Scène V
BRUTUS, VALÉRIUS, SUITE, LICTEURS.
VALÉRIUS.
Du sénat la volonté suprême
Est que sur votre fils vous prononciez vous-même.
BRUTUS.
Moi?
VALÉRIUS.
Vous seul.
BRUTUS.
Et du reste en a-t-il ordonné?
VALÉRIUS.
Des conjurés, seigneur, le reste est condamné;
Au moment où je parle, ils ont vécu peut-être.
BRUTUS.
Et du sort de mon fils le sénat me rend maître?
VALÉRIUS.
Il croit à vos vertus devoir ce rare honneur.
BRUTUS.
O patrie!
VALÉRIUS.
Au sénat que dirai-je, seigneur?
BRUTUS.
Que Brutus voit le prix de cette grâce insigne,
Qu’il ne la cherchait pas… mais qu’il s’en rendra digne…
Mais mon fils s’est rendu sans daigner résister;
Il pourrait… Pardonnez si je cherche à douter;
C’était l’appui de Rome, et je sens que je l’aime.
VALÉRIUS.
Seigneur, Tullie.
BRUTUS.
Eh bien?…
VALÉRIUS.
Tullie, au moment même,
N’a que trop confirmé ces soupçons odieux.
BRUTUS.
Comment, seigneur?
VALÉRIUS.
A peine elle a revu ces lieux,
A peine elle aperçoit l’appareil des supplices,
Que, sa main consommant ces tristes sacrifices,
Elle tombe, elle expire, elle immole à nos lois
Ce reste infortuné de nos indignes rois.
Si l’on nous trahissait, seigneur, c’était pour elle.
Je respecte en Brutus la douleur paternelle;
Mais, tournant vers ces lieux ses yeux appesantis,
Tullie en expirant a nommé votre fils.
BRUTUS.
Justes dieux!
VALÉRIUS.
C’est à vous à juger de son crime.
Condamnez, épargnez, ou frappez la victime;
Rome doit approuver ce qu’aura fait Brutus.
BRUTUS.
Licteurs, que devant moi l’on amène Titus.
VALÉRIUS.
Plein de votre vertu, seigneur, je me retire
Mon esprit étonné vous plaint et vous admire;
Et je vais au sénat apprendre avec terreur
La grandeur de votre âme et de votre douleur.