Cartes sur table d’ AGATHA CHRISTIE

— Je propose, fit Mme Oliver en se redressant et s’exprimant comme une présidente de comité, que nous ne conservions point par devers nous les données recueillies. Quant à nos déductions personnelles et à nos impressions, libre à nous de les garder. »

Battle intervint :

« Il ne s’agit pas d’un roman policier, madame Oliver.

— Tous les renseignements seront transmis à la police », appuya Race.

Cela dit, il ajouta avec un malicieux clignement d’œil :

« Nul doute que vous ne jouiez franc jeu, madame Oliver. Vous voudrez bien remettre au chef de police Battle, ici présent, le gant taché, l’empreinte digitale sur le verre à dents et les morceaux de papier à demi carbonisés.

— Riez à votre aise, dit Mme Oliver. Mais l’intuition féminine… »

Elle hocha la tête avec décision. Race se leva.

« Entendu : je me charge de Despard. Mes démarches exigeront peut-être un certain temps. Puis-je rendre d’autres services ?

— Non, je ne crois pas, merci, monsieur. N’avez-vous aucune suggestion à nous faire ? Je l’apprécierais fort.

— Hum ! À votre place, je craindrais un coup de revolver, l’effet d’un poison ou un accident quelconque, mais j’espère que vous vous tenez déjà sur vos gardes.

— Je suivrai votre conseil.

— Ce brave Battle ! Ce n’est guère à moi de vous apprendre votre métier. Bonne nuit, madame Oliver, bonne nuit, monsieur Poirot ! »

Saluant une dernière fois Battle, le colonel Race quitta la pièce.

« Que savez-vous sur le compte du colonel ? interrogea Mme Oliver.

— Excellents états de service, dit Battle. A beaucoup voyagé… peu de pays lui sont inconnus.

— Service secret, sans doute ? Inutile de répondre : je le devine, autrement il n’aurait pas été invité à la réception de ce soir. Les quatre assassins et les quatre limiers : Scotland Yard, Service secret, détective privé et auteur de romans policiers. Tout y est, idée originale ! »

Poirot hocha la tête.

« Je ne partage pas votre avis, madame. L’idée était plutôt stupide. Le tigre, alarmé, a bondi.

— Le tigre ? Pourquoi le tigre ?

— Par le tigre, j’entends le meurtrier », acheva Poirot.

Battle lui demanda à brûle-pourpoint :

« Selon vous, quelle est la meilleure tactique à suivre, monsieur Poirot ? J’aimerais à connaître votre opinion sur la psychologie de ces quatre personnes. Vous êtes fort sur ce point. »

Tenant toujours en main ses marques de bridge, Poirot répondit :

« Vous avez raison, la psychologie a une importance capitale. Nous savons le genre de crime qui vient d’être commis et la façon dont il a été exécuté. Si, du point de vue psychologique, un des assassins présumés ne peut avoir perpétré cet acte, mettons-le de côté. Nous savons certains détails sur la mentalité et le caractère de ces gens, d’après leur manière de jouer au bridge, leur écriture et leurs marques. Malheureusement, il est très difficile de prononcer un jugement définitif. Cet assassinat réclamait du courage et de l’audace… Le coupable n’ignorait point le risque qu’il courait. Prenons d’abord le docteur Roberts, un esbroufeur. Souvenez-vous comment il annonçait toujours au-dessus de son jeu. Plein d’assurance en lui-même, le danger ne l’aurait pas fait reculer. Sa psychologie répond bien à celle du criminel. Nous serions enclins, pour des raisons contraires, d’exclure Miss Meredith du champ de nos observations. Timide, effrayée à l’idée d’annoncer plus fort que son jeu, soigneuse, économe et prudente, elle manque de confiance en soi. En somme, la dernière personne que l’on soupçonnerait capable d’un tel crime. Mais n’oublions pas que la peur pousse parfois les gens les plus timorés. Acculés au désespoir comme des rats traqués, la colère leur insuffle du courage. Si Miss Meredith avait un crime à se reprocher dans le passé et qu’elle eût soupçonné M. Shaitana de connaître son secret et d’avoir eu l’intention de la livrer à la police, elle n’eût pas hésité à se débarrasser d’un témoin aussi dangereux. Bien que provoqué par des raisons différentes, le résultat eût été le même. Examinons ensuite le cas du major Despard. Cet homme de ressources, plein de sang-froid, n’eût pas hésité à frapper en cas de nécessité, après avoir pesé le pour et le contre et entrevu une chance en sa faveur. C’est le genre d’individu pour qui l’action compte avant tout et qui accepte le risque s’il espère réussir. Enfin, il y a Mme Lorrimer, femme d’un certain âge, mais en pleine possession de ses facultés. Personne calme et d’un esprit mathématique, je la considère comme la plus intelligente des quatre. Si je la soupçonnais, je m’attendrais de sa part à de la préméditation. Je la vois préparant son crime lentement et méticuleusement, s’assurant que rien ne laisse à désirer dans son plan. Pour cette raison, elle me paraît moins indiquée que les trois autres. Douée d’une volonté inflexible, tout ce qu’elle entreprend, elle doit l’exécuter sans la moindre défaillance. C’est, croyez-m’en, une femme remarquable. »

Il fit une pause.

« Vous le voyez, nous ne sommes guère plus avancés. Non… il ne nous reste qu’un seul parti à prendre : fouiller le passé. »

Battle soupira :

« Vous l’avez déjà dit, monsieur Poirot.

— M. Shaitana était convaincu que chacun des quatre convives en question avait un crime sur la conscience. En avait-il la preuve ou simplement de fortes présomptions ? Nous l’ignorons. Toutefois, il semble improbable qu’il fût en possession de témoignages formels.

— Là-dessus, je suis d’accord avec vous, lui dit Battle en hochant la tête. Ce serait vraiment une coïncidence inouïe.

— Voici, à mon avis, ce qui a dû se produire. À table, on a parlé de meurtres accomplis sous différentes formes et M. Shaitana a surpris certaines expressions sur les traits d’un de ses hôtes. Très physionomiste, il s’amusait volontiers, sans en avoir l’air, à faire des petits sondages, au cours de conversations apparemment innocentes. Rien ne lui échappait, un clignement d’œil, une réticence, un effort pour faire dévier le sujet. Il est facile, lorsqu’on pressent un secret, d’en provoquer la confirmation. Chaque fois qu’une réflexion atteint son but, vous vous en apercevez… pour peu que vous observiez le visage de vos interlocuteurs.

— Voilà le genre de sport auquel se livrait notre défunt ami, déclara Battle.

— Nous pouvons en déduire qu’il a agi de la sorte dans un ou plusieurs cas. Dès qu’il obtenait une preuve évidente, il poussait son expérience plus avant. Quant à nos quatre personnages, je doute qu’il ait eu suffisamment de certitudes pour s’adresser à la police.

— Peut-être n’est-ce point là la vraie raison, dit Battle. À l’occasion d’une mort suspecte, les soupçons se portent souvent sur l’entourage, mais, dans l’indécision, on classe l’affaire. Il nous faudrait examiner les antécédents de nos quatre individus afin d’y découvrir les morts demeurées inexpliquées. J’espère que vous avez relevé, à l’instar du colonel, les paroles de Shaitana pendant le dîner.

