bien le temps de faire à notretoilette les changemens qui pourront nous assurer un bon accueil,de passer le peigne dans nos cheveux, vous comprenezenfin. »

« Ah ! madame, s’il ne s’agissaitpas de sir John de Walton, il me semble que je me hasarderais àvous répondre qu’une figure non lavée, une chevelure en désordre,et un air plus effronté que ne l’est d’ordinaire et que ne peutl’être celui de votre seigneurie, seraient un déguisement plusconvenable pour le rôle de fils d’un ménestrel que vous désirezremplir dans la fête qui se prépare. »

– « Comment souffrez-vous en effetque vos jeunes élèves ; soient si malpropres et si effrontés,Bertram ? Quant à moi, je ne les imiterai pas en cepoint ; et que sir John soit actuellement au château deDouglas ou n’y soit pas ; je me présenterai devant les soldatsqui remplissent les honorables fonctions de portier, le visagepropre et la chevelure quelque peu en ordre. Quant à m’en revenirsans avoir vu un château qui m’apparaît presque dans tous mesrêves… Bref, Bertram, tu peux t’en aller, mais je ne te suivraipas. »

– « Et si jamais je quitte votreseigneurie dans une pareille situation, à présent surtout que votrefantaisie est presque satisfaite, il faudra que ce soit le diablelui-même, le diable en personne, ni plus ni moins, qui m’arrache devotre côté. Quant à un logement, il y a non loin d’ici la maisond’un certain Tom Dickson de Hazelside, une des plus honnêtes gensde la vallée, et qui, quoique simple cultivateur, occupait commeguerrier, lorsque j’étais dans ce pays, un rang aussi haut que tousles nobles gentilshommes qui combattaient autour deDouglas. »

– « Il est doncsoldat ? »

– « Lorsque son pays, ou sonseigneur, a besoin de son épée… et, à vrai dire, ils jouissentrarement des douceurs de la paix ; mais d’ailleurs il n’ad’ennemis que les loups qui viennent attaquer sestroupeaux. »

– « Mais n’oublie pas, mon fidèleguide, que le sang qui coule dans nos veines est anglais, et quepar conséquent nous devons redouter tous ceux qui se proclamentennemis de la Croix-Rouge.

– « Que la foi de cet homme ne vouseffraie pas. Vous pouvez vous fier à lui comme au plus dignechevalier et gentilhomme du monde. Il nous sera facile de ledécider à nous recevoir avec un air ou une chanson ; et cecipeut vous rappeler que j’ai la résolution, pourvu que votreseigneurie le veuille bien, de temporiser un peu avec les Écossais,pauvres gens qui aiment tant la musique et qui, n’eussent-ils qu’unsou d’argent[4], le donneraient volontiers pourencourager la gaie science ; je vous promets, dis-je,qu’ils nous accueilleront aussi bien que si nous étions nés surleurs sauvages montagnes ; et pour toutes les commodités quepourra fournir la maison de Dickson, le fils de l’homme-joie, majolie maîtresse n’exprimera pas un désir en vain. Maintenantvoulez-vous être assez bonne pour dire à votre ami dévoué, à votrepère adoptif, ou plutôt à votre fidèle serviteur, à votre loyalguide, quel est votre bon plaisir dans cette affaire ?

– « Oh ! assurément nousaccepterons l’hospitalité de l’Écossais, puisque vous engagez votreparole de ménestrel que c’est un homme digne de confiance… Vousl’appelez Tom Dickson, n’est-ce pas ? »

– « Oui, tel est son nom ; etla vue de ce troupeau m’indique que nous sommes en ce moment surses propriétés. »

– « Vraiment ? dit la jeunefemme avec quelque surprise ; et comment êtes-vous assezhabile pour le savoir ? »

– « J’aperçois la première lettre deson nom marqué sur ces brebis. Ah ! le savoir est ce qui mèneun homme par le monde, aussi bien que s’il avait l’anneau par lavertu duquel les vieux ménestrels disent qu’Adam comprenait lelangage des bêtes dans le paradis. Ah ! madame, il y a plusd’esprit sous une blouse de berger que ne se l’imagine une dame quicoud deux morceaux de belle étoffe dans un pavillond’été. »

– « Soit, bon Bertram. Et quoique jene sois pas si profondément versée dans la connaissance du langageécrit que tu l’es, toi, il m’est impossible d’en reconnaître jamaisl’utilité plus qu’en ce moment. Rendons-nous donc par le courtchemin à la maison de Tom Dickson, que ce troupeau indique êtredans le voisinage. J’espère que nous n’avons pas loin à aller,quoique l’idée de savoir que notre voyage est abrégé de quelquesmilles m’a tellement remise de ma fatigue, qu’il me semble que jepourrais faire le reste de la route en dansant. »

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