Brutus

Scène IV

 

BRUTUS, MESSALA.

BRUTUS.

Arrêtez, Messala; j’ai deux mots à vous dire.

MESSALA.

A moi, seigneur?

BRUTUS.

A vous. Un funeste poison
Se répand en secret sur toute ma maison.
Tibérinus, mon fils, aigri contre son frère,
Laisse éclater déjà sa jalouse colère:
Et Titus, animé d’un autre emportement,
Suit contre le sénat son fier ressentiment.
L’ambassadeur toscan, témoin de leur faiblesse,
En profite avec joie autant qu’avec adresse;
Il leur parle, et je crains les discours séduisants
D’un ministre vieilli dans l’art des courtisans.
Il devait dès demain retourner vers son maître:
Mais un jour quelquefois est beaucoup pour un traître.
Messala, je prétends ne rien craindre de lui;
Allez lui commander de partir aujourd’hui:
Je le veux.

MESSALA.

C’est agir sans doute avec prudence,
Et vous serez content de mon obéissance.

BRUTUS.

Ce n’est pas tout: mon fils avec vous est lié;
Je sais sur son esprit ce que peut l’amitié.
Comme sans artifice, il est sans défiance:
Sa jeunesse est livrée à votre expérience.
Plus il se fie à vous, plus je dois espérer
Qu’habile à le conduire, et non à l’égarer,
Vous ne voudrez jamais, abusant de son âge,
Tirer de ses erreurs un indigne avantage,
Le rendre ambitieux, et corrompre son coeur.

MESSALA.

C’est de quoi dans l’instant je lui parlais,seigneur.
Il sait vous imiter, servir Rome, et lui plaire;
Il aime aveuglément sa patrie et son père.

BRUTUS.

Il le doit: mais surtout il doit aimer les lois;
Il doit en être esclave, en porter tout le poids.
Qui veut les violer n’aime point sa patrie.

MESSALA.

Nous avons vu tous deux si son bras l’a servie.

BRUTUS.

Il a fait son devoir.

MESSALA.

Et Rome eût fait le sien
En rendant plus d’honneurs à ce cher citoyen.

BRUTUS.

Non, non: le consulat n’est point fait pour son âge;
J’ai moi-même à mon fils refusé mon suffrage.
Croyez-moi, le succès de son ambition
Serait le premier pas vers la corruption.
Le prix de la vertu serait héréditaire:
Bientôt l’indigne fils du plus vertueux père,
Trop assuré d’un rang d’autant moins mérité,
L’attendrait dans le luxe et dans l’oisiveté:
Le dernier des Tarquins en est la preuve insigne.
Qui naquit dans la pourpre en est rarement digne.
Nous préservent les cieux d’un si funeste abus,
Berceau de la mollesse et tombeau des vertus!
Si vous aimez mon fils, je me plais à le croire,
Représentez-lui mieux sa véritable gloire;
Étouffez dans son coeur un orgueil insensé:
C’est en servant l’État qu’il est récompensé.
De toutes les vertus mon fils doit un exemple:
C’est l’appui des Romains que dans lui je contemple;
Plus il a fait pour eux, plus j’exige aujourd’hui.
Connaissez à mes voeux l’amour que j’ai pour lui;
Tempérez cette ardeur de l’esprit d’un jeune homme:
Le flatter, c’est le perdre, et c’est outrager Rome.

MESSALA.

Je me bornais, seigneur, à le suivre aux combats;
J’imitais sa valeur, et ne l’instruisais pas.
J’ai peu d’autorité; mais s’il daigne me croire,
Rome verra bientôt comme il chérit la gloire.

BRUTUS.

Allez donc, et jamais n’encensez ses erreurs;
Si je hais les tyrans, je hais plus les flatteurs.

 

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