— L’ange noir, murmura Mme Oliver.

— Une allusion directe au poison, aux facilités et tentations d’un médecin, aux accidents de chasse et autres. Je ne serais pas surpris qu’il eût signé sa condamnation à mort en prononçant cette phrase.

— Le moment était lourd d’angoisse, déclara Mme Oliver.

— Oui, dit Poirot. Ces paroles ont dû frapper un des invités… et celui-ci, suspectant Shaitana d’en savoir beaucoup plus long, y a vu le prélude de sa débâcle. Il a cru à une mise en scène dramatique montée de toutes pièces par Shaitana et devant se terminer, au dernier acte, par l’arrestation sensationnelle de l’assassin. Comme vous venez de le dire, Shaitana a signé sa condamnation à mort en jouant ainsi avec le feu. »

Un silence régna quelques instants.

« La tâche sera longue et ardue, annonça Battle en poussant un soupir. Pour l’instant, agissons avec prudence, afin que les quatre suspects ne soupçonnent pas nos intentions. Nos interrogatoires devront leur laisser l’illusion que seule la mort de M. Shaitana nous intéresse. Ils ignoreront ainsi que nous flairons le mobile du crime. Le hic sera de retrouver dans le passé quatre crimes éventuels… et non un seul. »

Poirot hésita avant de parler.

« Notre ami, M. Shaitana, n’était pas infaillible, il peut avoir commis une erreur.

— Sur les quatre ?

— Non… il était trop intelligent pour cela.

— Disons sur la moitié ?

— Même pas. Moi, je dirai un sur quatre.

— Un innocent et trois coupables ? Ce n’est déjà pas mal. L’ennui, c’est que si nous parvenons à découvrir la vérité sur le passé, cela ne nous avancera guère. Si l’un d’eux a poussé sa vieille tante dans l’escalier en 1912, comment ce renseignement nous servira-t-il pour un crime commis en 1939 ?

— Pardon, pardon, il peut nous être très utile, encouragea Poirot. Vous le savez d’ailleurs, aussi bien que moi. »

Battle hocha lentement la tête.

« Si je devine votre allusion, dans les deux crimes, le procédé aura été identique ?

— Pas nécessairement, madame Oliver, lui dit Battle ; cependant au fond, ce sera le même genre de crime. Les détails peuvent différer, mais pas les points essentiels. Fait bizarre, un criminel se trahit toujours de cette façon-là.

— L’homme est un animal qui manque d’originalité, conclut Poirot.

— Les femmes possèdent un esprit plus inventif, déclara Mme Oliver. Ainsi, moi, je ne commettrais jamais deux fois le même crime.

— Et dans vos livres, répétez-vous deux fois la même intrigue ? demanda Battle.

— Le crime du lotus, Le mystère de la tache de cire », murmura discrètement Poirot.

Mme Oliver se tourna vers lui, radieuse.

« Vous êtes un très fin observateur, monsieur Poirot. Certes, l’intrigue est exactement semblable dans les deux ouvrages, mais vous êtes le seul à l’avoir remarqué. Le premier traite d’un vol de documents durant un week-end du ministère, et l’autre, d’un assassinat à Bornéo, dans le bungalow d’un planteur de caoutchouc.

— Mais le point essentiel autour duquel pivote l’histoire ne change pas, insista Poirot. C’est une de vos intrigues les mieux réussies. Le planteur de caoutchouc prépare son propre meurtre… Le ministre prémédite le vol de ses propres dossiers. À la dernière minute, un tiers apparaît et transforme l’illusion en réalité.

— J’ai beaucoup aimé votre dernier roman, madame Oliver, lui dit le chef de police Battle, d’un ton aimable. Celui dans lequel tous les chefs de police ont été abattus simultanément. Vous avez glissé une ou deux fois sur des détails d’ordre officiel. Je sais que vous vous attachez fort à l’exactitude des faits, aussi je me demande si… »

Mme Oliver l’interrompit :

« En réalité, je me moque éperdument de la précision des détails. De nos jours, qui tient à la stricte vérité ? Personne. Si un reporter écrit qu’une jolie blonde de vingt-deux ans s’est suicidée en ouvrant le robinet du gaz après avoir jeté un dernier coup d’œil vers la mer et donné un baiser d’adieu à Bob, son chien favori, un labrador ; qui protestera en apprenant que la chambre prenait vue sur la campagne et que le chien était un terrier Sealyham répondant au nom de Bonnie ? Si un journaliste peut se permettre de telles libertés, quel inconvénient voyez-vous à ce que je mêle les grades des officiers de police, que j’appelle un revolver un automatique, un dictographe un phonographe, et que j’emploie un poison qui vous laisse juste le temps de prononcer une phrase avant de tourner de l’œil ? L’essentiel, c’est une abondance de cadavres. Si l’histoire languit, un peu de sang lui redonne de l’intérêt. Un personnage va-t-il révéler un important secret ? Je fais taire ce bavard en le supprimant. Cet épisode se digère très bien. Je le sers dans tous mes romans… camouflé de manière différente, bien entendu. Mes lecteurs raffolent de poisons qui ne laissent aucune trace, des inspecteurs de police stupides, des jeunes filles ficelées dans les caves où l’eau afflue avec des émanations d’égout (façon bien compliquée de tuer quelqu’un en vérité) et de héros capables de disposer de trois à sept hommes de main. Jusqu’ici j’ai écrit trente-deux romans, tous exactement les mêmes, ainsi que l’a remarqué M. Poirot – mais lui seul – et mon seul regret est d’avoir donné à mon détective la nationalité finlandaise. Je ne connais rien de la Finlande et je reçois des avalanches de lettres de ce pays me reprochant d’avoir fait dire ou commettre à mon détective des choses impossibles. En Finlande, les lecteurs semblent friands de romans policiers. Ce goût est dû sans doute aux longs hivers sans soleil. En Bulgarie et en Roumanie, je crois que personne ne lit. J’aurais été mieux inspirée d’en faire un Bulgare. »

Elle s’interrompit.

« Oh ! pardon ! Je ne parle que de mes propres affaires… alors qu’il s’agit ici d’un véritable crime. »

Son visage s’éclaira. « Quelle surprise, si aucun des quatre n’avait commis le crime ! Si Shaitana les avait tous quatre invités et s’était suicidé pour le simple plaisir de jouer une farce à la police ? »

Poirot approuva d’un signe de tête :

« Solution admirable : si claire, si ironique ! Hélas ! M. Shaitana n’était pas ce genre de plaisantin. Il aimait beaucoup trop la vie pour supprimer la sienne si ingénument.

— Je ne crois pas qu’il brillait par la bonté, observa Mme Oliver.

— Non, dit Poirot, mais il était vivant et le voilà mort. Comme je lui en faisais la remarque, j’adopte envers le meurtre une attitude bourgeoise. Je ne puis donc que le désapprouver. »

Il ajouta à voix basse :

« Là-dessus, je suis prêt à entrer dans la cage du tigre… »

CHAPITRE IX

LE DOCTEUR ROBERTS

« Bonjour, monsieur Battle. »

Le médecin se leva et tendit une large main rose fleurant le savon et une légère odeur d’acide carbonique.

« Comment va l’enquête ? » demanda-t-il.

