Barnabé Rudge – Tome I

Chapitre 12

 

Il y eut une courte pause dans la chambre decérémonie du Maypole, pendant le temps que M. Haredale essayala serrure pour s’assurer qu’elle était bien fermée, et traversantà grands pas la sombre pièce jusqu’à l’endroit où le paravententourait une petite place de lumière et de chaleur, il seprésenta, brusquement et en silence, devant l’hôte souriant.

Si ces deux hommes n’avaient pas plus desympathie dans leurs pensées intimes que dans leur extérieur, leurentrevue ne promettait pas d’être très calme ni très agréable. Sansqu’il y eût entre eux une grande différence d’âge, ils étaient soustous les autres rapports aussi dissemblables et aussi opposés l’unà l’autre que deux hommes peuvent l’être. L’un avait la paroledouce, une forme délicate une correcte élégance, l’autre,corpulent, carré par la base, négligemment habillé, rude et brusquedans ses façons d’un aspect sévère, avait, en son humeur actuelle,un regard aussi maussade que son langage. L’un gardait un calme ettranquille sourire, l’autre, un froncement de sourcils plein deméfiance. Le nouveau venu, véritablement, semblait s’appliquer àfaire voir par chacun de ses accents et de ses gestes sonantipathie décidée et son hostilité systématique contre l’hommequ’il venait trouver. Celui-ci semblait sentir que le contrasteétait en sa faveur, et puiser dans cet avantage un contentementpaisible qui le mettait plus à son aise que jamais.

« Haredale, dit ce monsieur sans lamoindre apparence d’embarras ou de réserve je suis charmé de vousvoir.

– Trêve de compliments. Ils sont déplacésentre nous, répliqua l’autre en agitant sa main. Dites-moisimplement ce que vous avez à me dire. Vous m’avez demandé uneentrevue. Me voici. Pourquoi nous retrouvons-nous face àface ?

– Toujours à ce que je vois, le mêmecaractère franc et impétueux !

– Bon ou mauvais, je suis, monsieur,répliqua l’autre en appuyant son bras sur le chambranle de lacheminée, et tournant un regard hautain sur celui qui occupait labergère, l’homme que j’ai accoutumé d’être. Je n’ai perdu ni mesvieilles sympathies ni mes vieilles antipathies ; ma mémoirene me fait pas défaut de l’épaisseur d’un cheveu. Vous m’avezdemandé une entrevue… Je vous le répète, me voici.

– Notre entrevue, Haredale, ditM. Chester, en donnant un petit coup sur sa tabatière etaccompagnant d’un sourire le geste d’impatience que l’autre avaitfait, à son insu peut-être, vers son épée, sera une conférencepacifique, j’espère ?

– Je suis venu ici, répliqua l’autre,selon votre désir, me tenant pour engagé à venir vous trouver,quand et où vous le voudrez. Je ne suis pas venu pour faire assautd’agréables discours ni de protestations vaines. Vous êtes un hommedu monde à la langue dorée, monsieur, et à ce jeu-là je ne suis pasde force avec vous. Le dernier homme ici-bas avec lequelj’entrerais en lice pour un combat de doux compliments et degrimaces masquées, est M. Chester, je vous l’assure.Impossible à moi de lui tenir tête avec de telles armes, et j’aitoute raison de croire que peu d’hommes en seraient capables.

– Vous me faites beaucoup d’honneur,Haredale, répliqua l’autre avec le plus grand calme, et je vousremercie. Je serai franc avec vous.

– Pardon, vous serez,dites-vous ?

– Franc, ouvert, parfaitementcandide.

– Ah ! cria M. Haredale enfaisant rentrer son haleine avec un sourire sarcastique ; maisje ne veux pas vous interrompre.

– Je suis si résolu à suivre cettemarche, répliqua l’autre en dégustant son vin d’un air trèscirconspect, que je me suis promis de n’avoir pas de querelle avecvous, et de ne pas me laisser entraîner à quelque expressionchaleureuse ou à quelque mot hasardé.

– En cela, j’aurai encore vis-à-vis devous, dit M. Haredale, une grande infériorité. Votre empiresur vous-même…

– Ne saurait être troublé quand il sertmes desseins, voulez-vous dire, répliqua l’autre, l’interrompantavec la même aménité. Soit je vous l’accorde, et j’ai un dessein àpoursuivre maintenant vous en avez un aussi. Notre but est le mêmej’en suis sûr. Permettez-nous de l’atteindre comme des hommesraisonnables qui ont cessé d’être des petits garçons il y a déjàquelque temps. Voulez-vous boire ?

