Brutus

Scène III

 

TITUS, MESSALA, TULLIE, ALGINE.

ALGINE.

On vous attend, madame.

TULLIE.

Ah! sentence cruelle!
L’ingrat me touche encore, et Brutus à mes yeux
Paraît un dieu terrible armé contre nous deux.
J’aime, je crains, je pleure, et tout mon coeurs’égare.
Allons.

TITUS.

Non, demeurez.

TULLIE.

Que me veux-tu, barbare?
Me tromper, me braver?

TITUS.

Ah! dans ce jour affreux
Je sais ce que je dois, et non ce que je veux;
Je n’ai plus de raison, vous me l’avez ravie.
Eh bien! guidez mes pas, gouvernez ma furie;
Régnez donc en tyran sur mes sens éperdus;
Dictez, si vous l’osez, les crimes de Titus.
Non, plutôt que je livre aux flammes, au carnage,
Ces murs, ces citoyens qu’a sauvés mon courage;
Qu’un père abandonné par un fils furieux,
Sous le fer de Tarquin…

TULLIE.

M’en préservent les dieux!
La nature te parle, et sa voix m’est trop chère;
Tu m’as trop bien appris à trembler pour un père;
Rassure-toi; Brutus est désormais le mien;
Tout mon sang est à toi, qui te répond du sien;
Notre amour, mon hymen, mes jours en sont le gage:
Je serai dans tes mains sa fille, son otage.
Peux-tu délibérer? Penses-tu qu’en secret
Brutus te vît au trône avec tant de regret?
Il n’a point sur son front placé le diadème;
Mais, sous un autre nom, n’est-il pas roi lui-même?
Son règne est d’une année, et bientôt… Mais, hélas!
Que de faibles raisons, si tu ne m’aimes pas!
Je ne dis plus qu’un mot. Je pars… et je t’adore.
Tu pleures, tu frémis; il en est temps encore:
Achève, parle, ingrat que te faut-il de plus?

TITUS.

Votre haine; elle manque au malheur de Titus.

TULLIE.

Ah! c’est trop essuyer tes indignes murmures,
Tes vains engagements, tes plaintes, tes injures;
Je te rends ton amour dont le mien est confus,
Et tes trompeurs serments, pires que tes refus.
Je n’irai point chercher au fond de l’Italie
Ces fatales grandeurs que je te sacrifie,
Et pleurer loin de Rome, entre les bras d’un roi,
Cet amour malheureux que j’ai senti pour toi.
J’ai réglé mon destin; Romain dont la rudesse
N’affecte de vertu que contre ta maîtresse,
Héros pour m’accabler, timide à me servir;
Incertain dans tes voeux, apprends à les remplir.
Tu verras qu’une femme, à tes yeux méprisable,
Dans ses projets au moins était inébranlable;
Et par la fermeté dont ce coeur est armé,
Titus, tu connaîtras comme il t’aurait aimé.
Au pied de ces murs même où régnaient mes ancêtres,
De ces murs que ta main défend contre leurs maîtres,
Où tu m’oses trahir, et m’outrager comme eux,
Où ma foi fut séduite, où tu trompas mes feux,
Je jure à tous les dieux qui vengent les parjures,
Que mon bras, dans mon sang effaçant mes injures,
Plus juste que le tien, mais moins irrésolu,
Ingrat, va me punir de t’avoir mal connu;
Et je vais…

TITUS, l’arrêtant.

Non, madame, il faut vous satisfaire:
Je le veux, j’en frémis; et j’y cours pour vous plaire;
D’autant plus malheureux que, dans ma passion,
Mon coeur n’a pour excuse aucune illusion;
Que je ne goûte point, dans mon désordre extrême,
Le triste et vain plaisir de me tromper moi-même;
Que l’amour aux forfaits me force de voler;
Que vous m’avez vaincu sans pouvoir m’aveugler;
Et qu’encore indigné de l’ardeur qui m’anime,
Je chéris la vertu, mais j’embrasse le crime.
Haïssez-moi, fuyez, quittez un malheureux
Qui meurt d’amour pour vous, et déteste ses feux;
Qui va s’unir à vous sous ces affreux augures,
Parmi les attentats, le meurtre, et les parjures.

TULLIE.

Vous insultez, Titus, à ma funeste ardeur;
Vous sentez à quel point vous régnez dans mon coeur.
Oui, je vis pour toi seul, oui, je te le confesse;
Mais malgré ton amour, mais malgré ma faiblesse,
Sois sûr que le trépas m’inspire moins d’effroi
Que la main d’un époux qui craindrait d’être à moi;
Qui se repentirait d’avoir servi son maître,
Que je fais souverain, et qui rougit de l’être.
Voici l’instant affreux qui va nous éloigner.
Souviens-toi que je t’aime, et que tu peux régner.
L’ambassadeur m’attend; consulte, délibère:
Dans une heure avec moi tu reverras mon père.
Je pars, et je reviens sous ces murs odieux
Pour y rentrer en reine, ou périr à tes veux.

TITUS.

Vous ne périrez point. Je vais…

TULLIE.

Titus, arrête;
En me suivant plus loin tu hasardes ta tête;
On peut te soupçonner; demeure: adieu; résous
D’être mon meurtrier ou d’être mon époux.

 

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