Avant de répondre, le chef de police jeta un regard autour de la confortable salle de consultation.

« À vous dire vrai, docteur Roberts, elle n’avance guère. Nous piétinons sur place.

— Je me plais à constater que la presse s’est montrée très discrète.

— « Mort subite du fameux M. Shaitana au cours d’une soirée qu’il donnait dans son hôtel particulier. » On s’en tient là pour l’instant. On a pratiqué l’autopsie. J’ai apporté le rapport du médecin légiste. Peut-être cela vous intéressera-t-il ?

— Très aimable de votre part… mais… hum… oui. Cela paraît très intéressant. »

Il rendit le papier.

« Nous avons vu le notaire de M. Shaitana. Nous connaissons les clauses de son testament et n’y découvrons rien de particulier. Il a des parents en Syrie, ce me, semble. Nous avons également examiné ses papiers personnels. »

Était-ce une illusion… ou ce large visage, rasé de frais, paraissait-il soudain fatigué, comme sous un pénible effort mental ?

« Et alors ? demanda le docteur Roberts.

— Rien », répondit Battle tout en l’observant.

Pas un soupir de soulagement ; seulement le médecin parut un peu plus à l’aise dans son fauteuil.

« Et alors, vous venez me voir ?

— Comme vous le dites. Je viens vous voir. »

Le médecin leva légèrement les sourcils et ses petits yeux rusés se posèrent sur ceux de Battle.

« Vous voulez aussi examiner mes papiers personnels, n’est-ce pas ?

— Telle est mon intention.

— Avez-vous un mandat à cet effet ?

— Non.

— Il ne vous serait pas difficile de vous en procurer un, aussi ne vous susciterai-je aucune difficulté. Il n’est guère agréable d’être soupçonné de meurtre, mais je ne saurais vous reprocher d’accomplir votre devoir.

— Merci, monsieur, répondit le chef de police. J’apprécie beaucoup votre attitude. J’espère que tous les autres se montreront aussi raisonnables que vous.

— Contre la force, pas de résistance », répliqua le médecin avec bonne humeur.

Il poursuivit :

« Ma consultation terminée, je me prépare à faire mes visites. Je vais vous confier mes clefs et dire un mot à ma secrétaire… Vous pourrez donc faire votre perquisition en toute liberté.

— Voilà qui est on ne peut plus aimable, dit Battle. Avant que vous partiez, je me permettrai de vous poser une ou deux questions.

— Au sujet de cette soirée chez Shaitana ? Ne vous ai-je pas dit tout ce que je savais ?

— Non, il ne s’agit pas de cette soirée. Mais de vous-même.

— Eh bien, parlez ! Que voulez-vous savoir ?

— Je désire seulement un petit schéma de votre carrière : naissance, mariage et le reste.

— Eh bien, cet exercice me facilitera la rédaction de ma biographie pour le Who’s Who[1], dit le médecin d’un ton sec. Ma carrière est des plus droites. Je suis né dans le Shropshire, à Ludlow, où mon père exerçait la médecine. Il mourut lorsque j’avais quinze ans. Je continuai mes études à Shrewsbury et entrai à mon tour dans la médecine. J’ai fait un stage à l’hôpital Saint-Christophe… Mais vous devez déjà posséder les renseignements touchant ma profession ?

— Oui, en effet. Êtes-vous fils unique, ou bien avez-vous des frères et sœurs ?

— Je suis fils unique. Mon père et ma mère sont morts et je suis célibataire. Ces détails vous suffisent-ils ? Je me suis associé ici avec le docteur Emery. Il s’est retiré voilà une quinzaine d’années et vit en Irlande. Je vous communiquerai son adresse si vous le désirez. J’habite ici avec une cuisinière, une femme de chambre et une bonne à tout faire. Ma secrétaire vient tous les jours. Je me fais un bon revenu et, bon an, mal an, je ne tue qu’un nombre raisonnable de mes malades. Est-ce clair ? »

Le chef de police grimaça un sourire.

« Très clair, docteur Roberts. Je vois que vous ne détestez pas la plaisanterie. Maintenant une dernière question.

— Monsieur le chef de la police, mes mœurs sont au-dessus de tout reproche.

— Oh ! je ne faisais aucune allusion à cela. Je voulais vous prier de me donner les noms de quatre de vos amis… des gens qui vous connaissent intimement depuis un certain nombre d’années. À titre de référence, tout simplement.

— Je comprends. Voyons un peu. Vous préféreriez des gens qui habitent Londres ?

— Cela faciliterait mes recherches, mais cette condition n’est pas indispensable. »

Le médecin réfléchit quelques instants, puis, prenant son stylo, il griffonna quatre noms et adresses sur une feuille de papier, qu’il poussa sur son bureau dans la direction de Battle.

« Cela suffira-t-il ? Je ne vois rien de mieux pour l’instant. »

Battle lut la liste avec attention, approuva de la tête et glissa la feuille de papier dans la poche intérieure de sa veste.

« Il ne s’agit que d’une épreuve éliminatoire, dit-il. Plus vite j’aurai écarté une personne pour m’attacher à la suivante, mieux cela vaudra pour tout le monde. Je dois m’assurer d’abord que vous n’étiez pas en mauvais termes avec feu M. Shaitana, que vous n’aviez avec lui aucun rapport privé ou d’affaires, qu’à aucun moment il ne vous a manqué au point de susciter votre rancune. Je veux bien croire que vous le connaissiez à peine, mais peu importe ce que je puis croire. Je dois apporter des affirmations.

— Oh ! je saisis parfaitement votre point de vue. Vous devez prendre chacun de nous pour un menteur jusqu’à ce que sa sincérité soit prouvée. Voici mes clefs, monsieur Battle. Celle-ci va sur les tiroirs du bureau, cette petite-là sur l’armoire à poisons. Ne manquez pas de refermer ce meuble à clef. Je ferais peut-être bien de dire un mot à ma secrétaire. »

Il appuya sur un bouton fixé sur son bureau.

Presque aussitôt la porte s’ouvrit et une jeune femme à l’air très éveillé apparut.

« Vous avez sonné, docteur ?

— Je vous présente Miss Burgess… Monsieur le chef de police Battle, de Scotland Yard. »

Miss Burgess décocha à Battle un regard froid et qui semblait vouloir dire : « Mon Dieu ! Quelle sorte d’animal est-ce là ? »

« Miss Burgess, je vous prie de vouloir bien répondre à toutes les questions que vous posera M. Battle et de lui être utile chaque fois qu’il fera appel à vos services.

— Je n’y manquerai pas, docteur.

— Il est temps que je m’en aille, dit Roberts en se levant. Avez-vous mis la morphine dans ma trousse ? J’en ai besoin pour un de mes malades, M. Lockhaert. »

Il s’éloigna vivement tout en parlant, et Miss Burgess le suivit.

Elle revint une minute ou deux plus tard et dit :

« Monsieur Battle, si vous avez besoin de moi, veuillez appuyer sur ce bouton. »

Le chef de police la remercia et se remit au travail.

Il se livra à une recherche lente et méthodique, bien qu’il n’escomptât point découvrir des documents importants. L’empressement de Roberts à se prêter à cette formalité l’en avertissait. Roberts n’était certes pas un imbécile. Il avait prévu cette perquisition et pris eu conséquence toutes ses dispositions. Cependant, il lui restait une ombre d’espoir. Roberts, ignorant le véritable objet de sa visite, pouvait avoir commis quelque négligence.