– Je bois avec mes amis, répliqual’autre.

– Au moins, dit M. Chester, vousvoudrez bien vous asseoir ?

– Je resterai debout, répliquaimpatiemment M. Haredale, sur ce foyer dénudé misérable, et jene le souillerai pas, tout déchu qu’il est, par de l’hypocrisie.Continuez !

– Vous avez tort, Haredale, dit l’autreen croisant ses jambes et souriant, tandis qu’il tenait son verrelevé à la brillante lueur de l’âtre. Vous avez réellement tort. Lemonde est un théâtre mouvant où nous devons nous accommoder auxcirconstances, naviguer avec le courant aussi mollement quepossible, nous contenter de prendre la mousse pour la substance, lasurface pour le fond, la fausse monnaie pour la bonne. Je m’étonnequ’aucun philosophe n’ait jamais établi que notre globe est creuxcomme le reste. Il devrait l’être, si la nature est conséquentedans ses œuvres.

– Vous pensez qu’il l’est, peut-être.

– J’affirmerais, répliqua-t-il en buvantson vin à petits traits, qu’il ne saurait y avoir le moindre doutelà-dessus. Voilà qui est bien. Quant à nous, en jouant avec cegrelot, nous avons eu le guignon de nous heurter et de nousbrouiller. Nous ne sommes pas ce que le monde appelle des amis,mais nous n’en sommes pas moins pour cela des amis aussi bons,aussi vrais, aussi aimants que les neuf dixièmes de ceux auxquelson décerne ce titre. Vous avez une nièce et moi j’ai un fils, unbeau garçon, Haredale, mais un peu fou. Ils tombent amoureux l’unde l’autre, et forment ce que ce même monde appelle un attachementvoulant dire quelque chose de capricieux et de faux comme le reste,et qu’on n’aurait qu’à abandonner librement à sa destinée pourqu’il crevât bientôt comme toute autre bulle. Mais, si nous leslaissons faire, bonsoir, tout est dit. La question est donccelle-ci : Nous tiendrons-nous à distance l’un et l’autre,parce que la société nous appelle des ennemis, et souffrons-nousqu’ils se précipitent dans les bras l’un de l’autre lorsque, ennous rapprochant raisonnablement, comme nous le faisons maintenant,nous pouvons empêcher cela et les séparer ?

– J’aime ma nièce, dit M. Haredaleaprès un court silence. C’est un mot qui sonne étrangementpeut-être à vos oreilles ; mais je l’aime.

– Étrangement, mon bon garçon ! criaM. Chester en remplissant de nouveau son verre avecnonchalance et en ôtant son cure-dent. Pas du tout. J’ai aussi dugoût pour Ned[14], ou, comme vous dites, jel’aime ; c’est le terme usité entre si proches parents. J’aimeNed avec passion ; il est étonnamment bon garçon, et joligarçon, qui plus est, un peu fou et faible encore, voilàtout : mais le fait est, Haredale, car je serai franc comme jevous ai promis de l’être, qu’indépendamment de n’importe quellerépugnance nous pourrions avoir, vous et moi, à nous allier l’un àl’autre, et indépendamment de la différence de religion qui existeentre nous (et, diable ! c’est important), je ne sauraisconsentir à un mariage de ce genre. Ned et moi nous ne saurions yconsentir, c’est impossible.

– Maîtrisez votre langue, au nom du ciel,si cette conversation doit durer, répliqua M. Haredale d’unton farouche. Je vous ai dit que j’aime ma nièce. Pensez-vous que,cela étant, je voudrais jeter son cœur à n’importe quel homme quieût de votre sang dans les veines ?

– Vous voyez, dit l’autre sans la moindreémotion, l’avantage qu’il y a d’être franc et ouvert. C’est justece que j’allais ajouter, sur mon honneur ! Je suis étonnammentattaché à Ned, je raffole de lui, en vérité ; aussi, quand ilnous serait possible de nous effacer tout à fait, vous et moi, danscette affaire, resterait toujours cette dernière objection, que jeregarde comme insurmontable.

