Brutus

Scène VII

 

TITUS, MESSALA.

TITUS.

Sort qui nous as rejoints, et qui nous désunis!
Sort, ne nous as-tu faits que pour être ennemis?
Ah! cache, si tu peux, ta fureur et tes larmes.

MESSALA.

Je plains tant de vertus, tant d’amour et decharmes;
Un coeur tel que le sien méritait d’être à vous.

TITUS.

Non, c’en est fait; Titus n’en sera point l’époux.

MESSALA.

Pourquoi? Quel vain scrupule a vos désirs s’oppose?

TITUS.

Abominables lois que la cruelle impose!
Tyrans que j’ai vaincus, je pourrais vous servir!
Peuples que j’ai sauvés, je pourrais vous trahir!
L’amour dont j’ai six mois vaincu la violence,
L’amour aurait sur moi cette affreuse puissance!
J’exposerais mon père a ses tyrans cruels!
Et quel père? un héros, l’exemple des mortels,
L’appui de son pays, qui m’instruisit à l’être,
Que j’imitai, qu’un jour j’eusse égalé peut-être.
Après tant de vertus quel horrible destin

MESSALA.

Vous eûtes les vertus d’un citoyen romain;
Il ne tiendra qu’a vous d’avoir celles d’un maître:
Seigneur, vous serez roi dès que vous voudrez l’être.
Le ciel met dans vos mains, en ce moment heureux,
La vengeance, l’empire, et l’objet de vos feux.
Que dis-je? ce consul, ce héros que l’on nomme
Le père, le soutien, le fondateur de Rome,
Qui s’enivre à vos yeux de l’encens des humains,
Sur les débris d’un trône écrasé par vos mains,
S’il eût mal soutenu cette grande querelle,
S’il n’eût vaincu par vous, il n’était qu’un rebelle.
Seigneur, embellissez ce grand nom de vainqueur
Du nom plus glorieux de pacificateur;
Daignez nous ramener ces jours où nos ancêtres
Heureux, mais gouvernés, libres, mais sous des maîtres,
Pesaient dans la balance, avec un même poids,
Les intérêts du peuple et la grandeur des rois.
Rome n’a point pour eux une haine immortelle;
Rome va les aimer, si vous régnez sur elle.
Ce pouvoir souverain que j’ai vu tour à tour
Attirer de ce peuple et la haine et l’amour,
Qu’on craint en des États, et qu’ailleurs on désire,
Est des gouvernements le meilleur ou le pire;
Affreux sous un tyran, divin sous un bon roi.

TITUS.

Messala, songez-vous que vous parlez à moi?
Que désormais en vous je ne vois plus qu’un traître,
Et qu’en vous épargnant je commence de l’être?

MESSALA.

Eh bien! apprenez donc que l’on va vous ravir
L’inestimable honneur dont vous n’osez jouir;
Qu’un autre accomplira ce que vous pouviez faire.

TITUS.

Un autre! arrête; dieux! parle… qui?

MESSALA.

Votre frère.

TITUS.

Mon frère?

MESSALA.

A Tarquin même il a donné sa foi.

TITUS.

Mon frère trahit Rome?

MESSALA.

Il sert Rome et son roi.
Et Tarquin, malgré vous, n’acceptera pour gendre
Que celui des Romains qui l’aura pu défendre.

TITUS.

Ciel!… perfide!… écoutez: mon coeur longtemps séduit
A méconnu l’abîme où vous m’avez conduit.
Vous pensez me réduire au malheur nécessaire
D’être ou le délateur, ou complice d’un frère:
Mais plutôt votre sang…

MESSALA.

Vous pouvez m’en punir;
Frappez, je le mérite en voulant vous servir.
Du sang de votre ami que cette main fumante
Y joigne encor le sang d’un frère et d’une amante;
Et, leur tête à la main, demandez au sénat,
Pour prix de vos vertus, l’honneur du consulat;
Ou moi-même à l’instant, déclarant les complices,
Je m’en vais commencer ces affreux sacrifices.

TITUS.

Demeure, malheureux, ou crains mon désespoir.

 

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