Le chef de police ouvrit et ferma le tiroir, vida les casiers, parcourut un cahier de chèques, évalua les factures impayées, pris note de leur nature, feuilleta le carnet de banque, examina le livre des malades, en somme, ne négligea aucun document manuscrit. Le résultat fut des plus décevants. Ensuite, il jeta un coup d’œil dans l’armoire à poisons et inscrivit sur son calepin les noms des fournisseurs de produits pharmaceutiques avec qui le docteur Roberts était en relations, releva également la méthode de contrôle, referma l’armoire à clé et passa aux tiroirs du bureau. Le contenu de ceux-ci, bien que de nature plus privée, ne satisfit point la curiosité professionnelle de Battle. Il hocha la tête, s’assit dans le fauteuil du médecin et appuya sur le bouton.

Miss Burgess apparut avec une promptitude méritoire.

Le chef de police la pria poliment de s’asseoir et l’étudia un moment avant de l’interroger. Tout de suite, il avait deviné son hostilité et se demandait s’il convenait de la faire parler inconsidérément en excitant ses dispositions malveillantes envers lui, ou s’il devait, de préférence, employer une méthode plus diplomatique.

« Sans doute connaissez-vous l’objet de ma visite, Miss Burgess ? lui dit-il enfin.

— Le docteur Roberts m’a mise au courant, répondit brièvement Miss Burgess.

— Toute cette affaire est plutôt délicate, déclara le chef de police.

— Vraiment ?

— Ma foi, ce crime offre bien des complications. Les soupçons pèsent sur quatre personnes, dont l’une doit être la coupable. Je voudrais savoir si vous avez déjà vu ce M. Shaitana.

— Jamais.

— Avez-vous entendu le docteur Roberts en parler ?

— Jamais… Ah ! non, je me trompe. Il y a environ une semaine, le docteur Roberts me pria d’inscrire sur son carnet un rendez-vous à dîner chez M. Shaitana, à huit heures quinze, le 18.

— Était-ce la première fois que vous entendiez prononcer le nom de ce M. Shaitana ?

— Oui.

— Vous n’avez jamais lu son nom dans les journaux ? Il figurait souvent dans la chronique mondaine.

— J’ai trop d’occupations pour lire les nouvelles mondaines.

— Sans doute, sans doute, répondit le chef de police d’une voix douce. Et voilà ! Les quatre personnes prétendront ne connaître que très vaguement M. Shaitana. Cependant, l’une d’entre elles le connaissait suffisamment pour le tuer. Il m’appartient de découvrir laquelle. »

Il y eut un silence qui n’aida en rien les choses. Miss Burgess semblait ne prendre aucun intérêt aux efforts de M. Battle. Obéissant aux ordres de son patron, elle se contentait d’écouter parler le chef de police et de répondre à ses questions.

Battle reprit :

« Si vous saviez quels obstacles je rencontre dans l’accomplissement de ma tâche ! Nous ne pouvons pas croire un mot de ce que les gens nous racontent ; pourtant, nous devons en tenir compte, surtout dans un cas comme celui-ci. Je ne voudrais pas médire du sexe féminin, mademoiselle, mais une fois lancées dans le bavardage, souvent les femmes parlent à tort et à travers. Elles accuseront sans preuves, feront des allusions plus ou moins fondées et remueront toutes sortes de scandales qui n’ont rien à voir avec l’enquête.

— Voulez-vous me faire comprendre qu’une des personnes présentes a dit du mal du docteur Roberts ? demanda Miss Burgess.

— Pas précisément, répondit Battle sans se compromettre. On a pourtant fait devant moi certaines allusions sur les circonstances suspectes du décès d’un de ses malades. Peut-être n’est-ce là que des racontars. J’éprouve même du scrupule à mentionner le fait au docteur.

— Sans doute s’agit-il encore de cette histoire au sujet de Mme Graves ! déclara Miss Burgess, furieuse. C’est honteux ! Les gens s’occupent de choses dont ils ne connaissent pas un traître mot ! Un tas de vieilles dames tombent dans ce travers. Elles s’imaginent toujours qu’on cherche à les empoisonner. Elles se méfient de leurs parents, de leurs domestiques et même de leurs médecins. Avant de s’adresser au docteur Roberts, Mme Graves avait vu trois médecins, et lorsqu’elle conçut les mêmes soupçons à son égard, il lui recommanda de se confier aux soins du docteur Lee. En pareil cas, il ne voyait pas d’autre solution. Après le docteur Lee, elle prit le docteur Stelle, puis le docteur Farmer… jusqu’à ce qu’enfin elle mourût, la pauvre femme !

— Vous seriez surprise de constater les proportions gigantesques que prend parfois le moindre fait, dit Battle. Chaque fois qu’un médecin hérite d’un de ses patients, la malignité publique s’empare aussitôt de lui. Pourtant, quoi de plus naturel qu’un malade reconnaissant songe à léguer une somme, même importante, à celui qui l’a bien soigné ?

— En général, ces calomnies proviennent des parents du mort. Rien comme un décès pour éveiller les mauvais instincts de la nature humaine. Les membres d’une même famille se querellent pour savoir ce qui leur revient avant même que le cadavre soit refroidi. Fort heureusement, le docteur Roberts n’a pas connu d’ennuis de ce genre. Il ne cesse de répéter qu’il souhaite ne jamais bénéficier d’un legs de ses malades. Je crois qu’un jour un de ses clients lui a laissé par testament cinquante livres en espèces, mais il n’a reçu en tout et pour tout que deux cannes et une montre en or.

— La profession de médecin n’est pas des plus enviables, fit Battle, avec un soupir. Il est toujours en butte au chantage. Les faits les plus insignifiants revêtent parfois des apparences scandaleuses… Un médecin doit éviter jusqu’à l’aspect du mal… en d’autres termes, il doit toujours se tenir sur la défensive.

— Ce n’est que trop vrai, surtout quand un médecin soigne des névrosées.

— Des névrosées. Très juste. J’ai bien pensé que l’histoire n’avait pas d’autre source.

— En ce moment, vous songez sans doute à cette affreuse Mme Craddock ? »

Battle fit mine de rappeler ses souvenirs.

« Voyons un peu. Il y a trois ans de cela, n’est-ce pas ?

— Plutôt quatre ou cinq ans. Cette femme était complètement déséquilibrée. J’étais bien contente, ainsi que le docteur Roberts, le jour où elle partit pour l’étranger. Elle raconta à son mari les plus invraisemblables mensonges, comme elles ont toutes la manie de le faire. Le pauvre homme en perdit la tête… et tomba malade. Il mourut du charbon, contracté en se rasant avec un blaireau infecté.

— J’avais oublié ce détail, mentit effrontément Battle.

— Après le décès de son mari, elle s’en alla à l’étranger et mourut peu de temps après. Je l’ai toujours prise pour une mauvaise femme… de celles qui s’acharnent après les hommes.

— Je connais ce genre-là. Ce sont les plus dangereuses. Un médecin doit les éviter à tout prix. Où est-elle morte ?… Attendez, je crois me rappeler… »

Miss Burgess vint à son aide :

« En Égypte… d’un empoisonnement du sang… maladie indigène.