– Écoutez-moi bien, dit M. Haredale,marchant vers la table et mettant sa main dessus pesamment, sin’importe quel homme croit, ose croire que moi, dans mes paroles,dans mes actions, dans mes rêves les plus extravagants, j’aiejamais eu l’idée de favoriser la recherche d’Emma Haredale parquelqu’un qui vous touchât de près, n’importe par quel motif, je neme soucie pas de le savoir, il ment ; il ment, et il me faitune grave injure, rien que de le croire.

– Haredale, répliqua l’autre en sebalançant d’un air convaincu, et le confirmant par des signes detête dirigés vers le foyer, c’est extrêmement noble et viril, c’estréellement très généreux de votre part de me parler comme vousfaites, franchement et à cœur ouvert. Ce sont exactement là messentiments, oui, ma parole ; mais vous les exprimez avecbeaucoup plus de force et de puissance que je ne saurais le faire.Vous connaissez ma nature indolente, et vous me pardonnerez, j’ensuis sûr.

– Quelque décidé que je sois à défendre àma nièce toute correspondance avec votre fils et à rompre leursrelations ici, cela dût-il causer la mort d’Emma, ditM. Haredale, qui s’était promené en long et en large, jevoudrais y mettre de la bonté et de la tendresse autant quepossible. Je suis chargé d’un dépôt que ma nature n’est pas propreà comprendre, et, par cette raison, la simple nouvelle qu’il y aentre eux de l’amour tombe sur moi ce soir presque pour la premièrefois.

– Je suis plus enchanté que je nepourrais vous le dire, répliqua M. Chester du ton le plusdoux, de trouver mes impressions personnelles ainsi confirmées.Vous voyez ce que notre entrevue a d’avantageux. Nous nouscomprenons l’un l’autre, nous sommes tout à fait d’accord, nousavons une explication complète, et nous savons quelle marchesuivre. Eh mais, pourquoi ne goûtez-vous pas au vin de votrelocataire ? Il est réellement très bon.

– Qui donc, je vous prie, ditM. Haredale, a aidé Emma ou votre fils ? Quels sont leursintermédiaires, leurs agents ? savez-vous ?

– Toutes les bonnes gens par ici, levoisinage en général, je pense, répliqua l’autre avec son plusaffable sourire. Le messager que je vous ai envoyé aujourd’hui sedistingue parmi tous les autres.

– L’idiot ? Barnabé ?

– Cela vous étonne ? J’en suis bienaise, car j’étais un peu étonné de cela moi-même. Oui, j’ai arrachécela de sa mère, une sorte de femme très convenable ; c’estd’elle, en vérité, que j’ai principalement appris combien la choseétait devenue sérieuse. J’ai résolu de me rendre à cheval ici,aujourd’hui, et d’avoir avec vous une conférence sur ce terrainneutre. Vous avez plus d’embonpoint qu’autrefois, Haredale, maisvous avez bien bonne mine.

– Notre affaire, je le présume, tire à safin, dit M. Haredale avec un air d’impatience qu’il ne sedonnait pas la peine de cacher. Comptez sur moi, monsieur Chester,ma nièce changera dès à présent. J’en appellerai, ajouta-t-il d’unton plus bas, à son cœur de femme, à sa dignité, à son orgueil, àson devoir.

– C’est ce que je ferai auprès de Ned,dit M. Chester en réintégrant à leur place, sur la grille dufoyer, avec le bout de sa botte, quelques débris errants du fagot.S’il y a quelque chose de réel dans le monde, ce sont cessentiments si beaux, ces obligations naturelles qui doiventsubsister entre un père et un fils. Je lui poserai la question surle double terrain du sentiment moral et religieux. Je luireprésenterai que nous ne pouvons pas absolument consentir àcela ; que j’ai toujours visé de loin à un bon mariage pourlui, moyennant une provision décente pour moi dans l’automne de lavie ; qu’il y a un grand nombre d’aboyeurs à payer, dont lesréclamations sont parfaitement fondées en droit et en justice, etqui doivent être satisfaits sur la dot de sa femme ; bref, queles sentiments les plus élevés, les plus honorables de notrenature, toutes les considérations de devoir et d’amour filial, ettoutes les autres choses de ce genre, exigent impérieusement qu’ilprenne la fuite avec une héritière.

