Scène III
TULLIE, ARONS,ALGINE.
ARONS.
Madame, en ce moment je reçois cette lettre
Qu’en vos augustes mains mon ordre est de remettre,
Et que jusqu’en la mienne a fait passer Tarquin.
TULLIE.
Dieux! protégez mon père, et changez son destin!
(Elle lit.)
« Le trône des Romains peut sortir de sa cendre:
Le vainqueur de son roi peut en être l’appui:
Titus est un héros; c’est à lui de défendre
Un sceptre que je veux partager avec lui.
Vous, songez que Tarquin vous a donné la vie;
Songez que mon destin va dépendre de vous.
Vous pourriez refuser le roi de Ligurie;
Si Titus vous est cher, il sera votre époux.
Ai-je bien lu?… Titus?… seigneur… est-ilpossible?
Tarquin, dans ses malheurs jusqu’alors inflexible,
Pourrait?… Mais d’où sait-il?… et comment?… Ah,seigneur!
Ne veut-on qu’arracher les secrets de mon coeur?
Épargnez les chagrins d’une triste princesse;
Ne tendez point de piège à ma faible jeunesse.
ARONS.
Non, madame; à Tarquin je ne sais qu’obéir,
Écouter mon devoir, me taire, et vous servir;
Il ne m’appartient point de chercher à comprendre
Des secrets qu’en mon sein vous craignez de répandre.
Je ne veux point lever un oeil présomptueux
Vers le voile sacré que vous jetez sur eux;
Mon devoir seulement m’ordonne de vous dire
Que le ciel veut par vous relever cet empire,
Que ce trône est un prix qu’il met à vos vertus.
TULLIE.
Je servirais mon père, et serais à Titus!
Seigneur, il se pourrait…
ARONS.
N’en doutez point, princesse.
Pour le sang de ses rois ce héros s’intéresse.
De ces républicains la triste austérité
De son coeur généreux révolte la fierté;
Les refus du sénat ont aigri son courage:
Il penche vers son prince: achevez cet ouvrage.
Je n’ai point dans son coeur prétendu pénétrer;
Mais puisqu’il vous connaît, il vous doit adorer.
Quel oeil, sans s’éblouir, peut voir un diadème
Présenté par vos mains, embelli par vous-même?
Parlez-lui seulement, vous pourrez tout sur lui;
De l’ennemi des rois triomphez aujourd’hui;
Arrachez au sénat, rendez à votre père
Ce grand appui de Rome et son dieu tutélaire;
Et méritez l’honneur d’avoir entre vos mains
Et la cause d’un père, et le sort des Romains.