— Une autre épreuve délicate pour un médecin, dit Battle faisant rebondir la conversation, c’est de soupçonner un des membres de la famille d’avoir empoisonné son patient. Que faire en l’occurrence ? S’il ne possède aucune certitude, mieux vaut observer le silence. Oui, mais sa situation devient intolérable si, par la suite, la mort naturelle est mise en doute. Ce cas s’est-il déjà présenté dans la carrière du docteur « Roberts ?

— Non, je ne crois pas. Je n’ai rien entendu de semblable.

— D’un point de vue purement statistique, il serait curieux de connaître le nombre annuel de décès dans la clientèle d’un médecin. Par exemple, vous travaillez avec le docteur Roberts depuis…

— Sept ans.

— Sept ans. Dites-moi, approximativement, combien il y a eu de morts chaque année depuis cette période.

— Il m’est difficile de répondre, fit Miss Burgess, maintenant pleine de confiance, se livrant à un calcul mental. Sept, huit… je ne pourrais préciser… en tout cas, pas plus d’une trentaine depuis mon entrée ici.

— On ne pourrait en dire autant de tous les médecins. D’autre part, sa clientèle, très aisée, a les moyens de se faire soigner.

— Il jouit d’une excellente réputation Son diagnostic est des plus sûrs. »

Battle poussa un soupir et se leva.

« Je crains de m’être écarté du but de ma visite, qui consistait à découvrir un lien entre le docteur Roberts et M. Shaitana. Vous êtes certaine qu’il n’était pas de ses clients ?

— Tout à fait certaine.

— Peut-être sous un autre nom, ajouta Battle, en lui tendant la photographie du disparu. Le reconnaissez-vous ?

— Quel personnage théâtral ! Non, je ne l’ai jamais vu ici.

— Alors, c’est tout, soupira Battle. Je remercie infiniment le docteur de sa grande amabilité. Veuillez lui faire part de ma gratitude et lui dire que je passe maintenant au numéro 2. Au revoir, Miss Burgess, et merci également de votre gentillesse. »

Il lui serra la main et s’en alla. Tout en marchant dans la rue, il tira de sa poche un petit calepin et inscrivit quelques mots sous la lettre R.

Mme Graves ? Peu probable.

Mme Craddock ?

Pas d’héritage.

Pas marié (dommage !)

Rechercher la mort des malades. Difficile.

Il referma le carnet et entra dans la succursale de la London et Wessex Bank, de Lancaster Gate.

La remise de sa carte officielle lui procura une entrevue privée avec le directeur.

« Bonjour, monsieur. Vous devez avoir comme client le docteur Roberts ?

— Parfaitement, monsieur le chef de police.

— Je désirerais consulter le compte de ce monsieur sur une période de plusieurs années.

— Je vais voir ce qu’il est possible de faire pour vous. »

Une demi-heure très occupée s’ensuivit. Enfin Battle poussa un soupir de soulagement et glissa dans sa poche une feuille couverte de chiffres griffonnés au crayon.

« Avez-vous trouvé le renseignement désiré ? demanda le directeur.

— Hélas ! non. Rien de concluant. Merci tout de même. »

Au même instant, le docteur Roberts, en train de se laver les mains dans son cabinet de consultation, demanda à Miss Burgess, par-dessus son épaule :

« Et alors, ce stupide policier a-t-il mis la maison sens dessus dessous ?

— En tout cas, il n’a pas réussi à me tirer les vers du nez !

— Ma chère enfant, rien ne vous obligeait à demeurer fermée comme une huître. Je vous ai priée de répondre à toutes ses questions. Que voulait-il savoir ?

— Il ne cessait de répéter que vous connaissiez ce nommé Shaitana… il est allé jusqu’à dire qu’il était peut-être venu se faire soigner ici sous un nom d’emprunt. Il m’a montré la photographie du mort. Quel air cabotin !

— Shaitana ? Il voulait poser au moderne Méphisto, ce qui, après tout, lui allait assez bien. Que vous a encore demandé Battle ?

— Pas grand-chose. Ah !… quelqu’un lui a raconté cette histoire idiote de Mme Graves…

— Graves ? Graves ? Ah ! oui, la vieille Mme Graves. Que c’est donc drôle ! dit le médecin en éclatant de rire. Elle est bonne, celle-là ! »

Débordant de bonne humeur, il alla déjeuner.

CHAPITRE X

LE DOCTEUR ROBERTS (Suite.)

Hercule Poirot déjeunait en compagnie du chef de police Battle. Celui-ci avait l’air consterné.

« Votre matinée n’a pas rapporté des résultats très appréciables, à ce que je vois », lui dit Poirot d’un ton compatissant.

Battle hocha la tête.

« Cette affaire va me donner du fil à retordre, monsieur Poirot.

— Que pensez-vous de votre homme ?

— Du médecin ? Je crois que Shaitana ne se trompait pas. Roberts est un assassin. Il me rappelle Westaway, et aussi cet avocat de Norfolk. Mêmes manières affables, même confiance en soi, même don de se rendre sympathique. Tous deux étaient de fieffés malins, ainsi que Roberts. Il ne s’ensuit pas nécessairement que le médecin ait tué Shaitana… Je ne le crois même pas. Mieux qu’un profane, il savait le risque qu’il courait : Shaitana aurait pu s’éveiller et appeler au secours. Non, je ne suspecte pas Roberts de ce crime.

— D’un autre, alors ?

— Peut-être de plusieurs, comme Westaway. Mais nous aurons du mal à découvrir la vérité. J’ai jeté un coup d’œil sur son compte en banque. Là, rien de louche. Pas de grosses sommes à son crédit. On pourrait en conclure que, durant ces sept dernières années, il n’a reçu aucun legs de ses malades. Voilà qui diminue l’idée du meurtre par esprit de lucre. Il n’a jamais été marié. Regrettable ! Quoi de plus facile pour un médecin que de tuer sa propre femme ? Il est riche, mais il a une clientèle de gens très aisés.

— En résumé, il semble mener une vie exemplaire, et peut-être est-ce le cas ?

— Peut-être. Mais je préfère supposer le pire. On parle d’un scandale à propos d’une femme… une de ses malades du nom de Craddock. Ce détail mérite d’être retenu. Je vais sans tarder mettre quelqu’un sur cette piste. Mme Craddock serait morte en Égypte d’une maladie indigène. Je ne crois pas que nous découvrions rien de sérieux de ce côté, toutefois les renseignements obtenus jetteront peut-être quelque clarté sur le caractère et la moralité du médecin.

— Cette femme était-elle mariée ?

— Oui, son mari est mort du charbon.

— Du charbon ?

— Oui, à cette époque les bazars regorgeaient de blaireaux à bon marché… dont quelques-uns étaient infectés. L’affaire a fait scandale, si vous vous en souvenez. »

Cela ne pouvait mieux tomber.

« Voilà ce que je pensais. Si son mari menaçait de mettre les pieds dans le plat… Mais nous nageons en pleine conjecture. Nous ne savons rien de certain.

— Courage, cher ami. Je connais votre patience. Vous en viendrez certainement à bout.

— Et vous, monsieur Poirot, que comptez-vous faire ?