– Et qu’il lui brise le cœur le plus vitepossible ? dit M. Haredale en mettant son gant.

– Ned fera en cela exactement comme illui plaira, répliqua l’autre en buvant son vin à petitstraits ; c’est entièrement son affaire. Je ne voudrais paspour tout au monde me mêler des affaires de mon fils, Haredale, audelà d’un certain point. La parenté entre père et fils, vous savez,est positivement une sorte de lien sacré… Ne me laisserez-vous pasvous persuader de prendre un verre de vin ?… Allons !comme il vous plaira, comme il vous plaira, ajouta-t-il en seservant lui-même derechef.

– Chester, dit M. Haredale, après uncourt silence durant lequel il porta de temps en temps sur levisage souriant de son interlocuteur des regards prolongés, vousavez la tête et le cœur d’un mauvais génie, en toute occasion detromper.

– À votre santé, dit l’autre, avec unsigne de tête qui semblait le remercier ; mais vousdisiez… ?

– Si maintenant, continuaM. Haredale, nous trouvions qu’il fût difficile de séparer cesjeunes gens, de rompre leurs rapports ; si, par exemple, voustrouviez la chose difficile de votre côté, quelle marche vousproposez-vous de suivre ?

– Rien de plus simple, mon bon garçon,rien de plus aisé, répliqua l’autre en haussant les épaules ets’étendant plus confortablement devant le feu. Je déploierai alorsces facultés puissantes au sujet desquelles vous me donnez de sigrandes et si flatteuses louanges, quoique, ma parole, je ne soispas digne d’être comblé de vos compliments ; et je recourrai àquelques petits subterfuges assez communs pour exciter la jalousieet le ressentiment. Vous voyez ?

– Bref, justifiant les moyens par la fin,il nous faudra, comme dernière ressource pour les arracher l’un àl’autre, recourir à la perfidie et au mensonge ? ditM. Haredale.

– Oh ! non. Fi ! Fi !répliqua l’autre en aspirant une prise de tabac avec délices etvolupté. Pas de mensonge. Seulement un peu de manège, un peu dediplomatie, un peu d’intrigue, c’est le mot.

– Je regrette, dit M. Haredale enfaisant çà et là quelques pas, puis s’arrêtant, puis faisantquelques pas encore comme quelqu’un qui était mal à son aise, den’avoir pas pu prévoir et empêcher cela. Mais, puisque c’est allési loin qu’il nous est nécessaire d’agir, reculer ou regretter nesert de rien. Allons ! je seconderai vos efforts de tout monpouvoir. C’est le seul sujet, dans tout le vaste horizon de lapensée humaine, sur lequel nous soyons tous les deux d’accord. Nousagirons de concert, mais à part. Il ne sera pas besoin, j’espère,d’en conférer encore ensemble.

– Est-ce que vous vous en allez ?dit M. Chester en se levant avec une gracieuse nonchalance.Laissez-moi vous éclairer jusqu’au bas de l’escalier.

– Restez assis, je vous prie, répliqual’autre sèchement. Je connais le chemin. »

En disant cela, il fit un mouvement de maintrès léger, remit son chapeau sur sa tête en même temps qu’iltournait les talons, et s’en alla d’un pas retentissant, comme ilétait venu, ferma la porte derrière lui, et descendit l’escalierdont il réveilla l’écho.

« Peuh ! un très grossier animal, envérité ! dit M. Chester en se replaçant dans sa bergère.Une brute des plus farouches ; un vrai blaireau à facehumaine ! »

John Willet et ses amis, qui avaient été trèsattentifs pour entendre le cliquetis des épées ou les détonationsdes pistolets dans la grande chambre, et qui avaient réglé d’avancel’ordre dans lequel ils s’y précipiteraient au premier appel,procession où le vieux John avait eu le soin de s’arranger de façonà se réserver l’arrière-garde, furent fort étonnés de voirM. Haredale descendre sans une égratignure, demander soncheval, et s’éloigner au pas, d’un air pensif. Après y avoir un peuréfléchi, on décida qu’il avait laissé le monsieur du premier étagepour mort, et que, s’il montrait tant de calme, c’était unstratagème pour qu’on ne s’avisât ni de le soupçonner ni de lepoursuivre.

