Brutus

Scène VII

 

BRUTUS, PROCULUS, TITUS,
dans le fond du théâtre, avec des licteurs.

PROCULUS.

Le voici.

TITUS.

C’est Brutus! O douloureux moments!
O terre, entrouvre-toi sous mes pas chancelants!
Seigneur, souffrez qu’un fils…

BRUTUS.

Arrête, téméraire!
De deux fils que j’aimai les dieux m’avaient fait père;
J’ai perdu l’un; que dis-je? ah, malheureux Titus!
Parle: ai-je encor un fils?

TITUS.

Non, vous n’en avez plus.

BRUTUS.

Réponds donc à ton juge, opprobre de ma vie!
(Il s’assied.)
Avais-tu résolu d’opprimer ta patrie?
D’abandonner ton père au pouvoir absolu?
De trahir tes serments?

TITUS.

Je n’ai rien résolu.
Plein d’un mortel poison dont l’horreur me dévore,
Je m’ignorais moi-même, et je me cherche encore;
Mon coeur, encor surpris de son égarement,
Emporté loin de soi, fut coupable un moment;
Ce moment m’a couvert d’une honte éternelle;
A mon pays que j’aime il m’a fait infidèle:
Mais, ce moment passé, mes remords infinis
Ont égalé mon crime et vengé mon pays.
Prononcez mon arrêt. Rome, qui vous contemple,
A besoin de ma perte et veut un grand exemple;
Par mon juste supplice il faut épouvanter
Les Romains, s’il en est qui puissent m’imiter.
Ma mort servira Rome autant qu’eût fait ma vie;
Et ce sang, en tout temps utile à sa patrie,
Dont je n’ai qu’aujourd’hui souillé la pureté,
N’aura coulé jamais que pour la liberté.

BRUTUS.

Quoi! tant de perfidie avec tant de courage!
De crimes, de vertus, quel horrible assemblage!
Quoi! sous ces lauriers même, et parmi ces drapeaux,
Que son sang à mes yeux rendait encor plus beaux!
Quel démon t’inspira cette horrible inconstance?

TITUS.

Toutes les passions, la soif de la vengeance,
L’ambition, la haine, un instant de fureur…

BRUTUS.

Achève, malheureux!

TITUS.

Une plus grande erreur,
Un feu qui de mes sens est même encor le maître,
Qui fit tout mon forfait, qui l’augmente peut-être.
C’est trop vous offenser par cet aveu honteux,
Inutile pour Rome, indigne de nous deux.
Mon malheur est au comble ainsi que ma furie:
Terminez mes forfaits, mon désespoir, ma vie,
Votre opprobre et le mien. Mais si dans les combats
J’avais suivi la trace où m’ont conduit vos pas,
Si je vous imitai, si j’aimai ma patrie,
D’un remords assez grand si ma faute est suivie,
(Il se jette à genoux.)
A cet infortuné daignez ouvrir les bras;
Dites du moins: Mon fils, Brutus ne te hait pas;
Ce mot seul, me rendant mes vertus et ma gloire,
De la honte où je suis défendra ma mémoire:
On dira que Titus, descendant chez les morts,
Eut un regard de vous pour prix de ses remords,
Que vous l’aimiez encore, et que, malgré son crime,
Votre fils dans la tombe emporta votre estime.

BRUTUS.

Son remords me l’arrache. O Rome! ô mon pays!
Proculus… à la mort que l’on mène mon fils.
Lève-toi, triste objet d’horreur et de tendresse;
Lève-toi, cher appui qu’espérait ma vieillesse;
Viens embrasser ton père: il t’a dû condamner;
Mais, s’il n’était Brutus, il t’allait pardonner.
Mes pleurs, en te parlant, inondent ton visage:
Va, porte à ton supplice un plus mâle courage;
Va, ne t’attendris point, sois plus Romain que moi,
Et que Rome t’admire en se vengeant de toi.

TITUS.

Adieu: je vais périr digne encor de mon père.
(On l’emmène.)

 

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