— Pourquoi n’irais-je pas aussi faire une petite visite au docteur Roberts ?

— Deux dans la même journée ! Vous allez éveiller ses soupçons.

— Je me montrerai on ne peut plus discret. J’éviterai de l’interroger sur son passé.

— J’aimerais à savoir exactement quelle ligne de conduite vous suivrez… Mais je ne veux pas insister si vous y voyez quelque inconvénient.

— Du tout… du tout. Je suis prêt à satisfaire votre curiosité. Je lui parlerai du jeu de bridge, voilà tout.

— Encore du bridge ! Vous y tenez, monsieur Poirot ?

— Ce sujet me paraît très opportun.

— Chacun son goût. Je ne pratique pas ces entrées en matière fantaisistes : elles ne conviennent pas à mon genre.

— Quel est donc votre genre, monsieur Battle ? »

Le chef de police répondit par un sourire amusé au clignement d’œil de Poirot.

« Officier de police zélé, droit et consciencieux… Voilà mon genre, monsieur Poirot. Ni fioritures, ni puérilité. De la sueur d’honnête homme. Pas très malin, je dirai même un peu stupide : tel je suis. »

Poirot leva son verre.

« Je bois en l’honneur de nos méthodes respectives… et que le succès couronne nos efforts conjugués !

— Espérons que le colonel Race nous ramènera d’utiles renseignements sur le compte de Despard, dit Battle. Il dispose de plusieurs sources d’information.

— Et Mme Oliver ?

— Là, il s’agit uniquement d’une question de chance. Cette romancière ne me déplaît point. Elle parle à tort et à travers, mais ne manque pas de cran. Une femme voit plus clair que nous dans le jeu des autres femmes, et elle peut découvrir un précieux indice. »

Ils se séparèrent. Battle retourna à Scotland Yard pour donner des instructions à ses hommes et Poirot se rendit au n°200, Gloucester Terrace.

En accueillant son visiteur le docteur Roberts leva les sourcils d’un air comique.

« Deux limiers en un jour, et les menottes pour ce soir, je suppose ? »

Poirot sourit.

« Je peux vous affirmer, docteur Roberts, que mes soupçons se partagent également entre vous quatre.

— Vous m’en voyez reconnaissant. Vous fumez ?

— Si cela ne vous gêne pas, je préfère mes propres cigarettes. »

Poirot alluma une de ses minuscules cigarettes russes.

« Eh bien, en quoi puis-je vous être utile ? » demanda Roberts.

Poirot demeura silencieux un instant et tira sur sa cigarette. Enfin, il prit la parole :

« Docteur Roberts, vous devez bien connaître la nature humaine ?

— Sans doute. Un médecin doit savoir observer les hommes.

— Voilà précisément ce que je me suis dit : « Un médecin est tenu d’étudier ses malades… leur expression, leur teint, leur façon de respirer, leurs airs agités… un médecin remarque ces détails machinalement, sans s’en rendre compte ! Le docteur Roberts est l’homme qu’il me faut ! »

— Je ne demande pas mieux que de vous aider. Que désirez-vous savoir de moi ? »

Poirot tira de son élégant portefeuille trois marques de bridge soigneusement pliées.

« Voici les trois premiers robres de l’autre soir, expliqua-t-il. Le premier, de l’écriture de Miss Meredith. Pourriez-vous me dire, à l’aide de ces chiffres, le bilan des annonces et le détail de chaque coup ? »

Roberts le regarda, étonné.

« Vous plaisantez, monsieur Poirot. Comment pourrais-je m’en souvenir ?

— Vraiment ? Je vous serais tellement reconnaissant si vous faisiez un petit effort de mémoire ! Prenons ce premier robre. La première levée a dû se terminer par une demande de sortie à cœur ou à pique, ou alors une des deux équipes a pris cinquante d’amende.

— Voyons un peu. Ils prirent la sortie à pique.

— Et la levée suivante ?

— L’un de nous a dû avoir cinquante d’amende. Je ne me rappelle pas qui. Vraiment, monsieur Poirot, vous m’en demandez trop.

— Vous souvenez-vous au moins de quelques annonces ou de quelques levées ?

— J’ai eu un grand schelem. De cela, je me souviens. Contré, qui mieux est. Mauvaise affaire que ces trois sans-atout. Ils ont perdu un tas de levées.

— Qui était votre partenaire ?

— Mme Lorrimer. Elle faisait une drôle de tête. Ma façon d’annoncer ne lui plaisait guère, je crois.

— Et vous ne vous rappelez vraiment pas d’autres annonces ou d’autres levées ? »

Roberts se mit à rire.

« Mon cher monsieur Poirot, qu’attendiez-vous donc de moi ? D’abord, il y a eu le crime… cela suffirait pour me faire oublier les levées les plus fameuses… et, en outre, j’ai joué depuis une demi-douzaine de robres. »

Poirot parut décontenancé.

« Je suis navré, dit Roberts.

— Oh ! après tout, peu importe ! Je comptais bien que vous me répéteriez une ou deux levées. Ces points de repère eussent contribué à réveiller d’autres souvenirs.

— Lesquels ?

— Vous auriez pu remarquer, par exemple, que votre partenaire avait complètement saboté un sans-atout très simple, ou encore que votre adversaire vous avait fait cadeau de deux levées inespérées en omettant de jouer une carte qui s’imposait. »

Le docteur Roberts s’assombrit soudain et se pencha en avant.

« Ah ! maintenant, je vois où vous voulez en venir. Au début, vos propos me paraissaient des plus incohérents et des plus stupides. Vous pensez que le crime… du moins la réussite complète du crime… a pu apporter une perturbation dans le jeu du coupable ? »

Poirot approuva d’un signe de tête.

« Vous avez parfaitement saisi mon idée. C’eût été un précieux indice si les quatre joueurs avaient bien observé leurs partenaires. Un changement brusque dans la façon d’annoncer ou de mener le jeu, une étourderie, une occasion manquée… vous les auriez facilement remarqués chez l’un des joueurs. Malheureusement, vous étiez tous étrangers les uns aux autres et une modification dans la manière de jouer ne pouvait retenir votre attention. Mais, docteur, veuillez réfléchir un instant. Vous rappelez-vous une défaillance quelconque ? Une erreur grossière dans le jeu des autres ? »

Un silence, puis le médecin hocha la tête.

« J’ai beau chercher, je ne vois rien, répondit-il franchement. Ma mémoire me fait complètement défaut. Je ne puis vous répéter que ce que je vous ai déjà dit : Mme Lorrimer joua à la perfection du commencement à la fin ; je n’ai pas relevé chez elle la moindre sottise. Despard s’est également montré bon dans l’ensemble, mais, à mon sens, c’est un joueur trop timoré. Ses annonces sont strictement conventionnelles ; jamais il ne fait un pas en dehors des règles. Jamais il ne tente le hasard. Quant à Miss Meredith… »

Il hésita.

« Eh bien ?

— Elle a commis quelques erreurs… une ou deux… vers la fin de la soirée. Peut-être était-ce simplement la fatigue et son manque d’expérience au jeu. Sa main tremblait… »

Il fit une pause.

« À quel moment ?

— J’essaie de me rappeler… C’était, je crois, dû à son état nerveux. Monsieur Poirot, vous me faites imaginer des tas de choses.