Comme cette conclusion impliquait pour eux lanécessité de monter sur-le-champ à la grande chambre pour s’enassurer, ils étaient sur le point de le faire dans l’ordre convenu,lorsqu’un coup de sonnette assez vif, qui semblait dénoter chezl’hôte assez de vigueur encore, renversa toutes leurs conjectureset les enveloppa dans la plus grande incertitude. EnfinM. Willet consentit à monter lui-même, escorté de Hugh et deBarnabé, les plus solides et intrépides gaillards qui fussent surles lieux ; ils pourraient se montrer avec lui, sous prétexted’être venus pour emporter les verres.

Fort de cette protection, le brave John, à lalarge figure, entra dans la chambre hardiment avec une avance d’undemi-pas, et reçut sans trembler la demande d’un tire-botte. Maislorsque le tire-botte eut été apporté, et que l’aubergiste prêta àson hôte sa robuste épaule, on observa que, pendant que celui-ciôtait ses bottes, M. Willet les regarda extrêmement, et queses gros yeux, bien plus ouverts que de coutume, parurent exprimerquelque surprise et quelque désappointement de ne pas les trouverpleines de sang. Il se ménagea aussi l’occasion d’examiner legentleman du plus près qu’il put, s’attendant à découvrir sur sapersonne un certain nombre de trous faits par l’épée de sonadversaire. N’en découvrant aucun toutefois, et remarquant par lasuite du temps que son hôte était aussi froid, aussi régulier danssa tenue et dans son humeur qu’il l’avait été toute la journée, levieux John à la fin poussa un profond soupir, et commença à penserqu’il n’était pas question de duel pour ce soir.

« Et maintenant, Willet, ditM. Chester, si la chambre est bien échauffée, j’essayerai lesmérites de ce fameux lit.

– La chambre, monsieur, répliqua John enprenant une chandelle, et invitant d’un coup de coude Barnabé etHugh à les accompagner, en cas que le monsieur vînt à tombersoudainement évanoui ou mort de quelque blessure interne, lachambre est aussi chaude qu’une croûte au pot. Barnabé, prenezcette autre chandelle, et allez devant. Hugh, suivez-nous,monsieur, avec la bergère. »

C’est dans cet ordre, et encore, pour plus desûreté, tenant sa chandelle fort près de l’hôte ; tantôt luien faisant sentir la chaleur autour des jambes, tantôt risquant demettre le feu à sa perruque, et lui demandant sans cesse pardonavec une grande gaucherie et beaucoup d’embarras, que Johnconduisit ce personnage à la meilleure chambre à coucher. Presqueaussi spacieuse que la pièce d’où ils étaient venus, ellecontenait, près du feu, pour avoir plus chaud, un grand et antiquelit d’un aspect tumulaire, tendu de brocart fané et orné, au sommetde chaque montant sculpté, d’une touffe de plumes qui jadis avaientété blanches, mais que l’âge et la poussière avaient renduessemblables à des panaches de corbillard et de catafalque.

« Bonsoir, mes amis, dit M. Chesteravec un doux sourire, en s’asseyant, après avoir considéré lachambre d’un bout à l’autre, dans la bergère, que ses serviteursroulèrent devant le feu. Bonsoir, Barnabé, mon bon garçon ;vous dites quelques prières avant de vous coucher,j’espère ? »

Barnabé fit un signe affirmatif.

« Il a comme ça des bêtises qu’il appelleses prières, monsieur, dit John officieusement. J’ai bien peur quelà dedans il n’y ait pas grand chose de bon.

– Et Hugh ? dit M. Chester ense tournant vers celui-ci.

– Moi, non, répondit-il. Je connais lessiennes (et il montra Barnabé), elles ne sont pas mal. Il leschante quelquefois sur la paille. J’écoute.

– Monsieur, c’est tout à fait un animal,chuchota John à l’oreille de son hôte avec dignité. Vousl’excuserez, certainement. S’il a une espèce d’âme, ce doit être sipeu que rien, et ce qu’il fait ou ne fait pas sur ce pointn’importe guère. Bonsoir, monsieur.

M. Chester répliqua : « Dieuvous bénisse ! » avec une ferveur des plustouchantes ; et John, faisant signe à ses gardes du corpsd’aller devant, sortit de la chambre après une révérence, et laissal’hôte libre de reposer dans l’antique lit du Maypole.

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