— Excusez-moi. Je voudrais votre avis sur un autre sujet.

— Je vous écoute.

— C’est plutôt difficile à expliquer. Vous allez me comprendre. Si je vous pose une question trop directe, je vous mets sur la voie et votre réponse perd de sa valeur. Permettez-moi d’employer un autre moyen, monsieur Roberts, veuillez me décrire l’ameublement de la pièce où vous avez joué au bridge chez Shaitana ? »

Roberts demeura interloqué.

« L’ameublement de la pièce ?

— Je vous en prie.

— Cher monsieur, je ne sais par où commencer.

— Par où vous voudrez.

— Ma foi, ce salon était bien garni de meubles…

— Non, non. Je veux des précisions. »

Le docteur Roberts poussa un soupir.

Sarcastique, il annonça, à la manière d’un commissaire-priseur :

« Un grand divan recouvert de brocart ivoire… Un idem en vert… quatre ou cinq larges fauteuils… huit ou neuf tapis persans… une série de douze petites chaises dorées Empire. Un bureau William et Mary. (Je me figure être employé dans une salle de ventes.) Une magnifique vitrine chinoise. Un piano à queue. Il y avait d’autres meubles que je n’ai pas remarqués. Six estampes japonaises de toute beauté. Deux peintures chinoises sur miroir. Cinq ou six belles tabatières. Des statuettes japonaises en ivoire posées sur un guéridon. Des tazzas en vieil argent de l’époque Charles Ier. Une ou deux pièces d’émail Battersea…

— Bravo, bravo ! s’exclama Poirot.

— Un couple d’oiseaux, une statue de Ralph Wood… Quelques bijoux (je ne suis pas très ferré là-dessus). Quelques bibelots orientaux… incrustés d’argent. Des oiseaux de Chelsea. Quelques miniatures dans une vitrine… assez jolies, ma foi. Ce n’est pas encore tout. Il s’en faut de beaucoup, mais pour l’instant rien d’autre ne me vient à l’esprit.

— C’est magnifique, déclara Poirot. Vous avez vraiment l’œil observateur. »

Le médecin demanda avec curiosité :

« Ai-je cité l’objet que vous aviez en tête ?

— Voilà un point intéressant. Si vous l’aviez nommé, cela m’aurait fort surpris. Comme je m’y attendais, vous ne pouviez le comprendre dans votre énumération.

— Pourquoi ? »

Poirot cligna de l’œil.

« Parce qu’il ne s’y trouvait pas. »

Roberts écarquilla les yeux.

« Vous éveillez en moi un souvenir, monsieur Poirot.

— Vous pensez à Sherlock Holmes, n’est-ce pas ? Le curieux incident du chien dans la nuit. Le chien n’avait pas aboyé. C’est le curieux de l’histoire. Hum… que voulez-vous, je n’hésite pas à emprunter parfois les petits trucs des autres.

— Laissez-moi vous dire, monsieur Poirot, que je ne sais où vous voulez en venir.

— Je m’en félicite. Entre nous, voilà comment je m’y prends pour produire mes petits effets. »

Puis, comme le médecin demeurait toujours abasourdi, Poirot se leva et dit avec un sourire :

« Du moins, comprenez ceci : ce que vous venez de me dire me servira énormément dans ma prochaine entrevue. »

Le médecin quitta son siège.

« Je ne vois pas de quelle façon, mais je vous crois sur parole. »

Les deux hommes se serrèrent la main.

Poirot descendit le perron de la maison du médecin et héla un taxi qui passait.

« 111, Cheyne Lane, Chelsea », annonça-t-il au chauffeur.

CHAPITRE XI

MADAME LORRIMER

Madame Lorrimer habitait une petite maison proprette et bien ordonnée au numéro 111, de Cheyne Lane, cette rue si tranquille. On accédait à la porte peinte en noir par un perron d’une blancheur éblouissante, et la poignée ainsi que le heurtoir en cuivre brillaient sous le soleil de l’après-midi.

Une vieille femme de chambre, au bonnet et au tablier blancs immaculés, vint ouvrir.

À la question de Poirot, elle répondit que sa maîtresse était chez elle.

Elle le précéda dans l’étroit escalier.

« Qui dois-je annoncer, monsieur ?

— M. Hercule Poirot. »

Il fut introduit dans un salon et regarda autour de lui, observant tous les détails. Bel ameublement, bien entretenu, de vieux style familial. Des housses en toile de Perse recouvraient les fauteuils et les canapés. Quelques photographies dans des cadres d’argent ornaient les murs. Au demeurant, une pièce vaste et bien éclairée, avec quelques superbes chrysanthèmes dans un grand vase.

Mme Lorrimer s’avança pour saluer son visiteur.

Elle lui tendit la main sans trahir la moindre surprise de le voir, lui désigna un siège, s’assit elle-même et parla du beau temps.

Il y eut une pause.

« J’espère, madame, que vous voudrez bien excuser cette visite ? »

Le regardant bien en face, Mme Lorrimer demanda :

« Est-ce une visite professionnelle ?

— Je dois l’avouer.

— Vous comprendrez, monsieur Poirot, que si je suis prête à fournir au chef de police Battle et à ses agents tous renseignements désirables, rien ne m’oblige à répondre aux questions d’un enquêteur officieux.

— Je me range volontiers à votre point de vue, madame, et si vous me montrez la porte, j’obéirai humblement à votre désir. »

Mme Lorrimer esquissa un sourire.

« Je n’ai nulle intention d’en arriver là, monsieur Poirot. Je vous accorde dix minutes, car je dois me rendre à une partie de bridge.

— Dix minutes me suffisent amplement, madame. Auriez-vous l’obligeance de me décrire la pièce dans laquelle vous avez joué au bridge l’autre soir, le salon où a été tué M. Shaitana ? »

Mme Lorrimer leva les sourcils.

« Quelle bizarre question ! Je n’en discerne pas du tout le but.

— Si, au cours de la partie de bridge, on vous disait : « Pourquoi jouez-vous cet as, ou pourquoi mettez-vous le valet qui sera pris par la dame et non le roi qui aurait fait la levée ? » votre réponse serait certes longue et fastidieuse, n’est-ce pas ?

— Étant bien entendu que, dans ce jeu, vous êtes le spécialiste et moi la novice… dit-elle en souriant. Alors, très bien. »

Elle réfléchit un instant.

« Le salon était vaste et richement meublé.

— Pouvez-vous me donner certains détails ?

— Il y avait des vases de fleurs… modernes… assez jolis… Je crois avoir aussi remarqué des estampes chinoises ou japonaises. Dans une coupe se trouvaient des tulipes rouges… étonnamment précoces…

— Est-ce tout ?

— Je crains fort de n’avoir rien observé de près.

— Et l’ameublement ? Vous rappelez-vous la couleur de la tapisserie ?

— Je me souviens vaguement d’une étoffe soyeuse.

— Et les bibelots ?

— Oh ! Ils étaient si nombreux que je me croyais dans une salle de musée. »

Après un silence, Mme Lorrimer ajouta :

« Ces renseignements ne vous renseigneront guère, monsieur Poirot.

— Autre chose. »

Il lui montra des marques de bridge.

« Voici les trois premiers robres. Je me demande si, à l’aide de ces marques, vous serez en mesure de rétablir les levées.

— Attendez. »

L’air très intéressée, Mme Lorrimer se pencha sur les marques.

« Voici le premier robre. Miss Meredith et moi jouions contre les deux hommes. La première manche fut jouée à quatre piques. Nous les avons faits, plus une levée supplémentaire. Le coup suivant resta à deux carreaux et le docteur Roberts subit une levée d’amende. Il y a eu beaucoup d’annonces au troisième coup. Miss Meredith passa. Le major Despard annonça son cœur. Je passai. Le docteur Roberts fit un forcing à trois trèfles. Miss Meredith dit trois piques et le major Despard quatre carreaux. Je contrai. Le docteur Roberts demanda alors quatre cœurs et ne chuta que d’une levée.

— Épatant ! dit Poirot. Quelle mémoire ! »

Mme Lorrimer poursuivit :

« À la levée suivante, le major passa, j’annonçai un sans-atout, le docteur Roberts trois cœurs. Mon partenaire passa. Despard donna le quatrième cœur à son partenaire. Je contrai et ils chutèrent, cette fois, de deux levées. Puis je donnai et nous fîmes la sortie à quatre piques. »

Elle prit la marque suivante :

« Voilà qui paraît bien compliqué, observa Poirot. Le major barre les chiffres au fur et à mesure.

— Je crois me souvenir que les deux camps commencèrent par perdre chacun cinquante… puis le docteur Roberts demanda cinq carreaux ; nous contrâmes et il perdit trois levées, puis nous fîmes trois trèfles, mais aussitôt après les autres firent manche à pique. Nous fîmes la seconde manche avec cinq trèfles. Puis nous perdîmes cent. Les adversaires firent un cœur, nous, deux sans-atout et finalement nous enlevâmes le robre avec une annonce de quatre trèfles. »

Elle saisit la marque suivante.

« Ce robre fut une vraie bataille. Il débuta de façon très calme. Le major Despard et Miss Meredith annoncèrent un cœur. Nous avons chuté deux fois en essayant quatre cœurs et quatre piques. Puis les autres ont fait la manche à pique. Inutile de vouloir les arrêter. Après cela, nous avons chuté trois fois de suite, mais sans être contrés. Puis nous avons fait la seconde manche à sans-atout. Alors, une terrible lutte s’engagea. Chaque camp prit des amendes à tour de rôle. Le docteur Roberts fit des demandes téméraires, mais, bien qu’il ait pris une ou deux fois de sérieuses amendes, son système a fini par réussir, car il a souvent intimidé Miss Meredith et l’a empêchée d’annoncer son jeu. Il a annoncé ensuite deux piques d’entrée, je lui ai dit trois carreaux, il est allé à quatre sans-atout. J’ai dit cinq piques et il a soudain sauté à sept carreaux. Naturellement, nous fûmes contrés. Une telle déclaration était absurde. Nous avons gagné par miracle. Jamais je n’aurais imaginé que nous pourrions faire notre contrat quand il étala son jeu. Si on nous avait attaqué cœur, nous aurions perdu trois levées. Mais, comme on nous attaqua le roi de trèfle, nous fûmes assez heureux pour réussir le coup. C’était vraiment passionnant.

— Je crois bien ! Un grand schelem vulnérable contré. Cela vous donne des émotions. Quant à moi, j’avoue n’avoir pas le courage d’aller jusqu’au schelem.

— Vous avez tort ! s’exclama énergiquement Mme Lorrimer. Il faut jouer convenablement.

— Courir des risques ?

— Vous ne courez aucun risque si les annonces sont correctes. Le résultat est mathématique. Malheureusement, peu de joueurs annoncent bien. Au début, tout marche à souhait, puis ils perdent la tête. Ils ne savent pas établir la différence entre une main avec des cartes gagnantes et une main sans cartes perdantes… Mais ce n’est guère le moment de vous donner une leçon de bridge, monsieur Poirot.

— Ma façon de jouer ne ferait qu’y gagner, madame. »

Mme Lorrimer poursuivit son examen de la marque.

« Après cette partie mouvementée, les levées suivantes furent plutôt calmes. Avez-vous la quatrième marque ? Ah oui ! Une bataille très équilibrée, aucun des deux camps ne pouvant marquer au-dessous de la ligne.

— Ce cas se produit souvent vers la fin de la soirée.

— On annonce avec prudence, mais toutes les cartes sont mal placées. »

Poirot ramassa les marques et s’inclina.

« Toutes mes félicitations, madame ! Votre mémoire des cartes est magnifique !… Magnifique !… Vous vous souvenez pour ainsi dire de toutes les cartes jouées.

— Je crois bien que oui.

— La mémoire est un don précieux. Quand on le possède, le passé n’existe pas. Les faits écoulés doivent se dérouler en votre esprit aussi clairement que s’ils dataient d’hier. En est-il ainsi ? »

Elle leva vers lui des yeux agrandis et sombres.

L’effet ne dura qu’un instant. Bientôt, elle reprit son attitude de femme du monde, mais Poirot n’en douta point : le coup avait porté.

Mme Lorrimer se leva.

« Excusez-moi, monsieur Poirot, mais je me vois obligée de vous quitter. Je crains d’arriver en retard.

— Pardonnez-moi d’abuser ainsi de votre temps.

— Je suis très fâchée de n’avoir pu vous être plus utile.

— Mais non ! protesta Poirot. Vous m’avez au contraire beaucoup aidé.

— J’ai peine à le croire.

— Si ! Si ! Vous m’avez appris quelque chose que je désirais savoir. »

Elle se garda de lui poser une question directe et lui tendit la main.

« Merci, madame, de votre obligeance. »

Tout en lui serrant la main, Mme Lorrimer dit au détective belge :

« Monsieur Poirot, vous êtes un homme extraordinaire.

— Je suis comme le Bon Dieu m’a fait, chère madame !

— Nous sommes tous un peu comme cela, sans doute.

— Pas tous, madame. Quelques-uns d’entre nous ont cru bon de corriger l’œuvre du Créateur : M. Shaitana, par exemple.

— En quel sens ?

— Il possédait un certain goût dans le choix d’objets anciens. Au lieu de s’y arrêter, il lui a fallu collectionner d’autres choses.

— Lesquelles ?

— Des sensations… si l’on peut dire.

— Ne croyez-vous pas que ce besoin était inné en lui ?

— Il jouait fort bien le rôle de Satan ; au fond, ce n’était pas un démon… mais un sot. Il en est mort.

— De sa sottise ?

— Oui, un péché qui ne pardonne pas, madame. »

Après un silence, Poirot ajouta :

« Au revoir, madame, je m’en vais. Encore mille fois merci de votre amabilité. Je ne reviendrai vous voir que si vous me faites appeler. »

Mme Lorrimer parut étonnée.

« Mon Dieu, monsieur Poirot, pour quelle raison vous dérangerais-je ?

— Sait-on jamais ? C’est une idée à moi. Au moindre signe, j’accourrai. Ne l’oubliez pas. »

Une fois de plus, le détective belge salua et sortit. Dans la rue, il songea :

« Je ne me trompe pas… Je suis sûr de ne pas me tromper… C’est sûrement cela ! »

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